Élections présidentielles en RDC : le peuple a-t-il échoué ?

17 décembre 2011

Le 16 décembre, la Cour suprême de justice a proclamé Joseph Kabila président de la République Démocratique du Congo. Elle a ainsi confirmé les résultats rendus publics par la Ceni créditant Joseph Kabila de 48,95% et Etienne Tshisekedi Wa Mulumba de 32,33%. Une publication surprise et discrète qui dit le climat qui règne au Congo en général et à Kinshasa en particulier. Le pouvoir en place craignant les contestations a déployé des policiers et des militaires dans le pays.

À coup sûr, le renouvellement du mandat présidentiel de Joseph Kabila est une désolation pour tout le pays, en déplaise à ceux qui prônent le statu quo au nom de la stabilité. Car, c’est la souffrance des populations congolaises qui se perpétue et la démocratie prend du plomb dans l’aile.

À supposer que les résultats confirmés par la Cour Suprême de Justice corresponde à la réalité des urnes, la réélection de Kabila n’est pas logique et ne répond pas aux intérêts du pays, à savoir: le bien-être du peuple congolais, la démocratie et les droits de l’homme. «Contra facta nihil valent argumenta», entendez: «Face aux faits, les arguments n’ont aucune valeur».

Son «auctoritas», c’est-à-dire sa capacité de développer, de faire croître la chose et la communauté publiques qui lui sont confiées vient de se fragiliser davantage. Relevons quelques éléments qui participent à ce que nous pouvons appeler le déficit de «autorité» (non pas la potestas):

– La corruption de son régime. Il avait proclamé la tolérance zéro. Sauf que, en réalité, elle s’appelle tolérance 100/100 à l’égard de gros détourneurs et trafiquants qui se recrutent même parmi les hauts fonctionnaires. Certains d’entre eux sont sous le drapeau. L’impunité dont ils jouissent est si incongrue qu’on se demande si la corporation à laquelle ils appartiennent est vraiment une armée. Pendant que les policiers et les autres fonctionnaires de l’État sont mal rémunérés, l’argent est distribué pour procéder à des reformes de la Constitution et même faire voter des Gouverneurs (par exemple l’actuel Gouverneur du Sud Kivu) ou gagner l’opinion des hommes d’églises. Le 22 novembre 2011, Éric JOYCE (un député britannique) a confirmé les doutes de corruption et de détournements en révélant le bradage des mines rdcongolaises au bénéfice des sociétés fictives constituées, semble-t-il, aux Iles Vierges Britanniques. Il parle de 5,5 milliards de dollars perdus dans ce trafic opaque qui ne bénéficie pas au peuple mais aux dirigeants actuels.

– L’opacité ou la fluidité du CV de notre chef de l’État (d’où vient-il? Quelles études a-t-il réellement faites, où et quand?), sa propulsion mystérieuse à la tête de l’État et d’un bon nombre de ses collaborateurs dont la majorité s’était illustrée parmi les zélateurs du temps de l’occupation – visible celle-là – du pays par les voisins de l’Afrique orientale;

– Tout le contraire de ce qui se passe chez nos voisins immédiats de l’Est, le silence ou une certaine gêne à évoquer les guerres (sans parler des réparations) et les victimes des agressions venues de l’Est de nos frontières orientales, privant ainsi le peuple de la guérison et de la purification de la mémoire;

– La réaction timide ou inexistante devant des propos tenus par des étrangers (par exemple SARKOZY ou HERMAN COHEN) touchant à la souveraineté et à l’intégralité territoriale du pays auquel tout congolais authentique tient;

– La main basse sur les prérogatives du gouvernement et du parlement, surtout après la démission forcée de Kamerhe du perchoir du Parlement en l’occasion de l’invitation officielle des troupes rwandaises le 20 janvier 2009, moyennant un accord secret, main basse qui a fait de la Présidence un gouvernement parallèle ou perpendiculaire symbole de la façon d’agir cavalière du chef de l’État.

– La porosité voulue de nos frontières nationales orientales – restées ouvertes même le jour des élections – qu’est censée défendre une armée à vocation républicaine, disciplinée, bien entrainée, équipée et bien rétribuée dont les militaires issus des rangs presque mono-éthiques du CNDP sont mieux traités et équipés.

– Le noyautage de l’armée et des services de sécurité par des étrangers (la plupart des Tutsi) venus du Rwanda et du Burundi et qui sont restés au pays sous-couvert de «troupes issues du CNDP » intégrées dans les FARDC: ils occupent des puits miniers, refusent arrogamment d’être envoyés à l’extérieur du Kivu, regardent ou commercent avec ceux qu’ils sont censés combattre, en l’occurrence les FDLR, et qui, à leur tour, martyrisent les populations congolaises qui se retrouvent en devoir de se sécuriser dès lors que les leaders militaires Mai-mai de l’Est sont regroupés à Kinshasa où ils n’ont pas de poste de commandement dans l’armée. Beaucoup de congolais font facilement le pas pour conclure que Kabila abandonne, en raison des accointances secrètes, les deux Kivu aux appétits expansionnistes des voisins.

– Son immobilisme devant la nuisance des FDLR et «l’invisibilité» des «cinq chantiers» si fortement annoncés et répétés.

Tous ces éléments expliquent la désaffection des congolais – même ceux de l’Est – qui l’avaient massivement voté en 2006 plus par homonymie que par des mérites reconnus. Beaucoup d’entre eux sont allés aux élections de novembre 2011 à la recherche d’un homme qui donnerait une impulsion à leur capacité de réagir aux «chalenge s» de la vie et aux railleries de ceux-là même à qui profite de loin ou de près l’absence à la tête du pays d’un homme jouissant de la «auctoritas», à savoir la capacité de faire grandir la nation de par sa vision, ses actions ou tout simplement par sa présence. Le peuple avait déjà bien compris tout ce tableau. Ils désiraient une alternance au sommet de l’État. La réélection de Joseph Kabila est donc une mauvaise nouvelle pour ceux qui souffrent et pour tous ceux-là qui sont épris d’esprit du bien commun et de la fierté nationale. Que leur réserve l’avenir?

Vous convenez avec moi que, une fois de plus, Joseph vient d’être mal élu. J’en veux pour preuve la presse non-rd congolaise.

Le 2 décembre 11, JEFFREY GETTLEMAN du New York Times parle de «premiers résultats» qui présagent la victoire de Tshisekedi et qui auraient disparu. Il signale sans fioriture la crainte que celui-ci suscite auprès des Chancelleries occidentales à Kinshasa et la peur d’un changement brusque de régime… Le 5 décembre, JASON STEARNS appelle dans The Guardian «les puissances étrangères» à ne pas «sacrifier le verdict des électeurs congolais à la stabilité» d’un pays dont la tare principale a été l’absence d’un «leadership responsable». Le 7 décembre, Arnaud ZAJTMAN se scandalise dans La Libre.be devant l’imminence de la validation par l’Occident «de résultats frauduleux rejetés par la majorité des Congolais» (…) «signant ainsi l’échec de sa propre politique» en RDC. Le même jour, le 7 décembre, la Voix de l’Amérique retransmet l’interview d’un observateur canadien du nom d’Éric. Celui-ci trouve «étrange» et suspecte la lenteur dans la publication des résultats de Kinshasa où Tshisekedi recueillait trois fois plus de voix que Kabila selon les résultats affichés devant les bureaux de vote. Il aurait lui-même vu un homme tabassé, car découvert avec deux cents bulletins de vote cochés en faveur de Kabila. Du Bas-Congo, un certain MAPANGA parle de l’agression organisée par «le directeur de campagne de Mr Kabila» contre sa personne. Lorsqu’il dénonce cette agression et d’autres entorses à la loi électorale auprès des agents de la Ceni, ceux-ci lui répondent qu’ils n’y peuvent rien dès lors que la majorité présidentielle est concernée! «Les élections les plus bâclées qu’on ait jamais organisées. On ne pourra même pas faire recours», prédit-il. L’Express du 9 décembre reprend les mêmes idées en soulignant la «complaisance de la communauté internationale envers Kabila». Des coups de fil venant des villes de l’Est du pays parlaient de la sanction, par les urnes, subie par Joseph et de beaucoup de parlementaires de la coalition de la Majorité Présidentielle.

Autant d’échos aux choix faits par les Congolais. Ils se recoupent dans le constat d’un certain malaise auprès des congolais et d’une certaine complaisance paradoxale devant la fraude de la part des puissances occidentales motivée par le souci de garantir la stabilité du pays. Devant un tel comportement, on ne peut que rester pantois. On n’est pas moins ahuri par les réflexions de «la communauté internationale dont beaucoup d’agents officiels (Monusco, ambassadeurs ou autres) avaient déjà fait ou faisaient appel au respect des résultats, avant qu’ils ne soient publiés, et sans pour autant dire de quels résultats parlaient-ils. L’annonce des «prises d’actes» des résultats proclamés par la Cour Suprême de Justice vient d’être déclenchée par les grandes puissances. Les pays africains ne sont pas en reste. Cela étant, il ne reste qu’aux congolais de prendre le relais. Dans quelle direction? Celle qu’indique la Ceni et la Cour Suprême ou celle de la recherche de la vérité des urnes dont beaucoup d’observateurs étrangers et nationaux annonçaient une tendance favorable à Tshisekedi sur tout le pays?

Cela dit, rappelons que le régime de Kabila est concerné par une période trouble de l’histoire de la RDC. Son régime et son système servent de cachette à plusieurs personnes, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, elles ont des comptes à rendre à la justice nationale et internationale. Il n’y a que la force qui pourra en venir à bout. Ayant montré et aussi déjà utilisé ses muscles, le régime Kabila a exprimé sa volonté d’écraser toute contestation. Il attend voir ce que fera l’opposition. Deux voies se présentent à l’opposition ou tous ceux qui s’identifient à elle: défendre la victoire qu’elle réclame ou se taire.

L’unique moyen qui lui reste, c’est des actions ou des marches pacifiques. Le gouvernement allègue que les manifestants de l’opposition font de la casse; voilà pourquoi, il «protège les personnes et leurs biens» en étouffant toute initiative de rassemblement ou de manifestation. Si l’opposition veut exercer de la pression par la rue, il y aura confrontation et des victimes supplémentaires. Faut-il rappeler que nulle part «la communauté internationale n’a secouru un peuple indigné par la dictature avant que des morts n’eurent été comptées par centaines ou par milliers? D’autre part, les puissances occidentales, aux prises avec la crise financière et soumises à la Haute Finance, peuvent-elles voler au secours d’autres populations lorsque leurs intérêts sont déjà garantis par le régime régnant? Plus près de la RDC, quel pays africain s’aventurerait à relayer l’élan du peuple congolais au changement dès lors que des hold-up électoraux pullulent dans l’histoire très récente du continent?

Une autre alternative, c’est la renonciation à la réclamation et l’acceptation du verdict de la Cour Suprême de Justice congolaise. Comme lors des élections, les partis qui ont été déclarés perdants répondront en ordre dispersé. Les partis de Kengo, de Mbusa Nyamwisi qui, aux aurores de la proclamation des résultats provisoires, ont préconisé l’annulation y penseront à deux à fois avant de se contredire. Quant à l’UNC de Vital Kamerhe, on peut supposer qu’il pourra accepter de jouer le pari de la cohabitation. Ce serait déjà un défi lancé à son tombeur d’hier. En ce qui concerne l’UDPS dont les cadres n’ont pas beaucoup composé avec les Chefs qui se sont succédé à la présidence et qui, de ce fait, jouissent d’un certain préjugé favorable de probité, elle vient de voir la victoire lui échapper dans le climat que nous venons d’évoquer. Elle trainera les pieds.

S’agissant de la formation d’un gouvernement «d’union nationale» dont parle, déjà, Louis Michel (un des mentors du président actuel), elle séduit tout esprit qui veut faire l’économie d’une solution juste. Qu’à cela ne tienne, proche de la formule de la précédente transition, on doit sérieusement se poser la question de son efficacité, car elle risque de ramener aux affaires ceux-là mêmes dont le peuple voulait se débarrasser. Qu’on ne me dise pas que je suis pessimiste. Doit-on espérer que ceux qui ont géré la chose publique de manière si calamiteuse se muent en bons gestionnaires en l’espace de quelques jours? C’est des os durs, que l’hyène n’a pas pu broyer, comme dit un proverbe africain. Des arbres implacables, et non pas des plants.

Du reste, qu’en est-il des cohabitations à la kenyane (le président Mwai Kibaki et le Premier ministre Raila Odinga) ou à la zimbabwéenne (entre le président Robert Mugabe et le premier ministre Morgan Tsvangiraï)? Quelle signification aura une cohabitation en RDC où les législatives n’ont pas échappé au traitement chaotique de la présidentielle? Et si la majorité présidentielle a la majorité à l’Assemblée nationale, cette dernière cesserait-elle d’être la caisse de résonnance de la présidence de la République, comme l’actuelle Assemblée présidée par Évariste Boshab?

Au total, loin de la vérité des urnes, nous semble-t-il, nous aurons assisté à une défaite, celle du peuple, et d’un coup très sérieux à la démocratie. En effet, ni ceux qui ont voté pour le changement ni ceux qui ont voté pour le statu quo ne s’y retrouveront. La mesure de la frustration qui s’en suivra dépendra du camp auquel on appartient. Au fin fond des choses, les uns et les autres auront l’impression d’avoir été floués, mis hors jeu dans la démocratie et que leurs voix ne comptent pas pour faire leurs dirigeants, car les faiseurs de présidents sont ailleurs. Comme on l’a vu sous d’autres cieux africains, il n’est pas exclu que l’électeur déserte les futurs scrutins. La démocratie aura été atteinte en plein cœur, car vidée de sa quintessence, à savoir le principe de participation. Ça, du point de vue de l’électeur. Quant à l’élu, ne se sentant plus exposé à la sanction du souverain primaire, il se transformera tout simplement en bienfaiteur; le président s’élèvera au rang de distributeur de largesses en faveur de membres d’institutions faibles et obligés, pour être promus, de se faire remarquer par les allégeances et fidélité ardues. On ne sera donc pas sorti de l’auberge. Il ne restera qu’à entonner l’hymne funèbre à l’endroit du respect des droits de l’homme et des «objectifs du millénaire pour le développement», à savoir: la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile, la santé maternelle, la lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies, un environnement humain durable et le partenariat mondial pour le développement.

Correspondance particulière