EURAC ET FATAL TRANSACTION SUR LA QUESTION DES «MINERAIS DU CONFLIT» EN RDC

A. CE QUE EURAC ET FATAL TRANSACTIO DEMANDENT À L’UE

B. LES CHANGEMENTS NÉCESSAIRES DANS LE SECTEUR MINIER

C. DÉMILITARISATION DU COMMERCE DE MINERAIS: OPPORTUNITES ET OBSTACLES
1. Diligence raisonnable, traçabilite et certification:
2. Opportunités de démilitarisation
3. Le Rwanda: prêt a faire partie de la solution?
4. Recommandations

Selon Kris Berwouts, Directeur de EurAc, le réseau des Ong européennes actives dans la région des Grands Lacs Africains, la suspension de l’activité minière au Kivu, décrétée par le gouvernement, a eu un effet contre-productif, parce que l’embargo se trompait de cible. Il visait en premier lieu les mineurs artisanaux. Leur disparition de la chaîne d’exploitation a renforcé la prise directe des groupes militaires sur l’exploitation minière. La lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles du Kivu passe tout d’abord par la démilitarisation de l’économie et non par la diabolisation des travailleurs artisanaux. Eux aussi sont des victimes. Eurac demande notamment à l’Union Européenne de renforcer son engagement sur la question des minerais du conflit à l’Est du Congo. Dans un communiqué conjoint, publié le 27 avril 2011, EurAc et Fatal Transactions ne plaident pas pour un embargo, mais pour une incitation à instaurer un commerce légal, formalisé et sous le contrôle des autorités civiles.

CE QUE EURAC ET FATAL TRANSACTIO DEMANDENT À L’UE

EURAC et Fatal Transaction demandent à l’UE de renforcer son engagement sur la question des «minerais du conflit» en RDC.

Divers groupes armés, y compris l’armée nationale (FARDC), continuent de contrôler l’exploitation et le commerce des minerais – à savoir la cassitérite, le wolframite, le coltan et l’or – dans certaines régions du Kivu, Maniema, Katanga et de la province orientale, avec la complicité de pays voisins ainsi que celle de nombreux acteurs économiques à travers le monde. Cette dynamique, qui s’étend au-delà des frontières de la RDC, complexifie les efforts menés pour la consolidation de la paix ainsi que ceux mis en œuvre pour la réforme du secteur de la sécurité dans l’est du pays.

Les compagnies européennes ne peuvent pas continuer à importer sans discernement des minerais dont l’extraction et le commerce contribuent à alimenter les conflits, l’instabilité et l’insécurité.

Cependant, il faut réaliser que, l’exploitation minière artisanale représente un moyen de subsistance pour des millions de congolais. Si on réussissait à formaliser ce secteur, cela représenterait donc une opportunité non négligeable pour le développement économique de la région. L’objectif de la politique de l’UE ne doit pas être un embargo sur les minerais congolais, mais une incitation à instaurer un commerce légal, formalisé et sous le contrôle des autorités civiles.

EURAC et Fatal Transaction pensent que les institutions de l’UE ainsi que celles des Etats membres, doivent intensifier leurs efforts pour accroître la transparence et la bonne gouvernance dans le secteur de l’exploitation minière artisanale dans l’Est de la RDC. Dans cette perspective, il est nécessaire d’intervenir à plusieurs niveaux : en encourageant les entreprises de l’UE qui commercialisent les « minerais du conflit » à adopter des mesures de diligence raisonnable, en soutenant les efforts de certification et de cartographie sur le terrain dans l’Est de la RDC, en renforçant les capacités de l’Etat congolais à réglementer le secteur minier et en soutenant également les programmes visant à accroître les avantages socio-économiques de l’exploitation minière au niveau communautaire.

EURAC et Fatal Transaction exhortent l’UE et les Etats membres à prendre les mesures suivantes:

– Comme l’exige le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa résolution 1952, l’UE devrait adopter une législation qui oblige les entreprises européennes qui commercialisent ou utilisent la cassitérite, le wolframite, le coltan ou l’or ainsi que leurs dérivés, à faire un rapport sur les mesures de diligence raisonnable mises sur pied pour connaître l’origine des minerais et s’assurer que les minerais ne bénéficient pas à des hommes en armes, y compris ceux appartenant à l’armée congolaise.

– L’UE devrait soutenir les efforts de certification en cours d’élaboration en RDC et dans la région des Grands Lacs. La Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL) a lancé une initiative visant à certifier et à assurer une traçabilité des exportations et des importations des minerais, ce qui pourrait contribuer à réduire la contrebande. L’UE et les Etats membres devraient apporter un soutien politique et financier à cette initiative afin de favoriser une mise en œuvre effective du système de la CIRGL.

– L’UE devrait instamment demander à la MONUSCO d’avancer dans la mise en place de Centres de négoce pour le contrôle du commerce des minerais.

– Les bailleurs de fonds européens devraient soutenir les efforts congolais pour la formalisation des activités artisanales du secteur minier, pour la mise en œuvre de leurs propres lois concernant le secteur minier et pour le renforcement de leurs capacités à gérer efficacement le secteur minier sur le terrain. Cela implique la formation, mais également l’augmentation du nombre de représentants de l’Etat déployés dans le secteur minier et la garantie de salaires convenables et réguliers.

– L’UE – avec d’autres acteurs – devrait encourager la mise en place d’un mécanisme indépendant pour l’élaboration d’une cartographie régulière des sites miniers en RDC et l’évaluation des efforts pour la diligence raisonnable. Ces tâches devraient à long terme être effectuées par le gouvernement congolais

– Les gouvernements européens doivent convaincre le gouvernement congolais d’œuvrer pour le départ des militaires des sites miniers à l’Est. La démilitarisation des zones minières telles que Bisie et Omate serait une avancée significative.

Une plus grande implication de l’UE sur la question des minerais ne doit pas réduire l’accent mis sur les autres causes du conflit en RDC, notamment la situation politique dans les pays voisins, la démobilisation des combattants, la question des réfugiés et du foncier, la réforme du secteur de la sécurité et l’impunité. L’UE devrait nommer un nouveau représentant spécial pour la région des Grands Lacs, dont une partie du mandat devrait être de veiller à une meilleure coordination de la réponse apportée par l’UE pour résoudre le problème des «minerais du conflit».

LES CHANGEMENTS NÉCESSAIRES DANS LE SECTEUR MINIER

Global Witness – Communiqué de presse

Le 18 mai, un nouveau rapport de Global Witness indique que les évolutions dans le contrôle des mines de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) offrent une opportunité inédite de s’atteler à l’élimination des liens entre le commerce de minerais et le conflit qui afflige les civils depuis plus d’une décennie.

Cela fait en effet des années que des groupes rebelles et des membres de l’armée nationale congolaise dégagent des millions de dollars du contrôle illégal des mines d’étain, de tantale, de tungstène et d’or ainsi que des voies commerciales, tout en infligeant des souffrances atroces à la population locale.

Le rapport, intitulé L’avenir du commerce de minerais congolais dans la balance: opportunités et obstacles associés à la démilitarisation, révèle que, tandis qu’une grande partie du commerce de minerais dans l’est du Congo reste placée sous contrôle armé, le départ des groupes armés de Bisié – la plus importante mine d’étain de la région – constitue une évolution prometteuse.

Les principales constatations du rapport sont les suivantes:

– En mars, l’armée congolaise s’est enfin retirée de Bisié, la mine d’étain la plus importante de la région, après l’avoir contrôlée illégalement pendant plus de cinq ans.

– Dans d’autres régions de l’est du Congo, profitant de l’interdiction d’exploitation minière de six mois imposée par le gouvernement congolais, de hauts commandants militaires, ont réussi à renforcer leur mainmise sur les activités d’extorsion et de contrebande.

– Les entreprises qui opèrent en RDC et dans les pays voisins ne se conforment pas, pour l’instant, aux normes de diligence raisonnable formulées par le Conseil de Sécurité de l’ONU et l’OCDE. Cela freine les efforts visant à éliminer le lien entre les minerais et la violence armée dans l’est du Congo et empêche l’instauration d’un commerce de minerais propre.

– Le Rwanda, principal point de passage des minerais congolais, n’en fait pas encore assez pour exclure les minerais du conflit de ses chaînes d’approvisionnement en matériaux provenant de RDC. Bien que des dispositifs introduits il y a peu et reposant sur l’étiquetage et la traçabilité des minerais constituent un pas en avant prometteur, ils ne sont pas suffisamment exhaustifs.

Les principales recommandations du rapport sont les suivantes:

– Le gouvernement congolais et l’ONU doivent coopérer avec le secteur privé afin d’instaurer dans les zones récemment démilitarisées, comme celle de Bisié, un commerce propre et ce, avant que l’armée et d’autres groupes armés puissent y retourner. Ils doivent collaborer pour garder Bisié et d’autres sites démilitarisés libres de toute unité militaire et d’autres groupes armés. Mais il faut agir vite, faute de quoi l’opportunité sera manquée.

– Les entreprises doivent appliquer des contrôles de la chaîne d’approvisionnement conformes aux normes internationales et montrer qu’elles ne financent pas les parties belligérantes de la région,

afin que le secteur minier encourage le développement au lieu d’alimenter la violence.

– Le gouvernement rwandais se doit d’introduire et d’imposer des exigences de diligence raisonnable complètes aux entreprises qui font le commerce des minerais et les transforment.

DÉMILITARISATION DU COMMERCE DE MINERAIS: OPPORTUNITES ET OBSTACLES

Global Witness – Rapport

Diligence raisonnable, traçabilite et certification:

Terminologie des mesures de contrôle de la chaîne d’approvisionnement

Le débat international sur les minerais du conflit a donné naissance à toute une série de termes tels que «diligence raisonnable», «traçabilité» et «certification» et à diverses initiatives internationales visant à concrétiser ces concepts. Que désignent en réalité tous ces termes, et quels sont les rapports entre les différents instruments ?

Diligence raisonnable

La diligence raisonnable est le processus par lequel les entreprises s’assurent elles-mêmes de ne pas faire le commerce de minerais du conflit.

La diligence raisonnable applicable aux chaînes d’approvisionnement concerne tous les types de transactions qui bénéficient aux parties belligérantes.

Conformément à la définition établie par le Conseil de sécurité de l’ONU et l’OCDE, la diligence raisonnable applicable aux chaînes d’approvisionnement s’appuie sur cinq démarches :

– établir un système de suivi des minerais depuis leur mine d’origine.

– Identifier et évaluer les risques relatifs à la chaîne d’approvisionnement, et plus spécifiquement le risque que celle-ci apporte un financement aux rebelles ou à des unités militaires.

– Concevoir et mettre en œuvre des stratégies pour faire face aux risques identifiés.

– Commanditer des audits indépendants de la diligence raisonnable des entreprises;

– Divulguer publiquement les mesures prises par les entreprises, y compris leur évaluation des risques et leurs audits.

Les gouvernements du monde entier doivent entreprendre deux démarches pour renforcer la stratégie de diligence raisonnable: l’une consiste à intégrer les normes de l’ONU et de l’OCDE dans la législation afin de les rendre contraignantes.

L’autre démarche est la création d’un système de suivi et de reporting solide et indépendant régissant la mise en œuvre par les entreprises des normes ONU/OCDE.

La diligence raisonnable – telle que définie par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’OECD et la

CIRGL – consiste pour les entreprises à identifier l’origine des minerais qu’elles achètent, à établir les conditions dans lesquelles se déroulent leur exploitation, leur commerce et leur transport au moyen d’évaluations sur le terrain, et à exclure de leur chaîne d’approvisionnement tout matériau qui profite aux parties belligérantes. Les entreprises doivent aussi soumettre leurs mesures de diligence raisonnable à un audit indépendant et rendre compte publiquement de leurs initiatives en la matière.

Une stratégie de diligence raisonnable ne s’appuie pas sur l’imposition d’un embargo; il s’agit en effet de s’assurant que le commerce de minerais ne perpétue pas la violence armée et de graves atteintes aux droits de l’homme.

La diligence raisonnable peut être mise en œuvre rapidement, elle n’est pas tributaire des capacités de l’État et elle ne cible que les aspects préjudiciables du commerce, sans punir les activités minières et commerciales légitimes.

Traçabilité

La traçabilité des minerais depuis leur mine d’origine permet aux acheteurs d’éviter de s’approvisionner dans des mines contrôlées ouvertement par des groupes armés ou des militaires. Cependant, elle ne permet de déceler ni les actes d’extorsion de minerais commis le long des voies de transport, ni le recours par des éléments armés à des intermédiaires civils chargés de mener des activités commerciales illégales pour leur compte. Ces deux pratiques constituent en effet un mode de financement essentiel des parties belligérantes dans les Kivus, qui ne peuvent être identifiées que par des évaluations sur le terrain. Par conséquent, les dispositifs de contrôle de la chaîne d’approvisionnement des entreprises, s’ils sont axés exclusivement sur la traçabilité, ne permettront pas de répondre aux normes de diligence raisonnable établies par l’ONU et l’OCDE.

Commentant le dispositif d’étiquetage des minerais dirigé par l’industrie, l’iTSCi, le Groupe d’experts de l’ONU, dans son rapport de novembre 2010, constate:

«L’étiquetage contribue à la traçabilité, mais il ne dit rien, par la force des choses, sur ce qui se passe sur le site dont proviennent les matières étiquetées, ni sur les voies de transport empruntées depuis le site minier jusqu’à la chaîne d’approvisionnement. Il ne donne en soi aucune indication qui permette de savoir si des groupes armés et/ou les FARDC [troupes de l’armée nationale] en tirent ou non des profits illicites. Si le système d’étiquetage […] peut donc contribuer aux mesures de précaution à prendre, il devra être complété par des évaluations de terrain».

Certification

L’objectif de la certification des minerais est d’instaurer un système de contrôle régional permettant de certifier la conformité des expéditions de minerais «libres de conflit» exploités et commercialisés dans le respect de certaines normes sociales, environnementales et juridiques.

Alors qu’au titre des normes de diligence raisonnable de l’ONU et de l’OCDE, ce sont les entreprises concernées qui ont pour responsabilité d’exclure les minerais du conflit de leurs chaînes d’approvisionnement, la mise en œuvre du dispositif de certification sera principalement dirigée par les gouvernements membres de la CIRGL.

Opportunités de démilitarisation

Affaiblissement de la mainmise de l’armée sur la mine de Bisié

Des officiers supérieurs de l’armée congolaise (FARDC) dégagent chaque année des millions de dollars du contrôle des sites miniers et des actes d’extorsion visant les transactions commerciales dans ce secteur. Ces actes illégaux s’accompagnent de graves atteintes commises par les troupes FARDC contre la population locale.

La mine de cassitérite (minerai d’étain) de Bisié, située en territoire de Walikale, au Nord-Kivu, a été sous le contrôle de différentes factions de l’armée nationale congolaise (FARDC) depuis plus de cinq ans.vi La mine joue un rôle colossal car elle représente 70 % de la cassitérite produite dans la province du Nord-Kivu. Les troupes FARDC, et plus récemment les anciennes forces rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), ont dégagé dans cette seule région des millions de dollars par an de l’exploitation minière illégale et d’actes de racket visant le commerce de minerais.

Certains éléments de l’armée sont ainsi incités à fomenter la violence et l’instabilité ambiantes, et à les invoquer pour perpétuer leur présence dans les zones minières.

En mars 2011, les unités FARDC ont quitté la zone minière de Bisié et les barrières érigées dans l’illégalité pour percevoir des taxes, habituellement gardées par les militaires, ont disparu.vii Ce départ semble s’inscrire dans le cadre d’une restructuration de l’armée à l’échelle de la province, à savoir que les troupes se sont retirées des zones opérationnelles pour suivre une formation avant d’être redéployées dans de nouveaux régiments. Un petit nombre d’agents de la police des mines sont désormais en poste à Bisié.

C’est la première fois depuis 2006 que Bisié n’est pas occupée par les FARDC qui exploitent illégalement les mines et commettent des actes d’extorsion visant les transactions commerciales.

L’évolution de la situation présente une réelle opportunité.

Le gouvernement et le haut commandement des FARDC devraient s’assurer que le redéploiement des troupes vers les postes militaires en territoire de Walikale, où se trouve Bisié, n’entraîne pas un retour des militaires dans les zones minières et la reprise des comportements illégaux et répréhensibles.

Les possibilités de démilitariser le secteur des minerais dans les Kivus et de réglementer efficacement le commerce sont significatives mais aussi très localisées. Une grande partie du commerce de minerais du Nord- et du Sud-Kivu reste entre les mains de militaires ou de groupes rebelles et la démilitarisation devra répondre à une démarche plus systématique pour que les progrès soient durables.

Plusieurs individus bien informés que Global Witness a interrogés en avril 2011 ont souligné le risque que des officiers des FARDC mènent leurs activités illégales en passant par des intermédiaires civils, même après leur retrait des zones minières. Par exemple, des représentants de la société civile qui ont effectué des travaux de recherche à Numbi à la mi-mars 2011 ont signalé que les militaires impliqués dans l’activité minière sont de plus en plus souvent habillés en civil plutôt qu’en uniforme et ne sont reconnaissables qu’aux armes qu’ils ont sur eux.

Nouvelles initiatives du gouvernement congolais

Les centres de négoce appuyés par l’ONU et nouvellement établis pour commercialiser les minerais – ainsi que les routes qui mènent à eux – doivent être surveillés et protégés afin d’empêcher que des groupes armés ne commettent des actes d’extorsion.

Si cela ne se produit pas, il est fort probable que les minerais étiquetés qui proviennent de sites miniers «propres» risquent d’être illégalement taxés par des groupes armés ou des militaires lors

de leur acheminement depuis la mine jusqu’au centre de négoce, où ils seront étiquetés

«libres de conflit». Dans ce cas, ces centres risqueront de devenir des plateformes de blanchiment des minerais du conflit.

Les nouvelles mesures prise par le Gouvernement congolais comprennent l’obligation, d’une part, pour tous les creuseurs artisanaux de s’inscrire et de se constituer en coopératives et, d’autre part, pour les comptoirs, d’ajouter de la valeur aux minerais avant leur exportation en procédant à un tri et une transformation de base ; à cela viennent s’ajouter des restrictions sur le transport de minerais entre provinces. Le gouvernement a également publié des procédures obligatoires de traçabilité des minerais qui stipulent les devoirs spécifiques de tous les acteurs afin d’assurer la traçabilité depuis la mine jusqu’au point d’exportation.

La traçabilité des minerais ne peut à elle seule résoudre le problème du financement des groupes armés par le commerce de minerais. L’intérêt que porte le gouvernement à cette question constitue toutefois un signe encourageant.

Des commissions réunissant des représentants des gouvernements provinciaux, des FARDC, de la police des mines, du secteur privé et d’organisations de l’ONU ont été instaurées au Nord- et au Sud-Kivu pour observer la mise en œuvre de l’initiative de traçabilité des minerais et des réformes plus générales. D’après le ministre des Finances du Nord-Kivu, actuellement ministre provincial par intérim et responsable de l’une de ces commissions, cette stratégie a déjà produit des résultats. Il a ainsi déclaré à Global Witness que la nouvelle entité a contribué à faciliter des discussions entre les FARDC et la police des mines concernant le projet de retirer les militaires de sites miniers clés comme celui de Bisié et de déployer la police.

Selon John Kanyoni, vice-président de la commission et président de la branche Nord-Kivu de la Fédération des entreprises du Congo, la commission envisageait d’envoyer des équipes d’observation dans les zones minières afin de vérifier si les négociants payaient les militaires ou achetaient des matériaux provenant de mines placées sous contrôle armé. Cela constituerait un important pas en avant qui pourrait venir compléter utilement les mesures de vérification de la diligence raisonnable instituées par les entreprises elles-mêmes. Toute conclusion ressortant de ces travaux d’observation, qu’ils soient entrepris par le secteur privé ou le gouvernement, devra être rendue publique, conformément aux normes établies par l’ONU et l’OCDE.

Ces initiatives prises au niveau national et provincial du gouvernement sont encourageantes et doivent donc être renforcées, notamment en augmentant la participation de la société civile congolaise. Le président Kabila, en particulier, se doit de soutenir publiquement les efforts de réforme et d’élaborer une stratégie cohérente afin d’éliminer définitivement les FARDC du commerce de minerais.

L’impunité persistante de la mafia militaire

Pour l’instant, les autorités congolaises n’ont pas réussi à s’attaquer à l’impunité dont bénéficient les officiers de l’armée impliqués dans le commerce de minerais. Global Witness a appris par des sources issues de la police et de l’armée que tout litige lié aux minerais est réglé «en interne» au sein des rangs des FARDC, et non par l’intermédiaire du système de justice militaire, surtout lorsqu’il s’agit de problèmes impliquant d’anciens éléments du CNDP.

Des représentants de la police des mines de deux territoires différents du Nord-Kivu ont affirmé que les plaintes déposées à leurs supérieurs concernant l’implication de militaires dans des activités

minières étaient ignorées ou bien que les individus ainsi accusés proféraient des menaces contre les auteurs de ces plaintes. Un officier supérieur des FARDC a appris à Global Witness que décision avait été prise aux plus hauts niveaux du gouvernement de ne pas poursuivre des commandants militaires coupables de délits dans le secteur minier.

L’invulnérabilité du général Bosco Ntaganda, ancien commandant CNDP, recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre présumés, offre l’un des exemples les plus fragrants de l’impunité accordée aux éléments de l’ex-CNDP. Bosco a fait la une de l’actualité dans le monde entier en février 2011 lorsqu’il a été impliqué dans une tentative de contrebande de plusieurs centaines de kilogrammes d’or à partir de l’aéroport de Goma. Il semble peu probable qu’il s’agisse là de son seul lien avec le secteur des minerais.

Un agent du gouvernement a montré à Global Witness une série de documents détaillés qui révèlent des opérations de contrebande de cassitérite par le biais de l’une des propriétés de Bosco à Goma, située à la frontière rwandaise. L’agent a affirmé que cette contrebande aurait impliqué le transport de 10 à 13 tonnes de minerai d’étain à la fois. Global Witness n’a pas encore pu corroborer les affirmations de cet agent, mais estime que ces allégations méritent une enquête plus poussée.

Les membres de l’armée nationale congolaise impliqués illégalement dans le commerce de minerais, en particulier les rebelles de l’ex-CNDP, agissent en toute impunité. Tant que le gouvernement congolais n’exigera pas d’eux qu’ils rendent des comptes, l’élimination du commerce de minerais du conflit restera une tâche des plus ardues.

L’interdiction minière du gouvernement congolais: une occasion manquée

L’interdiction d’exploitation minière imposée par le gouvernement a instauré des conditions très difficiles pour les communautés tributaires du commerce de minerais et permis à l’armée de renforcer sa mainmise sur certaines régions minières.

L’interdiction n’a pas permis d’améliorations substantielles sur le terrain, car aucune mesure n’a été prise contre les militaires.

En effet, certains aspects indiquent que, durant l’interdiction, les FARDC ont en réalité renforcé leur mainmise sur certaines parties du commerce de minerais. Des chercheurs de la société civile congolaise ont ainsi signalé que dans certains sites miniers de Shabunda, des civils qui continuaient de travailler devaient verser aux militaires 50 % des revenus qu’ils dégageaient des minerais, et non plus le sixième de leurs recettes, qu’ils étaient contraints de payer en temps normal.

Dans la mine d’or de Mukungwe, au Sud-Kivu, des groupes de mineurs ont déclaré aux chercheurs que, pendant l’interdiction, ils devaient remettre aux militaires 80 dollars par jour pour pouvoir accéder au site.

Les trois provinces touchées par les mesures – le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema –ont ainsi été privées de recettes fiscales considérables. Le ministre des Finances du Nord-Kivu a déclaré à Global Witness que les recettes mensuelles de la province étaient passées de 600 000 à 400 000 dollars entre septembre 2010 et mars 2011.

Le Rwanda: prêt a faire partie de la solution?

Le Rwanda est depuis longtemps le principal point de passage des minerais du conflit entre l’est de la RDC et la chaîne d’approvisionnement mondiale.Toutefois, le gouvernement de Kigali n’a pas encore reconnu son rôle à cet égard, ni adopté une stratégie exhaustive pour mettre de l’ordre dans son secteur lucratif du commerce de minerais. Depuis quelques mois, cependant, le gouvernement rwandais, qui avait pourtant commencé par nier catégoriquement les problèmes associés à son commerce de minerais, soutient désormais les programmes de traçabilité, qui font partie du processus de diligence raisonnable applicable aux chaînes d’approvisionnement.

Mais cela ne suffit pas. En effet, le gouvernement doit instamment reconnaître que le Rwanda joue un rôle clé dans le commerce des minerais congolais et s’engager à jouer ce rôle d’une manière qui ne soit pas préjudiciable à la RDC. Par ailleurs, il lui faut concrétiser cet engagement dans la loi rwandaise. Il s’agit de contraindre les entreprises basées au Rwanda de mettre en œuvre les normes de l’ONU et de l’OCDE que le Rwanda, en tant que membre de l’organisation régionale de la CIRGL, a publiquement avalisées.

Des minerais congolais exportés du Rwanda

Il ne fait aucun doute que le Rwanda produit des minerais, même s’il est difficile d’évaluer précisément l’ampleur du secteur, le gouvernement refusant de publier des données complètes sur la production. D’après les statistiques obtenues par Global Witness auprès de la Banque centrale du Rwanda, les exportations de cassitérite se montaient à 5 615,4 tonnes en 2009, dont 1 346,3 tonnes de réexportations, autrement dit de la cassitérite d’origine non rwandaise. Le Congo étant le principal pays d’où sont issues les importations de minerais introduites au Rwanda, ces chiffres suggèrent qu’environ 24 % des exportations rwandaises de cassitérite proviennent de mines

congolaises. En 2010, les chiffres officiels indiquent que cette part est passée à 40 %.

La situation semble toutefois très différente à en croire les informations réunies auprès de représentants de l’industrie à Kigali. Une entreprise impliquée directement dans le commerce de transit de minerais a affirmé à Global Witness que jusqu’à 80 % des exportations rwandaises de minerais étaient en réalité congolaises. Plusieurs autres négociants en minerais à Kigali ont également fait savoir que, d’après eux, la majorité des exportations rwandaises de minerais sont d’origine congolaise, sans pour autant pouvoir donner de chiffres précis.

Des mesures composites: le régime de contrôle des minerais rwandais

Les efforts du Rwanda visant l’instauration d’un régime de traçabilité des minerais constituent un développement louable, mais l’étiquetage ne pourra à lui seul permettre de résoudre le problème des minerais du conflit. Pour remplir ses engagements internationaux, le gouvernement rwandais doit

aller plus loin, en insistant pour que les entreprises locales soumettent leur chaîne d’approvisionnement à une démarche exhaustive de diligence raisonnable.

Le gouvernement a, en effet, introduit de nouvelles réglementations le 11 mars de cette année exigeant la traçabilité et l’étiquetage de l’ensemble de la production et du commerce de minerais rwandais. Les nouvelles réglementations rwandaises constituent une initiative positive, mais leur efficacité en tant que mesures de lutte contre le commerce des minerais du conflit est limitée.

L’étiquetage ne peut à lui seul éviter que des parties belligérantes se financent par des actes

d’extorsion visant les transactions commerciales de minerais. Dans l’est du Congo, les creuseurs ou les négociants qui transportent des sacs de minerais scellés, étiquetés et dotés d’un code-barres peuvent être illégalement taxés par des groupes armés tout aussi facilement que ceux qui manipulent des sacs non étiquetés.

L’incitation à la fraude – qu’elle soit transfrontalière ou limitée au territoire rwandais – est considérable. Deux hommes d’affaires opérant dans le secteur du commerce de minerais ont décrit différents incidents récents lors desquels des étiquettes avaient été soit volées, soit vendues dans l’illégalité.

Une diligence raisonnable exhaustive – comprenant, sans s’y limiter, la traçabilité des minerais – est à l’heure actuelle le seul moyen crédible dont disposent les entreprises pour savoir si des groupes armés se sont ingérés dans le commerce à un quelconque stade de la chaîne d’approvisionnement et en ont tiré profit. L’évaluation sur le terrain est un élément particulièrement crucial de la diligence raisonnable si les entreprises veulent pouvoir identifier les actes d’extorsion ou les cas où des membres de l’armée se servent d’intermédiaires civils pour représenter leurs intérêts dans le commerce de minerais. Le fait d’autoriser l’importation de minerais congolais à condition qu’ils soient étiquetés ne peut à lui seul fournir au Rwanda, ou aux entreprises qui s’approvisionnent au Rwanda, l’assurance que ces marchandises sont libres de conflit.

Recommandations

Les entreprises congolaises et internationales consommatrices d’étain, de tantale, de tungstène et d’or devraient:

– Mettre en œuvre l’ensemble des normes de diligence raisonnable de l’ONU et de l’OCDE.

Le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait:

– Retirer les unités FARDC participant à des activités illégales dans les zones minières et à proximité de celles-ci ainsi que le long des routes empruntées par le commerce de minerais.

– Poursuivre en justice les membres des FARDC, surtout les officiers supérieurs, impliqués de manière illégale dans le commerce de minerais ou auteurs d’actes d’extorsion dans ce secteur.

– Intégrer les normes de diligence raisonnable de l’OCDE dans la loi congolaise et s’assurer que les entreprises s’y conforment.

– Déployer la police minière dans les zones minières démilitarisées.

– S’assurer que le redéploiement de troupes n’entraîne pas un retour des militaires dans les zones minières et la reprise des actes illégaux et répréhensibles.

Le gouvernement du Rwanda et les gouvernements d’autres pays où les minerais sont commercialisés, transformés ou employés dans le secteur de la fabrication devraient:

– Intégrer les normes de diligence raisonnable de l’OCDE dans la loi nationale et s’assurer que les entreprises s’y conforment.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait:

– Réitérer, dans le nouveau mandat de maintien de la paix de la MONUSCO devant être adopté en juin, l’exigence spécifique selon laquelle les agents du maintien de la paix doivent contribuer à sécuriser les principaux sites miniers de l’est de la RDC et étendre leurs travaux d’observation et d’inspection des expéditions de minerais, afin d’aider le gouvernement congolais à faire respecter la loi.

– S’adresser directement aux États membres de la région des Grands Lacs et aux pays disposant d’installations de transformation et de fabrication significatives sur leur territoire, afin de s’assurer qu’ils demandent aux entreprises de procéder à un exercice de diligence raisonnable conforme à la résolution 1952 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

– Insister pour que les États membres rendent compte devant le Conseil de leur mise en œuvre de la résolution 1952 du Conseil de sécurité, en mettant plus particulièrement l’accent sur les dispositions de cette résolution qui portent sur les minerais du conflit et la diligence raisonnable.

– Imposer des sanctions ciblées aux individus ou aux entreprises qui s’approvisionnent en minerais provenant de l’est du Congo d’une manière qui profite aux groupes armés, conformément à la résolution 1952.

Les gouvernements donateurs internationaux devraient:

– Encourager les autorités congolaises à retirer les militaires des mines et à les tenir à l’écart du commerce de minerais. Subordonner l’octroi d’une aide non humanitaire, surtout celle qui est destinée aux forces de sécurité du pays, à la réalisation de progrès dans ce domaine.

– Convaincre le gouvernement du Rwanda d’assumer ses responsabilités en matière de lutte contre le commerce de minerais du conflit, notamment en contraignant les entreprises basées au Rwanda à mettre en œuvre les normes de diligence raisonnable de l’ONU et de l’OCDE. Subordonner l’octroi d’une aide non humanitaire à la réalisation de progrès dans ce domaine.

L’OCDE devrait :

– À l’occasion de la réunion ministérielle du 25 mai, publier une déclaration recommandant aux pays de l’OCDE d’intégrer dans leur loi nationale les directives relatives à la diligence raisonnable.