Des Congolais déplacés dans le camp de Buhimba parlent

Sœur Giovanna Gallicani, de la Congrégation des Piccole Figlie de Parma (Italie) nous accompagne à quelque 5 km de la ville de Goma, au secteur du camp de Buhimba où ont été installés les derniers venus, les habitants de Muja et Mutaho, suite aux affrontements du 21 mai 2013. Dans cette vaste étendue de bâches grises, il y a aussi les déplacés de Kitchanga, arrivés en février 2013 ; ceux de Rutshuru, arrivés en juillet 2012. Depuis l’année passée, six camps de déplacés se sont formés, tous à cause de la guerre du M23. Ceux qui ont préféré à la souffrance dans les camps le risque du retour à Rutshuru ou à Kiwandja, y vivent dans la peur : chaque nuit des tirs, des enlèvements, des assassinats. Qui ne résiste pas s’enfuit à nouveau. Nous avançons dans la grande étendue de bâches et les gens viennent à notre rencontre. Au bord du sentier un tailleur coud des habits et un jeune homme vend biscuits et bombons. Tous nous saluent. Impossible de les informer de notre arrivée : il n’y a pas de réseau, ici. Sœur Giovanna informe que le père xavérien Silvio Turazzi, qu’ils ont connu, est venu les saluer, mais les attend à une petite distance, sa chaise roulante ne pouvant pas avancer dans les pierres volcaniques du terrain. Pendant que les gens se mettent en route pour aller le saluer, je pose quelques questions aux personnes de Mija et de Mutaho qui m’entourent.

 

Quand êtes-vous arrivés ici et pourquoi avez-vous quitté chez vous pour venir ici ?

Nous avons quitté nos villages de Mutaho et Muja le 21 mai à cause de la guerre entre le M23 et les forces gouvernementales (FARDC). Les combats avaient commencé à quatre heures du matin à Mutaho pour s’étendre à Muja. Nous tous nous nous sommes enfuis, sans avoir le temps de prendre quoi que ce soit. Nous avons rejoint d’abord notre paroisse de St. François Xavier de Ndosho, où nous sommes restés une semaine et par après nous sommes venus ici. 

Pourquoi avez-vous fui, s’agissant d’un combat entre militaires ?

Quand les militaires se combattent entre eux, des coups de feu peuvent atteindre et tuer les civils sans qu’ils s’en rendent compte ; car nous, les civils, nous ne savons pas comment nous protéger pendant les combats. 

Entre temps, n’y a-t-il pas eu une accalmie qui puisse vous permettre de rentrer ?

Il n’y a eu accalmie qu’à l’occasion de l’arrivée à Goma du secrétaire général des Nations Unies Ban-Ki-moon. A ce moment-là, toutefois, les militaires étaient très nombreux et ont empêché à la population de rentrer chez elle. Ils se sont installés dans toutes nos maisons: les FARDC occupent une petite partie de Mutaho et toute Muja ; et le M23 occupe la partie nord. Ils se regardent en face. Impossible jusqu’à présent rentrer dans nos villages, ne fut-ce que pour chercher la moisson…  

Vous avez donc perdu vos récoltes…

Tout ! Nous n’avions pas encore récolté.  

Comment pensez-vous la condition de vos maisons ?

Nous n’en savons rien. Nous pensons d’abord à survivre, le reste viendra après. Si, à l’aide de Dieu, nous rentrerons, nous accepterons ce que nous trouverons. Et si la maison ne sera plus là, le gouvernement saura quoi faire. Nous n’avons aucun pouvoir.

Comment vivez-vous dans le camp ?

C’est une vie de grande souffrance. Dans les bâches, quand il y a le soleil – et nous sommes dans la saison sèche – il fait très chaud. Nous puisons l’eau sale du lac, sans avoir de produits pour la purifier. Pour les soins – car il y a des diarrhées, des vomissements – les médicaments sont très rares. Quant à la nourriture, chacun cherche à se la procurer par ses moyens. La semaine dernière on nous a amené de la nourriture : ils ont donné à chacun une petite mesure de mais et de haricots et une boite minuscule d’huile, en nous disant : « Mangez cela pendant quinze jours ». La famine cherche à nous tuer ici, alors que nous avons laissé nos récoltes. Et on nous a informés que le M23 est en train de détruire nos maisons au village.

Avez-vous des toilettes ?

Nous n’avons pas de toilettes et nous ne pouvons pas les creuser nous-mêmes, car nous nous trouvons sur des roches volcaniques. Les gens se dispersent pour leurs besoins dans la brousse, ce qui amène beaucoup de mouches dans le camp.  

Au camp,  êtes-vous en sécurité ?

Un peu, mais il y a de nombreux bandits qui apparaissent de temps en temps sans que nous sachions qui ils sont. C’est ainsi qu’il y a eu des morts même dans ce camp.  

Ici au Nord-Kivu c’est depuis longtemps que vous ne connaissez pas la paix…

Ceux qui aujourd’hui s’appellent M23, sont entrés au pays en 1996 sous le nom d’AFDL. En 1998, ils se sont transformés en RCD. Quand ils ont échoué, ils se sont mutés en CNDP. Quand le CNDP a raté ses projets, il s’est transformé en M23. Peut-être dans l’avenir trouveront-ils un autre nom. 

Le M23 est une affaire congolaise ou étrangère ?

Ce sont des Rwandais du Rwanda qui attaquent le Congo. 

Vous voyez la raison de la guerre du M23 ?

Nous ne savons pas ce qu’ils cherchent, mais nous voyons que le M23 cause l’insécurité des citoyens, car ce sont les civils qui souffrent davantage dans cette guerre. Le M23 ne cherche que son intérêt. Ils viennent attaquer un pays qui n’est pas le leur, alors que nous ne les avons pas attaqués.  

Vous vous voyez donc victimes d’une guerre dont vous ne tirez aucun profit…

La guerre ce n’est que destruction. Nous étions chez nous, dans la tranquillité, avant que les hommes du M23 n’arrivent. Ils ont détruit les églises, les écoles, les maisons, ils ont emporté les tôles, les planches, les futs, les bancs, les habits liturgiques et tous les objets de l’église, tous les haricots de nos champs, les toilettes, ils les ont mis dans des camions et les ont amenés au Rwanda. Là où ils s’installent, ils détruisent, il ne reste que la brousse, sans maisons. 

Que pensez-vous de la Monusco ?

Si le gouvernement cherche à attaquer le M23, la Monusco fait retourner en arrière le gouvernement, mais quand c’est le M23 qui attaque, la Monusco le laisse agir jusqu’au bout. A présent, le M23 est arrivé du côté de Kibati et la population a fui, en laissant les récoltes et les vaches dans leurs mains. En se voyant dépourvue de  moyens de survie, la population en colère a voulu attaquer le M23, mais la Monusco a fait retourner en arrière ces gens qui s’étaient donné le courage de rentrer affronter le M23 pour récupérer de la nourriture. C’est pourquoi, à partir de maintenant, nous disons que la Monusco, nous ne l’aimons pas et qu’elle n’a pas de rôle ici, parce que elle est favorable au M23. 

Vous tous vous pensez de même ?

(réponses de tout côté) Oui, nous tous. 

Cette brigade d’intervention qui est en train de se constituer, pensez-vous qu’elle amènera la paix ?

Cette brigade était venue pour attaquer le M23 afin qu’il rentre au Rwanda et nous rentrions dans nos choses. Elle est encore en déploiement, mais il nous semble qu’on l’a rendue comme la Monusco, de manière qu’elle ne combatte pas. Cela nous a beaucoup mis en colère, nous qui sommes en train de souffrir à cause du déplacement. Si eux aussi sont venus puiser les richesses du Congo, qu’ils les prennent, mais qu’ils nous donnent la paix, que nous puissions nous occuper de nos affaires et que nous nous reposions.  

Pensez-vous qu’il faut continuer le dialogue avec le M23 ou le combattre ?

Le M23 nous amène la guerre et nous fait souffrir : nous voulons qu’il quitte le Congo et que nous, Congolais, nous restions au Congo.  Nous souffrons trop dans ce camp : qu’au moins nous allions nous jeter dans le combat contre le M23… Si le M23 n’est pas là, nous pouvons avoir la paix. Et si la guerre finit, nous sommes prêts à rentrer immédiatement chez nous.  

Que pensez-vous qu’il faut faire pour que la guerre finisse ?

Quel le Gouvernement fasse tout son effort pour mettre fin à la guerre, parce que c’est lui le responsable des citoyens. Et si le Gouvernement ne veut pas que la guerre finisse, elle continuera. Pour mettre fin au M23 il faut que notre président Joseph Kabila voie loin. Les preuves sont là : chaque jour des militaires quittent le Rwanda pour venir combattre les Congolais. Quand les Congolais ont la force de les battre, on entend des ordres venant d’en haut qui demandent d’arrêter les combats. Mais quand le M23 nous frappe, le combat ne s’arrête pas.  

Que demandez-vous à la communauté internationale ?

Nous ne voulons plus entendre parler du M23. Qu’au moins il y ait guerre et qu’on sache que le M23 a pris le pays ou bien que nous récupérons nos villages, car nous ne voulons pas que le Rwanda continue à nous frapper. Chaque jour nous souffrons, alors que nous avons la force de les attaquer. 

Nous sommes arrivés chez le p. Silvio et avec lui nous prions ; joie d’une rencontre même avec les mains vides, réconfort d’une foi que les pires événements n’ont pas su détruire. Les enfants jouent en se jetant le sable grise volcanique. Nous saluons en promettant de faire entendre leur voix. 

Nb. Muja et Mutaho, ainsi que Kibati ont été reconquis par l’armée congolaise suite aux combats de ces derniers jours.

 

Camp de Buhimba, au Nord-Kivu, le 10 juillet 2013.

 

Témoignages recueillis par Teresina Caffi