Congo Actualité n. 474

LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23) ET
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX DU RWANDA ET DE L’OUGANDA

SOMMAIRE

1. LES PREUVES DE L’APPUI DE L’ARMÉE RWANDAISE AU MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)
a. Un rapport « confidentiel » du Groupe d’experts de l’ONU
b. Quelques réactions
2. LE RWANDA ET LA RDC RISQUENT LA GUERRE AVEC L’ÉMERGENCE DE LA NOUVELLE RÉBELLION DU M23: UNE EXPLICATION
a. Quand la crise actuelle a-t-elle commencé?
b. Comment expliquer la résurgence du M23?
c. Quel rôle jouent les intérêts économiques et commerciaux?
d. Quels sont les risques de conflits interétatiques?
e. Comment désamorcer les tensions et qui est suffisamment crédible pour y parvenir?
3. APAISER LES TENSIONS DANS L’EST DE LA RD CONGO ET LES GRANDS LACS
a. Synthèse
b. La rhétorique guerrière de Paul Kagame
c. La rivalité entre le Rwanda et l’Ouganda et le retour du Mouvement du 23 Mars (M23)
d. La nécessité d’une diplomatie régionale
e. Conclusion

1. LES PREUVES DE L’APPUI DE L’ARMÉE RWANDAISE AU MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)

a. Un rapport « confidentiel » du Groupe d’experts de l’ONU

Selon un rapport du Groupe d’experts des Nations unies pour la République démocratique du Congo (RDCongo) remis au Conseil de Sécurité de l’ONU et classifié comme confidentiel, l’armée rwandaise est intervenue dans l’est de la RDCongo, directement et en soutien à des groupes armés, depuis novembre 2021, jusqu’en juin 2022. Les experts indiquent que, pendant cette période, «l’armée rwandaise a lancé des interventions militaires contre des groupes armés congolais et des positions des Forces armées congolaises et a également fourni des armes, des munitions, des uniformes et des renforts de troupes au Mouvement du 23 mars (M23) pour des opérations spécifiques, en particulier lorsque celles-ci visaient à s’emparer de villes et de zones stratégiques».
Le Mouvement du 23 mars (M23) est une ancienne rébellion à dominante tutsi vaincue militairement en 2013 par les Forces armées de la RDC (FARDC) avec le soutien des Casques bleus de la Monusco. Elle a repris les armes en fin d’année dernière pour demander l’application d’un accord signé avec Kinshasa.
Le rapport du Groupe d’experts détaille, preuves à l’appui, l’implication directe du Rwanda «unilatéralement ou conjointement avec les combattants du M23» dans l’est de la RDC.
Le 13 juin, la ville stratégique de Bunagana (50 km au nord de Goma), carrefour commercial à la frontière ougandaise, a été prise par le M23 après des affrontements. Des images de drone fournies par la Monusco, des vidéos et photos amateurs et des témoins oculaires établissent la présence des forces armées rwandaises et/ou du transfert de leurs équipements au M23, dans et autour de la ville de Bunagana, la veille et le jour de l’attaque. Le Groupe ajoute que «des témoins oculaires et des chercheurs ont rapporté une complaisance passive, a minima, de l’armée ougandaise à la frontière, qui a permis aux combattants du M23 de traverser la frontière» pour attaquer la ville. Le rapport précise qu’ «à plusieurs reprises, des images aériennes ont montré de grandes colonnes comptant jusqu’à 500 hommes armés à proximité des frontières de la RDC, du Rwanda et de l’Ouganda, se déplaçant de manière très organisée et portant une tenue et un équipement militaires standardisés (uniformes et casques très similaires à ceux des RDF)», les forces armées rwandaises.
Le Groupe écrit que, deux semaines avant l’assaut sur Bunagana, le 25 mai, «le M23 et les RDF ont conjointement attaqué le camp des FARDC à Rumangabo», la plus grande base militaire congolaise dans le Rutshuru.  Estimées à environ 900 à 1.000 hommes, les colonnes rwandaises ont  coupé la RN2 pendant plusieurs jours » et « attaqué et délogé les FARDC de leurs positions» le long de cette route, vitale pour Goma.
Le rapport ajoute que fin mai et début juin 2022, près de 300 militaires rwandais ont mené des opérations sur le sol congolais contre des groupes armés à dominante Hutu: les Forces Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR) et le Collectif des Mouvements pour le Changement / Forces de Défense du Peuple (CMC/FDP).
Les FDLR sont un groupe armé fondé au Congo par des anciens dignitaires du régime rwandais en fuite après le génocide de 1994. Présenté comme une menace par Kigali, l’existence de cette milice a été utilisée comme prétexte pour justifier les interventions rwandaises passées en territoire congolais et son soutien à des rébellions qui les combattaient. Le Rwanda, qui a toujours démenti soutenir le M23, a régulièrement accusé Kinshasa de se servir des rebelles FDLR comme milice supplétive pour lutter contre le M23.
Le rapport du groupe d’experts des Nations unies a aussi détaillé l’existence de « coalitions de circonstances » entre l’armée congolaise et certaines milices. Lorsque le M23 et les RDF ont attaqué le camp militaire de Rumangabo, «les combattants de plusieurs groupes armés soutenus par certains membres des FARDC ont lancé une contre-attaque le 26 mai 2022», note le Groupe. Une coalition de circonstance de groupes armées s’est formée, en mai, sous le regard bienveillant d’officiers de l’armée congolaise, précise le rapport. Contactés par le Groupe, «des chefs de groupes armés, des combattants et des ex-combattants ont confirmé leur implication, seuls ou conjointement avec certains soldats des FARDC, dans les combats contre les troupes du M23 et/ou des RDF et ont confirmé avoir reçu des armes et des munitions de certains membres des FARDC à plusieurs reprises».[1]

b. Quelques réactions

Le porte parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, s’est réjoui des conclusions du rapport du Groupe d’experts de l’ONU qui confirment l’intervention “directe” de l’armée rwandaise sur le territoire congolais en soutien au M23. Pour le ministre congolais, face aux multiples preuves, le Rwanda ne peut plus démentir les accusations et doit reconnaitre sa responsabilité et sa complicité dans l’instabilité en RDC. Kinshasa, qui a toujours accusé le Rwanda d’être derrière le M23, saisit l’occasion pour appeler le Conseil de Sécurité de l’ONU à «condamner cette énième agression meurtrière et à en tirer toutes les conséquences, afin d’obtenir le retrait définitif du M23 de toutes les localités occupées». Depuis des semaines, les rebelles du M23 contrôlent plusieurs localités et villages du groupement de Jomba dans le territoire de Rutshuru, y compris la cité frontalière de Bunagana. Le M23 a installé son administration dans les entités conquises.
La porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo, a déclaré qu’elle ne commenterait pas un «rapport non publié et non validé». Elle a  ajouté que «au mois de juin dernier, un rapport antérieur du groupe d’experts  ne contenait aucune de ces fausses allégations».[2]

Le Prix Nobel de la paix, le Dr. Denis Mukwege, a déclaré que «le gouvernement congolais, les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne et les partenaires bilatéraux et régionaux de la RDC doivent tirer les conséquences de ces preuves démontrant la énième guerre d’agression du Rwanda: des sanctions doivent être prises sans plus tarder, tant sur le plan politique, diplomatique, économique que militaire, conformément aux résolutions 1807 et 2293 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui sanctionnent notamment, les personnes et entités qui se livrent à des actes qui compromettent la paix, la stabilité ou la sécurité de la République démocratique du Congo».
«Après plus d’un quart de siècle de conflit ayant entraîné des millions de morts, des femmes violées, des déplacés, la communauté des Etats ne peut plus accepter passivement que la population congolaise subisse des agressions à répétition des pays voisins commettant, directement ou par procuration, des atrocités de masse visant à déstabiliser l’est de la RDC, pour piller les ressources minières et naturelles dans un climat d’impunité généralisé», a déplore le Dr Denis Mukwege.
Pour le Prix Nobel de la paix, «cette grande criminalité transnationale, dont le Rwanda est l’un des principaux acteurs depuis 25 ans avec la complicité des certains compatriotes corrompus, doit cesser maintenant». Il invite pour ce faire, le gouvernement congolais à réformer le secteur de sécurité, en dotant l’armée des moyens pour pacifier le pays. «Nous ne pouvons compter éternellement sur les Nations Unies, ni poursuivre une politique d’externalisation de notre sécurité nationale par des Etats tiers», a martélé Mukwege, en ajoutant que «on ne peut pas accepter que certains éléments de l’armée nationale collaborent avec certaines milices qui déstabilisent le Pays». Enfin, selon lui, «pour mettre fin au cycle infernal de la violence et de l’impunité, il faut adopter et mettre en œuvre une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC, car la justice est un outil primordial pour prévenir la répétition des conflits».[3]

2. LE RWANDA ET LA RDC RISQUENT LA GUERRE AVEC L’ÉMERGENCE DE LA NOUVELLE RÉBELLION DU M23: UNE EXPLICATION

Par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique – 11 juillet 2022[4]

La détérioration apparemment rapide de la sécurité dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) et la résurgence du Mouvement du 23 Mars (M23) sont le résultat de rivalités régionales de longue date entre le Rwanda et l’Ouganda.
Pour aider à clarifier les causes de la détérioration de la situation sécuritaire, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique a compilé cet explicatif, en s’appuyant sur les avis de plusieurs experts, notamment:
– Kwezi Mngqibisa, chercheur associé à l’université de Johannesburg (Afrique du Sud).
– Claude Gatebuke, directeur du Réseau d’action pour les Grands Lacs africains.
– Cedric De Coning, co-directeur de l’Institut norvégien des affaires internationales et ancien conseiller à la division des opérations de soutien de la paix de l’Union africaine.
– Paul Nantulya, chercheur associé au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
– L’ambassadeur Said Djinnit, ancien envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs.

a. Quand la crise actuelle a-t-elle commencé?

Composé par des Tutsis congolais, le Mouvement du 23 Mars (M23) affirme vouloir protéger les Tutsis contre les groupes armés hutus, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui comptent parmi leurs forces des éléments accusés du génocide de 1994 au Rwanda.
La crise actuelle a éclaté en novembre 2021, lorsque le Mouvement du 23 mars (M23), défait par l’armée congolaise vers la fin de 2013, a attaqué des positions militaires des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) dans les villages de Chanzu et Runyonyi, dans la province du Nord-Kivu, juste à l’ouest des frontières ougandaise et rwandaise. Cela s’est produit le même mois que le déploiement des forces ougandaises dans la même province du Nord Kivu, pour poursuivre les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe rebelle ougandais qui opère également au Nord-Kivu et en Ituri et qui a été soupçonné par le président ougandais, Yoweri Museveni, d’être responsable des attentats commis à Kampala en octobre et novembre 2021.
En mars 2022, le M23 s’était emparé de plusieurs parties importantes du territoire de Rutshuru, à la frontière de l’Ouganda et du Rwanda. En mai, ils ont envahi la base militaire de Rumangabo, la plus grande installation militaire des FARDC au Nord-Kivu. Le 12 juin, le M23 a occupé la ville frontalière de Bunagana, forçant les soldats congolais à fuir en Ouganda.
Tout cela est surprenant, compte tenu que le M23 avait été défait en novembre 2013 par l’armée congolaise et les forces de la MONUSCO. En mars de cette année-là, presque 600 combattants du M23 / aile Runiga avaient fui au Rwanda. Leur chef militaire, Jean Bosco Ntaganda, alias « The Terminator », s’était rendu à l’ambassade des États-Unis, qui l’avait transféré à la Cour pénale internationale pour qu’il y fasse face à des accusations de crimes de guerre. En novembre 2013, 1.400 combattants environs du M23 / aile Bisimwa s’étaient rendus à l’armée ougandaise, après que leurs bastions avaient été envahis par les forces de l’ONU et des FARDC. Un mois plus tard, ils avaient été envoyées au camp militaire de Bihanga, en Ouganda, pour y être démobilisées. En 2017, cependant, sans que l’on sache officiellement pourquoi, la majorité de ces ex-combattants, dont le « général » Sultani Makenga, avaient quitté les lieux. Plusieurs d’entre eux étaient irrégulièrement rentrés en RDCongo, s’installant près du Mont Sabinyo, à proximité de la frontière avec l’Uganda et le Rwanda.  Déjà en ce temps-là, la RDC avait accusé le Rwanda d’avoir réorganisé et armé le M23.

b. Comment expliquer la résurgence du M23?

La rivalité de longue date entre l’Ouganda et le Rwanda en RDC et dans la région des Grands Lacs est un facteur clé de la crise actuelle, pour des raisons à la fois immédiates et de plus long terme.
Selon Claude Gatebuke, «à moins que les problèmes sousjacents entre le Rwanda et l’Ouganda en particulier ne soient traités, il est peu probable que le problème du M23 soit résolu de manière satisfaisante».
Comme le note Kwezi Mngqibisa, les combattants du M23 qui se sont retirées au Rwanda et en
Ouganda restent antagonistes les uns envers les autres, ce qui en fait des outils pratiques pour les deux rivaux régionaux qui ont mené de nombreuses guerres par procuration pour gagner des sphères d’influence, notamment au Nord-Kivu. La région est mal gouvernée mais riche en minéraux comme l’or, le coltan, le tantale et les diamants. Selon Mngqibisa, «l’Ouganda et le Rwanda ont soutenu des mouvements rivaux au Congo depuis la fin des années 1990», toujours avec l’objectif de s’assurer le contrôle sur les ressources naturelles de l’est de la RDCongo..
Jason Stearns partage l’analyse selon laquelle l’Ouganda et le Rwanda se sont engagés sur la voie d’une nouvelle guerre par procuration au Congo. En plus d’autoriser les troupes ougandaises à opérer dans le Nord-Kivu, le président de la RDC, M. Tshisekedi, a approuvé en 2021 un plan de construction de routes reliant les deux pays. Une série de projets routiers va de Kasindi à Beni et Butembo, et l’autre de Bunagana à Rutshuru et enfin Goma. «La chronologie des opérations [militaires] et la construction de la route ont été reliées», explique Stearns. «L’UPDF a officiellement lancé les attaques contre les ADF le 30 novembre 2021; la construction de la route a commencé quelques jours plus tard, le 3 décembre 2021». Notamment, le protocole d’accord sur la construction de routes faisait partie de l’accord militaire entre les deux pays et est donc classifié et non disponible pour des commentaires publics. Il a été signé par les chefs d’état-major des deux armées, et non par leurs ministères des finances ou de la planification.
Le protocole d’accord permet également à l’UPDF de protéger les travaux routiers ainsi que le personnel et les équipements. Notamment, l’Ouganda le finance à 100 %. Quarante pour cent proviennent de son budget et le reste de Dott Services, l’entreprise ougandaise choisie pour réaliser la construction. Le déploiement des forces ougandaises dans le Nord-Kivu et la construction d’un réseau routier financé par l’Ouganda, protégé par l’UPDF et s’étendant jusqu’à Goma, aux portes du Rwanda, sont considérés comme des actes inamicaux à Kigali. Dans un discours au Parlement en février 2022, le président rwandais Kagame a averti que les menaces émanant du Nord-Kivu étaient suffisamment graves pour justifier un déploiement rwandais sans l’approbation de la RDC: «Nous faisons ce que nous devons faire, avec ou sans le consentement des autres».
Outre l’accord conclu avec l’Ouganda évoqué plus haut, le président congolais Félix Tshisekedi avait déjà élaboré, en mars 2021, un accord avec le Rwanda, sur des opérations militaires conjointes. Un accord similaire avait été conclu avec le Burundi, en juillet, ouvrant la voie au déploiement de l’armée burundaise dans le Sud-Kivu, pour poursuivre les rebelles burundais. Cependant, alors que les déploiements ougandais et burundais se sont déroulés comme prévu, l’accord de sécurité entre le Rwanda et la RDC est resté au point mort. C’est pourquoi, à Kigali,
beaucoup pensent que cela a été fomenté par Kampala. Tout compte fait, l’escalade des engagements militaires et économiques de l’Ouganda en RDC et la perception, par le Rwanda, d’avoir été exclu de ce processus ont attisé la rivalité entre l’Ouganda et le Rwanda, fournissant le contexte dans lequel le M23 a rebondi après être resté en sommeil pendant près d’une décennie.

c. Quel rôle jouent les intérêts économiques et commerciaux?

La soudaine résurgence du M23 est également liée à des intérêts économiques et commerciaux qui se chevauchent. «Le Rwanda et l’Ouganda peuvent prétendre avoir des intérêts légitimes en matière de sécurité au Congo, Cependant, ils y ont aussi d’énormes intérêts financiers, notamment dans le secteur des industries extractives, ce qui contribue à leur rivalité», déclare Mngqibisa.
L’arc qui s’étend de Bunagana, à la frontière ougandaise, à Goma, à la frontière rwandaise, en passant par Kanyabayonga, couvre une ceinture minière lucrative contenant certains des plus grands gisements de coltan du monde, ce minerais utilisé dans presque tous les appareils électroniques. La RDC est également le premier producteur mondial de cobalt, un ingrédient clé des batteries de voitures électriques, actuellement très demandées.
Il existe de nombreuses preuves suggérant que les groupes armés soutenus par l’Ouganda et le Rwanda, y compris le M23, contrôlent des chaînes d’approvisionnement stratégiques mais informelles partant des mines des Kivus vers les deux pays. Les insurgés utilisent les recettes du trafic d’or, de diamants et de coltan pour acheter des armes, recruter et contrôler des mineurs artisanaux et payer des fonctionnaires corrompus des douanes et des frontières congolaises ainsi que des soldats et des policiers. Ces opérations illicites sont également marquées par une grande violence, car les différentes factions rebelles se battent souvent entre elles pour le contrôle des mines et des voies de transport.
L’existence des groupes armés et le commerce illégal des minerais sont autant d’éléments qui tourmentent le Congo depuis des décennies. Une partie importante du problème est que l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi exportent des produits qu’ils ne produisent pas, ce qui est possible seulement grâce à la pratique de la contrebande.
Tous trois nient ces accusations. Cependant, certaines preuves apparaissent dans leurs recettes d’exportation. Par exemple, l’or est aujourd’hui le principal produit d’exportation de l’Ouganda, mais il provient en grande partie de la RDC. Dans le même ordre d’idées, en 2019, 40 % du coltan mondial a été officiellement produit en RDC. Cependant, de grandes quantités feraient l’objet d’un trafic vers le Rwanda et seraient exportées depuis ce pays. Ce schéma se reproduit ailleurs dans la région. Par conséquent, alors que la RDC est reconnue comme le plus grand producteur de coltan au monde, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi se classent respectivement aux troisième, neuvième et onzième rangs, même s’ils ne possèdent eux-mêmes que des gisements très limités.
Les rapports des Nations unies montrent que si la majeure partie du trafic de coltan de la RDC aboutit au Rwanda, une quantité importante est également détournée vers l’Ouganda via Bunagana et Rutshuru au Nord-Kivu, tandis qu’une autre partie aboutit au Burundi via Uvira au Sud-Kivu.
Tout compte fait, les preuves suggèrent que les voisins orientaux de la RDC, en particulier l’Ouganda et le Rwanda, veulent un accès exclusif aux opérations minières dans les Kivus. Ce qui, à son tour, rend la violence par procuration plus probable.
En novembre 2020, Dott Services, l’entreprise ougandaise qui cofinance et construit les réseaux routiers reliant l’Ouganda et la RDC, a créé une coentreprise avec la société minière parapublique congolaise, la Société Aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima), ce qui lui a permis d’accéder aux mines stratégiques de la province du Maniema, riches en étain, en tantale, en or et en tungstène.
Dott Services possède 70 % de l’entreprise, tandis que Sakima détient le reste. Dans le cadre de ce contrat, Dott Services construira également une usine de traitement des minéraux et des métaux précieux, en plus des projets d’infrastructure. Dott Services est largement considéré comme proche de la famille présidentielle ougandaise et d’autres acteurs influents, ce qui met en évidence les enjeux élevés de l’engagement du pays en RDC.
Le Rwanda a également un pied dans la porte. En juin 2021, les présidents Kagame et Tshisekedi ont signé un accord selon lequel Dither Ltd, une entreprise largement considérée comme proche de l’armée rwandaise, raffinera l’or produit par Sakima. Le Rwanda se trouve ainsi dans une position stratégique pour contrôler l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, qui, selon de nombreuses personnes, a déplu à Kampala. Toutefois, l’accord a été suspendu début juin 2022 par la RDC, après avoir constaté que le Rwanda soutenait la résurgence du M23.
Lors du raid du M23 à Bunagana le 23 mars 2022, les soldats ougandais sont intervenus pour protéger les biens et le personnel de Dott Services. À Kampala, on affirme que l’attaque a été menée par la « branche rwandaise » du M23 dans le cadre d’un complot du Rwanda visant à perturber les activités économiques de l’Ouganda en RDC. À Kigali, on affirme que l’attaque a été menée par des éléments du M23 contrôlés par l’Ouganda, dans le but de s’emparer de la ville frontalière, qui est une importante zone de transit pour les opérations de Dott Services. Ces contre-accusations soulignent le rôle que jouent les intérêts financiers et économiques dans la résurgence du M23, qui se nourrit de la rivalité entre l’Ouganda et le Rwanda.

d. Quels sont les risques de conflits interétatiques?

L’est de la RDC est une poudrière, car le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont tous trois confrontés à des rébellions armées basées dans cette région. Selon Claude Gatebuke, «l’Ouganda et le Rwanda ont déjà opéré en RDC avec la permission des Congolais, mais n’ont pas réussi à déloger leurs groupes armés respectifs. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un simple prétexte pour continuer à piller le pays et se tailler des zones d’influence». Cela amplifie le risque de conflits interétatiques. Le Rwanda a été très explicite dans sa menace d’intervenir militairement en RDC. Il accuse les FARDC de combattre aux côtés des FDLR et d’être indifférentes aux craintes de Kigali en matière de sécurité. «Sans un processus vigoureux d’instauration de la confiance entre les deux parties, un conflit interétatique plus large est une forte possibilité. Cela attirerait probablement l’Ouganda et peut-être le Burundi du côté de la RDC», déclare Claude Gatebuke.
Les tensions entre l’Ouganda et le Rwanda sont palpables et ont été aggravées par les récentes actions de l’Ouganda en RDC. Cependant, plutôt que de lancer des attaques directes l’un contre l’autre, les deux pays semblent être passés à un modèle familier de guerre par procuration, créant et soutenant des groupes armés locaux qui leur soient fidèles.

e. Comment désamorcer les tensions et qui est suffisamment crédible pour y parvenir?

Le gouvernement kenyan a donné un nouvel élan à la désescalade en faisant pression pour le déploiement d’une force multinationale de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) au Nord et au Sud-Kivu, ainsi qu’en Ituri. Cependant, la composition de cette force a une grande importance, étant donné les frictions entre la RDCongo et ses voisins. En effet, des parties importantes de la société civile et des parlementaires congolais ont exprimé leur opposition à la force de la CAE, en raison de l’héritage des invasions répétées par les pays voisins du Congo. La meilleure façon de gagner la confiance des citoyens congolais est d’exclure les pays qui ont participé directement ou indirectement à l’invasion et à l’occupation de certaines parties de la RDC et qui y ont mené des opérations militaires, à savoir l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Le gouvernement congolais pourrait également fixer les conditions pour la force de la CAE, notamment ses objectifs, ses zones d’opération et sa durée. Ces conditions devraient être présentées au Parlement pour une contribution publique, une approbation, une surveillance et un suivi régulier, afin de s’assurer que les citoyens congolais sont impliqués et ont leur mot à dire.
Étant donné que les problèmes de la RDC sont aussi politiques, la CAE devra reconnaître que les seules solutions militaires sont insuffisantes. Il est nécessaire de mettre en place un processus politique inclusif et impartial, pour la réintégration sociale, économique et politique des membres des groupes armés après leur désarmement. Cela doit aussi inclure des mesures visant à garantir une surveillance et une gestion appropriées des ressources naturelles de l’est de la RDCongo.

3. APAISER LES TENSIONS DANS L’EST DE LA RD CONGO ET LES GRANDS LACS

Par International Crisis Group – Briefing Afrique N°181 – Nairobi/Bruxelles, 25 mai 2022[5]

Que se passe-t-il? Le président Félix Tshisekedi a autorisé l’Ouganda à déployer des troupes pour combattre des rebelles basés en République démocratique du Congo (RDC) et permis tacitement au Burundi d’en faire de même. Le Rwanda semble également envisager une incursion dans la zone. Pendant ce temps, un groupe armé congolais, le Mouvement du 23 mars (M23), se réorganise.
En quoi est-ce significatif? La décision de Tshisekedi de convier des troupes étrangères pourrait bouleverser l’est de la RDC, déjà instable, en déclenchant une guerre par procuration ou en revigorant les rebelles congolais. Depuis des années, les rivalités entre voisins de la RDC ont engendré d’innombrables insurrections qu’ils pourraient utiliser les uns contre les autres. La campagne militaire de l’Ouganda a particulièrement irrité le Rwanda.
Comment agir? Tshisekedi devrait réglementer les interventions étrangères sur le sol congolais, et redoubler d’efforts pour dissuader le Rwanda de déployer des forces armées en RDC. Avec le soutien du Kenya, il devrait organiser de nouveaux pourparlers avec ses voisins, afin de repenser toute nouvelle action militaire et élaborer un plan général de négociation avec les groupes armés.

a. Synthèse

Le président Félix Tshisekedi a peut-être ouvert la boîte de Pandore en invitant des troupes de pays voisins à combattre leurs rebelles basés en République démocratique du Congo (RDC). En novembre 2021, à la suite d’attentats meurtriers dans la capitale ougandaise, Kampala, Tshisekedi a autorisé des unités ougandaises à entrer dans la province congolaise du Nord-Kivu à la poursuite des Forces Démocratiques Alliées (ADF), une coalition rebelle ougandaise dont la plus grande faction a prêté allégeance à l’État islamique. Le mois suivant, des soldats burundais auraient pénétré en RDC pour y combattre le groupe rebelle burundais Résistance pour un État de Droit au Burundi (RED-Tabara). Le président rwandais Paul Kagame envisage lui aussi d’envoyer des soldats pour combattre les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR).
Ces interventions provoquent de nouveaux bouleversements dans un pays qui a déjà beaucoup souffert des rivalités régionales. Pendant des années, les voisins de la RDC ont utilisé les milices de l’est du pays, congolaises et étrangères, comme des intermédiaires. Kigali et Kampala en particulier cherchent depuis longtemps à exercer une influence dans la région dont les riches ressources minérales soutiennent les économies rwandaise et ougandaise.
La réapparition surprenante du M23, une insurrection congolaise inactive depuis près de dix ans, est particulièrement préoccupante étant donné ses liens antérieurs avec Kampala et Kigali.
Suite à l’intégration de la RDC au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est en mars, le Kenya a organisé des pourparlers à Nairobi.
Ces pourparlers menés par le Kenya ont relancé une proposition de force d’intervention est-africaine. Permettre une ingérence militaire étrangère sur le territoire congolais pourrait toutefois engendrer une confrontation plus large. Par conséquent, le président congolais Tshisekedi devrait établir des règles claires pour les opérations militaires étrangères en RDC, en clarifiant les objectifs, la durée et les zone d’opération. Il pourrait également tenter de persuader Kagame de ne pas envoyer de troupes en RDC. Plus de transparence sur les opérations de l’Ouganda pourrait contribuer à rassurer Kagame, mais pour renforcer ses arguments Tshisekedi devrait répondre à certaines des préoccupations de Kagame. En outre, Tshisekedi devrait élaborer un plan global pour les négociations avec les groupes armés. Enfin, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, un organe composé d’États de la région, devrait continuer à réunir des preuves relatives au soutien étranger aux rebelles de la RDC.

b. La rhétorique guerrière de Paul Kagame

Le 8 février, lors d’un discours tonitruant de 50 minutes devant le parlement rwandais, le président Kagame a dénoncé une menace pour la sécurité du pays qui émanerait des provinces du Kivu en RDC. Il a fait état de liens présumés entre les ADF et les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), un vestige de la milice hutue rwandaise responsable du génocide de 1994.
Kagame a déclaré que le danger était suffisamment tangible pour qu’il envisage de déployer des troupes dans l’est de la RDC, même sans l’accord de Tshisekedi.
Kagame a prononcé son discours après le lancement d’opérations militaires ougandaises et burundaises en RDC. En novembre 2021, Tshisekedi a autorisé l’Ouganda à déployer des soldats dans l’est de la RDC pour combattre les ADF, que Museveni tient pour responsables d’attentats meurtriers à Kampala. Fin décembre, vraisemblablement avec la bénédiction de Tshisekedi, des troupes burundaises sont entrées en RDC pour s’attaquer à l’insurrection RED-Tabara, un groupe dirigé par des Tutsi qui s’oppose au gouvernement majoritairement hutu de Bujumbura.
L’intervention militaire de l’Ouganda est bien connue, mais des déclarations contradictoires ont laissé à penser qu’il n’existait pas d’accord clair sur sa portée. Le porte-parole du gouvernement congolais a d’abord nié la présence des troupes ougandaises, bien que Tshisekedi ait autorisé l’opération. Les autorités congolaises et ougandaises ont ensuite présenté l’opération comme un exercice militaire conjoint. En réalité, l’Ouganda semble résolument diriger les opérations. En effet, Kampala a revendiqué plusieurs avancées sur le champ de bataille: la prise de camps des ADF, la libération d’otages et la mort de dizaines de combattants rebelles. Il n’y a pourtant que peu d’informations sur des affrontements directs entre les ADF et les troupes ougandaises.
Des questions se posent également sur la durée du déploiement ougandais.
Tshisekedi a déclaré en décembre qu’il serait bref. Kampala, en revanche, signalait initialement que ses troupes ne partiraient qu’après avoir maîtrisé les ADF. En janvier, les unités ougandaises ont étendu leur zone d’opération du Nord-Kivu à l’Ituri, au nord-est du pays, où de nombreux rebelles ADF avaient fui pendant la première phase de la campagne. Le même mois, l’armée ougandaise a soumis au Parlement un budget demandant des fonds supplémentaires, au motif que les troupes resteraient probablement en RDC au moins jusqu’en juin 2023. En avril, Museveni a déclaré qu’il avait déployé 4 000 soldats. Puis, dans un tweet surprenant du 17 mai, le fils de Museveni et commandant des forces terrestres, le général Muhoozi Kainerugaba, a annoncé la fin de l’opération et le retrait des troupes dans les deux semaines. Son tweet paraissait clarifier la durée initiale du déploiement, apparemment prévu pour six mois. Mais quelques heures plus tard, le général a semblé faire marche arrière, affirmant que Museveni et Tshisekedi pouvaient encore prolonger la mission de six mois.
L’incursion du Burundi au Sud-Kivu est entourée de secret. Fin décembre, des habitants du territoire d’Uvira ont déclaré avoir vu environ 400 soldats burundais et Imbonerakure, la milice de jeunes membres du parti au pouvoir au Burundi, traverser la rivière Rusizi entre les deux pays. Ce contingent aurait ensuite conclu une alliance avec les groupes ethniques Gumino et Twigwaneho et plusieurs autres petits groupes maï-maï contre RED-Tabara. Ce dernier a noué des liens avec une autre insurrection burundaise, les Forces Nationales de Libération (FNL), et des milices maï-maï congolaises. L’armée burundaise aurait subi de lourdes pertes et des milliers de résidents ont fui les violences. Le Burundi a cependant nié à plusieurs reprises l’implication de ses troupes dans les combats en RDC. Le gouvernement congolais a gardé le silence sur cette question.
Le risque que le Rwanda entre dans la mêlée est réel. Le discours de Kagame en février indique qu’il est profondément mécontent des opérations militaires de ses voisins en RDC, même s’il semble conscient des obstacles qu’il rencontrerait s’il ordonnait à ses troupes de se déployer au delà de la frontière. Les tactiques brutales du Rwanda lors de ses précédentes campagnes militaires en RDC ont marqué de nombreux Congolais. En outre, les Congolais se méfient des intentions de Kigali en raison de son soutien historique à plusieurs insurrections dans l’est de la RDC.
Quelle que soit la décision que prendra Kagame, ses rapports avec Tshisekedi se sont clairement empirés depuis l’entrée des troupes ougandaises et burundaises en RDC. Les responsables rwandais affirment que Tshisekedi ne leur a pas permis de «s’occuper des FDLR», une vieille revendication de Kagame qu’il avait déjà formulée à l’encontre du prédécesseur de Tshisekedi, Joseph Kabila, et ont même suggéré que l’armée congolaise coopérait avec les FDLR.

c. La rivalité entre le Rwanda et l’Ouganda et le retour du Mouvement du 23 Mars (M23)

Le profond antagonisme entre Kagame et Museveni est commencé vers la fin des années 1990.
Kagame, qui a grandi dans un camp de réfugiés en Ouganda, a rejoint Museveni et son Armée de résistance nationale pour lutter contre les dirigeants ougandais Idi Amin Dada et Tito Okello dans les années 1980. De son côté, Museveni a apporté un soutien militaire à Kagame et son Front Patriotique Rwandais dans leur combat contre le régime de Juvénal Habyarimana au Rwanda en 1994. Kagame et Museveni ont également coopéré pour renverser le dictateur congolais Mobutu Sese Seko pendant la première guerre du Congo (1996-1997). Ils ont toutefois soutenu des factions rebelles opposées pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Les forces rwandaises et ougandaises se sont même affrontées directement sur le sol congolais à Kisangani en 2000.
Les relations traditionnellement tumultueuses entre les anciens alliés se sont détériorées en 2019. Après des mois d’allégations réciproques de plus en plus hostiles, le Rwanda a brusquement fermé le poste frontière très fréquenté de Gatuna en février 2019. Kagame a notamment accusé Kampala de harceler les Rwandais en Ouganda. Avec la fermeture de la frontière, le commerce entre les deux pays s’est pratiquement effondré.
Les relations se sont finalement améliorées après une visite du général Muhoozi à Kagame mi janvier 2022. La frontière de Gatuna a été rouverte fin janvier 2022.
Les rivalités économiques expliquent en partie l’inimitié entre le Rwanda et l’Ouganda. Les deux pays se disputent depuis longtemps le contrôle des ressources naturelles de l’est de la RDC.
Plus de 90 pour cent de l’or produit en RDC est acheminé en contrebande vers des Etats de la région, notamment l’Ouganda et le Rwanda, où il est souvent raffiné et exporté vers les marchés internationaux, notamment les Émirats arabes unis. L’or représente la principale source de devises étrangères dans ces deux pays, alors même qu’ils n’en produisent que très peu.
L’Ouganda et le Rwanda comptent tous les deux sur l’accès à l’est de la RDC pour dynamiser leurs économies,
Un accord entre Tshisekedi et Kagame, conclu en juin 2021 et accordant à une société rwandaise le droit de raffiner de l’or produit au Congo, aurait agacé Kampala.
Pour sa part, Kagame serait contrarié par un vaste projet routier ougandais dans l’est congolais, qui vise à ouvrir des routes commerciales vers trois villes de la région et à fournir ainsi des alternatives au poste frontière de Gatuna. Kagame considère apparemment qu’au moins une de ces routes est trop proche de la frontière rwandaise et se trouve donc dans ce qu’il perçoit comme étant la sphère d’influence de Kigali. Il soupçonne Museveni de vouloir protéger les projets économiques de l’Ouganda à l’est de la RDC plutôt que mater les ADF. Quelles que soient les motivations de l’Ouganda, le discours de Kagame montre que l’offensive ougandaise a provoqué la colère du Rwanda. Il a laissé entendre qu’il pourrait envisager l’envoi de contingents rwandais en RDC sans accord bilatéral préalable.
Les deux pays continuent à se renvoyer des accusations, notamment de liens avec les ADF.
Les responsables rwandais affirment que l’Ouganda soutient le groupe, ou du moins n’en fait pas assez pour le combattre. Les responsables ougandais soutiennent que le Rwanda fait de même.
Le Rwanda a reproché à plusieurs reprises à l’Ouganda d’autoriser la présence, sur son territoire du Congrès National Rwandais (RNC), un groupe dirigé par des transfuges tutsis du gouvernement Kagame et disposant d’une branche militaire dans l’est de la RDC.
La réapparition soudaine du M23 pose un autre problème. En 2012, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, ce groupe avait pris la ville de Goma et l’ont occupée brièvement, avant que les troupes de l’ONU et congolaises ne le mettent en déroute l’année suivante, en 2013. La plupart des combattants ont fui en Ouganda; les autres se sont réfugiés au Rwanda. Un accord de paix de décembre 2013 a souligné que les combattants du M23 devaient retourner en RDC, sans préciser qui était responsable de leur rapatriement.
Certains anciens rebelles ont fini par rentrer de leur propre chef. En 2017, le commandant rebelle Sultani Makenga a tenté de relancer le mouvement, ramenant environ 200 ex-combattants en RDC, avant de s’installer dans le secteur de Mikeno, dans le parc national des Virunga, entre le Rwanda et l’Ouganda. Le groupe s’est ensuite fait discret, même si certains membres auraient travaillé comme tueurs à gages chargés de «régler» des conflits dans le territoire de Rutshuru. Le groupe a refait surface le 7 novembre lors d’un raid contre l’armée congolaise dans le territoire de Rutshuru, frontalier avec le Rwanda et l’Ouganda. L’armée congolaise a immédiatement accusé le M23, en affirmant que les assaillants venaient du Rwanda. Le président de la branche ougandaise du M23 a nié toute implication, mais il a reconnu la présence de Makenga et de ses hommes sur le sol congolais. Le Rwanda a également nié son implication, accusant la branche ougandaise d’avoir mené l’attaque.
Le retour en force du M23 est partiellement lié aux termes de l’accord de 2013 et, par conséquent, à l’indécision du gouvernement congolais vis-à-vis de cet accord. Ce dernier prévoyait que les autorités de la RDC démobiliseraient et désarmeraient les combattants du M23 et accorderaient des amnisties à la plupart des hommes de troupe. En revanche, il restait muet quant au traitement des auteurs de graves violations des droits humains, dont le commandant Makenga, qui étaient exclus du rapatriement et de l’amnistie.

d. La nécessité d’une diplomatie régionale

Le président congolais Félix Tshisekedi a fréquemment affirmé sa volonté de stabiliser l’est troublé de la RDC. Il a tout d’abord mis l’accent sur la diplomatie régionale, organisant des réunions avec les présidents rwandais et ougandais, Paul Kagame et Yoweri Museveni. Mais le processus s’est bientôt enlisé. Il a alors changé de tactique et cherché à mater les groupes armés par la force.
En mai 2021, il a décrété l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, plaçant les deux provinces sous contrôle militaire. En plus des opérations de l’armée congolaise, Tshisekedi a également permis à des troupes ougandaises et burundaises d’intervenir en RDC pour combattre certains groupes armés, illustrant l’importance qu’il accorde à l’approche militaire. Mais comme en témoigne la nature cyclique des guerres en RDC, l’action militaire n’a pas mené à la pacification de l’est.
En avril 2022, le président kenyan Uhuru Kenyatta, également président de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) a convoqué une réunion à Nairobi à laquelle ont participé les présidents ougandais, burundais et congolais, Museveni, Ndayishimiye et Tshisekedi, ainsi que le ministre rwandais des Affaires étrangères.
Cette réunion a mis l’accent sur la nécessité de dialoguer avec les groupes armés congolais, en vue de leur adhésion au nouveau programme de désarmement et de réinsertion sociale, et avec les groupes armés étrangers, en vue de leur désarmement et de leur rapatriement dans leurs respectifs Pays d’origine. Les participants ont également proposé la création d’une force militaire régionale pour combattre les groupes armés récalcitrants.
Toutefois, l’on constate que des pourparlers avec les groupes armés dans l’est de la RDC se heurtent à d’énormes difficultés. Peu de groupes sont susceptibles de se démobiliser tant que leurs combattants n’auront pas d’emploi, ce qui nécessiterait des plans de réintégration plus efficaces que ceux mis en place jusque-là. Ils demanderont également des garanties de sécurité, ce qui
implique des forces de sécurité congolaises à la fois plus présentes sur le territoire et moins prédatrices. La question de savoir si les pourparlers pourront intégrer aussi des forces étrangères n’a pas été précisée. Si le Burundi se dit ouvert à des pourparlers avec RED-Tabara et les FNL, rien ne permet de penser qu’un processus similaire est envisageable avec les FDLR et les ADF. On ignore également dans quelle mesure les pourparlers avec les groupes congolais aborderont l’implication du Rwanda et de l’Ouganda.
Les participants à cette rencontre de Nairobi ont convenu de mettre en place une force régionale pour combattre les rebelles dans l’est de la RDC, tant pour doper l’approche militaire que pour faciliter les pourparlers avec les groupes armés congolais. Toutefois, le président Tshisekedi devrait prendre un certain nombre de mesures, pour tâcher d’endiguer le risque d’une foire d’empoigne dans l’est de la RDC.
En premier lieu, il devrait de toute urgence établir des règles claires pour les interventions militaires étrangères dans l’est de la RDC, tant pour le bien de ses habitants, qui risquent d’être pris entre deux feux, que pour calmer les inquiétudes de Kagame. Ces accords avec ses voisins devraient être plus transparents, notamment au regard de la durée, du périmètre géographique de leur engagement militaire, de leurs objectifs et surtout du comportement de leurs forces. Sans accord de ce type entre les partenaires, l’intervention des pays voisins pourrait dégénérer en une conflagration régionale, attiser le ressentiment local et ruiner les efforts faits pour se réconcilier avec les pays voisins.
En tant que président du mécanisme régional de surveillance de l’Accord-cadre de Paix, de Sécurité et de Coopération (PSC) pour la République démocratique du Congo et la région, il peut insister auprès de ses homologues régionaux, pour qu’ils respectent les dispositions de l’accord stipulant que les signataires doivent s’abstenir d’interférer dans la politique intérieure des autres pays et de soutenir les groupes armés. Cet accord avait été signé à Addis-Abeba le 24 février 2013 par l’Afrique du Sud, l’Angola, le Burundi, la République centrafricaine, la RDC, la République du Congo, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie. Le Kenya et le Soudan sont devenus signataires le 31 janvier 2014.
Dans le même temps, suite aux mauvais souvenirs des interventions militaires rwandaises sur le territoire congolais dans le passé et aux multiples soupçons actuels sur un appui réel du Rwanda à l’M23, Tshisekedi devrait redoubler d’efforts pour dissuader le Rwanda d’envoyer des soldats dans l’est de la RDC, tout en restant partie prenante à l’accord-cadre de Paix, de Sécurité et de Coopération (PSC) de Addis Abeba.
Tshisekedi devrait également se garder de trop compter sur la mise en place d’une force est-africaine, telle qu’envisagée par les dirigeants régionaux à Nairobi. Une force de ce type, sous un commandement et un contrôle unifiés, serait préférable à des déploiements non-coordonnés de forces nationales, qui risqueraient de se faire concurrence. Mais une force régionale, déjà évoquée il y a quelques années, pourrait se heurter à d’importantes difficultés techniques, logistiques et financières. Il n’est pas certain qu’un projet de force régionale soit viable. La plupart des pays qui fourniraient des troupes ont déjà des soldats dans l’est de la RDC. Par exemple, l’armée ougandaise y est déjà présent à travers l’opération Shujaa, conduite conjointement avec l’armée congolaise contre les ADF et le Kenya à déjà fourni des troupes à la Brigade d’Intervention de la Force (FIB) de la Monusco.  Il faudrait donc déterminer comment une force conjointe des États d’Afrique de l’Est, dont le Kenya et l’Ouganda, s’intégrerait à l’opération ougandaise au Nord-Kivu et à la contribution kényane à la FIB, sans même parler du déploiement des troupes burundaises au Sud-Kivu. Quoi qu’il en soit, envoyer plus de soldats dans l’est de la RDC, même sous un commandement unifié, pourrait bien générer plus d’instabilité au lieu de juguler la violence.
Des opérations militaires étrangères pourraient, en effet, engendrer de nouveaux conflits par procuration dans la région.

e. Conclusion

Les opérations militaires menées par le Burundi et l’Ouganda dans l’est de la RDC, combinées aux activités des groupes rebelles, pourraient raviver de vieux antagonismes entre voisins et déstabiliser davantage la RDC. Tshisekedi a agacé le Rwanda en autorisant l’Ouganda à déployer des troupes et en acceptant tacitement l’incursion de forces burundaises en RDC pour combattre des rebelles. Kagame, qui a déclaré en février que les insurgés (FDLR et ADF) menaçaient la sécurité de son pays, pourrait décider de soutenir les rebelles congolais (M23) ou d’envoyer ses propres contingents en RDC sans autorisation préalable. Tshisekedi devrait redoubler d’efforts pour trouver un équilibre entre les intérêts divergents de ses voisins, définir clairement l’objectif des opérations ougandaises et convaincre le Rwanda de s’engager dans la diplomatie régionale, plutôt que dans une nouvelle guerre dans l’est de la RDCongo.

[1] Cf AFP – Lalibre.be/Afrique, 04.08.’22
[2] Cf Actualité.cd, 05.08.’22; Radio Okapi, 05.08.’22
[3] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 06.08.’22
[4] https://africacenter.org/fr/spotlight/le-rwanda-et-la-rdc-risquent-la-guerre-avec-lemergence-de-la-nouvelle-rebellion-du-m23-une-explication/
[5] Cf https://www.crisisgroup.org/fr/africa/great-lakes/democratic-republic-congo/b181-easing-turmoil-eastern-dr-congo-and-great-lakes