Congo Actualité n. 456

ÉVALUATION DE L’ÉTAT DE SIÈGE AU PARLEMENT À HUIS CLOS: DES VÉRITÉS CACHÉES SOUS PRÉTEXTE DE SECRETS D’ÉTAT?

SOMMAIRE

1. L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU
a. L’évaluation au Parlement
b. La 9ème prorogation
2. LE NOUVEAU PROGRAMME DE DÉSARMEMENT, DÉMOBILISATION, RELÈVEMENT COMMUNAUTAIRE ET STABILISATION (P-DDRCS)
a. Un bilan des redditions de miliciens dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Walikale (Nord Kivu)
b. Le cas du Nduma defense of Congo (NDC-Renové) de Guidon Shemiray Mwisa
c. La société civile du Nord et du Sud Kivu encore opposée à la désignation de Tommy Ushindi comme coordonnateur du P-DDRCS
d. Le nouveau P-DDRCS peut-il réussir? Une analyse du Kivu Security Tracker
3. LES GROUPES ARMÉS
a. Ituri
b. Nord Kivu
c. Banditisme urbain et routier

1. L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU

a. L’évaluation au Parlement

Le 23 septembre, le Sénat a commencé l’évaluation de l’état de siège instauré en Ituri et au Nord Kivu. Lors de cette première rencontre avec les sénateurs, l’on a noté la présence du VPM, Ministre de l’intérieur Daniel Aselo, du Ministre de la défense nationale Gilbert Kabanda, du vice-ministre de la justice Amato Bayubasire. Ces membres du gouvernement étaient accompagnés du chef d’état-major général des FARDC, le général d’armée Célestin Mbala, de l’inspecteur général des FARDC le général d’armée Gabriel Amisi, de l’administrateur général de l’ANR Justin Inzun, du directeur général de la DGM Roland Kashwantale et d’autres. Après un marathon d’auditions qui a duré près de 8 heures, la plénière a accordé quelques jours à ces membres du gouvernement, afin qu’ils puissent «harmoniser leurs vues et éviter certaines contradictions», avant de revenir une deuxième fois. L’évaluation a ainsi été ajournée à une date ultérieure.[1]

Le 23 septembre, lors de la plénière de ce jour, le président de l’Assemblée Nationale, Christophe Mboso, a annoncé aux députés nationaux que l’examen du rapport de la commission défense et sécurité relatif à l’évaluation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu aura lieu le mardi 28 septembre à huis clos. Il a ajouté que ledit rapport ne sera pas remis d’avance aux députés comme d’habitude. Ce rapport a été réalisé sur base des auditions de certains membres du gouvernement et des services de sécurité. L’examen de ce rapport est réclamé par plusieurs députés afin de revoir les stratégies sur le terrain face aux multiples attaques des ADF dans les territoires de Beni et Irumu. Si pour certains, après l’examen de ce rapport, l’état de siège doit être recadré, d’autres par contre estiment qu’il faut lever cette mesure qui n’a pas donné des résultats escomptés au regard de la multiplicité des actions de l’ennemi contre les populations civiles.[2]

Le 29 septembre, l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité les conclusions du rapport de l’évaluation de l’état de siège fait par la commission Défense et sécurité. Au cours d’une plénière à huis-clos, les députés nationaux ont été tous d’accord sur le fait que, malgré les moyens engagés dans la mise en œuvre de l’état de siège, le bilan est mitigé. Ils ont donc souhaité que cette situation exceptionnelle ne dure pas longtemps. Par ailleurs, l’Assemblée nationale a recommandé au gouvernement de présenter un plan de gestion de sortie de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu avant sa dixième prorogation.[3]

b. La 9ème prorogation

Le 24 septembre, le Gouvernement a adopté le projet de loi autorisant la neuvième prorogation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, pour une période de 15 jours, prenant cours le 4 octobre 2021. Il a été présenté au conseil des Ministres par Rose Mutombo, ministre de la justice. Pour le gouvernement, l’état de siège proclamé conformément à l’ordonnance n°21/015 du 3 mai 2021 nécessite d’être maintenu, au regard de la multiplicité des actions de l’ennemi et du changement des stratégies contre les populations civiles.[4]

Le 30 septembre, l’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi autorisant la 9ème prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Ce délai prend cours à partir du 4 octobre. Sur un total de 500 députés, 275 des 279 qui ont pris part au vote ont voté «pour» et 4 seulement se sont opposés. Adopté en première lecture, le texte sera envoyé au Sénat pour la seconde lecture avant la promulgation par le Chef de l’État au plus tard le 3 octobre, date de l’expiration de la 8e prorogation.[5]

Le 2 octobre, le Sénat a adopté à l’unanimité le projet de loi portant 9ème prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Le texte a été envoyé au Président de la République, en vue de sa promulgation au plus tard le 3 octobre, date prévue pour l’expiration de la huitième prorogation de l’état de siège. Bien avant, les ministres de l’intérieur, de la défense, des finances et de la justice, concernés par la mise en application et l’exécution de l’état de siège ainsi que leurs services respectifs, ont répondu aux préoccupations des sénateurs dans une plénière à huis clos. Le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, a souligné que cette évaluation devra demeurer permanente à travers la commission défense et sécurité du Sénat.[6]

2. LE NOUVEAU PROGRAMME DE DÉSARMEMENT, DÉMOBILISATION, RELÈVEMENT COMMUNAUTAIRE ET STABILISATION (P-DDRCS)

a. Un bilan des redditions de miliciens dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Walikale (Nord Kivu)

Le 17 septembre, dans un échange organisé avec la presse, le lieutenant-colonel Guillaume Ndjike Kaïko, porte-parole du secteur opérationnel Sokola 2, dans le Sud de la province du Nord-Kivu, a affirmé que, depuis le début de l’état de siège le 6 mai, 745 miliciens ont été contraints à la reddition et 428 armes récupérées. Ces miliciens qui se sont rendus proviennent principalement de six groupes armés différents actifs dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Walikale. Il s’agit notamment du Nduma Défense of Congo (NDC- Rénové) de Guidon Shemiray, du Mouvement d’action pour le changement (MAC) de Gilbert Bwira, du Front Patriotique pour la Paix (FPP) de Kabido, de l’Alliance des Patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) de Janvier Karayiri et de Kifua Fua de Delphin Mbaenda. Ils sont momentanément cantonnés dans les sites de Mubambiro (territoire de Masisi), Rumangabo (territoire de Rutshuru) et Biruwe, dans le groupement de Wassa (territoire de Walikale).
Les autorités militaires considèrent cela comme les résultats de la pression militaire exercée sur les groupes armés durant cette période de l’état de siège. Mais la Société Civile du Nord-Kivu se plaigne des conditions dans lesquelles ces miliciens sont abandonnés. Elle redoute que ces derniers reprennent les armes, faute d’encadrement adéquat. En effet, des dizaines de combattants qui s’étaient déjà rendus aux FARDC au Nord-Kivu continuent de regagner le maquis, faute de prise en charge et d’encadrement adéquat dans les centres de cantonnement.
Un député provincial de Walikale, Prince Kihangi, a demandé au gouvernement de s’activer pour rendre effectif le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDR-CS), pour un bon accompagnement de ces rendus. Il a sollicité notamment le déploiement des forces de sécurité dans les zones jadis occupées par ces combattants, car il y a risque que d’autres groupes armés actifs dans les territoires limitrophes puissent les réoccuper.
Le député national Jean Olive Mudekereza Namegabe a demandé au gouvernement de reconvertir tous les ex-combattants des groupes armés qui déposent les armes en acteurs de développement, principalement en agriculteurs. Cet élu du territoire de Walungu (Sud Kivu) a souhaité que le nouveau programme DDRC-S oriente ces ex miliciens vers des activités agricoles. Pour cela, il a appelé le gouvernement à mettre à la disposition de ces ex-combattants des terres, pour qu’ils puissent les cultiver, ce qui faciliterait aussi leur réinsertion sociale.[7]

b. Le cas du Nduma defense of Congo (NDC-Renové) de Guidon Shemiray Mwisa

Le 31 août, le Vice-Gouverneur militaire du Nord-Kivu, le Commissaire Romy Ekuka Lipopo, a affirmé à la presse locale que le responsable du groupe armé Nduma defense of Congo (NDC-Renové), le général auto-proclamé Guidon Shemiray Mwisa s’est rendu aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) dans le territoire de Walikale.
Selon le Vice-Gouverneur militaire, Guidon Shemiray et ses hommes sont momentanément cantonnés «dans un site du territoire de Walikale, en attendant le lancement officiel du processus P-DDR-CS».  Des sources sécuritaires à Pinga affirment que Mwissa Guidon est depuis fin août, avec ses 300 hommes à Mpofi dans le groupement Utunda, au nord du territoire de Walikale.
Selon la société civile de cette entité, le NDC-Renové de Guidon Shemiray contrôlait quatre territoires de la province du Nord-Kivu: ceux de Walikale, Masisi, Rutshuru et Lubero.
Depuis juin 2019, Guidon Shimiray Mwissa est sous mandat d’arrêt émis par la justice congolaise pour, entre autres, crimes contre l’humanité par viol. Depuis juillet 2020, ce groupe a subi une scission en deux factions: une est dirigée par Guidon Shimiray Mwissa et l’autre est commandée par Gilbert Bwira qui, lui aussi, est dans ce processus de reddition.[8]

Le 9 septembre, contrairement à ce qu’annonçait le Vice-Gouverneur de la province du Nord-Kivu devant la presse le 31 août, le général autoproclamé Guidon Shimiray Mwisa et leader du mouvement d’autodéfense Nduma défense of Congo (NDC-R), a annoncé dans une interview qu’il ne s’est pas encore rendu à l’armée. Guidon Shimaray qui n’exclut pas la possibilité de se rendre aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), a cependant posé un certain nombre des préalables, dont l’octroi de l’amnistie générale à tous les combattants du NDC-R, la reconnaissance de leurs grades au sein des FARDC pour ceux-là qui vont choisir d’intégrer l’armée, la prise en charge des blessés, et l’affectation des anciens NDC-R devenus militaires FARDC dans les zones jadis occupées par le NDC-R.[9]

c. La société civile du Nord et du Sud Kivu encore opposée à la désignation de Tommy Ushindi comme coordonnateur du P-DDRCS

Le 6 septembre, dans une déclaration commune, les coordinations provinciales de la société civile du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont décrié la nomination, par le Président de la République, de Mr Tommy Tambwe comme coordonnateur du P-DDRCS. Pour elles, M. Tambwe n’inspire pas confiance à cause de son passé sombre: «Nous ne sommes pas d’accord avec la nomination de Mr Tommy Tambwe à la coordination du P-DDRCS. C’est quelqu’un qui, dans le passé, a travaillé avec des rébellions, notamment le RCD, le CNDP, le M23 et l’ALEC. Et donc, il n’inspire  pas confiance. Comment expliquer que quelqu’un qui a collaboré avec ces groupes armés soit nommé à un poste aussi important comme ça? C’est cracher sur la mémoire de toutes les victimes des affres de la guerre. Par conséquent, nous demandons au Président de la République de contraindre Mr Tommy à démissionner de ce poste et de nommer quelqu’un d’autre qui n’a pas les mains noires».
Selon les Société civiles du Nord et Sud Kivu, «la décision de nommer Tommy Tambwe comme coordonnateur du P-DDRCS rappelle fort celle de l’ancien chef de l’État, Joseph Kabila, lorsqu’il avait désigné le tristement célèbre Bosco Ntaganda comme son collaborateur dans les stratégies de la recherche de la paix». Pour cela, elles appellent le Président Félix Tshisekedi à éviter l’erreur commise par son prédécesseur, celle d’accorder des responsabilités à des personnalités sur qui pèsent des soupçons.[10]

d. Le nouveau P-DDRCS peut-il réussir? Une analyse du Kivu Security Tracker

Un « état de siège » très critiqué.
L’état de siège mis en place dans les province de l’Ituri et du Nord-Kivu à partir du 6 mai dernier n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés, au moins pour l’instant. Celui-ci a essentiellement consisté dans le transfert de très larges parties du pouvoir civil à des gouverneurs, administrateurs de territoire et maires militaires ou policiers. Or, depuis son entrée en vigueur, les massacres de civils se sont poursuivis: au moins 723 civils ont été tués par des acteurs armés au Nord-Kivu et en Ituri depuis le 6 mai. Les ADF, le plus meurtrier des 122 groupes armés répertoriés par le KST dans l’est de la RDC, sont impliquées dans la mort d’au moins 396 civils. Ces derniers mois, leur rayon d’action s’est notamment déplacé vers les territoires d’Irumu et de Mambasa, en province d’Ituri.  L’armée et la police sont quant à eux impliqués dans la mort d’au moins 65 civils.
Conséquence: l’état de siège, qui faisait presque l’unanimité au sein de la classe politique lors de son lancement, fin avril, est désormais critiqué.
Un nouveau Programme de désarmement «P-DDRCS».
Dans ce contexte, le 7 août 2021, le président Tshisekedi a nommé Emmanuel Tommy Tambwe Rudima au poste de Coordonnateur national du nouveau Programme de Désarmement, Démobilisation et Relèvement communautaire et Stabilisation (P-DDRCS), institué un mois plus tôt. Ce nouveau «P-DDRCS» pourra-t-il faire avancer la paix dans l’est de la RDC?
Les négociations engagées, ces derniers mois, entre les FARDC et les groupes armés dans la zone du « petit nord » du Nord Kivu (les territoires de Nyiragongo, Rutshuru, Masisi, Walikale, et le Sud de celui de Lubero), ont entraîné des redditions. Néanmoins, aucun des principaux chefs de milice ne s’est jusque-là livré aux autorités, ce qui rend ces progrès réversibles. De plus, les redditions antérieures montrent que ces gains sont rarement durables, sans un programme de DDR correctement financé et organisé, permettant une réelle prise en charge des combattants.
Bon nombre de « rendus » ont en effet repris le chemin de la brousse et regagné leur groupe armé.
Depuis 2003, au moins trois programmes de DDR ont été organisés dans le pays, sans permettre d’avancées décisives. Une partie significative des membres actuels des groupes armés est passée par ces programmes de DDR, avant de reprendre les armes dans un mouvement de « retour circulaire » et de « recyclage des rebelles ». Alors, ce nouveau programme de DDRC-S a-t-il des chances de réussir là où les précédents ont échoué?
Un nouveau coordonnateur très controversé.
Le profil de Tommy Tambwe comme ancien cadre du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), pour lequel il fut notamment vice-gouverneur du Sud-Kivu et comme dirigeant de l’Alliance de libération de l’est du Congo (Alec), deux rébellions soutenues par le Rwanda, a provoqué l’hostilité des membres de la société civile. Le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, a fait part de sa « circonspection », estimant que «il faudrait rompre avec les politiques visant à accorder des promotions à ceux qui devraient répondre de leurs actes devant la justice».
Les bailleurs soutiendront-ils le nouveau programme?.
Un défi: convaincre les bailleurs de soutenir ce programme. Tommy Tambwe a affirmé que l’État congolais va contribuer par des financements propres à ce programme: «Nous avons récupéré 1 million de dollars qui étaient sur les lignes budgétaires du STAREC et du PN-DDRC [deux institutions que le P-DDRC remplace]. Cela servira pour le fonctionnement immédiat, mais c’est insuffisant. Nous sommes en train de voir avec la Primature pour chercher des crédits supplémentaires au sein du budget déjà voté de 2021. Et puis nous allons élaborer un budget pour 2022». Le niveau de soutien de l’Etat reste donc à définir. On peut craindre qu’il demeure insuffisant sans le concours de donateurs étrangers. Le DDR3 avait notamment échoué sur cette question: les bailleurs potentiels, échaudé par les soupçons de corruption et détournement de fonds dans les programmes antérieurs, avaient estimé que les garanties nécessaires n’étaient pas réunies.
Lors de la présentation de l’idée d’un DDR communautaire par les gouverneurs du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri en octobre 2020, les ambassadeurs de l’Union européenne, des États-Unis d’Amérique, de la Grande Bretagne et du Canada avaient annoncé leur soutien.
Néanmoins, lors de la publication de l’ordonnance instituant le « P-DDRCS » le 4 juillet 2021, un diplomate occidental a été désagréablement surpris de constater que la structuration du programme donne moins de pouvoir aux trois provinces les plus touchées par l’insécurité qu’il ne l’espérait: il craint une centralisation du programme qui risque de nuire à son efficacité.
Le profil de Tommy Tambwe a également suscité des inquiétudes de la part des diplomates occidentaux en poste à Kinshasa, inquiétudes renforcées par la réaction de la société civile. Cependant, aucun pays étranger n’a critiqué publiquement cette nomination, laissant la porte ouverte à une collaboration.
Enfin, selon une source au sein de la Banque Mondiale, cette dernière a d’ores et déjà écarté l’idée de financer directement le P-DDRCS. Cela n’exclut pas le financement de projets dans le cadre de ce programme, mais la Banque semble vouloir éviter de financer la structure nationale en tant que telle. Ceci pourrait, à terme, poser des problèmes en affaiblissant la capacité du P-DDRCS à administrer l’ensemble, avec notamment la réalisation de tâches telles que l’identification et le suivi des combattants démobilisés. Ces bailleurs n’excluent cependant pas de fournir un appui technique au programme, de même que la Monusco, qui s’est également engagée à soutenir le nouveau dispositif.
Quelle stratégie adopter?.
Dans «trancher le nœud gordien de l’insécurité», le Rift Valley Institute argumentait, en 2013, que le précédent programme était insuffisamment communautaire. Les auteurs notaient qu’en ciblant les combattants seulement, le DDR n’a pas facilité les efforts de réconciliation car «les communautés qu’ils regagnaient ont eu l’impression que l’on récompensait ceux qui avaient pris les armes en leur donnant de l’argent et une formation professionnelle». Ce programme P-DDRCS, fruit de la fusion entre le STAREC et le Programme national de DDR, se veut «communautaire». Cela paraît être une piste intéressante. Pour qu’on ne puisse plus dire que « on n’a pas été associés au processus », Tommy Tambwe devrait mettre en place dans chaque province des « Cadre de concertation pour la paix et d’appui au programme (CCAP) » avec les autorités, la société civile, les chefs coutumiers, les confessions religieuses, les mutualités tribales, les ONGs, des jeunes, des femmes, etc.
Le dilemme de la réintégration.
Cette stratégie se heurtera immanquablement à la réinsertion sociale des combattants dans les communautés et à la question de leur éventuelle intégration dans l’armée.
L’offre d’alternatives économiques aux ex-combattants est une composante essentielle de la réinsertion dans la communauté. Cependant, ces alternatives doivent être adaptées. Par le passé, les programmes de réinsertion ont orienté les ex-combattants vers des activités (moulins,  salons de coiffure etc) mal adaptées car ils n’avaient pas les compétences nécessaires à leur gestion.
Par ailleurs, l’ordonnance instituant le DDRCS précise que l’intégration dans l’armée ne se fera que sur une base individuelle: une façon d’écarter la possibilité d’intégrations collectives, qui ont eu lieu par le passé. Cette intégration militaire est l’une des lignes rouges de la communauté internationale  et de la société civile car, estiment-elles, elle perpétue le cycle de violence et l’impunité en créant une incitation à prendre les armes pour bénéficier à terme de ce type de programme.
Cependant cette intransigeance risque d’être difficile à appliquer, notamment pour les groupes armés qui ont déjà commencé un processus de démobilisation. C’est par exemple le cas de l’Union des Patriotes pour la libération du Congo (UPLC) ou encore Front des Résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) qui ont reçu la promesse d’être réintégrés dans l’armée, avec reconnaissance de leurs grades. C’est sur cette base qu’ils ont accepté de se cantonner. L’espoir d’une amnistie et d’intégration au sein des FARDC est par ailleurs souvent l’une des motivations principales conduisant les groupes armés à se rendre. Selon certains rapports, le chef historique du Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R) Guidon Shimiray aurait encore récemment émis ce type de condition avant d’envisager sa reddition.
Conclusion.
Les nouveaux animateurs du P-DDRCS devront donc tout à la fois convaincre des bailleurs sceptiques de leur capacité de construire un programme efficace, puis réussir sa mise en œuvre ; rompre avec les pratiques du passé tout en trouvant le moyen de motiver les combattants à se rendre. Cela ne sera pas une mince affaire.[11]

3. LES GROUPES ARMÉS

a. Ituri

Le 26 septembre, les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) ont affirmé de s’être affrontées avec les miliciens du Front Patriotique Intégrationniste Congolais (FPIC), connu aussi sous le nom de Chini ya Kilima, dans le village de Makayanga, en territoire d’Irumu, au sud de la ville de Bunia (Ituri). Cette situation a semé la panique à Komanda qui se situe à 3 Km de Makayanga. Croyant à une attaque des combattants des Forces Démocratiques Alliées (ADF), les habitants de ce centre commercial se sont déplacés massivement, pour la plupart jusqu’à 7 Km sur la route pour Kisangani.
«Il y a eu incursion des miliciens FPIC qui ont incendié un véhicule au long de la route. Après, il y a eu un affrontement avec entre eux et l’armée. Le bilan est de 8 milicien tués, 11 capturés et plusieurs autres blessés. Pour le moment Komanda et Makayanga sont sous contrôle de l’armée. La psychose et la tension observées à Komanda font suite aux détonations d’armes entendues. C’est tout à fait normal», a indiqué le lieutenant Jules Ngongo, porte-parole des FARDC en Ituri.
Cependant, d’autres sources dont la Convention pour le Respect des Droits Humains (CRDH) antenne d’Irumu, parlent de morts aussi du côté des civils, un bilan non confirmé par des sources officielles. «À Makayanga, le bilan est catastrophique. Il y a 12 morts côté civil et plus de 20 maisons incendiées sans oublier les biens pillés. Les habitants se déplacent et prennent la direction de Bunia les uns et de Beni les autres», a affirmé Christophe Munyanderu, son coordonnateur.
D’autre part, sur Twitter, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation au Congo (MONUSCO), a déclaré que «La Force de la MONUSCO et les FARDC ont ouvert le feu, hier 26 septembre, en direction des ADF à Makayanga (Ituri). Un rebelle a été tué et une dizaine capturée». Cette déclaration contredit donc la communication faite par l’armée qui attribuait l’attaque aux miliciens du Front patriotique intégrationniste congolais (FPIC). Plusieurs sources locales avaient déjà annoncé qu’il s’agissait des ADF.
Les habitants et les commerçants ont quitté massivement le centre commercial de Komanda depuis le 26 septembre avec leurs marchandises et autres biens, De nombreuses familles ont également quitté le milieu pour se rendre à Beni ou Butembo au Nord-Kivu. D’autres ont pris la direction de Mambasa ou Bunia. Pour la majorité de la population, la présence des FARDC ne rassure pas, malgré l’appel des autorités militaires pour qu’elle vaque à ses occupations. Pour l’instant, aucune activité commerciale n’est opérationnelle sur place. Pas de boutiques ni de restaurants ou de petits commerces ouverts. Les hôtels sont vides et les rues désertes. Depuis la semaine précédente, la population de Komanda vit dans la psychose à la suite d’une attaque des combattants ADF qui avait fait quatre morts et une trentaine de maisons incendiées.[12]

Le 26 septembre, pendant la nuit, des miliciens de la Coopérative pour le Développement du Congo (CODECO) ont tué au moins cinq personnes au cours d’une nouvelle attaque menée dans le foyer minier de Digene, dans le secteur des Banyali Kilo (territoire de Djugu) en Ituri. Commencée ver 20h00 du soir, cette attaque a occasionné un déplacement massif de la population vers la commune rurale de Mungwalu. La zone où l’attaque a eu lieu est réputée pour son activité d’exploitation d’or. Les miliciens CODECO y opèrent à plusieurs groupes.[13]

Le 28 septembre, le village de Mangiva, situé à 7 Km de Komanda (territoire d’Irumu), dans la province de l’Ituri a été attaqué dans l’après-midi par des présumés combattants des Forces Démocratiques Alliées (ADF). C’est la deuxième attaque dans la zone après celle de dimanche à Makayanga. L’armée a riposté à l’attaque.[14]

Le 29 septembre, cinq personnes d’une même famille ont été tuées par des hommes armés non autrement identifiés, à hauteur du pont Mbogu, situé à une dizaine de kilomètres du centre ville de Bunia, sur la route Bunia-Kasenyi, en Ituri. Ces personnes voyageaient à bord d’un véhicule quand elles sont tombées dans une embuscade, alors qu’elles provenaient d’un deuil à Kasenyi. Selon la société civile locale, d’autres personnes seraient porté-disparues depuis cette embuscade.
Cette route où plusieurs attaques armées sont signalées, contre notamment des commerçants traverse une zone contrôlée par une milice dénommée Coopérative pour le Développement du Congo (CODECO), membre de l’Alliance pour la Libération du Congo (ALC), Toutefois, elle est d’importance capitale, car elle relie la ville de Bunia et le lac Albert, limite naturelle entre la RDC et l’Ouganda.[15]

Le 30 septembre, le commandant provincial de la Police, le commissaire divisionnaire adjoint Ngoy Sengelwa Séguin a présenté 44 miliciens du Front Patriotique Intégrationniste Congolais (FPIC) et des Forces Démocratiques Alliées (ADF) au gouverneur militaire de la province de l’Ituri. Ces miliciens ont été capturés par les forces loyalistes dans la région de Makayanga et Komanda en territoire d’Irumu, suite à des affrontements qui avaient occasionné un déplacement massif de la population de ladite région. Ils ont été confiés à la justice pour répondre de leurs actes.[16]

Le 1er octobre, une nouvelle attaque attribuée aux miliciens des Forces Démocratiques Alliées (ADF) et à et leurs alliés du Front Patriotique et Intégrationniste du Congo (FPIC) a fait au moins six morts à Komanda, dans le territoire d’Irumu (Ituri). Selon la société civile, six maisons et six véhicules ont aussi été incendiés par les assaillants. D’autres sources parlent de huit morts, d’une dizaine de personnes prises en otage et d’une dizaine de maisons incendiées. L’attaque a débuté à 19h00 et a duré plusieurs heures. C’est la troisième attaque attribuée aux rebelles ADF dans la zone en l’espace d’une semaine. Certains habitants qui avaient déjà regagné le centre commercial de Komanda après l’attaque dimanche 26 septembre dernier de Makanyanga à 5 kilomètres de Komanda, ont fui à nouveau. «C’est une situation qui nous fait peur, (avec) des attaques tous les jours et ça pousse les habitants à quitter leurs domiciles», pour se réfugier dans les localités voisines, a déploré Daniel Herabo, président de la société civile locale.[17]

Le 2 octobre, de violents affrontements ont été signalés entre les Forces Armées de la République Démocratique du Congo « FARDC » et les miliciens FPIC (Front Patriotique et Intégrationniste du Congo) coalisés à ceux de CODECO (Coopérative pour le Développement du Congo) dans plusieurs villages du territoire de Djugu et d’Irumu en province de l’Ituri. Ces villages sont notamment Ngongo, Kunda (territoire d’Irumu), Nyangarayi, Lipri, Tsili (territoire de Djugu), situés à plus ou moins 20 km au Nord de Bunia, chef-lieu de province. A en croire le porte-parole des opérations militaires en Ituri, il s’agit des offensives menées par l’armée régulière pour mettre hors d’état de nuire les éléments de ces  groupes armés. Nombreux villageois se sont réfugiés dans la brousse.[18]

b. Nord Kivu

Le 27 septembre, 3 personnes ont été tuées lors des affrontements qui ont eu lieu entre les éléments des FARDC et des hommes armés à Mabondo et à Kinehambaore, en groupement Malambo dans le secteur de Ruwenzori, en territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu. D’après la société civile du secteur précité, les victimes sont toutes de la commune de Bulongo, située sur l’axe routier Beni-Kadindi.[19]

Le 4 octobre, sept ans après ce qui est considère comme le début des massacres des civils dans la région de Beni, dans une déclaration, le Centre d’Étude pour la promotion de la Paix, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CEPADHO) a dit regretter le drame humain que cause l’activisme des groupes armés, principalement des Forces Démocratiques Alliées (ADF), dans cette partie du pays: «Le CEPADHO déplore qu’à la suite de cette barbarie, au moins 3 750 civils ont été sauvagement tués et près de 1 800 autres kidnappés dans différents champs, villages et agglomérations. Au moins 3 430 maisons ont été incendiées, 125 véhicules incendies sur les axes routiers et 130 écoles et structures médicales détruites».[20]

c. Banditisme urbain et routier

Le 6 septembre, la Police Nationale Congolaise (PNC) du commissariat urbain de Butembo (Nord-Kivu) a présenté à la presse locale une bande de 11 présumés criminels aux arrêts depuis le 26 août dernier. Ils sont accusés de mener des embuscades contre des véhicules, particulièrement ceux appartenant à des organismes internationaux, sur le tronçon routier Butembo-Beni. Le chef de bande serait un certain Kasereka Mulilirwa. Un agent de l’ONG Mercy Corps, dénommé Pasteur, qui faisait croire à la bande que les véhicules des organismes internationaux sont porteurs d’une somme colossale d’argent destinée à la balkanisation du pays, est également impliqué, mais il est encore en fuite.[21]

Le 7 septembre, dans un communiqué, l’Association africaine des droits de l’homme (ASADHO) a déclaré que au moins 57 cas de vols à mains armées ont été documentés au mois d’août en ville de Beni (Nord-Kivu). Il s’agit de plusieurs cas de cambriolage des maisons et de vols à mains armées qui ont été perpétrés ces dernières semaines dans les communes de Mulekera et de Bungulu, particulièrement dans les quartiers périphériques de la ville, Kasanga Tuha et Mambangu, à moins d’un kilomètre d’une base de l’armée. L’ASADHO déplore la montée de l’insécurité dans la ville de Beni, même pendant la période de l’état de siège décrété par le Chef de l’État. Pour sa part, la société civile pointe du doigt les militaires qui ont été blessés au front et qui vivent actuellement avec la population. Elle demande leur départ de la ville: «Nous demandons aux autorités au niveau national et provincial d’identifier tous les militaires blessés afin de les délocaliser de la ville de Beni, parce que nous pensons que ce sont eux qui sont en train d’amener l’insécurité en ville de Beni».[22]

Le 11 septembre, le maire de la ville de Beni (Nord Kivu), le commissaire supérieur principal Narcisse Muteba Kashale, a présenté à la presse un groupe de neuf personnes, dont deux femmes, arrêtées par les forces de l’ordre, car soupçonnées d’appartenir à un  réseau de présumés bandits à mains armées. Par ailleurs, quinze autres personnes ont été interpellées lors d’un bouclage effectué par les FARDC et la police ce même jour, dans la matinée, au quartier Ngongolio, dans la commune de Mulekera. Toutes ces personnes sont en détention au commissariat urbain de la police de Beni.[23]

Le 22 septembre, le commandant provincial de la Police Nationale Congolaise « PNC » a présenté à la population 5 de ces criminels qui avaient été appréhendés la nuit du jour précédent avec 5 armes AK-47 , une lance roquette et plusieurs munitions, à Bogoro, une localité située à 25 Kilomètres au Sud-est de Bunia (Ituri). «C’est une bande spécialisée en tueries, ce sont des coupeurs de routes qui insécurisent l’axe Bunia-Kasenyi, longue d’environ 55 km», a expliqué le commissaire divisionnaire adjoint Ngoy Sengelwa Séguin.[24]

Le 29 septembre, pendant la nuit, les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et la Police Nationale Congolaise (PNC) ont effectué un bouclage au village Rusayo, dans le territoire de Nyiragongo (Nord-Kivu). Plus de 100 présumés bandits, dont 37 rwandais en séjour irrégulier, ont été interpellés lors de cette opération. Des armes blanches, des effets militaires, des boissons fortement alcoolisées ainsi que plusieurs biens de la population volés ont également été saisis. Selon le général de brigade Ghislain Tshin’kobo, commandant de la 34e région militaire,
«les 37 sujets rwandais en séjour irrégulier seront rapatriés dans leur pays par la voie de la Direction Générale des Migrations (DGM) et, quant aux autres suspects, bandits reconnus, le cas de chacun sera traité de manière individuelle».[25]

[1] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 23.09.’21; Moise Dianyishayi – 7sur7.cd, 23.09.’21
[2] Cf Clément Muamba et Berith Yakitenge – Actualité.cd, 24.09.’21
[3] Cf Radio Okapi, 30.09.’21; Berith Yakitenge – Actualité.cd, 30.09.’21
[4] Cf Japhet Toko – Actualité.cd, 25.09.’21
[5] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 30.09.’21
[6] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 02.10.’21
[7] Cf Radio Okapi, 06.09.’21; Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 06.09.’21; Glody Murhabazi – 7sur7.cd, 17.09.’21; Jonathan Kombi – Actualité.cd, 16.09.’21; Radio Okapi, 09.09.’21
[8] Cf Dominique Malala – Politico.cd, 01.09.’21; Radio Okapi, 01.09.’21
[9] Cf Carmel Ndeo – Politico.cd, 09.09.’21
[10] Cf Jonathan Kombi – Actualité.cd, 16.09.’21; Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 08.09.’21
[11] Cf Kivu Security Tracker, 10.09.’21  https://blog.kivusecurity.org/fr/le-nouveau-programme-de-desarmement-et-demobilisation-peut-il-reussir/
[12] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 27.09.’21; Bantou Kapanza Son – 7sur7.cd, 27.09.’21; Actualité.cd, 28.09.’21; Radio Okapi, 28.09.’21
[13] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 28.09.’21; Séraphin Banangana – 7sur7.cd, 28.09.’21
[14] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 29.09.’21
[15] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 30.09.’21
[16] Cf Séraphin Banangana – 7sur7.cd, 01.10.21
[17] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 02.10.’21; AFP – Actualité.cd, 02.10.’21; Radio Okapi, 02.10.’21
[18] Cf Séraphin Banangana 7sur7.cd, 02.10.’21
[19] Cf Bantou Kapanza Son – 7sur7.cd, 29.09’21
[20] Cf Radio Okapi, 04.10.’21
[21] Cf 7sur7.cd, 06.09.’21
[22] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 08.09.’21
[23] Cf Radio Okapi, 12.09.’21
[24] Cf Séraphin Banangana – 7sur7.cd, 23.09.’21
[25] Cf Jonathan Kombi – Actualité.cd, 01.10.’21