Intervista alla Società Civile in Nord-Kiwu

L’APRES M23 AU NORD-KIVU

 Conversation à 360° avec Mr. Thomas d’Aquin Muiti, Président  

et Me Omar Kavota, Vice-président et porte-parole de la Société civile du Nord-Kivu

  

1. M23 : VICTOIRE RENVERSEE

M23 : Une victoire de toute la population

 

(Mr Muiti) Avant de parler de ce qui s’est passé après la date du 5 novembre 2013, jour de la défaite du mouvement rebelle M23, je voudrais brièvement rappeler ce qui s’est passé avant. La population du Nord-Kivu a vécu des choses terribles dans les Territoires de Rutshuru et de Nyiragongo et dans la ville de Goma. En voyant en novembre 2012 le M23 entrer à Goma, une certaine population applaudissait, car les rebelles se disaient venir pour la libérer. Mais face aux viols, pillages systématiques, assassinats perpétrés par le M23, la population a à nouveau applaudi quand ils ont été obligés de quitter la ville.

Après cet événement, dans le Nyiragongo c’était les assassinats : toute personne qui osait manifester une quelconque opposition était la cible. Le cas le plus frappant fut l’assassinat du chef coutumier SEGATWA NZAINO Sylvestre qui avait refusé toute allégeance avec la rébellion.

Dans le Territoire de Rutshuru, le chef coutumier de Rumangabo (en Groupement Kisigari), Mr MANISHIMWE NSHIMIYIMANA Rwahinage, a été tué la nuit du 04 au 05 septembre 2012; peu avant, il  avait été enlevé pour le punir d’avoir parlé : les rebelles du M23 ont lié sa langue et l’ont tirée jusqu’à le jeter chez-lui mourant. Comme si cela ne suffisait pas, ils sont rentrés pour l’achever par balles. Toujours dans ce Territoire, le M23 moissonnait les champs de la population et emmenait les haricots et le mais au Rwanda. Le lendemain, on voyait ces haricots rentrer au Congo à travers la grande barrière de Goma pour y être vendus. Alors, le prix de la nourriture est monté : la petite assiette de farine, « murongo », était passée de 500 à 900 FC.

Comme la population de Nyiragongo et de Rutshuru, terrorisée, commençait à quitter les villages, les miliaires du M23 l’en empêchaient et fouillaient les sacs des voyageurs : « Vous voulez aller où ? ». Ainsi, les parents envoyaient l’un après l’autre leurs enfants à Goma chez des membres de famille et enfin eux-mêmes montaient sans bagages dans un véhicule. Lorsque les militaires du M23 constataient le départ d’une famille, ils amenaient des citoyens rwandais et les installaient dans sa maison ; ou bien ils enlevaient les tôles de la maison pour les amener au Rwanda. Entretemps, la Société civile avait fait voir au Chef de l’Etat, qui parlait d’une guerre des fils du Nord-Kivu, qu’il s’agissait d’une guerre d’agression.

Alors la population a compris ce que la Société civile lui disait depuis longtemps, a pris conscience de la guerre. Ils ont soutenu les FARDC en cotisant de l’argent, des vivres. A chaque opération menée contre le M23, les femmes de Goma apportaient des camions d’eau sur la ligne de front, au milieu des tirs de balles, des jeunes arrivaient sur des motos avec des cartons d’eau. Même le plus petit citoyen de Nyiragongo ou de Rutshuru commençait à donner des informations aux FARDC et à la Société civile ; on nous signalait le passage à la frontière de camions venant du Rwanda chargés d’armes et de mutions. Le front contre le M23 a été une appropriation de toute la population, des militaires, des services de sécurité : tous ont donné leur contribution. Quand la population a été informée que le M23 venait de quitter le sommet de Runyoni et traversait vers le Rwanda et vers l’Ouganda, c’était la fête : tout le monde s’est senti victorieux et libéré et cela partout en République Démocratique du Congo.

Toutefois, le M23 n’était pas seulement les hommes qui étaient sur la ligne de front : il défendait une idéologie qui était déjà à l’intérieur de la population. Ce qui était une victoire pour la majorité de la population victime des exactions du M23, était un échec pour une autre partie de la population, qui se mélangeait à l’autre et qui était armée. Après le 5 novembre il y a eu ainsi des représailles : des motards, des clients qu’ils transportaient ont été tués à bout portant en pleine journée, des personnes ont été enlevées.

Dans le Nyiragongo, le M23 avait installé de nouveaux chefs coutumiers. L’Administrateur du territoire voulait réinstaller les chefs légitimes, mais il vient d’être suspendu par les autorités de Kinshasa, aussi du fait d’avoir soutenu  la dénonciation faite par la Société civile sur l’occupation du territoire par les forces rwandaises. Aujourd’hui la population de Nyiragongo bouillonne d’indignation et se demande sur quel pied danse le gouvernement de Kinshasa et s’il n’est pas complice dans le complot de la balkanisation.

 

Armes et autres mystères

 

(Me Kavota): La date du 5 novembre a été révélatrice de beaucoup de secrets quant à l’arsenal militaire dont disposait le M23 : il a laissé sur le terrain plus de 350 tonnes d’armes et minutions, et d’autres en a emportées dans la fuite ; parmi les armes retrouvées, certaines pouvaient frapper un avion de guerre ; sur les collines surplombant Runyonyi, ils avaient installé un radar capable de contrôler Goma, Kibumba, Rutshuru et une partie de Masisi, et des trous de fusiliers construits de manière sophistiquée, avec du béton. Ils étaient aussi en train de creuser un passage sous le mont Mikeno, la plus haute montagne entre le Rwanda et la RD.Congo.

Cela montre que le M23 était bien résolu à déstabiliser la paix et la sécurité du Congo et qu’il n’était pas seulement une création locale, même pas seulement régionale: au delà de l’Ouganda et du Rwanda il y avait d’autres acteurs. En effet, le M23, le Rwanda même, pouvaient-ils trouver l’argent pour payer tout ce matériel ? Nous demandons une enquête internationale neutre quant à l’origine de ces armements, pour connaître les origines  cachées de cette guerre, le circuit des armes.

Ce qu’on n’a pas aussi compris, après le 5 novembre, c’est la pression internationale sur le gouvernement congolais pour qu’il poursuive les pourparlers avec le M23, alors que ce dernier était déjà dissout. Nous avons vu l’activisme en ce sens de Martin Kobler, premier responsable de la Monusco, de Mary Robinson, représentante des Nations Unies pour les Grands Lacs, de Russ Feingold, envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands Lacs,des envoyés de l’Union Européenne et de l’Union Africaine. Qui derrière eux faisait pression pour que le M23 disparaisse, mais au contraire atteigne ses buts ?

Nous pensions que la leçon infligée au M23 allait par elle-même être dissuasive vis-à-vis des autres groupes armés qui le soutenaient et même de ceux qui les combattaient. En cherchant à reconstituer le M23, on a poussé aussi les autres groupes à se reconstituer.

Si du moins de ces pourparlers ressortait le fait que les dirigeants du M23 considèrent que le mouvement n’existe plus et qu’ils sollicitaient au peuple congolais le pardon à genoux, on pourrait encore comprendre le sens de la reprise de ces pourparlers. Mais nous avons vu la colère du président ougandais Museveni, à ce moment-là président de la CIRGL, quand il constata que le gouvernement congolais refusait de signer un acte qui le mettait sur le même pied d’égalité avec le M23. Il montrait par là d’être l’allié et le parrain du M23. Et il marchait de pair avec les cinq envoyés spéciaux nommés plus haut.

Le résultat ressorti de Nairobi c’est effectivement la loi d’amnistie. Et en dessous de la table, nous allons peut-être le voir dans le prochain gouvernement dit de cohésion nationale, ce sera sans doute l’intégration de ces gens dans la politique. Ce qui pointe à l’horizon c’est l’intégration de ces criminels dans les institutions politiques, militaires et policières de la République.

La population, qui espérait un retour à la justice, est encore une fois humiliée, parce que ces gens devraient être interpellés un à un pour répondre de leurs actes, alors qu’il y a forte probabilité de les voir bientôt revenir en chefs.

(Mr Muiti). Une rébellion qui n’existe presque plus, puisque, délogée, elle traverse la frontière, mais on insiste pour qu’on continue à discuter avec elle. Est-ce que l’on peut avoir une seule jurisprudence dans le monde où cela s’est déjà passé ? En RDCongo nous devenons une souris expérimentale. Ce n’est qu’en RDCongo qu’on a donné au Président quatre vice-présidents, comme en 2003. Depuis lors on a multiplié les amnisties : pour le RCD, pour le CNDP, pour le M23…

Et pourquoi cette amnistie ne concerne que le M23, alors qu’il y a d’autres groupes armés vaincus, comme l’APCLS, les Nyatura, les Nduma Défense, les Raia Mutomboki, qui ont combattu du côté du gouvernement ? Ainsi, certains pensent que le gouvernement de Kinshasa ne veut pas réellement que la paix s’installe définitivement au pays, puisque certains gagnent dans ces troubles. Nous nous posons aussi des questions sur la communauté internationale, dont le comportement semble montrer qu’il y a un complot contre le pays et qu’on ne veut pas que la paix revienne ici.

Conséquences de l’amnistie

(Me Kavota) La consécration de l’impunité par la loi d’amnistie a amené des conséquences bien visibles. Déjà le lendemain de la débâcle du M23, des groupes armés avaient remis leurs armes, car ils se battaient contre le M23. Rien qu’au centre Bweremana il y avait plus de cinq mille anciens combattants. Ayant appris que quelque chose se négociait en faveur du M23, ils espéraient obtenir aussi quelque chose. Ils ont toutefois perçu dans le comportement des représentants du gouvernement un déséquilibre : les M23, qui ont même identité que le CNDP/RCD et même inspiration rwandaise, étaient privilégiés par rapport aux groupes armés d’autodéfense ou nationaux. Dans les camps, les groupes armés nationaux manquaient à manger, pendant que le M23 ou leurs leaders étaient bien chéris à Kampala. Cela a fait à ce que certains démobilisés rentrent en brousse, que des groupes armés se reconstituent, que d’autres naissent et que ce qui sont encore en brousse y restent.

Des sources indiquent que les M23 sont en train de se reconstituer à partir du district de Kisoro en Ouganda avec armes, uniformes, munitions de l’UPDF pour attaquer Rutshuru à partir de Bunagana. En même temps, du côté du Rwanda, à partir de Ruhengeri il y a des exfiltrations pour réoccuper Runyonyi et passer par le mont Mikeno pour réoccuper les anciennes positions.

Ce sont les conséquences de la mauvaise gestion de la question. Si cette libération avait été consacrée après le 5 novembre, si on avait imposé, avec l’appui de la Communauté internationale, de ramener au Congo tous les rebelles qui avaient fui au Rwanda et en Ouganda, l’Etat les aurait gérés, le M23 n’existerait plus et les autres groupes armés disparaitraient aussi. Mais lorsqu’on va revoir ces éléments revenir et être dirigeants, les autres penseront que c’est celui-là le chemin pour gagner des postes. Combien d’années la population souffrira encore

Depuis le 5 novembre, ces gens ne font que consolider des stratégies pour revenir, soutenus par les mêmes parrains, qui leur apprennent une stratégie plus forte que celle qui a échoué. Aujourd’hui on peut dire qu’on attendait trop de la libération de l’emprise du M23.

2. LES OPERATIONS CONTRE LES ADF ET LA MENACE OUGANDAISE

 

La première victime des opérations contre les ADF: le col. Mamadou

(Me Kavota) Après le 5 novembre, avant que l’armée congolaise ne déclenche des opérations contre les rebelles ougandais des ADF dans le territoire de Béni, elle a connu la mort précipitée et planifiée du Col. Mamadou Ndala. Comment l’expliquer ?

Déjà lors des opérations contre le M23 on avait constaté une sorte d’infiltration à l’intérieur de l’armée congolaise. A Mutaho des militaires congolais tiraient sur leurs collègues, sur la ligne de front. Un commandant avait dit à ses collègues qu’il venait de prendre Kibumba, alors qu’il était à Munigi ; ainsi il les mettait en étau. Cette infiltration de l’armée a commencé depuis l’entrée de l’AFDL en 1996, conduite par l’armée rwandaise : jusqu’en 1998 l’armée congolaise a été inexplicablement dirigée par un officier supérieur rwandais et des militaires rwandais sont restés dans l’armée congolaise.

Il y a eu quand même des officiers qui se sont démarqués de cette politique au service du Rwanda, qui avilissait l’armée congolaise. Celui qui a porté ce flambeau à l’époque du M23 a été feu Colonel Mamadou Ndala. La population l’avait perçu comme le véritable libérateur, ce qui lui a attiré la haine de ses collègues traitres infiltrés au sein de l’armée, même au niveau de Kinshasa; mais aussi le planificateur de la déstabilisation devait l’isoler se servant d’eux : les uns et les autres avaient l’intérêt à l’éliminer.

Il y avait aussi la problématique des unités rwandophones qui depuis trois ans faisaient croire au gouvernement congolais d’être engagées contre les ADF, alors qu’elles ne contrôlaient pas delà de deux km de la route nationale. Elles ont toutefois insisté pour gérer elles-mêmes ces opérations et voyaient d’un mauvais œil les unités nouvelles qui devaient être commandées par Mamadou et d’autres unités dont elles n’avaient pas le contrôle. L’assassinat du col. Mamadoul a provoqué le moral bas de ses unités engagées dans les opérations contre les ADF.

Recyclage du M23 envoyé à côté des ADF

(Mr Muiti) Pendant ce temps, l’ensemble des combattants du M23 qui avaient traversé vers l’Ouganda ont été exfiltrés du côté du territoire de Béni pour être supplétifs au sein des ADF. Et cela sous la bénédiction de Kampala, qui a envoyé armes et munitions à ceux qui devaient être perçus comme ses ennemis : l’ADF. Cela a compliqué les opérations, car les FARDC se battaient contre une coalition : UPDF (l’armée ougandaise), M23 et ADF.

Jusqu’à présent, dans le district de Bundibugyo, proche du camp de Kyangwali, en Ouganda, l’armée ougandaise entraîne des éléments du M23. Une fois qu’ils sont prêts, ils sont exfiltrés directement en territoire de Béni. Cela fait que même si les FARDC peuvent enregistrer des succès le lendemain il y a des revers, car il y a à tout moment des renforts.

Entretemps, les autorités ougandaises ont déclaré que les NALU, c’est-à-dire les Al-Shabab, n’existent plus au Congo, ils sont rentrés en Ouganda. Et les Nalu ont déclaré d’avoir mis fin à leur rébellion et d’être devenus un parti politique. Qui sont alors les hommes armés se trouvant dans le Ruwenzori, dans le Beni-Mbau ou dans le Watalinga ? L’Ouganda n’a pas encore donné une réponse.

Nous pensons aujourd’hui que les violences qui se passent dans la partie Beni sont l’œuvre d’éléments du M23, accompagnés des Al Shabab et des militaires de l’armée ougandaise (UDPF). L’Ouganda qui semble combattre les Al Shabad en Somalie, en réalité accompagne ceux qui travaillent avec les Al Shabab au Nord-Kivu. Que l’Ouganda réfute ce que nous disons en démontrant le contraire. A Kampala, un officier ougandais nous a dit : « Nous sommes en train de produire des armes. Vous pensez qu’elles vont fonctionner comment, si nous ne créons pas des conflits chez vous ? ».

(Me Kavota) Dans les attaques à la grenade à Béni, nous sommes convaincus qu’il ne s’agissait pas de l’ADF-NALU, mais du « phénomène », comme nous l’appelons. En mai 2013, nous avons organisé des conférences de presse à Kinshasa pour alerter les missions diplomatiques et le gouvernement sur l’existence de réseaux terroristes au Nord-Kivu. Quelles sont les dispositions prises ? Et aujourd’hui on assiste au jet de grenades dans des villes du pays, contre la Monusco, contre les civiles, contre les FARDC… C’est maintenant qu’on commence à comprendre ce que nous avions dénoncé officiellement ce jour-là. Même à la Maison Blanche, au Département d’Etat et au Sénat des Etats-Unis nous avons expliqués que ce qui se passe c’est du terrorisme, sous la bénédiction de Kampala.

 

Un naufrage douteux

(Mr Muiti) Le naufrage du mois d’avril 2014 sur le lac Albert avait fait officiellement 251 morts et 41 survivants. Tous les Ougandais à bord se sont sauvés, alors qu’aucun Congolais n’a survécu. Il s’agissait de réfugiés congolais qui rentraient chez eux. Nous doutons fort que c’est un attentat. Des officiers ougandais du district de Bundibugyo et de Hoïma ont dit : « Comme nous avons perdu nos hommes dans votre combat à Béni, ces hommes-là ne doivent pas mourir seuls ». Lorsque les réfugiés congolais en Ouganda cherchaient à rentrer chez eux par route, à pieds, les Ougandais ont érigé des barrières, les ont maltraités et ramenés dans les camps. Alors ils s’étaient sont résolus de passer par le lac. Ils leur ont donné le bateau le plus vétuste, qui a été surchargé. Nous continuons à demander qu’il y ait enquête.

Richesses naturelles contre armes

(Me Kavota) En Ituri, dans le territoire d’Irumu proche de Beni., des militaires FARDC combattent contre Cobra Matata. Quand il est sérieusement frappé, il demande deux semaines de temps avant de se rendre. Entretemps, il pille entre trois mille et cinq mille vaches dans les prairies du Territoire d’Irumu chez les Hema et les amène en Ouganda. Elles reviendront au Congo par Kasindi pour y être vendues. En contrepartie Cobra reçoit armes et munitions, après quoi il refuse toute reddition. Sans compter les kilos d’or et les planches que les Nalu, qui utilisent des tronçonneuses dans le parc de Virunga, envoient en Ouganda. Là, ce bois sera qualifié comme produit en Ouganda.

Inquiétudes à Beni

Les opérations contre l’ADF sont menées mais d’aucuns s’interrogent sur leur issue. Sur 894 otages, personne n’est rentrée. Les déplacés qui tentent de rentrer dans leurs localités mais ne vont pas aux champs de peur d’être kidnappés ; et pour la plupart sont encore obligés de les vider, à cause de nouveaux affrontements et des exécutions par les hommes de l’ADF. Fin avril, dans une localité sur la route Mbau-Kamango, six personnes ont été enlevées, dont trois ont été retrouvées cadavres sur la route. Non loin d’OICHA, à Mukoko, pendant qu’on célébrait le dimanche des Rameaux, les ADF sont venus circuler autour de l’église et le prêtre et les fidèles ont fui. Les FARDC avancent, croient avoir pris le contrôle jusqu’à 80 km, mais à 5 km les rebelles ont assiégé l’église.

L’objectif de l’Ouganda c’est de créer la terreur et rendre cette partie ingouvernable et invivable, pour pouvoir continuer à exploiter le bois et les produits agricoles (cacao, café, bananes,…). Les vivres produits par les paysans, comme le cacao, sont des cultures exportables et sont amenés en Ouganda chaque jour. Mais aussi, si la situation perdure longtemps, on peut alors exploiter le pétrole et l’or, sans témoin gênant.

Dans le territoire de Lubero, les FDLR sont en train de quitter Walikale pour s’exfiltrer au sud du territoire et s’installer là où il y des populations dites retournées, venues du Rwanda, qu’on appelle les Hutu-Nande pour se confondre avec elles, et le Gouvernement ne s’en soucie même pas. Aujourd’hui, les FDLR viennent d’ériger un centre d’entrainement à Kasiki, Kanune et Mbuavinywa pour se faire passer pour des milices locales pour la protection des retournés Hutu (FPPH, Force de Protection du Peuple Hutu) et donc échapper à toute traque militaire de la FIB (Brigade d’Intervention de la Monusco).

3. LA MONUSCO, LA FIB, LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

 

Une Monusco et une FIB retissant

(Me Kavota) Concernant les défis des opérations ADF, il faut aussi considérer que la Monusco s’était réservée d’intervenir militairement contre les ADF en disant que la priorité ce sont les FDLR. Ce n’est que très récemment que la Monusco vient de s’engager aux côté des FARDC, après que ces dernières aient fait le gros du travail, comme pour éviter le qu’en dira-t-on.

Nous au bureau de la Société civile avons toujours cru, aux égards de la détermination des Etats contributeurs de la Force d’intervention africaine mise en place en juillet 2013  (FIB), que si cette force n’avait pas été incorporée au sein de la Monusco, les résultats seraient autres que ce que nous connaissons aujourd’hui.

(Mr Muiti) Pour la population la priorité c’est la lutte contre les ADF-NALU qui ont enlevé plus de 894 personnes, dont on n’a plus de nouvelle. Mais la FIB déclare que la priorité pour les Nations Unies ce sont les FDLR. Pourquoi ne pas écouter la population ? Les FDLR constituent une menace, mais ils n’ont pas huit cent personnes en otage ! Nous avons besoin de récupérer ces personnes, dont trois prêtres, un médecin, quatre agents de MSF-France, plus de 250 enfants et plusieurs centaines de femmes. Savoir leur sort c’est notre priorité. Nous pensons que les Nations Unies accompagnent les forts dans leur force et découragent les faibles dans leur faiblesse, pour les entretenir davantage dans leur faiblesse.

Un plan qui demeure

(Mr. Muiti) A notre avis, la Communauté internationale aux égards de la RDCongo n’a pas changé de plan, mais de stratégie. Le plan A avec l’AFDL, le plan B avec le RCD, le plan C avec le CNDP, le plan D avec le M23 n’ont pas marché et aujourd’hui on veut utiliser le plan E : les ADF… A chaque fois toutefois la réalisation du plan progresse. Le fait d’imposer l’amnistie, de vouloir que certains M23 soient réintégrés dans les institutions politiques et dans l’armée, signifie que le plan continue. A cela s’ajoute l’imposition de ceux qu’on appelle de réfugiés congolais qui dans la grande partie ne sont pas congolais. Le plan vise à installer une armée et des politiciens favorables à la balkanisation et une population qui pourra provoquer le référendum pour que cette balkanisation ait lieu.

 

4. CAMPS DE DEPLACES : UNE REALITE A COMPRENDRE

 

Le phénomène des camps de déplacés

(Me Kavota) Au Nord-Kivu et en particulier dans le Masisi et le Rutshuru, les camps de déplacés ne font qu’augmenter. A Mugunga, bien que le Gouverneur ait obligé les déplacés à rentrer à Nyiragongo et à Rutshuru,  désormais en paix, les camps sont peuplés de populations dites déplacées en provenance de ces territoires. Dans le Masisi, à Mweso, Kashuka, Kalembe, existe le plus grand camp, avec plus de 25.000 personnes. D’où sont-elles venues ? 68 Camps de déplacés dans l’espace Goma-Masisi-Rutshuru.

A cela s’ajoutent des populations que l’ancien Gouverneur Eugène Serufuli, sans le moindre respect des normes de rapatriement des réfugiés, avait installées dans les zones de Kilolirwe. Ces populations, dont l’identité n’est pas reconnue, aujourd’hui ont érigé des villages dans le parc national de Virunga et sont en train de solliciter des entités coutumières. Le « recensement national des citoyens » qu’on est en train de décider n’est-ce pas une occasion pour les faire passer pour Congolais ?

En 1994, après la prise de pouvoir du FPR au Rwanda, un certain nombre de réfugiés rwandais de 1961 et de 1973, installés dans les zones de Bibwe, de Kalembe, d’Ihula, avaient choisi de rentrer chez eux. Ils ont écrit des lettres de remerciement aux chefs de chefferies qui les avaient accueillis et ont jeté leurs cartes pour citoyen congolais à la frontière. Le gouvernement rwandais n’a pas apprécié leur retour, les a installés dans des camps de réfugiés : ce sont eux qui sont comptés aujourd’hui comme des réfugies congolais et ce sont leurs fils qui font la guerre contre la RDCongo.

Le Congo semble ne pas être très peuplé : nous comprenons que le Rwanda veuille envoyer chez nous le trop plein et nous sommes d’accord qu’ils viennent. Toutefois, le problème est que, arrivés au Congo, ces personnes continuent à soutenir la politique déstabilisatrice de leur pays d’origine, contre le Congo. Nous ne voudrions pas que la Communauté internationale continue à entretenir ceux qu’ils appellent les Hutu-Nande, les réfugiés congolais au Rwanda pour déstabiliser la RDCongo.

 

Trois catégories de personnes dans les camps

(Mr Muiti). Un chef de poste et d’encadrement à Kibati nous a dit : « Quand vous dites aux humanitaires qu’il faut démanteler tel camp, ils refusent en disant que le retour des déplacés est volontaire. Or, le camp de déplacés devient l’endroit où l’on entretient l’insécurité : des hommes armés s’y trouvent, entre autres les FDLR, sachant que ni l’armée ni la police ne peuvent y entrer. Dites aux autorités de ne pas tenir compte des arguments des humanitaires, qui craignent la perte de fonds et le chômage ». Il n’y a pas moyen de distinguer les Hutu congolais des Hutu rwandais et dans tous les camps qui restent au Nord-Kivu la majorité ce sont des Hutu.

Dans les camps il y a aussi des résidents, qui à cause de la pauvreté préfèrent rester dans les camps où ils reçoivent des objets qu’ils peuvent vendre en gagnant un peu d’argent.

Il y a aussi la catégorie des personnes qu’on appelle « sans terre ». Dans le temps, des personnes  vivaient et travaillaient dans de grandes concessions cultivées à thé et café. Les anciens concessionnaires réservaient une partie du terrain à ces ouvriers, mais les acquéreurs congolais, qui sont des éleveurs, n’ont besoin de que deux personnes. Or, le colon avait laissé 500-600 ouvriers, qui ont mis au monde, ce qui fait qu’il peut y avoir aujourd’hui 1.500 personnes qui n’ont pas où aller : c’est eux qui sont dans les camps des déplacés. C’est ainsi qu’on a plus de rien que trente camps de réfugiés dans le Masisi. Nous avons alerté les autorités sur cette situation.

5. LA  QUESTION FONCIERE

(Me Kavota) Pendant la rébellion du RCD, surtout dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, des gens qui ont pris le pouvoir se sont auto-attribué des concessions sans les acheter. Jusqu’à présent il y a des personnes qui possèdent 10 kmq, qui auparavant faisaient vivre des familles entières par l’agriculture : ils ont expulsé les propriétaires et ensuite les travailleurs, et ont acquis des titres, grâce au gouvernement qu’ils ont installé.

Après la guerre du RCD, l’Etat a adopté la résolution de considérer les actes pris par les rébellions comme authentiques. Ainsi, y a-t-il la concession de Kazarama dans le Rutshuru, de Serufuli dans le Masisi et dans le Rushuru, de Bosco Ntaganda dans le Masisi et Rutshuru, de Laurent Nkunda dans le Masisi, de Bizima Karaha…  Et ce sont ces mêmes concessionnaires rebelles qui sont soit aujourd’hui au pouvoir à Kinshasa comme généraux, députés, sénateurs ou ministres… sauf Bosco Ntaganda qui est à La Haïe et Laurent Nkunda qui est à Kigali. Tous ces gens-là ont des gérants dans leurs concessions, parce qu’ils ont les titres.

 (Mr Muiti) Les conséquences de la guerre sont encore très perceptibles sur le terrain quant à ce qui est des petits conflits. Ici dans la ville de Goma vous pouvez trouver une parcelle avec deux certificats : un certificat pour l’ancien propriétaire et un certificat pour un membre de la rébellion et qui demande à l’ancien propriétaire de quitter la parcelle.

(Me Kavota) Dans la plupart des cas, personne des vrais propriétaires n’ose aller en justice, car ces nouveaux propriétaires sont souvent des autorités. Ceux qui ont ravi même récemment des terres à Rutshuru vont être des Ministres… que peut faire un paysan ? Si Kazarama, qui est en conflit avec des milliers de familles dans une concession qu’il a arraché à la population à Tongo, est aujourd’hui commandant de la VIII Région militaire, quel citoyen de Tongo oserait revendiquer ses droits ?

 

6. TRAÇABILITÉ DES MINERAIS, CHEMIN DE PAIX

(Mr Muiti) Je fais partie du « Comité provincial de suivi des minerais » et j’ai été délégué pour l’actuation de l’arrêté du ministre demandant que soient validés et qualifiés les sites où les minerais sont exploités selon les normes standard internationales et qu’il y ait un certificat de la CIRGL permettant la commercialisation. J’ai aussi fait partie des membres de la « Conférence sur les mines » au niveau de la République et j’ai été membre d’un panel.

Pour ce qui est de la situation globale des minerais au Nord-Kivu, d’une part nous devons reconnaître qu’en arrêtant l’exploitation et l’exportation des minerais, on permet aux fraudeurs de bien gagner et on favorise ceux qui veulent que les minerais de la RDCongo profitent aux pays voisins ou aux multinationales. C’est pourquoi j’ai milité pour qu’on puisse qualifier le plus grand nombre de sites, pour permettre la transparence dans la commercialisation du produit.

Le problème se situe au niveau de la distribution des permis : il y a des permis qui ont été produits à l’époque des rébellions et donc il y a des propriétaires légitimes et des usurpateurs qui ont aussi reçu leur permis. Nous avons parlé aux uns et aux autres en leur montrant que c’est dans leur intérêt de s’accorder pour que l’exploitation soit propre.

Encore, on qualifie un certain nombre de sites, mais d’autres sites proches ne sont pas qualifiés. Comment considérer propres les minerais qui proviendront de ces milieux, alors qu’il y aura en circulation  des minerais qui proviendront de ces sites non qualifiés ? C’est ainsi que je suis en train pousser pour que tous les minerais dans le milieu soient considérés comme minerais propres. Cela se passe  dans le Masisi.

Il y a aussi les minerais provenant de Rutshuru, qui n’ont jamais été qualifiés et qui quittent le pays illégalement. L’or de Mangorejipa, dans le Lubero, et de Beni, part directement vers l’Ouganda, qui aujourd’hui est considéré comme grand producteur d’or alors qu’il n’en a presque pas.

S’il y a eu la Loi Dodd-Frank, c’est à cause des minerais de Bisiye, à Walikale. Il ne faut pas tergiverser sur la qualification de ces minerais sous prétexte qu’il y a la milice de Cheka : il faut qu’on parvienne à les certifier, pour que la Communauté internationale sente que tous les minerais en provenance du Nord-Kivu sont des minerais propres.

Le problème se situe à plusieurs niveaux. Lors de la Conférence, le Premier ministre a fait un constat amer : c’est comme si au Nord-Kivu il y avait beaucoup d’argent, mais cela ne se remarque pas dans le trésor public : il doit y avoir fuite fiscale. Nous l’avons toujours fustigé au Nord-Kivu : lorsqu’un député devient exportateur de véhicules, quand il leur fait traverser, personne n’ose lui demander de payer, craignant ses menaces. Pourtant, la loi est claire : le commerce est incompatible avec les prérogatives des militaires, des députés, du gouverneur. A notre avis, il y a fuite fiscale au Nord-Kivu puisque tous ceux qui font le commerce, qui ont des quincailleries, des stations de pétrole, qui font le commerce de véhicules ce sont des dignitaires. Cela ne permet pas à la Nation de renfler ses caisses.

Par nos sept observatoires, nous partageons et soutenons les efforts que l’Union Européenne est en train de faire pour la traçabilité des minerais dans notre pays.

 

7. LE PROBLEME MAJEUR

 

La plaie du pays

(Mr Muiti) Le problème majeur du pays c’est le trafic d’influences, le tribalisme, la corruption : avec toutes ces antivaleurs mises ensemble, quelle que soit la vérité que nous mettons sur la table, souvent on nous qualifie d’alarmistes. Récemment à Goma on a fait arrêter un imam, qui pratiquait le trafic des jeunes : moyennant des promesses, il faisait partir des jeunes à Béni chez les ADF. Malgré les preuves à l’appui, le magistrat l’a libéré. Le magistrat a été poursuivi, mais il est libre et menaçant, alors que des familles cherchent leurs enfants sans savoir s’ils sont encore vivants.

 

Nécessité de l’alternance

Au delà de notre travail ici, nous voudrions pouvoir rencontrer les grands, comme Obama, le président de la Grande Bretagne, les influencer à faveur de l’alternance. Tous les Présidents dans la Sous-Région des Grands Lacs, Kagame, Museveni, Nkurunziza, Kabila, sont à fin mandat, mais tous, durs comme fer, ne veulent pas lâcher.

Qu’on encourage l’alternance et nous verrons si ce vent nouveau va tomber dans les mêmes erreurs ou contribuera à un changement positif. Qu’ils respectent leurs textes et permettent qu’il y ait des élections vraiment transparentes. Le problème que vivent nos populations, nous pensons que c’est un problème d’hommes. Il y a la possibilité que ces hommes coalisent pour troubler les Grands Lacs et ils resteront troublés le plus longtemps possible. Il y a possibilité de procéder à un changement et alors on n’aura pas besoin de festivals, de matchs !

8. A PROPOS DES INITIATIVES INTERLACUSTRES DE PAIX

(Mr Muiti, Me Kavota) Nous assistons en ce temps à plusieurs initiatives visant à réunir les jeunes ou les adultes de Burundi, RDCongo. Rwanda et Ouganda : des matchs, des festivals, des centres communs de formation… A notre avis, ce sont des distractions pour qu’on n’ait pas le temps d’affronter les problèmes. Il n’y a aucun problème entre les populations : des citoyens rwandais traversent chaque matin la frontière pour travailler à Goma comme maçons ou pour vendre leurs produits.

Les grands du monde ont poussé pour qu’on donne l’amnistie aux membres du M23, qui ont tué et violé et reviennent en chefs. Et après on organise des festivals de paix : qu’est-ce que cela rapporte ? La plupart des partenaires agit de bonne foi, mais ceux qui bénéficient de leur appui le détournent et font perdurer le problème.

Le problème est d’influencer les décisions au sommet. S’il faut organiser des rencontres pour la paix, qu’on réunisse les responsables des Sociétés civiles susceptibles d’influencer les décisions du pouvoir, des professeurs des Universités qui peuvent écrire des articles, des responsables de confessions religieuses qui peuvent parler aux autorités. Pour arrêter la manipulation il faut toucher le manipulateur.

 

9. ENSEMBLE NOUS POUVONS AVANCER

 

(Mr Muiti) Ce que nous disons, nous le vérifions et nous ne craignons pas d’être contredits. Nous sommes organisés de la base, par des rapporteurs vivant dans chaque localité, par des coordinations et des groupes thématiques, qui travaillent même à l’intérieur de la province. La population elle-même nous envoie des messages et nous donne même des stratégies.

(Me Kavota) Ce que nous faisons vient de nos efforts personnels ; nos familles mêmes sont parfois sacrifiées. Nous sommes en ville et faisons comme si on n’y était pas ; nous n’y sommes pas et faisons comme si on y était. Des fois on ne sait pas qui est qui, on ne peut pas se dévoiler à tout le monde, on peut avoir sa résidence et passer la nuit à l’hôtel. Nous nous disons toutefois : « Si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? Même une goutte d’eau qu’on aura ajouté servira à quelque chose ».

Face à tant de réactions contraires des autorités nationales et internationales, il nous arrive de nous demander si c’est nous qui sommes perdus sur la piste ou ce sont les autres qui ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre. Ceux qui voient ce que nous faisons ce sont les pauvres paysans, les sans voix, qui nous disent : « Si vous n’existiez pas… »

Pourtant ceux qui détruisent ont accès facile aux financements. Au niveau national, l’accès aux médias est pour nous très limité, alors que d’autres propagent facilement des informations en les habillant comme étant la voix de la population. Des projets visant à justifier le M23 reçoivent des millions de dollars. Certaines organisations internationales disent venir dans le cadre de la paix mais nous refusent toute aide si nos actions sont menées sans les anciens acteurs du M23, du CNDP. Nous nous demandons pourquoi elles sont toujours là pour défendre ceux qui combattent la nation congolaise.

(Mr Muiti) La Communauté internationale peut beaucoup nous épauler. Notre travail à la coordination de la Société civile est le plaidoyer, qui comprend le monitoring, la communication, le reporting : souvent nous commençons, mais nous n’arrivons pas au bout faute de moyens.