Congo Actualité n.213

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: une loi fondée sur l’arbitraire

1. LA PROMULGATION DE LA LOI SUR L’AMNISTIE

2. L’OPERATION «SOKOLA» [NETTOYEZ] CONTRE LES ADF

3. DES COMBATS ENTRE L’ARMÉE ET L’APCLS

4. LA «CARAVANE DE LA PAIX» DE VITAL KAMERHE

ÉDITORIAL: une loi fondée sur l’arbitraire

1. LA PROMULGATION DE LA LOI SUR L’AMNISTIE

Le 11 février, le chef de l’Etat Joseph Kabila a promulgué la loi sur l’amnistie, une loi qui couvre les faits insurrectionnels, les faits de guerre et les infractions politiques commis sur le territoire de la RDCongo, au cours de la période allant du 18 février 2006, date de la promulgation de la Constitution, au 20 décembre 2013, correspondant à l’expiration de l’ultimatum lancé à tous les groupes armés à déposer les armes.

Cette mesure de clémence emporte les effets suivants:

− pour les faits infractionnels qui ne font pas encore l’objet de poursuites, l’action publique s’éteint;

− si les poursuites sont en cours, elles cessent immédiatement;

− les condamnations non encore revêtues de l’autorité de la chose jugée sont anéanties et celles devenues irrévocables sont considérées comme n’ayant jamais été prononcées.

En tout état de cause, bien qu’ayant perdu leur caractère infractionnel, les faits amnistiés laissent subsister la responsabilité civile de leurs auteurs.

Article 1

Sont amnistiés les faits insurrectionnels, les faits de guerre et les infractions politiques commis sur le territoire de la RDCongo au cours de la période allant du 18 février 2006 au 20 décembre 2013.

Article 2

Est éligible à l’amnistie tout Congolais auteur, co-auteur ou complice des faits infractionnels visés à l’article premier de la présente loi.

Article 3

Aux termes de la présente loi, on entend par:

a. faits insurrectionnels, tous actes de violence collective, commis à l’aide de menaces ou avec des armes, dans le but de se révolter contre l’autorité établie en vue d’exprimer une revendication ou un mécontentement;
b. faits de guerre, les actes inhérents aux opérations militaires conformes aux lois et coutumes de la guerre qui, à l’occasion d’un conflit armé, ont causé un dommage à autrui;

c. infractions politiques:

 − les agissements qui portent atteinte à l’existence, à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics;

− les actes illégaux d’administration ou de gestion du territoire dont le mobile et/ou les circonstances revêtent un caractère politique;

− les écrits, images et déclarations appelant à la révolte contre l’autorité publique ou réputés tels.

Article 4

Sont exclus du champ d’application de la présente loi, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le terrorisme, les infractions de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, les infractions de viol et autres violences sexuelles, l’utilisation, la conscription ou l’enrôlement d’enfants et toutes autres violations graves, massives et caractérisées des droits humains.

Sont également exclus, les infractions de détournement des deniers publics et de pillage, de même que les infractions à la réglementation de change et le trafic des stupéfiants.

Article 5

Pour bénéficier de l’amnistie, les auteurs, co-auteurs ou complices des faits insurrectionnels et des faits de guerre visés par la présente loi sont tenus préalablement de s’engager personnellement, par écrit, sur l’honneur, à ne plus commettre les actes qui font l’objet de la présente amnistie.

L’engagement est pris par tout prétendant à l’amnistie, fugitifs et latitants compris, dans un délai de six mois, auprès du Ministre de la justice, à dater de la publication de la présente loi au Journal officiel. Toute violation de cet engagement rendra automatiquement nulle et non avenue l’amnistie ainsi accordée et disqualifierait l’auteur de cette violation du bénéfice de toute amnistie ultérieure.

Article 6

La présente loi ne porte pas atteinte aux réparations civiles, aux restitutions des biens meubles et immeubles ainsi qu’aux autres droits et frais dus aux victimes des faits infractionnels amnistiés.

Article 7

La présente loi entre en vigueur à la date de sa promulgation.[1]

Le 24 février, à Kinshasa, un ancien cadre de la rébellion du M23, Moïse Tshembo Tshokwe, aurait été enlevé au moment où il revenait d’un rendez-vous – qui n’aurait pas eu lieu – avec le Procureur général de la République. Il était parti voir le procureur général pour s’enquérir des modalités d’application de la loi d’amnistie. Son épouse, Mireille Tshokwe, qui a livré cette information depuis Lubumbashi, soupçonne des agents de l’Agence nationale de renseignement (ANR) d’avoir opéré ce kidnapping. «Il s’est fait que mon mari n’avait pas pu rencontrer le PGR. 20 minutes après, mon mari était dans son véhicule avec son assistant comme chauffeur. Ils se sont retrouvés sur le boulevard [du 30 juin] quelques minutes après, tamponné par un véhicule d’où ont surgi des individus qui ont pris de force brutalement mon mari pour l’emmener vers une destination inconnue. Mais fort heureusement l’assistant de mon mari qui avait reconnu ces individus m’a rapporté que c’était des éléments de l’ANR», a-t-elle déclaré. Le Procureur général de la République a dit ne pas être au courant de cette affaire, ni avoir eu un rendez-vous avec Moïse Tshembo. Il a toutefois promis de vérifier ces informations. Moïse Tshembo avait rejoint l’ancienne rébellion du M23 après son échec aux élections législatives de 2011.[2]

Le 3 mars, concernant la question de l’Amnistie telle que préconisée par l’Accord-cadre de Addis-Abeba, le secrétaire exécutif de la CIRGL, Ntumba Lwaba, a affirmé que les ex rebelles du M23, vivants désormais au Rwanda ou en Ouganda, ont un statut des réfugiés. De ce fait, des missions de identification et de vérification sont envisagées et associeront l’ensemble des services de l’Etat congolais. «L’étape suivante consistera à la signature, par les ex-membres du M23, d’un engagement personnel de renonciation à la rébellion et d’acceptation de se soumettre à toute les exigences de la loi d’amnistie. Et ensuite, on leur donnera la possibilité de se transformer en parti politique et de participer à la vie nationale», a annoncé Ntumba Lwaba.[3]

Selon maître Hamuly Réty, qui prône la création d’un Tribunal pour les crimes commis en RDCongo, «la loi sul l’amnistie sera inapplicable, car elle repose sur l’arbitraire. Qui va décider de qui a fait quoi pendant le conflit? Qui a violé? Qui a pillé? Ce ne sont pas aux politiques de décider, mais plutôt à la justice». Hamuly Réty craint que ce processus ne serve qu’à «blanchir les membres du M23 qui entreront dans le futur gouvernement d’union nationale promis par Joseph Kabila». Un nouveau gouvernement, qui selon certaines informations, devrait voir le jour avant la reprise de la session parlementaire du 15 mars prochain.

Le président du comité national de suivi de l’application des accords de Addis Abeba, François Muamba, explique que, contrairement aux autres accords de paix, «il n’y a pas d’amnistie en bloc des rebelles du M23, mais une amnistie au cas par cas et individuelle». Concernant les hauts responsables du M23, «200 à 300 personnes» selon François Muamba, «ils sont tous concernés par des sanctions internationales et coupables de crimes de guerre et ne sont donc pas éligibles à l’amnistie».

Un responsable de l’ex-rébellion attend patiemment la liste des personnes éligibles pour l’amnistie et espère que «le gouvernement tiendra ses engagements». Concernant les critères de l’amnistie, ce responsable est assez clair: «ce que nous demandons, c’est une amnistie totale, du simple caporal à Sultani Makenga» (le chef militaire du mouvement, ndlr). Une demande qui contraste avec l’ordonnance du 11 février qui prône au contraire une amnistie «sélective». Une crainte qui «inquiète» le patron du M23, Bertrand Bisimwa, qui redoute l’exclusion des chefs rebelles de la loi d’amnistie: «nous sommes dans un pays de droit. Les principes des droits veulent que des personnes qui sont accusées et font objet des soupçons ne soient pas sanctionnées avant que leur culpabilité ne soit prouvée».

Une chose est sûre, les risques de nouvelles tensions sont grandes entre ex-rebelles et gouvernement. Les choix pour Joseph Kabila sont tous délicats: accepter l’amnistie générale le mettrait en porte-à-faux avec son opinion publique, alors que faire une amnistie sélective risque de lui attirer les foudres des rebelles exclu. Les dilemmes sont les mêmes concernant un gouvernement d’union nationale avec ou sans M23. Le président congolais pourrait donc trouver une délicate combinaison pour ménager les rebelles, tout en donnant des gages à son opposition en ouvrant sa majorité. L’équation est complexe.[4]

La loi d’amnistie risque de confirmer une jurisprudence qui consacre désormais le règne de l’impunité. Rien de surprenant quand on sait que la RDC est habituée à accorder depuis l’accord global et inclusif de 2003 une prime de guerre à ceux qui tuent, pillent et violent sur son sol.

Accusé de graves crimes commis dans l’Est, pendant tout le temps de son occupation, l’ex-M23 vient de recevoir un visa en bonne et due forme pour un retour à la vie normale au milieu des ceux-là même qu’il a violentés, violés et martyrisés il y a peu.

Du coup, tous les actes commis par le M23, classés autrefois dans la catégorie des crimes de guerre passables des sanctions autant devant les juridictions nationales qu’internationales, sont mués en simples faits de guerre ou insurrectionnels, rendant leurs auteurs éligibles à l’amnistie.

«A l’exception d’un petit groupe d’individus, les 1600 membres du M23, signalés en Ouganda, et des centaines d’autres ayant fui au Rwanda, selon les autorités des deux pays, devraient revenir sereinement au Congo et parader au milieu des populations qu’ils ont martyrisées 19 mois durant», rappelle Boniface Musavuli.

Au Rwanda, les auteurs du génocide de 1994 sont toujours poursuivis. La communauté internationale ne s’est jamais empressée de pousser ce pays à adopter une quelconque loi d’amnistie, pour oublier les crimes commis sur son sol. Ce qui n’est pas le cas de la RDC où des lois d’amnistie se sont succédé pour passer l’éponge sur ces pages noires de l’histoire de la RDC.

En RDC, sous la pression de la communauté internationale, à chaque rébellion correspond une loi d’amnistie.

Pourquoi exige-t-on toujours de la RDC ce qu’on ne réclame pas ailleurs ? Pourquoi donc cette politique de deux poids deux mesures? Car, comment comprendre que des gens qui ont tué, massacré et violé soient du coup graciés au nom d’une amnistie bâtie sur les impératifs de la cohésion nationale. Non! Cette injustice a trop duré. Il est temps d’y mettre fin.[5]

Ce qui pose véritablement problème, c’est l’enthousiasme avec lequel cette loi (d’impunité) a été approuvée par la communauté internationale.

Ainsi, dès le lendemain de l’adoption du projet de loi par l’assemblée nationale, les envoyés spéciaux de la communauté internationale se sont empressés de publier un communiqué conjoint dans lequel ils saluaient une «loi historique» qui va «dans la bonne direction» et qui apportera «une paix durable dans l’Est du Congo».

Le document a été signé par cinq personnalités tout à fait respectables: Mary Robinson, envoyée spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs ; Martin Kobler, représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en RDC ; Boubacar Diarra, représentant spécial de l’Union africaine pour les Grands Lacs ; Russell Feingold, envoyé spécial de Barack Obama pour les Grands Lacs et la RDC et Koen Vervaeke, coordonnateur principal de l’Union Européenne pour la région des Grands Lacs.

Ce n’est pourtant pas la première fois que des personnalités de renommée internationale s’engagent sur des textes qui consacrent l’impunité au Congo. Les accords du 23 mars 2009, dont se prévaut le M23, avaient été parrainés par deux anciens présidents africains: le Nigérian Olusegun Obasanjo et le Tanzanien Benjamin Mkapa. Mais lorsque les combattants rwando-ougandais ont déclenché la guerre en avril 2012, les deux parrains des accords ont tout simplement choisi d’être discrets.

Ce qui, naturellement, donne à penser que lorsque le M23, dont on sait qu’il se réorganise au Rwanda et en Ouganda, redeviendra un problème au Congo, les cinq personnalités ne seront pas là pour assumer les conséquences de la loi d’amnistie. Ce sont, à nouveau, les populations congolaises qui feront les frais de la culture d’impunité consacrée par le texte que la communauté internationale s’est empressé d’acclamer en passant sous silence le sort des millions de victimes.

En tout cas, cette communauté internationale vient de cautionner une loi qui assure la totale impunité aux individus impliqués dans la mort de plus de six millions de Congolais.
Impunité totale parce que cette loi d’amnistie se traduit par trois catégories des membres du M23, tous devant échapper à la justice.

La première catégorie est celle des personnes qu’on estime ne pas être impliquées dans les «crimes graves». Ces personnes, la majorité, vont revenir au Congo et, certainement, intégrer les institutions (armée, administration).

La deuxième catégorie est celle des membres du M23 se trouvant en prison. Ils vont être libérés, puisque les engagements de Nairobi prévoient la libération des membres du M23 (engagement n. 3).

La troisième catégorie est celle des personnes figurant sur différentes listes, de sanction notamment. On n’imagine pas ces personnes revenir au Congo. Elles continueront à vivre libres au Rwanda et en Ouganda.

Résultat du calcul, tous les membres du M23 sont partis pour rester libres comme l’air malgré les atrocités qu’ils ont fait subir aux femmes et aux enfants dans l’Est du Congo (massacres, viols, pillages, assassinats). Et ils doivent leur totale liberté à une loi votée par le parlement congolais et approuvée par la communauté internationale. Une véritable honte![6]

 2. L’OPERATION «SOKOLA» [NETTOYEZ] CONTRE LES ADF

 

Le 11 février, l’administrateur du territoire de Beni, Amisi Kalonda, a appelé les populations de certaines localités à reprendre leurs activités champêtres. Il s’agit notamment des villages: Abialose, Makembi, Matukaka, Kinziki, Kangwayi et Totolito, jadis occupés par les miliciens ougandais des ADF [Forces démocratiques alliées] et désormais pacifiés et contrôlés par l’armée régulière suite à l’opération «Sokola» [Nettoyez] débutée  mi-janvier.[7]

Le 13 février, le porte-parole de l’armée congolaise au Nord-Kivu, le colonel Olivier Hamuli, a annoncé que les Forces Armées de la RDC (FARDC) contrôlent désormais tous les grands bastions des rebelles ougandais des ADF dans le territoire de Beni. «Depuis qu’on a déclenché l’opération [Sokola] le 16 Janvier, nous pouvons dire que nous sommes déjà à trois quart de notre travail. D’autant plus que, les plus grands bastions [des ADF] entre autres le sanctuaire de Nadwi, le sanctuaire de Mwalika, Chuchubo, Makoyova 1 et 2 sont passés sous contrôle des FARDC avec succès», a affirmé le colonel Hamuli.[8]

Le 14 février, en début d’après-midi, les militaires congolais ont officiellement fait leur entrée dans les villages de Naboli et Kamango, deux localités de la chefferie de Watalinga situées à environ 90 kilomètres au Nord-Est de Beni-Ville. Les FARDC contrôlent désormais l’axe Mbau-Kamango. Le chef de la chefferie de Watalinga, Saambili Bamukoka, confirme ces informations. Il regrette toutefois que des otages pris par des ADF aient été tous abattus par ce groupe rebelle. «Nous déplorons la découverte des fausses communes au niveau de Mukakati. Beaucoup des gens qu’on prétendait être des otages, ils ont été abattus, ils ont été égorgés», a fustigé Saambili Bamukoka.

Au cours d’une conférence de presse à Kinshasa, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a affirmé que «le bilan provisoire des combats pour le désarmement de l’ADF est le suivant: côté FARDC: 22 morts; 68 blessés, une Jeep sur laquelle était montée une mitrailleuse 14.5 incendiée. Côté ennemi (ADF): 230 morts; 65 armes individuelles, 30 vélos et 20 motos récupérées; des produits pharmaceutiques et plusieurs téléphones portables et motorolas récupérés; plusieurs bombes artisanales récupérées, ce qui démontre bien le caractère terroriste de ce groupe armé».[9]

Pris en tenaille entre Mutanga au sud et Kamango au nord, bon nombre de rebelles de l’ADF se seraient repliés dans une portion du parc des Virunga, entre ces deux localités. C’est une région de forêt dense où il est impossible de mener une offensive classique. L’armée congolaise se prépare donc à des opérations de contre-guérilla face à des rebelles très bien entraînés et qui connaissent parfaitement le terrain. L’autre enjeu c’est de réussir à sécuriser les zones reconquises. Beaucoup craignent l’arrivée d’infiltrés qui pourraient mener des attaques ciblées.[10]

Le 28 février, des ONG de la société civile du Nord-Kivu ont accusé des militaires chargés de lutter contre les rebelles ougandais de l’ADF de se livrer à des assassinats, des viols et des pillages. Les militaires mis en cause sont ceux de la 31e brigade qui, selon la société civile, «se comportent très mal, ils tuent, ils violent, ils extorquent de l’argent, des téléphones, échangent des tirs avec la police». La Société civile du Nord-Kivu a annoncé que «les civils du territoire de Beni ont suspendu leurs contributions volontaires (vivres, eau et autres) jusqu’à ce que ces militaires et leurs commandants soient rappelés à l’ordre, à la discipline et au respect des droits humains».[11]

Le 28 février, à Beni, le porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, le colonel Olivier Amuli, a appelé les rebelles ougandais des ADF qui refusent encore de désarmer à déposer les armes, avant l’assaut final de l’armée congolaise contre eux. Il les a invité à se rendre volontairement à la Monusco ou à l’armée congolaise.[12]

 3. DES COMBATS ENTRE L’ARMÉE ET L’APCLS

Depuis le mois de janvier, des miliciens de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS), alliés des Maï-Maï Nyatura, ont multiplié les attaques contre l’armée déployée dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu. Venus de Lukweti et Nyabiondo, au Nord du chef lieu du territoire de Masisi, ils avaient établi leur base avancée à Kahira, au sud-ouest de Kitshanga. Ces miliciens avaient l’intention de déloger de Kitshanga les soldats du 804e régiment, constitués majoritairement des ex-CNDP.[13]

Dirigée par le « général » Janvier Buingo Karayiri, un déserteur des FARDC, l’APCLS a été créée en 2008 pour faire face à la menace du CNDP contre la communauté hunde. L’APCLS, qui interagit avec certaines factions des FARDC, des rebelles hutu rwandais des FDLR-Foca et des hutus congolais des Maï-Maï Nyatura, totalise environ 1.500 hommes et serait impliqué dans l’extraction de tantale (utilisé dans les téléphones portables) à Masisi.

Formés en 2010, les Maï-Maï Nyatura sont une milice congolaise hutue qui a collaboré avec les FDLR, les FARDC et l’APCLS contre le M23. Le groupe prétend protéger les intérêts des Hutus congolais contre les anciens officiers du CNDP et du M23.

Ces quelques informations que nous nous donnent le cadre de la complexité de la situation.
Beaucoup de groupes armés congolais sont nés comme des groupes d’auto – défense, de résistance et d’opposition aux différents groupes armés (AFDL, RCD, CNDP et M23) qui, avec une connotation tutsie, ont surgi avec le soutien du régime rwandais. Il est donc compréhensible que de nombreux groupes armés congolais, tels que l’APLCS et les Maï-Maï Nyatura, aient pu collaborer avec certains secteurs de l’armée régulière pour lutter ensemble d’abord contre le CNDP et ensuite contre le M23. D’autre part, lorsque les combattants du RCD et du CNDP ont été intégrés dans l’armée régulière, suite à des accords très obscurs, ils sont restés dans le Kivu (c’était une de leurs revendications). En outre, ils constituent la majorité des troupes de l’armée régulière dans les Kivus, font partie de la chaîne du commandement militaire et sont regroupés en régiments spécifiques. La situation devient encore plus problématique lorsque l’armée régulière, ainsi structurée, demande aux groupes armés locaux de déposer les armes. Il est tout à fait normal qu’ils opposent une vive résistance car, s’ils étaient intégrés dans cette armée, ils devraient travailler avec ceux (les anciens RCD et les anciens CNDP) contre qui ils avaient combattu dans le passé.

Le 1er février, des combats ont opposé les Forces armées de la RDC (FARDC) et les miliciens de l’APCLS coalisés aux Nyatura, dans les localités de Kahira et Mutembere.

Plus de 700 familles déplacées vivent, depuis quatre jours, dans des conditions déplorables, dans les localités de Nyamitaba, Lushebere et Muheto. Certains d’entre eux ont trouvé refuge dans des églises et d’autres passent la nuit à la belle étoile. Ces déplacés effectuent des petits travaux manuels pour les autochtones, ce qui leur permet de gagner un peu d’argent. La plupart d’entre eux vivent de la solidarité des populations qui les accueillent.[14]

Le 7 février, des violents combats ont opposé les FARDC e les combattants de l’APCLS, alliés des Nyatura, dans les localités de Ndondo, Kibarizo et Muhanga, près de Kitchanga. Les miliciens ont délogé les militaires des deux dernières localités. Selon les sources sur place, ces combattants sont venus de Kahira, à 30 km à l’Ouest de Kitshanga. Ils ont attaqué simultanément les militaires dans ces localités situées entre 3 et 27 km, respectivement au Nord et à l’Ouest de Kitchanga. Une unité de commandos a commencé à se déployer à Kitchanga, pour venir en renfort au 804è régiment.[15]

Le 9 février, au cours d’une contre-offensive lancée tôt dans la matinée, les militaires congolais ont délogé, en début d’après-midi, les miliciens de l’APCLS des localités de Kibarizo, Muhanga et Butare dans le territoire de Masisi.

Le porte-parole de l’armée congolaise au Nord-Kivu, colonel Olivier Hamuli, affirme que les FARDC avancent vers Kahira, considéré comme le quartier général des APCLS.[16]

Le 15 février, des combats ont opposé les Forces armées de la RDC et des miliciens Nyatura à Bukombo, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu du territoire de Masisi.

Les hostilités ont été déclenchées lorsque les combattants de l’APCLS ont tendu une embuscade contre le commandant du 813ème régiment à Bondé, alors qu’il revenait d’une mission à Mungazi. Dans cet échange de tirs d’environ 2 heures, les FARDC ont réussi à repousser les combattants de l’APCLS grâce au renfort venu de Masisi. L’administrateur du territoire de Masisi a affirmé que l’armée régulière est en progression vers Nyabiondo après avoir récupéré Loashi et Bukombo.[17]

Le 16 février, des combattants de l’APCLS se sont concentrés à Nyabiondo. Ces combattants tentent d’empêcher l’avancée des Forces Armées de la RDC qui ont déjà repris le contrôle de cinq villages sur l’axe Masisi centre-Nyabiondo. Les villages libérés sont: Lwashi, Bukonde, Kahutu, Kasho et Bondé.[18]

Le 17 février, les Forces armées de la RDC se sont engagées dans les combats contre les miliciens de l’APCLS dans la région de Nyabiondo, à une dizaine de kilomètres du territoire de Masisi. Selon le porte-parole militaire dans cette province, le colonel Olivier Hamuli, l’objectif est de reprendre le contrôle de cette zone et de poursuivre les miliciens jusque dans la localité de Lukweti, à environ 10 kilomètres de Nyabiondo, le quartier général de l’APCLS.

En début d’après-midi, l’armée congolaise a délogé les miliciens de l’APCLS de la localité de Nyabiondo, considérée comme leur base avancée dans la région. Les combattants APCLS se seraient retirés à Kinyumba, localité située à 15 km plus loin.[19]

4. LA «CARAVANE DE LA PAIX» DE VITAL KAMERHE

Le 18 février, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), un des principaux partis d’opposition, Vital Kamerhe, a pu décoller pour Goma (Nord-Kivu) pour participer à une « caravane de la paix » dans la région. À deux reprises début février, Kamerhe avait été empêché de s’y rendre, officiellement pour des raisons administratives et de sécurité. Arrivé à Goma en début d’après-midi, il a été accueilli à l’aéroport par des centaines de ses partisans. Il a parcouru environ 7 kilomètres à pied entre l’aéroport et le stade Afia où il a tenu un discours. Devant des milliers de gens, il a rendu hommage aux militaires tombés au combat et demandé une minute de silence en mémoire de toutes les victimes de la guerre dans cette partie du pays. Il s’est aussi montré très critique vis-à-vis du gouvernement, dénonçant le manque de routes, d’eau potable, d’électricité et d’autres infrastructures de base dans cette capitale provinciale comme dans le reste du pays. Il a réaffirmé la nécessité d’une enquête sur l’assassinat de Mamadou. Le public qui tient Mamadou pour un héros, le symbole de victoire des FARDC sur le M-23, a exulté. Kamerhe a insisté pour que la vérité éclate. Il a dénoncé les Concertations nationales convoquées en violation de la lettre et de l’esprit de l’Accord- cadre d’Addis-Abeba quant à se recommandation pour un dialogue. Il a prévenu contre toute modification de la Constitution et toute prolongation du mandat présidentiel. Il a ainsi rappelé la date de fin mandat de Joseph Kabila, le 19 décembre 2016 à minuit. Vital Kamerhe a demandé aux groupes armés locaux de se rendre aux Forces armées de la RDC (FARDC). Pour lui, les groupes armés devraient laisser la tâche de la sécurité des civils aux FARDC et à la Monusco. Il a aussi demandé aux groupes armés étrangers de se rendre aux FARDC. Il a notamment cité les rebelles rwandais des FDLR, les ougandais des ADF et de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA). Le président de l’UNC a également invité les gouvernements de la RDCongo, du Rwanda et de l’Ouganda, mais aussi à la Monusco, de mettre sur pied un mécanisme favorisant le rapatriement volontaire des combattants des groupes armés étrangers. Le discours de Vital Kamehre a rencontré l’enthousiasme de la population.[20]

Le 20 février, Vital Kamerhe est attendu dans l’après-midi à Bukavu au Sud-Kivu. A son arrivée, Vital Kamerhe devrait tenir son meeting à la Place de l’indépendance. Mais cette manifestation a été délocalisée pour le stade de la Concorde de Kadutu. Depuis le matin, la place de l’indépendance a été ceinturée par des policiers bien équipés.

La veille, un communiqué du maire de Bukavu, Philémon Yogolelo, diffusé sur l’antenne provinciale de Radio télévision nationale congolaise (RTNC) et à la Radio Maendeleo, invitait les sympathisants de l’UNC à ne pas se regrouper à la place de l’indépendance «pour cause des travaux en cours», sans préciser la nature de ces «travaux». Le reporter de Radio Okapi qui a sillonné la place de l’indépendance a constaté qu’aucun travail ne s’effectue sur ce lieu public. Il n’a vu qu’une femme qui balayait le trottoir au milieu d’une foule de policiers. Le bourgmestre de commune de Kadutu a pour sa part indiqué que l’UNC a été autorisée à organiser son meeting au stade de la Concorde. Selon Munyole Bekao, c’est pour ne pas entraver la circulation au rond point de la place de l’indépendance. Cette proposition semble ne pas plaire aux membres de l’UNC. Le député UNC Kizito Mushizi en vacances parlementaires à Bukavu rejette la proposition des autorités de la ville. D’après lui, le stade de la Concorde de Kadutu qui accueille dix mille personnes ne saurait contenir tous les sympathisants de son parti. Il craint des bousculades qui pourraient causer des dégâts humains.

C’est vers 17h00 heure locale (16h00 TU), au moment où Kamerhe est monté sur une estrade devant la place de l’indépendance pour prononcer son discours, que les policiers ont commencé à lancer des grenades lacrymogènes et à tirer des coups de feu, pour disperser les milliers de sympathisants qui s’étaient rassemblés pour l’écouter. Dans la débandade de la foule, plusieurs boutiques et véhicules, dont une jeep de la police, ont été cassés ou incendiés. Des groupes de partisans de Vital Kamerhe étaient toujours rassemblés dans la ville en fin de journée, certains brûlant des pneus en signe de protestation. Au cours des échauffourées, une personne est morte et quarante-sept autres blessées, parmi lesquelles on compte 24 civils, 21 policiers et 2 personnes de la délégation de Kamerhe.[21]

Il est évident que le gouvernement congolais voulait empêcher Vital Kamerhe, possible candidat à l’élection présidentielle de 2016, de conduire à terme une « mission qui avait suscité l’enthousiasme de la population locale et qui aurait pu menacer la stabilité et la suprématie du pouvoir en place à Kinshasa. Ce qui s’est passé à Bukavu pourrait être, par conséquent, un signe avant-coureur de ce qui pourrait arriver à la veille des prochaines élections: des manifestations populaires réprimées, des journalistes arrêtés et des membres de l’opposition empêchés de battre campagne électorale.


[2] Cf Radio Okapi, 25.02.’14

[3] Cf Tshieke Bukasa – Le Phare –  Kinshasa, 04.03.’14 (via mediacongo.net)

[4] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 27.02.’14

[5] Cf Le Potentiel – Kinshadsa, 13.02.’14

[6] Cf Boniface Musavuli (Agora Vox) – Le Potentiel – Kinshasa, 13.02.’14

[7] Cf Radio Okapi, 11.02.’14

[8] Cf Radio Okapi, 13.02.’14

[9] Cf Radio Okapi, 14.02.’14

[10] Cf RFI, 18.02.’14

[11] Cf AFP – Kinshasa, 28.02.’14

[12] Cf Radio Okapi, 28.02.’14

[13] Cf Radio Okapi, 03, 08 et 09.02.’14

[14] Cf Radio Okapi, 03.02.’14

[15] Cf Radio Okapi, 08.02.’14

[16] Cf Radio Okapi, 09.02,’14

[17] Cf Radio Okapi, 16.02.’14

[18] Cf Radio Okapi, 17.02.’14

[19] Cf Radio Okapi, 17 et 18.02.’14

[20] Cf AFP – Kinshasa, 18.02.’14; Radio Okapi, 18 et 19.02.’14; Mukebayi Nkoso – Congo News – Kinshasa, 19.02.’14

[21] Cf Radio Okapi, 20 et 21.02.’14; P. Boisselet avec T. Kibangula – Jeune Afrique, 21.02.’14 ; AFP /Jean-Baptiste Baderha – RFI, 21.02.’14