Congo Actualité n. 328

SOMMAIRE

  1. LE DERNIER JOUR DES DEUX EXPERTS ONUSIENS
  2. DES OFFICIERS DE L’ARMÉE SOUPÇONNÉS D’IMPLICATION
  3. ANALYSE DE LA VIDÉO PUBLIÉE PAR LE GOUVERNEMENT CONGOLAIS
    1. Principales caractéristiques et conclusions
    2. Les victimes
    3. Les principaux auteurs de l’exécution
  4. L’OUVERTURE DU PROCÈS CONGOLAIS CONTRE LES PRESUMÉS AUTEURS DE L’ASSASSINAT DES DEUX EXPERTS DE L’ONU
  5. LA CONCLUSION DU PROCÈS CONTRE LES MILITAIRES ACCUSÉS DU MEURTRE DE MWANZA LOMBA

 

1. LE DERNIER JOUR DES DEUX EXPERTS ONUSIENS

 

Le dimanche 12 mars 2017, deux experts de l’ONU, Michael J Sharp et Zaida Catalan, disparaissent à quelques dizaines de kilomètres de Tshimbulu, en plein cœur du territoire de Dibaya, dans la province du Kasaï Central, là où a démarré l’insurrection de Kamuina Nsapu. Le village du défunt chef Kamuina Nsapu est juste de l’autre côté de la route nationale N40.

Michael J Sharp et Zaida Catalan sont exécutés en fin de journée, non loin de Bunkonde. Leurs corps ne seront découverts qu’environ deux semaines plus tard, à deux pas de l’endroit où leur disparition avait été signalée.

 

Le matin du 12 mars 2017, quand ils quittent l’hôtel Woodland de Kananga, Michael J Sharp et Zaida Catalan partent à la rencontre de «groupes» de miliciens Kamuina Nsapu.

Ils circulent à moto, comme tous les experts onusiens le font dans l’est de la RDC depuis plus de 15 ans. Avant ce 12 mars, jamais aucun expert n’a été blessé ou tué. Ils collaborent avec tout le monde, les chefs des services de renseignement comme ceux des groupes armés, les hommes d’affaires, les politiciens, les militaires. Pour préparer leur mission, Michael J Sharp et Zaida Catalan ont, comme toujours, appelé tout le monde. A chacun de leurs interlocuteurs, ils ont rappelé l’objet de leur mission. Comme ils sont consultants pour le Conseil de sécurité, ils sont là pour comprendre l’origine de la violence. Il faut remarquer que le groupe d’experts est la seule institution de l’ONU qui publie les noms des responsables des violences et de leurs instigateurs (officiers de l’armée, chefs des groupes armés ou personnalités politiques).

 

L’assassinat des deux experts de l’Onu semble avoir été planifié à Bunkonde. C’est celui qui filme qui le dit. Dans la zone où les experts ont été enlevés, la principale Tshiota, le «feu sacré» est à Ngombe, à 24 km de Bunkonde. C’est l’une des plus actives du territoire de Dibaya. Elle a été fondée après la mort de Kamuina Nsapu. Ses adeptes, qui fuyaient la répression, sont venus s’installer à Ngombe, de l’autre côté de la N40. Depuis cette Tshiota, chaque village a été «contaminé», créant sa milice. Mais aujourd’hui, il n’y a plus aucune milice active à Bunkonde. Et pour cause, le dimanche 12 mars 2017, la localité est tenue par l’armée congolaise. Des renforts y sont même arrivés le vendredi soir précédent, c’est-à-dire le 10 mars, après des combats avec des groupes de milices des environs. À Bunkonde, militaires et anciens miliciens cohabitent.[1]

 

 

2. DES OFFICIERS DE L’ARMÉE SOUPÇONNÉS D’IMPLICATION

 

Certaines informations pointent du doigt les responsabilités des forces de sécurité du régime dans l’exécution, survenue le 12 mars, des deux travailleurs de l’ONU et de leur guide Betu Tshintela.

Le 11 mars dernier, l’experte des Nations unies Zaida Catalan a été reçue au siège de la 21e région militaire à Kananga (Kasaï, RDC) par le commandant de cette dernière, le général Emmanuel Lombe Bangwanga. Ensemble, ils auraient convenu de l’itinéraire à suivre pour atteindre les villages où la jeune femme suédoise avec son coéquipier, l’américain Michaël Sharp, accompagnés par un guide congolais, Betu Tshintela, et trois chauffeurs de mobylette, auraient dû se rendre pour mener des investigations sur des charniers remplis d’opposants appartenant au mouvement Kamuina Nsapu. C’est suite aux indications de ce haut gradé, que le lendemain, le convoi a emprunté une piste située dans une zone sous contrôle de l’armée régulière (FARDC).

En date du 29 mars, un billet publié sur le site Congo Indépendant et signé par son directeur, l’ancien ambassadeur congolais Badouin Amba Wetshi, confirme que «ces assassinats ont été commis dans le territoire de Tshimbulu dans un “périmètre” contrôlé par l’armée congolaise».

Il ajoute deux détails troublants. Au moins l’un des conducteurs des motos était un agent de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Ce qui laisserait à penser qu’étant de mèche avec les assaillants, ils auraient été épargnés par ces derniers. Et expliquerait aussi le fait que leurs corps n’aient pas été retrouvés jusqu’aujourd’hui. Ensuite, on lit encore dans CI, «il semble bien que les effets personnels (PC portables, pièces d’identité, portefeuilles, montres etc.) de ces deux travailleurs onusiens se trouveraient entre les mains de l’administrateur général de l’ANR Kalev Mutondo à Kinshasa». Si l’on se demande les raisons d’une telle fuite, l’explication est relativement simple: «La montre qui portait Michaël Sharp serait munie d’une puce électronique qui indique sa localisation». Tous ces éléments font supposer que «les suspects du meurtre des deux experts de l’Onu doivent être recherchés au sein l’armée congolaise et de l’ANR».

Il semble ainsi certain qu’en partant pour leur rendez-vous avec la mort, Zaida Catalan et Michaël Sharp étaient, du début jusqu’à la fin, sous contrôle de ceux qui avaient décidé de leur sort. Et que la rencontre du 11 mars avec Zaida Catalan, situe le général Lombe dans un rôle important de l’engrenage meurtrier. Un rôle partagé avec le tout puissant chef de l’ANR, ce Kalev Mutond qui n’est jamais absent des opérations grises du régime.

Rappel: Emmanuel Lombe et Kalev Mutond ont été des acteurs de premiers plan à l’époque des massacres de Beni (octobre 2014 – décembre 2016), lorsque de nombreux rapports indépendants des Nations unies ont mis en cause les forces de sécurité congolaises dans l’exécution des tueries.

Le premier était le patron de la région militaire du Nord Kivu et le deuxième à la tête d’un « cabinet noir » militaire avec le général Delphin Kahimbi, chef des renseignements militaires (ex-DEMIAP) et le général Akilimali Muhindo, dit Mundos.

Dans plusieurs rapports, ce dernier est accusé d’avoir organisé les massacres de Beni à l’aide d’escadrons de la mort téléguidés et renforcés par les hommes de la 31e Brigade des FARDC qu’il commandait. Or, Lombe, Mutond et Mundos se retrouvent tous à Beni, où opère également le colonel Vincent Tambwe, l’adjoint de Kahimbi. Ils constituent le noyau du pouvoir parallèle qui préside, de Beni à Kananga, à la stratégie des massacres qui endeuille le pays. Leurs œuvres sont pourtant en bonne partie connues, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, mais ils continuent à profiter de la plus grande impunité.[2]

 

Selon un article du The Guardian, publié le 8 mai, des experts affirment que les images de l’assassinat des deux experts des Nations unies dans le Kasaï ne permettent pas d’exclure l’implication possible du gouvernement dans ces décès et que, par conséquent, elles remettent en cause l’implication de la milice Kamuina Nsapu dans l’assassinat des deux experts de l’ONU.

Une source, citée par The Guardian, dont l’identité est protégée pour des raisons de sécurité, a déclaré que la vidéo a prouvé que, le 12 mars, les deux experts n’avaient pas été enlevés, comme l’a affirmé le gouvernement lors de leur disparition avec leur interprète, Betu Tshintela.

«Il n’y a jamais eu d’enlèvement. Ce que montre la vidéo est une mise en scène. Les deux agents de l’Onu se promènent confortablement, leurs mains ne sont pas liées, Michael [l’américain] pose des questions sur certaines personne avec qui ils doivent se rencontrer et il est clairement en mode de collecte de preuves. Les deux experts n’ont pas l’impression qu’ils sont en otage», explique le média britannique.[3]

 

 

3. ANALYSE DE LA VIDÉO PUBLIÉE PAR LE GOUVERNEMENT GONGOLAIS

 

a. Principales caractéristiques et conclusions

 

– Durée: 6 min 17

– Transmission: La vidéo a été transmise de téléphone portable à téléphone portable avec des systèmes d’exploitation différents (Windows, Apple, etc.). Cela a effacé les métadonnées qui auraient pu permettre d’identifier la source de la vidéo, son heure et sa date. Tous les paramètres sont ramenés à une valeur par défaut, à savoir le 1er janvier 1970.

– Victimes: Michael J Sharp et Zaida Catalan n’ont ni chaussures, ni sacs, ni même bijoux, comme s’ils avaient été dépouillés avant d’être emmenés sur le lieu de leur exécution.

Les trois accompagnateurs congolais identifiés (deux motards et un interprète, Betu Tshintela) semblent être absents de la vidéo. Selon les familles de ces trois accompagnateurs, leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Le gouvernement congolais assure avoir retrouvé et  identifié le corps de Betu Tshintela, ce que l’ONU n’est pas en mesure de confirmer.

– Tueurs: Au moins 13 individus apparaissent sur la vidéo, dont quatre qui sont identifiables. Ce sont tous des hommes adultes. Les principaux donneurs d’ordres restent hors champ. Tous ceux qui sont visibles à l’image portent des bandeaux ou des foulards, de bonne fabrique et en bon état, des bouts de tissus rouges accrochés à leurs armes. Ce sont des signes distinctifs des adeptes de Kamuina Nsapu. La plupart sont armés de fusils calibres 12. Au moins deux ont en main des armes blanches.

– Langues employées: Pour l’essentiel, le tshiluba et le français. Deux d’entre eux, les donneurs d’ordres, ne sont pas des locuteurs natifs du Tshiluba et ils emploient des mots en swahili et en lingala. Or les adeptes de Kamuina Nsapu, en particulier dans le territoire de Dibaya où est née l’insurrection, considèrent les autres langues, comme le swahili ou le lingala, comme des langues impures (la langue des tunguluba, les petits cochons).

* Il s’agit d’une exécution préméditée et préparée. Le chef de l’opération est l’auteur de la vidéo.

* Les tueurs forment un groupe hétéroclite, en termes de langues, d’origines et de rapport au système de croyance des Kamuina Nsapu.

 

b. Les victimes

 

Dès  le début de la vidéo, Michael J Sharp et Zaida Catalan ne portent plus de bijoux, de chaussures, ni de sacs. Ils marchent librement, mais semblent tous les deux inquiets. Leurs accompagnateurs ne semblent pas présents à l’image. Le premier coup de feu est tiré un peu plus de deux minutes après le début de l’enregistrement.

→Ils sont dépouillés avant d’être exécutés. On leur dit qu’ils vont se rendre dans une Tshiota, un centre d’initiation et Quartier général des Kamuina Nsapu, pour rencontrer un «chef», mais on les prive de leurs biens et sans doute de leurs accompagnateurs, ce qui peut expliquer en partie leur inquiétude. Certains féticheurs exigent que les futurs adeptes se déchaussent avant de rentrer dans une Tshiota. Mais il n’y a pas de raison de se déchausser dans la marche d’approche. Pour les futurs assassins, l’intérêt semble plutôt d’empêcher les deux experts de s’enfuir.

→Ils se présentent comme étant des enquêteurs du Conseil  de sécurité. Même si le cadre n’est pas tout à fait clair, les mots «Conseil de sécurité» sont prononcés dans le cadre d’une conversation qui vise à rassurer les experts quelques secondes avant leur exécution. Les deux experts auraient été invités à s’assoir au milieu de la brousse pour attendre l’arrivée d’un «chef qui pourra donner des ordres».

→Ils doivent  être exécutés «sans même comprendre»: c’est ce que dit le principal donneur d’ordres, mais c’est faux.  Michael J Sharp et Zaida Catalan ont compris, avant le premier coup de feu, que la situation était grave, malgré des paroles rassurantes.

▪ Michael J Sharp: L’expert américain est, jusqu’à la décapitation de sa collègue Zaida Catalan, le principal protagoniste de la vidéo. La caméra est toujours braquée sur lui. Il est le premier touché par un tir et le premier insulté. Avant  le crime, c’est lui que les donneurs d’ordres et les exécutants cherchent à rassurer. Michael J Sharp est spécialisé dans l’étude des groupes armés, car il a  cinq ans d’expérience au Congo. Il essaie d’obtenir des informations sur la destination précise de leur marche et souligne que le groupe s’aventure plus loin que ce qui était annoncé. Il met très vite en cause ses interlocuteurs, les accusant de «mentir». Il note également qu’il y a  «beaucoup d’armes» au sein de ce groupe, notamment beaucoup d’armes à feu. Malgré les paroles rassurantes de ses interlocuteurs, et leur volonté de distraire son attention, Michael J Sharp dénonce le caractère hostile de ses interlocuteurs («Moi, est ce que je suis venu vous attaquer ici?»).

▪ Zaida Catalan: L’experte suédoise ne parle pas. Sa voix n’est audible que quelques secondes avant le meurtre («Moi, j’ai des enfants»). Elle cherche à s’humaniser, preuve qu’elle est également consciente de la gravité de la situation.  Durant les deux premières minutes, elle marche plus vite que son collègue, à distance du groupe formé autour de lui et ne fait l’objet d’aucune attention particulière.

 

c. Les principaux auteurs de l’exécution

 

Dans la vidéo, le principal donneur d’ordres (donneur d’ordres 1) est le personnage clef. Il cherche à contrôler l’essentiel du groupe et à aller vite, mais «l’opération» dure plus longtemps qu’il ne l’aurait souhaité. Il a un cahier des charges précis: la vidéo, la nécessité de ne pas effrayer les experts et de faire vite, l’exécution des deux experts et la décapitation de Zaida Catalan. Il est le chef d’une opération et semble être, par ses connaissances linguistiques et culturelles, le trait d’union entre deux groupes aux comportements distincts. Lui‐même évoque l’existence d’un «pacte».

 

 Les «étrangers»: Ce groupe, coutumier de la violence, est chapeauté par les donneurs d’ordres 1 et 2. Il ne semble pas avoir besoin de discuter ou de débattre de la marche à suivre et interagit peu avec les autres protagonistes. Parmi eux se trouvent les présumés tireurs.

 

 Les «locaux»: Ce groupe est composé du donneur d’ordres 3 et des exécutants. Il est au contact des experts, ne semble pas disposer du même niveau d’information et hésite à mener à bien «l’opération» jusqu’au bout. Les «locaux» débattent entre eux. Ce sont eux qui posent, pour l’essentiel, les actes rituels, comme ceux de prononcer des formules incantatoires ou de couper les cheveux.

 

Le donneur d’ordres 1: C’est le principal donneur d’ordres dont la voix est la plus facilement identifiable. Il parle essentiellement français et tshiluba mais, après l’assassinat, il se trompe de langue et il insulte les victimes en swahili. Sa manière de se corriger indique, non seulement qu’il     n’est pas un locuteur natif du Tshiluba, mais qu’il cherche à dissimuler sa véritable origine. Le tshiluba est son deuxième univers linguistique, dont il est plutôt un bon locuteur. Il connait bien également la culture locale, ce qui laisse penser qu’il a vécu plusieurs années entouré de lubaphones, voire que l’un de ses parents serait luba. Il filme, et il donne l’ordre de tuer, alors que certains des acteurs hésitent et disent préférer attendre l’arrivée du «chef». Il tire lui‐même sur les deux victimes. Son arme est visible à 2 min 27. Mais il ne semble tirer qu’à 2 min 32, la caméra a un mouvement de recul lors d’un second coup de feu qui vise Michael J Sharp. Il mêle insultes et formules rituelles dans les mêmes phrases. À 3 min 24, il tire le dernier coup de feu sur Zaida Catalan. C’est lui également qui ordonne et fait le suivi de la décapitation de l’experte suédoise.

Il semble pressé d’en terminer, quand certains des protagonistes, les exécutants, hésitent et se contentent de couper les cheveux des victimes, en prononçant des formules incantatoires.

 

Le  donneur d’ordres 2: C’est de loin le personnage le plus difficile à saisir. Il semble absent de la vidéo avant le meurtre et semble disparaître après. Il donne uniquement l’ordre de tirer en français et lingala («tirez, tirez lisusu»). Et ses ordres sont respectés quatre fois, dont deux par le donneur d’ordres 1, ce qui semble indiquer un lien hiérarchique. Ensuite, il continue d’appeler à tirer, mais hors champ. Une partie des présumés miliciens débattent entre eux et commencent alors à utiliser des formules incantatoires. Sa voix disparait avant la décapitation de Zaida Catalan. L’autre particularité de cette voix, c’est qu’elle est à la fois distante et distincte. Le donneur d’ordres 2 semble toujours être à la même distance de la caméra et du donneur d’ordres 1. Il n’est jamais visible à l’écran.

 

Le donneur d’ordres 3: Il est difficile de l’identifier à l’image, sa voix est distincte en tshiluba. Il semble relayer les ordres en tshiluba du donneur d’ordres 1 et être son principal répondant. Ses ordres sont pour l’essentiel suivis par les exécutants. Il n’est pas exclu qu’il s’agisse de l’exécutant 2 (plus facilement identifiable en français), qui semble jouer un rôle prépondérant dans le groupe.  La différence de voix pourrait s’expliquer par le changement de langue ou la distance entre le locuteur et la caméra.

 

Les tireurs: En dehors du donneur d’ordres 1, il y a plusieurs présumés miliciens qui tirent sur les deux experts. C’est parfois difficile d’identifier l’auteur du coup de feu. Mais ceux qui pourraient être à l’origine de ces tirs sont tous armés de fusils de chasse et ont un comportement similaire dès le début de la vidéo. Ils n’interagissent pas avec les experts, parlent peu ou pas, surveillent ou créent un périmètre autour d’eux et des principaux exécutants. C’est le cas du milicien à la chemise blanche et au foulard rouge, qui tire au moins une fois et sera le premier à tenter de décapiter Zaida Catalan. L’autre cas emblématique c’est celui du présumé milicien au polo rouge. Il a pris de l’avance sur le groupe et est assis, lorsque les experts arrivent sur le lieu de leur exécution. Il se tient dos à eux. Il se relève avant même que le donneur d’ordres 1 ne demande à deux exécutants d’arrêter de parler avec des gestes. Les «tireurs» semblent  répondre uniquement aux instructions des donneurs d’ordres 1 et 2.

 

Les exécutants: Les deux principaux exécutants (exécutants 1 et 2) sont ceux qui ont le plus de contacts avec les deux experts onusiens. Ils ne sont pas armés de fusil. L’exécutant 2 est armé d’un couteau et recevra l’ordre, par le donneur d’ordres 1, d’assister le présumé milicien à la chemise blanche et au foulard rouge dans la décapitation. Lui ne semble être intéressé que par les cheveux des victimes. Parmi ceux qui s’intéressent au fait de couper une mèche de cheveux aux experts onusiens, il y a le présumé milicien à la chemise noire qui fuit au premier coup de feu, mais qui reste jusqu’à la fin de l’opération et qui dispose d’un fusil de chasse. L’homme à la tunique rouge, que l’on voit au loin au début de la vidéo, vient aussi couper une mèche de cheveux. [4]

 

 

4. L’OUVERTURE DU PROCÈS CONGOLAIS CONTRE LES PRESUMÉS AUTEURS DE L’ASSASSINAT DES DEUX EXPERTS DE L’ONU 

 

Le 5 juin, le tribunal militaire de Kananga, capitale de la province du Kasaï-central, a ouvert le procès contre les présumés assassins des deux experts de l’ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp.

Dans ce dossier, 16 personnes sont accusées, mais seules deux se trouvent dans le box des accusés. Il s’agit d’Evariste Ilunga Lumu, âgé de 16 ans, un élève qui s’apprêtait à passer son baccalauréat dans quelques jours, et de Mbayi Kabasele, âgé de 30 ans, un coupeur de noix de palme. Ils sont poursuivis pour « crime de guerre par meurtre, par mutilation, terrorisme, participation à un mouvement insurrectionnel ». Les avocats de la défense ont soulevé des objections de forme, pour démontrer l’incompétence du tribunal militaire et dénoncer «l’obscurité» du libellé des accusations. «Le tribunal militaire de Garnison de Kananga est incompétent pour traiter de l’affaire, de par les personnes qui y sont déférées (deux civils) et de par la matière à traiter», s’est plaint Me Serge Miseka. L’audience a été renvoyée au 12 juin sur demande du ministère public, le temps pour préparer sa réponse.[5]

 

Le 12 juin, le tribunal militaire de Kananga a poursuivi le procès des présumés assassins des experts de l’ONU. Pendant l’audience, un débat a eu lieu sur l’âge de l’un des prévenus, Evariste Ilunga. Selon les procès-verbaux du ministère public, le prévenu Ilunga est né en 1995 tandis qu’à la première audience, ce dernier a déclaré être né en 2000. Sa défense exige qu’il soit renvoyé devant le tribunal pour enfant. Pour sa part, le juge a décidé de renvoyer le prévenu Evariste Ilunga devant un médecin afin de vérifier son âge.

Autre problème soulevé par la défense, celui de la juridiction devant laquelle se tient ce procès. Un tribunal miliaire alors que les prévenus sont des civils. Pour les avocats de la défense, le tribunal militaire devrait donc être déclaré incompétent.

Enfin, la qualité des procès-verbaux est mise en doute par les avocats des prévenus. Ils estiment que les interrogatoires se sont déroulés dans des conditions irrégulières avec des agents qui n’ont pas décliné leur identité. Ils demandent donc le rejet de ces PV. Trois objections de vice de procédure selon les avocats de la défense, sur lesquelles le juge a promis de statuer après 48 heures, le 14 juin.[6]

 

Le 14 juin, l’audience qui portait sur l’examen du rapport médical en rapport avec l’âge du prévenu Ilunga a été suspendue. Elle devra reprendre le vendredi 16 juin. Le ministère public et la défense ne se sont pas mis d’accord sur le rapport du médecin qui a confirmé que le prévenu Ilunga est majeur. Pour Me Hubert Ngulandjoko, un membre de la défense, la procédure de la désignation du médecin qui a établi ce rapport «n’étant pas régulière», il ne pouvait pas «accorder un crédit à ce rapport». En effet, poursuit-il, le rapport a été établi par un médecin généraliste, alors que « seul un médecin légiste » est habilité à établir ce rapport. «A Kananga, étant donné qu’il n’y a pas un médecin légiste, nous avons souhaité que notre client soit transféré à l’Hôpital général de référence de Kinshasa pour des examens appropriés. La juridiction a jugé utile de nous envoyer à l’hôpital de la Police. Nous attendons la suite du rapport», promet Me Hubert Ngulandjoko.[7]

 

Le 23 juin, le tribunal militaire de Kananga a repris les audiences du procès des assassins présumés des deux experts de l’ONU. Dans ce dossier, 18 personnes sont accusées, mais seules quatre se trouvent dans le box des accusés pour le début des interrogatoires: un élève, un coupeur de noix de palme et deux pêcheurs. L’un d’entre eux est aussi chef de village. Ils ont été interrogés sur leur appartenance au mouvement Kamuina Nsapu. Mais tous ont nié en faire partie. Et selon leur avocat, le ministère public n’a pu apporter aucune preuve pour démentir leur propos.[8]

 

Le 26 juin, le tribunal militaire de Kananga a poursuivi l’instruction dans deux affaires portant sur le meurtre de deux experts de l’Onu. Dans la première cause, le magistrat militaire a présenté outre les deux prévenus habituels Evariste Ilunga et Daniel Mbayi Kabasele, deux autres prévenus arrêtés la semaine dernière au village Moyo Musuile à environ 50 Km à l’Est de Kananga. Aux dires du magistrat militaire, les prévenus ont été arrêtés à côté du puits dans lequel était enfouie l’une des motos du cortège des experts de l’Onu en mars dernier.

Dans la deuxième affaire, qui a des liens avec la première, le parquet militaire poursuit cinq policiers de l’infraction d’évasion de détenu. Dans cette deuxième affaire, le parquet militaire a requis la prison à perpétuité contre les 5 policiers, dont un est en fuite. Ces policiers sont accusés d’avoir fait évader un des principaux suspects du meurtre des experts de l’Onu à Bunkonde.[9]

 

Le 7 juillet, le tribunal militaire de Kananga (Kasaï Central) a consacré son audience au débat sur la vidéo de l’exécution des experts de l’Onu en mars dernier, dans la localité de Moyo Musuile, à environ 50 kilomètres de Kananga (Territoire de Dibaya). Dans une correspondance transmise au juge président du tribunal militaire et lue séance tenante par son avocat, le principal suspect dans le meurtre, Évariste Ilunga Lumu, a rejeté l’authenticité de la vidéo de l’exécution des experts projetée à l’audience du 5 juillet 2017.

Pour le prévenu Ilunga, c’est un montage des FARDC. «Jamais de mémoire des Congolais, les miliciens n’ont filmé leurs actes. L’histoire de filmage de ce genre de scènes remonte à l’assassinat du colonel Mamadou Ndala et les auteurs étaient les FARDC», peut-on lire dans la correspondance.

Le prévenu Ilunga dit n’être pas concerné par cette vidéo et exige une expertise des “professionnels” en la matière et des examens ADN sur l’arme trouvé sur le lieu du crime.

Le tribunal militaire a jugé cette requête de “manœuvre” tendant à retarder le déroulement du procès et a décidé de s’en débarrasser.

Le tribunal a demandé aux parties de déposer la liste de leurs témoins et l’auditeur militaire à cité 6 témoins à charge, dont trois majeurs. Il s’agit du capitaine Mbuara Muiza Issa, chargé des opérations à la 5ème brigade basée à Kananga et commandant du secteur de Bunkonde au moment des faits; de Jean Bosco Mukanda Mbukanda Mbuyangandu par qui la nouvelle du meurtre des experts s’était répandu et de Kapelayi Mbueka qui aurait vu Évariste Ilunga “en possession de la tête de Zaïda Catalan”. La prochaine audience est fixée à lundi 17 juillet 2017, afin de permettre au greffier d’atteindre tous les témoins cités.[10]

 

 

5. LA CONCLUSION DU PROCÈS CONTRE LES MILITAIRES ACCUSÉS DU MEURTRE DE MWANZA LOMBA

 

Le 6 juillet, le tribunal militaire de Mbuji-Mayi a condamné huit militaires à des peines allant de 12 mois à la prison à perpétuité, pour le meurtre de civils à Mwanza Lomba (Kasaï Oriental). Le tribunal militaire jugeait au total 9 militaires: deux ont été condamnés à 20 ans, trois à 15 ans, un à 12 mois. Deux militaires en fuite ont été condamnés par défaut à la prison à perpétuité, et le neuvième a été acquitté. Ce dernier était chargé de garder le véhicule et les munitions pendant les faits. Les militaires en fuite et ceux ayant écopé de 20 et 15 ans de prison sont condamnés notamment pour meurtre et dissipation de munitions. Celui condamné à 12 mois l’a été pour non dénonciation de l’infraction commise par des agents militaires.[11]

[1] Cf texte complet: http://webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences-crimes-kamuina-nsapu/chap-03/

[2] Cf L’Agence d’information.com, 07.04.’17

http://www.lagencedinformation.com/110-rdc-kasai-assassinat-des-experts.html;

Baudouin Amba Wetshi – Congoindépendant, 29.03.’17

http://www.congoindependant.com/article.php?articleid=11604

[3] Cf Politico.cd, 08.05.’17  http://www.politico.cd/actualite/2017/05/08/video-de-lassassinat-experts-de-lonu-these-kamuina-nsapu-remise-cause.html

[4] Cf Texte complet: http://webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences-crimes-kamuina-nsapu/chap-03/pdf/analyse-video-assassinat-experts.pdf

[5] Cf RFI, 05.06.’17; AFP – Africatime, 05.06.’17; Radio Okapi, 05.06.’17

[6] Cf RFI, 12.06.’17; Radio Okapi, 12.06.’17; Sosthène Kambidi – Actualité.cd, 12.06.’17

[7] Cf Radio Okapi, 15.06.’17

[8] Cf RFI, 24.06.’17

[9] Cf Sosthène Kambidi – Actualité.cd, 26.06.’17

[10] Cf Sosthène Kambidi – Actualité.cd, 07.07.’17

[11] Cf AFP – Africatime, 06.07.’17