RDCONGO: DES «CHAMBRES SPÉCIALISÉES MIXTES» POUR DONNER SUITE AU RAPPORT DU PROJET MAPPING

Par Human Right Watch

SOMMAIRE:
INTRODUCTION
I. ARGUMENTS EN FAVEUR D’UNE CHAMBRE MIXTE.
II. BASE JURIDIQUE, STRUCTURE ET COMPOSITION
1.Nécessité d’une loi nationale.  2. Une chambre intégrée dans le système judiciaire national  3. Composition de la chambre spécialisée mixte
III. COMPÉTENCE MATÉRIELLE ET TEMPORELLE
1. Compétence pour juger les crimes internationaux graves 2. Mandat et identification des prévenus cibles 3. Compétence temporelle 4. Compétence universelle
IV. CRITÈRES DE PROCÉDURE
1. Droits de la défense 2. Responsabilité pénale individuelle 3. Protection des victimes, des témoins et du personnel judiciaire 4. Evaluations des performances des chambres spécialisées par le parlement
V. PARTICIPATION INTERNATIONALE
1. La participation de personnel international 2. Le besoin d’accords régionaux de coopération judiciaire 3. Le rôle de l’Union Africaine 4. Le Conseil de Sécurité de l’ONU
VI. D’AUTRES MESURES POUR S’ATTAQUER AUX CRIMES COMMIS EN RDC

INTRODUCTION

Le 1er octobre 2010, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH) a publié le «rapport du projet mapping» (accumulation d’informations région par région, replacées dans leur contexte historique), identifiant des violations graves des droits humains qui se sont produites en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003.

Le rapport remarque que la période couverte par le projet de mapping est «probablement l’un des chapitres les plus tragiques de l’histoire récente de la RDC». Ces dix années, indique-t-il, ont été «marquées par une série de crises politiques majeures, de guerres et de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions, de personnes». Il note que «rares ont été les civils, congolais et étrangers, vivant sur le territoire de la RDC qui ont pu échapper à ces violences». Si le rapport documente des crimes atroces perpétrés par de nombreux groupes armés au Congo, certains des crimes les plus graves, selon le rapport, ont été commis par l’armée rwandaise (l’Armée patriotique rwandaise, APR) et ses alliés, le groupe rebelle congolais de l’AFDL, au Congo en 1996 et 1997.

Le rapport indique que les attaques commises par l’APR et l’AFDL «révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide». À tout le moins, conclue-t-il, «les informations recueillies à ce jour permettent de confirmer fermement que ces [attaques] étaient bien des crimes contre l’humanité».

Le rapport de mapping explique qu’après que l’armée rwandaise et ses alliés congolais ont franchi la frontière pour pénétrer dans l’est du Congo en 1996, ils ont lancé «des attaques en apparence systématiques et généralisées» contre les Hutus dans ce que le rapport décrit comme une «apparente poursuite impitoyable et des massacres de grande ampleur de réfugiés hutus», entraînant la mort de «plusieurs dizaines de milliers» de personnes. Le rapport déclare que «l’usage extensif d’armes blanches (principalement des marteaux) et l’apparente nature systématique des massacres de survivants, dont des femmes et des enfants, après la prise des camps [de réfugiés] pourrait indiquer que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ou assimilables à des dommages collatéraux». Il ajoute que «parmi les victimes, il y avait une majorité d’enfants, de femmes, de personnes âgées et de malades, souvent sous-alimentés, qui ne posaient aucun risque pour les forces attaquantes».

Le rapport décrit aussi le massacre systématique de Hutus congolais qui n’avaient joué aucun rôle dans le génocide au Rwanda mais qui ont été pris pour cible lors de réunions publiques et à des barrières mises en place par l’armée rwandaise ou leurs alliés congolais de l’AFDL, puis emmenés à l’écart et tués. Le rapport établit que «les multiples attaques contre les Hutus établis au Zaïre [Congo], qui ne faisaient pas partie des réfugiés semblent confirmer que c’étaient tous les Hutus, comme tels, qui étaient visés» Il conclut que les recherches ont révélé «plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide».

C’est le ciblage présumé d’individus sur la base de leur appartenance ethnique – indépendamment du fait qu’ils soient rwandais ou congolais, combattants ou civils – qui soulève la question d’une éventuelle commission de «crimes de génocide» au Congo.

Ce rapport constitue un puissant rappel de la gravité des crimes commis au Congo et de l’absence choquante de justice. S’il est suivi d’une action forte menée aux niveaux national et international, il pourrait contribuer de façon cruciale à mettre un terme à l’impunité et à rompre le cercle vicieux de violence au Congo et, plus généralement, dans la région des Grands Lacs.

La culture omniprésente de l’impunité a contribué à des cycles répétés de violence, dans le cadre desquels les civils ont systématiquement été pris pour cible par toutes les parties aux conflits successifs. L’impunité pour les crimes internationaux graves a été l’un des principaux obstacles à la paix et à la stabilité en RDC et dans la région des Grands Lacs. L’absence d’enquêtes et de poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs d’exactions graves perpétrées sur des civils a crée la perception que ces crimes seront tolérés. Les dirigeants de groupes rebelles, dont les troupes ont commis des atrocités, sont souvent promus à des postes de haut niveau au sein de l’armée congolaise, encourageant de ce fait de nouveaux groupes rebelles à prendre leur essor. Une fois intégrés dans les rangs de l’armée nationale, ces anciens dirigeants rebelles perpétuent souvent leur comportement passé en commettant de nouvelles atrocités.

Le rapport du projet mapping de l’ONU souligne que la lutte contre l’impunité est indispensable afin de mettre un terme au cycle de violence.

Le rapport analyse la capacité du système de justice congolais à juger les crimes décrits et estime que, en dépit des récentes réformes judiciaires entreprises par le gouvernement avec le soutien de bailleurs de fonds internationaux, le système judiciaire congolais n’a pas la capacité, à court ou moyen terme, de relever les défis que pose la répression des crimes commis dans le passé et visés par le droit international. Le rapport du projet mapping énonce dès lors une palette d’options judiciaires possibles pour s’attaquer aux crimes qu’il répertorie.

Le rapport détaille objectivement les avantages et inconvénients d’une gamme d’options diverses, considérant ainsi le rôle que pourrait jouer la Cour pénale internationale (CPI), le rôle d’États tiers en vertu de l’application du principe de compétence universelle, la mise sur pied d’un tribunal international, la création d’un tribunal hybride indépendant du système judiciaire congolais, et enfin, la mise en place d’une chambre mixte spéciale au sein du système judiciaire congolais. Le rapport témoigne d’une forte préférence pour la création d’un modèle hybride, composé de personnel national et international, chargé de rendre la justice pour les victimes des violations graves décrites dans le rapport, compte tenu du manque de capacités du système judiciaire national au Congo et des nombreux facteurs qui constituent une entrave à l’indépendance judiciaire dans ce pays.

D’autres, dont Human Rights Watch, soutiennent l’idée d’un modèle analogue, proposant l’établissement d’une «chambre mixte», une institution nationale intégrée dans le système judiciaire congolais avec la participation temporaire de personnel international qui pourrait donner à la chambre même un caractère de crédibilité, d’indépendance judiciaire et d’expertise, pour qu’elle ait véritablement la capacité de juger les individus, congolais et non congolais, portant la plus grande part de responsabilité dans ces crimes.

I. ARGUMENTS EN FAVEUR D’UNE CHAMBRE MIXTE.

Il s’agirait d’une institution nationale intégrée dans le système judiciaire congolais et appliquant les lois et procédures congolaises, mais disposant de ses propres magistrats, de son propre parquet, de son propre greffe et de ses propres bureaux des victimes et de la défense. Elle jugerait exclusivement les crimes de guerre passés et présents, y compris la vague actuelle de viols commis dans l’est du pays, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide et inclurait temporairement du personnel non congolais.

Une chambre mixte établie au sein du système judiciaire national en RDC serait conforme au principe selon lequel c’est aux États qu’il incombe au premier chef de réprimer les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide perpétrés sur leur territoire. Créée par les autorités congolaises et intégrée dans le système judiciaire national, la chambre mixte présenterait un fort caractère national qui faciliterait son appropriation par les autorités et la population. Elle pourrait également profiter au système judiciaire congolais à plus longue échéance grâce à un renforcement des capacités et s’inscrirait donc dans la droite ligne des efforts internationaux actuels visant à renforcer l’État de droit en RDC.

L’inclusion officielle d’experts non congolais, qui est l’essence de cette proposition de «chambre mixte», s’avère nécessaire, en raison de l’extrême complexité des crimes concernés et de la faiblesse structurelle actuelle du système judiciaire congolais.

Actuellement, les tribunaux militaires congolais sont compétents pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide, même si ces crimes ne sont pas clairement définis dans le code pénal militaire actuel.

Le projet de loi visant à mettre en œuvre le Statut de Rome de la CPI dans le droit national congolais n’a pas encore été adopté par le parlement congolais mais une fois ce texte approuvé, ces crimes relèveront alors de la compétence des tribunaux civils.

Juger ce type de crimes s’avère complexe pour un certain nombre de raisons. Les auteurs peuvent être des individus qui ont occupé ou occupent encore des postes élevés et ont du pouvoir. Poursuivre des individus qui pourraient avoir ordonné le crime plutôt que de l’avoir commis en personne ou qui sont responsables en vertu de leur responsabilité de commandement est une tâche ardue. En effet, l’expérience internationale montre qu’il faut une expérience considérable en matière d’enquêtes et de stratégie de poursuites pour prouver le lien entre les actes commis sur le terrain et les ordres ou l’assentiment émanant des supérieurs. Tout aussi cruciales sont la capacité d’organiser des procédures judiciaires qui apportent des garanties en matière de procès équitable, sans ingérence politique, ainsi que la capacité de protéger les témoins et le personnel judiciaire.

La participation d’experts internationaux qui ont des compétences particulières en gestion d’enquêtes, de poursuites et de procès criminels complexes peut dès lors se révéler capitale pour le cas de la RDCongo.

Bien qu’au cours des dernières années, les tribunaux militaires congolais se soient montrés extrêmement novateurs en appliquant le Statut de Rome et bien qu’ils aient jugé d’importantes affaires qui ont créé des précédents, l’appareil de justice militaire n’en demeure pas moins une institution présentant des faiblesses. À ce jour, presque toutes les poursuites se sont concentrées sur des accusés de rang intermédiaire ou inférieur; très rares ont été les actions intentées contre de hauts responsables de l’armée et du gouvernement. Les systèmes judiciaires civils et militaires manquent cruellement de moyens et sont rongés par l’ingérence politique. Une sérieuse réforme judiciaire et un environnement politique favorable s’avèrent indispensables pour s’attaquer à ces problèmes ; ce processus pourrait prendre des années.

La mise en place d’une chambre mixte au sein du système judiciaire congolais avec le soutien d’experts judiciaires internationaux pourrait procurer au système judiciaire national l’élan dont il a besoin pour s’attaquer à l’impunité endémique dont bénéficient les auteurs des crimes les plus graves. La participation d’experts internationaux ayant l’expérience de dossiers complexes serait temporaire et se focaliserait sur le soutien à apporter pendant une phase de transition tandis que l’appareil judiciaire congolais passe par une période de réforme.

II. BASE JURIDIQUE, STRUCTURE ET COMPOSITION

1. Nécessité d’une loi nationale.

Afin d’être pleinement intégrée dans le système judiciaire congolais, la chambre mixte devrait être instaurée en vertu d’une loi nationale.

Concrètement, la chambre pourrait être établie par la promulgation d’une loi congolaise.

L’article 149 de la Constitution congolaise prévoit la création de «juridictions spécialisées». Les «chambres spécialisées» telles que décrites dans l’avant-projet de loi rédigé par le gouvernement congolais s’apparentent à une telle «juridiction spécialisée». Cette qualification juridique claire des chambres spécialisées est importante, afin de garantir leur indépendance. Le caractère spécial de la juridiction se justifie par la gravité des crimes dont elle aura à connaître et par leur sensibilité.

Cette nouvelle loi préciserait la composition ainsi que les activités de la chambre spécialisée mixte et elle définirait notamment la participation des experts internationaux. Afin d’avoir le plus grand impact possible sur le système judiciaire congolais, la chambre devrait opérer conformément aux lois et procédures pénales congolaises. À cet égard, il est capital que soit adopté le projet de loi de mise en œuvre du Statut de la CPI, visant à incorporer dans la législation nationale les crimes relevant de la CPI et à doter le système judiciaire civil de la compétence de juger ces crimes.

2. Une chambre intégrée dans le système judiciaire national

La chambre spécialisée mixte devrait être basée au sein de l’appareil judiciaire civil. Il s’agit effectivement d’une exigence à la fois de la constitution congolaise et des normes acceptées au niveau international. La situation exacte de la chambre mixte au sein des tribunaux civils (au niveau d’un tribunal de grande instance ou des chambres d’appel, par exemple) reste à déterminer. Selon le projet de loi, cette juridiction spécialisée se composerait de quatre chambres spécialisées de premier degré, localisées dans des cours d’appel. Le «cœur» de la juridiction spécialisée serait composé d’un premier président, d’un premier avocat général et d’un greffier uniques, pouvant par exemple être basés à Kinshasa. Cette structure centrale permettrait également de garantir aux quatre chambres spécialisées une approche harmonieuse et commune de leurs stratégies de poursuites, de la protection des témoins, ou de certains aspects administratifs.

La chambre mixte pourrait être basée en permanence dans un endroit tout en ayant la possibilité d’être «mobile» afin de tenir certains procès plus près du lieu où les crimes ont été commis. Cela pourrait permettre un plus grand accès à la justice pour les victimes et citoyens congolais.

Il conviendra d’examiner attentivement comment il pourra être fait appel des décisions de ladite chambre. La Chambre pourrait dispose de sa propre division d’appel où siègent des juges internationaux. L’avant-projet de loi prévoit trois chambres spécialisées d’appel (Kinshasa/Gombe, Goma et Kananga). Comme pour les chambres de premier degré, la présence de juges internationaux en appel pourrait être conçue comme temporaire et dégressive. Il est en effet important de veiller à ce que des enquêtes, des poursuites et des procès bien menés ne soient pas annulés en appel en raison d’une ingérence politique ou d’un manque d’expertise.

L’avant-projet de loi prévoit que les jugements de ces trois cours d’appel pourront faire l’objet d’une cassation (article 58). Cette procédure est importante. Il conviendra alors prévoir, pour les mêmes raisons que précédemment, que la cour de cassation puisse exceptionnellement former une chambre spécialisée et mixte pour connaître des affaires émanant des chambres spécialisées. La présence ad hoc de juges internationaux pour ces affaires pendant une période transitoire, comme pour tous les autres niveaux de juridictions, devrait également être garantie par la loi.

3. Composition de la chambre spécialisée mixte

La chambre mixte aurait évidemment ses propres juges. Néanmoins, afin de protéger pleinement l’institution contre toute ingérence politique et afin d’accroître son efficacité, il serait indispensable que la chambre dispose de son propre parquet (pour les enquêtes et poursuites) et de sa propre structure administrative, ou greffe.

Les magistrats des chambres spécialisées devront remplir leurs fonctions de façon indépendante et doivent s’abstenir de toute activité qui pourrait compromettre cette indépendance.

La procédure de nomination des magistrats devant les chambres spécialisées mixtes devrait être conforme à la procédure de nomination des magistrats prévue dans la constitution (c’est-à-dire nomination par le président de la république sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature).

Le greffe exerce essentiellement des fonctions administratives liées au fonctionnement de la chambre, notamment le recrutement du personnel, la gestion des finances, de la sécurité, des éléments de preuve et documents destinés au procès, des traductions ou des centres de détention.

Le greffe remplirait également certaines fonctions qui revêtent une importance capitale pour garantir d’une part le respect des droits des accusés à un procès équitable et, d’autre part, le bien-être et la protection des victimes et des témoins. Il s’agit notamment de faciliter le travail de la défense et des avocats des victimes, de prendre en charge la protection des témoins et de gérer le travail de sensibilisation des populations locales aux procès.

Compte tenu de l’ampleur des crimes sexuels commis au Congo, il se révèlerait particulièrement important pour la chambre mixte de promouvoir la lutte contre l’impunité pour ces crimes. Dès lors, la chambre devrait vraisemblablement compter sur une expertise complémentaire, éventuellement fournie par le canal d’une «unité spécialisée dans les violences sexuelles» au sein du parquet.

L’inclusion de personnel international dans chacune des composantes de la chambre mixte s’avère indispensable. Cette présence internationale pourrait être adaptée en fonction des besoins, serait temporaire et s’inscrirait dans une stratégie de «retrait progressif».

III. COMPÉTENCE MATÉRIELLE ET TEMPORELLE

1. Compétence pour juger les crimes internationaux graves

Une relation dynamique entre les chambres spécialisées et les tribunaux ordinaires est primordiale, car elle permettra de ne pas engorger les chambres spécialisées avec des affaires moins graves.

Les chambres spécialisées (ou la juridiction spécialisée) devraient avoir la primauté de la compétence, accompagnée de la faculté de choisir les affaires dont elles connaîtront de celles qui seront renvoyées devant les tribunaux ordinaires.

La chambre mixte devrait avoir la primauté pour connaître des affaires concernant les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide. Cela n’empêcherait pas catégoriquement d’autres tribunaux locaux d’exercer leur compétence pour juger ces crimes, mais la chambre mixte aurait la primauté pour connaître des affaires correspondant au mandat qui lui est confié.

Il sera important d’établir une procédure qui établira précisément comment cette répartition du contentieux se fera en pratique. Une stratégie de coopération et de renforcement des compétences entre les chambres spécialisées et les tribunaux ordinaires devrait également être préparée afin de minimiser l’émergence d’une justice «à deux vitesses».

2. Mandat et identification des prévenus cibles

La chambre mixte devrait poursuivre les «personnes qui portent la plus grande part de responsabilité» dans la commission de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide. Elle devrait se focaliser en priorité sur les hauts responsables politiques ou militaires mais elle pourrait également viser d’autres personnes qui se trouvent plus bas dans la chaîne de commandement mais peuvent être considérées comme «portant la plus grande part de responsabilité» à en juger par la gravité des crimes commis ou leur ampleur.

La chambre pourrait juger toutes les personnes ayant commis des crimes relevant de sa compétence sur le territoire congolais, y compris les ressortissants étrangers.

3. Compétence temporelle:

Les chambres spécialisées pourront être un instrument de lutte contre l’impunité non seulement en relation avec les crimes du passé à partir de 1990, mais également pour les crimes graves qui continuent d’être commis en RDC, notamment dans l’est du pays. La compétence temporelle de la chambre mixte pourrait s’étendre aussi à la période après juin 2003, afin qu’elle puisse ouvrir des enquêtes et engager des poursuites pour les crimes internationaux graves qui sont de son ressort et qui continuent d’être commis jusqu’à ce jour. Il conviendrait donc de considérer l’utilité de conserver les chambres spécialisées, dans leur composition «nationale», une fois que la période de présence de personnel international est terminée.

4. Compétence universelle:

Human Rights Watch se félicite de l’inclusion spécifique de dispositions conférant une compétence universelle aux chambres spécialisées. La compétence universelle est un filet de sécurité important dans la lutte contre l’impunité qui permet de poursuivre des auteurs de crimes graves lorsqu’ils ont fui le lieu des crimes, lorsque les autorités de leur pays ne souhaitent pas les poursuivre et lorsque aucun tribunal international n’existe pas pour les faits concernés ou ne se saisirait pas de l’affaire. La compétence universelle est un instrument important de la justice internationale. Elle peut connaître de crimes graves internationaux, peu importe la nationalité de leurs auteurs ou le lieu où les crimes ont été commis.

IV. CRITÈRES DE PROCÉDURE

1. Droits de la défense:

Il serait particulièrement utile de distinguer entre les droits de deux catégories de personnes : le suspect et l’accusé. Les dispositions du Statut de Rome pourraient servir de modèle à cet égard.

Les articles 44 et 49 de l’avant-projet de loi semblent indiquer qu’un accusé pourrait être représenté par une personne qui ne soit pas un avocat («défenseur» ou «toute personne qu’il [le président] juge apte à assurer efficacement la défense»). Au vu de la gravité des crimes examinés, de la complexité des procédures et de la sévérité des peines encourues, les accusés devant les chambres spécialisées doivent avoir le droit le plus strict à être représentés par un avocat.

2. Responsabilité pénale individuelle:

L’avant-projet de loi, à l’article 23, prévoit que la responsabilité pénale pour les faits tombant sous sa compétence incombe à des personnes physiques, de manière individuelle. L’article 25 du Statut de Rome clarifie de façon très utile les différents modes d’implication d’un individu dans les crimes (par exemple: commission directe, seul ou conjointement, ordre ou encouragement à commettre, assistance financière ou autre à la commission etc.).

3. Responsabilité pénale des enfants de moins de 18 ans:

Human Rights Watch recommande qu’un article soit ajouté dans l’avant-projet de loi qui exclue spécifiquement la responsabilité pénale des enfants âgés de moins de 18 ans au moment des faits.

Le phénomène de recrutement forcé et d’enrôlement d’enfants soldats est malheureusement répandu en RDC. Il est toutefois reconnu internationalement que les enfants soldats sont principalement des victimes des conflits au cours desquels ils sont parfois forcés à commettre des crimes graves.

4. Protection des victimes, des témoins et du personnel judiciaire:

La protection des victimes, des témoins et du personnel judiciaire est un aspect essentiel du bon déroulement des poursuites impliquant des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. L’expérience, devant les tribunaux internationaux et mixtes, aussi bien que devant les tribunaux nationaux congolais, démontre que les victimes et les témoins dans ces affaires sont très souvent dans une situation vulnérable, aussi bien sur le plan physique que psychologique. Nous suggérons que l’avant-projet de loi prévoie la création d’une unité spéciale de protection des victimes, des témoins et du personnel judiciaire, composée de spécialistes de la protection et de psychologues, au sein du greffe.

5. Evaluations des performances des chambres spécialisées par le parlement:

L’article 19 de l’avant-projet de loi prévoit des évaluations régulières de la performance des chambres spécialisées par le parlement. De telles évaluations sont cruciales pour la transparence et le bon management des chambres spécialisées. Il n’est pas clair toutefois que le parlement ait l’expertise nécessaire pour conduire ces évaluations. Nous suggérons donc que l’article 19 soit amendé afin de prévoir que les évaluations soient conduites par un comité indépendant composé d’experts, sous les auspices du parlement. Sur la base de ces évaluations, le parlement devrait avoir la compétence d’émettre une recommandation, mais pas une décision, quant à la nécessité ou non de continuer le mandat des chambres spécialisées. Cela permettrait d’éviter toute politisation de ce processus.

V. PARTICIPATION INTERNATIONALE

1. La participation de personnel international.

Constituer des dossiers à l’encontre de hauts commandants responsables de crimes internationaux graves est, en effet, une tâche qui requiert des compétences particulières. Dans n’importe quel pays du monde, il serait déraisonnable de demander à du personnel judiciaire traitant généralement des crimes ordinaires d’enquêter avec succès sur ce type de crimes internationaux. Par conséquent, l’inclusion de personnel international devrait être clairement garantie. Le personnel international devrait avoir une expertise confirmée et une expérience dans l’un des divers aspects liés aux enquêtes et poursuites des auteurs de crimes internationaux graves.

Un objectif important des chambres est de renforcer les capacités nationales, afin de permettre au système judiciaire national de reprendre la main après une certaine période de temps.

L’inclusion de personnel international serait temporaire et dégressive, l’objectif étant de permettre à la chambre de fonctionner au final en tant qu’institution nationale à part entière. À cet égard, il conviendrait de définir les critères précis qui, une fois remplis, amorceraient le retrait progressif du personnel international.

Le personnel congolais jouera également un rôle capital au sein de la chambre. Il apportera sa connaissance des causes historiques du conflit, sa compréhension du contexte culturel et son expertise en matière de droit et procédures pénaux congolais. Une réelle collaboration entre le personnel national et international se révèlera dès lors indispensable pour un fonctionnement efficace de la chambre mixte.

L’attribution des postes entre les membres du personnel national et international est importante et pourrait évoluer dans le cadre de la stratégie de retrait progressif.

L’inclusion de personnel et de juges internationaux est indispensable pour promouvoir la confiance de la population dans le système judiciaire. Elle limiterait par ailleurs la possibilité d’une ingérence politique, laquelle a représenté jusqu’à présent un obstacle majeur à l’engagement de poursuites par le système judiciaire congolais contre des accusés haut placés.

De plus, étant donné le contexte politique tendu entourant les crimes exposés dans le rapport du projet mapping de l’ONU, la présence de personnel international au sein de la chambre mixte conférerait la crédibilité et la légitimité nécessaires à ses enquêtes sur les crimes qui auraient été commis par des non-Congolais.

2. Le besoin d’accords régionaux de coopération judiciaire.

Comme expliqué dans le rapport du projet mapping de l’ONU, les auteurs des crimes perpétrés au Congo pendant les deux guerres (1996-1997 et 1998-2003) comprennent des ressortissants d’autres États, notamment du Rwanda, de l’Angola, de l’Ouganda et du Zimbabwe.

Un soutien régional renforcé serait important pour faire en sorte que, chaque fois que cela s’avèrera possible, les ressortissants étrangers soupçonnés d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la chambre soient extradés pour être traduits en justice.

Certains de ces pays, dont le Rwanda et l’Angola, interdisent l’extradition de leurs ressortissants vers des pays tiers et en tant qu’institution nationale, la chambre mixte ne pourrait résoudre le problème de l’interdiction d’extrader. Une coopération régionale affirmée et un soutien politique international à la chambre pourraient contribuer à surmonter cet obstacle juridique. Dans le cas de suspects dont l’extradition est interdite par la loi de leur pays d’origine, une coopération régionale renforcée dans le domaine judiciaire – par exemple par le partage de dossiers d’instruction – pourrait contribuer à faire en sorte que ces auteurs présumés soient amenés à répondre de leurs actes dans le pays dont ils ont la citoyenneté. Les pays concernés pourraient finir par signer des accords de réciprocité qui permettraient l’extradition vers la chambre mixte, une fois les changements nécessaires opérés dans leurs législations nationales.

Pour que cela soit possible, un important soutien international sera indispensable. La Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs possède déjà un cadre visant à mettre un terme à l’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide et pourrait contribuer à faciliter cette coopération régionale.

L’Union africaine pourrait aussi jouer un rôle positif en contribuant à faciliter la coopération judiciaire entre d’autres États africains et la chambre spécialisée mixte de la RDC.

3. Le rôle de l’Union Africaine

L’un des principes fondateurs de l’Union africaine est le rejet de l’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide, ce principe constituant un moyen capital pour renforcer l’État de droit et la stabilité à long terme.

La deuxième guerre au Congo a impliqué jusqu’à neuf États africains différents et est souvent appelée la «première guerre mondiale» de l’Afrique. En RDC, les populations continuent d’être victimes d’atrocités indescriptibles. Il est du devoir de l’Union africaine de promouvoir une solution à long terme pour asseoir la paix et la stabilité en RDC et dans la région des Grands Lacs. Il s’agit notamment de promouvoir la traduction en justice des auteurs des crimes internationaux graves décrits dans le rapport du projet mapping de l’ONU et des crimes plus récents commis en RDC. En raison de son engagement à mettre fin à l’impunité, de son caractère unique en tant que plateforme africaine pour la paix et la sécurité, et de son implication actuelle dans la région des Grands Lacs, l’Union africaine est bien placée pour appuyer l’établissement d’une chambre spécialisée mixte en RDC. L’Union africaine pourrait signer un Protocole d’accord avec la République démocratique du Congo pour lui apporter son concours en ce qui concerne divers aspects pratiques liés à la création de la chambre mixte. Par exemple, elle pourrait l’aider à convoquer une conférence internationale de bailleurs de fonds pour la chambre. Elle pourrait également contribuer à faciliter l’identification de professionnels africains disposant d’une expertise dans le domaine des enquêtes et de la répression des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes de génocide, qui pourraient faire partie du personnel international de la chambre mixte. Enfin, l’Union africaine pourrait jouer un rôle fédérateur important, en favorisant le dialogue entre les pays africains concernés afin de faciliter la coopération judiciaire. Elle pourrait par ailleurs enjoindre les autres États concernés de coopérer avec la chambre mixte. Le soutien à la création d’une chambre mixte, qui contribuerait au renforcement de la capacité du pays à réprimer les crimes graves et, par conséquent, au renforcement de l’État de droit et du respect des droits humains au Congo, serait pleinement conforme aux objectifs déclarés de l’Union africaine.

4. Le Conseil de Sécurité de l’ONU.

Même si la chambre était établie par les autorités congolaises en vertu d’une loi nationale, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait adopter une résolution en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, obligeant les États membres à coopérer avec la chambre, notamment sur le plan de l’arrestation et de la remise de suspects. Dans ce cas, il faudrait montrer que l’absence de coopération constitue une menace réelle pour la paix et la sécurité internationales, exigence qui n’est pas facile à satisfaire.

Le fait que le Conseil de sécurité investisse la chambre de pouvoirs en vertu du Chapitre VII procurerait à cette dernière la base juridique dont elle a besoin pour résoudre tout problème d’interdiction nationale en matière d’extradition. Le soutien du Conseil de sécurité pourrait également offrir à la chambre un poids politique important pour s’assurer la coopération des États voisins. Par exemple, les situations de non-coopération pourraient être transmises au Conseil afin qu’il prenne des mesures supplémentaires qui, théoriquement, pourraient comprendre des sanctions.

VI. D’AUTRES MESURES POUR S’ATTAQUER AUX CRIMES COMMIS EN RDC

Le rapport du projet mapping de l’ONU analyse l’application, par des États tiers, du principe de compétence extraterritoriale ou universelle en tant que moyen de garantir la traduction en justice des auteurs de crimes graves perpétrés au Congo.

La compétence universelle est l’aptitude du système judiciaire national d’un État à ouvrir des enquêtes et à engager des poursuites pour certains crimes, même si ceux-ci n’ont pas été commis sur son territoire, par l’un de ses ressortissants ou contre l’un de ses ressortissants. Le recours à cette forme de compétence extraterritoriale peut se justifier par la gravité des crimes à réprimer, qui choquent la conscience de l’humanité, tels les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, la torture et le génocide. Les poursuites judiciaires engagées dans des États tiers appliquant la compétence universelle est un important « filet de sécurité » lorsque les États compétents au premier chef sont dans l’incapacité ou n’ont pas la volonté d’agir, ou lorsque les personnes accusées ont trouvé refuge dans ces États tiers.

En dehors des poursuites engagées pour les crimes les plus graves, il est important de déployer des efforts plus intenses pour s’attaquer véritablement à une situation marquée par des atrocités massives. Parmi les suggestions formulées dans le rapport du projet mapping de l’ONU et soutenues par HRW figurent notamment le passage au crible des forces armées congolaises afin d’éliminer de leurs rangs les soldats et officiers soupçonnés d’avoir commis des atrocités à l’encontre des civils, la mise sur pied d’une Commission Vérité, ainsi que l’élaboration d’un système de réparations dignes de ce nom pour les victimes.