Congo Actualité n. 459

L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU: ENTRE SCEPTICISME ET PESSIMISME

SOMMAIRE

1. LE «RAPPORT YOTAMA SUR LES MASSACRES DE BENI ET IRUMU: TERRORISME, DJIHADISME OU GÉNOCIDE NANDE?»
2. LE RAPPORT DE LA COMMISSION « DÉFENSE ET SÉCURITÉ » DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
3. UNE MESURE INEFFICACE
4. LES DERNIÈRES PROROGATIONS

1. LE «RAPPORT YOTAMA SUR LES MASSACRES DE BENI ET IRUMU: TERRORISME, DJIHADISME OU GÉNOCIDE NANDE?»

Le 9 novembre, à Kinshasa, le député national Tembos Yotama et le député provincial Benze Yotama ont présenté à la presse les résultats de leur enquête intitulée «Rapport Yotama sur les massacres de Beni et Irumu, terrorisme, Djihadisme ou génocide Nande?»: près de sept mille cinq cents (7.504) personnes ont été tuées entre 2008 et 2021, lors de 2.237 attaques dans 696 entités, dans les territoires de Beni, au Nord-Kivu, et d’Irumu, en Ituri.

Voici les 8 entités les plus ciblées par les présumées Forces Démocratiques Alliées (ADF) de 2008 à 2021 à Beni et Irumu: Maimoya (186 victimes), Eringeti (170), Matiba (141), Mantumbi (124), Vemba (120), Ndalya (119), Kainama (104) et Mamove (100).

Plusieurs généraux se sont succédés à la tête des différentes opérations militaires dans les territoires de Beni (Nord – Kivu) et de Irumu (Ituri). Les auteurs du rapport “Yotama” font correspondre le nombre des civils tués à chacun d’eux:

Nom du Date d’entrée Date finale de Période Nombre Moyenne
commandant en fonction ses fontions victimes par mois
Jean Lucien Baguma 16/01/2014 31/08/2014 8 mois 225 28
Muhindo Akilimali Mundos 01/09/2014 02/06/2015 10 mois 720 72
Marcel Mbangu Mashita 03/06/2015 29/08/2019 50 mois 793 16
Jacques Nduru Chaligonza 30/08/2019 24/07/2021 11 mois 860 78
Peter Chirimwami 24/07/2020 01/06/2021 11 mois 1.012 92
Bertin Mputela Nkolito 01/06/2021       à sept. 2021    – 1.303 261

Évolution annuelle des massacres de 2008 à septembre 2021:

Année Victimes Moyenne mensuelle %
2008 6 0,5 0.08
2009 10 0,83 0.13
2010 102 8,5 1,37
2011 77 6,41 1,03
2012 84 7 1,13
2013 201 16,75 2,71
2014 777 64,75 10,49
2015 727 60.58 9,82
2016 705 58,75 9,52
2017 160 13,33 2,16
2018 612 51 8,26
2019 764 63,6 10,32
2020 1432 119,33 19,35
2021 1747 194,11 23,6
Total 7404 99,76

Évolution des massacres depuis janvier 2014 jusqu’à septembre 2021:

Année Victimes % Attaques %
2014 777 11,22 187 9,51
2015 727 10,5 267 13,58
2016 705 10,18 157 7,98
2017 160 2,31 77 3,92
2018 612 8,84 259 13,17
2019 764 11,03 264 13,43
2020 1432 20,68 409 20,8
2021 1747 25,23 346 17,6
Total 6924 99,99 1966 99,99

Dans leur rapport de plus de 800 pages, les deux élus de Butembo affirment qu’il s’agit d’une situation complexe et catastrophique, et dont les vrais tueurs ne sont pas réellement identifiés: «Même le gouvernement jusqu’à maintenant parle des présumés ADF. Ça veut dire que même le gouvernement n’est pas à mesure de nous donner clairement l’identité des tueurs. Toutefois et curieusement, les attaques sont perpétrées dans des zones sur militarisées».

Selon l’élu de Butembo, Tembos Yotama, «5 mois avant et 5 mois après la proclamation de l’état de siège (le 6 mai 2021) nous laisse voir que 502 personnes ont été égorgées pour la première période et 1302 pour la seconde période. La période de la proclamation de l’état de siège a connu plus des victimes, plus du double, que la période d’avant l’état de siège. Plus de 1302 personnes ont péri pendant la période prise en considérations ou, par ailleurs on recense plus de 263 attaques. En faisant un calcul simple, on constate que pendant cette période, près de 2 attaques s’enregistrent quotidiennement et pendant ces attaques près de 9 personnes périssent par jour. À côté des vies humaines qui sont fauchées à chaque instant, il y a des véhicules qui sont systématiquement incendiés sur le tronçon Beni – Kasindi, Beni – Kisangani, Beni – Ituri. Les voyageurs et les passagers sont calcinés dans les véhicules. Quand les assaillants arrivent dans les villages, ils les incendient et les détruisent. Donc la population locale est obligée à fuir ailleurs.

D’aucuns pensent que l’état de siège a crée plus de malheur que la période d’avant. Plus des gens sont massacres et les restants sont condamnes a supporter la brutalité militaire. Visiblement la solution aux massacres de Beni et Irumu n’a rien à voir avec l’instauration de l’état de siège, le gouvernement, partant de la réalité sur terrain a vraiment tapé à côté. D’où la nécessité de chercher la solution ailleurs, si l’on veut vraiment résoudre cette question».

Dans cette enquête, les deux députés du Nord-Kivu disent qu’une seule tribu a été ciblée à 95 %, celle des Banande. Ils affirment que, au total, 5.891 victimes sont des Banande, 319 victimes appartiennent à d’autres communautés et les autres victimes, découvertes égorgées et abandonnées dans la brousse en putréfaction très avancée, n’ont pas pu être identifiées. Par conséquent, ils en appellent à la conscience nationale devant ce qui pourrait être qualifié de génocide. «Si les Nande sont visés, c’est parce qu’ils ont longtemps résisté à la balkanisation de notre pays», ont-ils estimé.
Selon le rapport, la thèse jihadiste portée par les autorités congolaises ne servirait qu’à «dissimuler les auteurs des massacres».

Pour mettre fin à ces atrocités, ils recommandent au gouvernement de mettre sur pied de nouvelles stratégies, car on a tendance à croire que l’état de siège actuellement en vigueur n’est pas une mesure appropriée pour la sécurité de l’Est. Ils recommandent aux autorités congolaises d’alléger la fiscalité dans la région et de muter vers d’autres provinces tous les officiers issus des anciennes rébellions. Ils recommandent à la communauté internationale la création d’un tribunal pénal international pour la RDC et le «déclenchement d’enquêtes internationales indépendantes, pour identifier les vrais tueurs, pour qu’ils soient déférés devant la justice».[1]

2. LE RAPPORT DE LA COMMISSION « DÉFENSE ET SÉCURITÉ » DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Le rapport de synthèse de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale évaluant l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu après trois mois d’application (cinq aujourd’hui) est daté d’août 2021, mais les députés congolais n’en ont eu connaissance qu’à la fin septembre, avant qu’il ne « fuite » le 30 octobre auprès des médias.
Long de 48 pages, ce rapport résume les différentes auditions des ministres de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice, des Finances et du Budget, ainsi que du chef d’Etat-major de l’armée et des gouverneurs militaires des deux provinces.
Dans le texte, on relève les «faiblesses» répertoriées par les rapporteurs, notamment:
– dans le chef du gouvernement: le «déficit» en «synergie et coordination des ministères et services publics» concernés par l’état de siège, «chacun semblant évoluer indépendamment les uns des autres»;
– dans le chef du ministère de la Défense: l’insuffisance et l’inadaptation des moyens octroyés pour mener une guerre asymétrique (NDLR: entre une armée régulière et des groupes armés irréguliers); le portage du ravitaillement des militaires à… dos d’homme; des opérations militaires insuffisamment planifiées; des effectifs fictifs; l’insuffisance et le vieillissement des militaires; la complicité de certains militaires et policiers avec l’ennemi; l’affairisme de certaines autorités civiles, policières et militaires qui s’adonnent à l’exploitation des ressources naturelles; l’utilisation indue de policiers et militaires pour garder des sites miniers; le détournement de fonds; la corruption des magistrats militaires; les tracasseries nées de l’état de siège (barrages routiers et création de taxes illégales dites «taxes de l’état de siège»); la marginalisation des députés provinciaux par les autorités politico-militaires et leur absence de collaboration avec les communautés locales.
– dans le chef du ministère de l’Intérieur: le manque de fonds réservés à l’ANR (Agence nationale de Renseignement) et de formation de ses agents, ce qui laisse le contrôle et la mainmise du renseignement sur le Congo aux « pays voisins »; la « facile manipulation des autorités coutumières par les semeurs de troubles et incitateurs à la violence moyennant des pourboires »; l’existence de « camps de déplacés non identifiés».
Le rapport conclut par une résolution «urgente»: solliciter «une restructuration profonde et un renouvellement de la chaîne de commandement militaire à tous les niveaux (stratégique, tactique et opérationnel)» dans les deux provinces.
A côté de cette urgence, les membres de la Commission en relèvent d’autres:
– diligenter une mission d’enquête à Kinshasa, «pour la traçabilité des fonds alloués à l’état de siège, aux forces armées, à la police et aux autres services de sécurité, fonds consommés à 68% par les différents états-majors à Kinshasa»;
– exiger du gouvernement «un plan de sortie de l’état de siège avant la demande d’autorisation de la 9ème prorogation» de celui-ci;
– créer une commission spéciale de suivi.
Parmi les recommandations du rapport, on relève celles «globales» faites au gouvernement:
– définir une politique nationale de sécurité
– définir une « vision sécuritaire globale » autour des objectifs politiques de stabilité, reconstruction et « recouvrement de notre souveraineté à l’est »
– identifier les groupes armés et ethniques dans les deux provinces visées
– mettre rapidement en œuvre le programme DDRRC-S
– identifier systématiquement les étrangers membres des groupes armés
– organiser une aide humanitaire à la population des deux provinces
– améliorer la condition sociale du militaire, du policier et de l’agent de service
– redéfinir globalement la politique nationale d’exploitation des ressources naturelles et en particulier l’exploitation minière artisanale.
Pour lire l’entièreté du rapport de synthèse de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale, cliquez ici .[2]
Selon le rapport, l’état de siège est émaillé de dérapages, violations des droits de l’homme et corruptions des magistrats militaires.
Le constat des députés est direct: l’état de siège avait été proclamé dans des circonstances atypiques, à savoir sans aucun plan d’action stratégique et sans prévisions budgétaires. Plusieurs semaines après l’annonce officielle, les forces de sécurité n’avaient toujours pas été déployées. Les premiers décaissements, quelque 37 millions de dollars, ont été dépensés pour liquider les arriérés de paie des militaires et plus de la moitié a été répartie entre les états-majors, à Kinshasa.
Selon le  rapport, même après le déploiement des responsables militaires, la chaîne de commandement de l’armée a continué à fonctionner «comme à l’ordinaire», c’est-à-dire comme avant la proclamation de l’état de siège.
Au cours des auditions, les députés ont relevé par exemple qu’il y a insuffisance et vieillissement des effectifs réels sur le champ des opérations et qu’il n’y a pas d’unités formées pour des opérations spéciales. Conséquence, les populations souffrent sur le terrain. Parfois indique le rapport, elles sont victimes des bombardements collatéraux dus à de mauvais ciblages.
La commission affirme avoir décelé un sentiment de «divorce entre l’armée et les populations civiles». Les députés ont également dénoncé les tracasseries administratives nées de la multiplicité des barrières. Sur certains tronçons du Nord-Kivu, des taxes illégales dites «taxes de l’état de siège» sont créées et des fonds collectés.
Le général Célestin Mbala, chef d’état-major Général des FARDC, a insisté sur les difficultés inhérentes à l’état de siège, en épinglant notamment «les faibles moyens financiers et logistiques, l’inexistence d’unités de réserve, le déficit des capacités de la Police Nationale Congolaise (PNC) appelée à assurer la sécurité et la protection de la population et de leurs biens, ainsi que l’irrégularité de la prise en charge sanitaire et la prime des militaires au front». Le chef d’état-major général a plaidé pour la «constitution rapide» d’unités militaires de réserve et celles de la police de proximité.
De sa part, le ministre de la Défense, Gilbert Kabanda, a démenti qu’il y ait une hausse du taux de criminalité dans les grandes agglomérations depuis l’instauration de l’état de siège. Ce qui est vrai, toujours selon le ministre, est que l’ennemi a été chassé de ses anciens bastions et s’est rapproché des axes routiers, pour «poser des actions spectaculaires, afin de démontrer sa résilience au regard des pertes infligées». Toutefois, en dépit du démenti du ministre de la Défense, la commission spécialisée a conclu que, dans l’ensemble, depuis l’instauration de l’état de siège, les tueries, massacres, viols, braquages et incendies des véhicules se sont intensifiés.
En ce qui concerne l’exposé de la ministre de la Justice Rose Mutombo, le rapport a fait état de 156 cas d’extorsions, plusieurs cas de viols et des arrestations arbitraires.  Les magistrats militaires sont pointés du doigt pour le monnayage des procédures et pour des actes de concussion, notamment dans la province de l’Ituri. Lors des auditions, les députés ont, par ailleurs, relevé que les militaires sont accusés de collaborer avec les groupes armés dans les territoires de Masisi, Rutshuru, Walikale, Beni, Irumu, Djugu et Mambasa. La ministre de la Justice Rose Mutombo a affirmé que des enquêtes sont en cours, pour vérifier ces allégations.[3]

3. UNE MESURE INEFFICACE

Le 29 octobre, le Groupe d’Études sur le Congo (GEC) a révélé que plus d’un millier de civils ont été tués par des groupes armés dans le Nord-Kivu et l’Ituri, en l’espace de 6 mois, soit depuis que ces deux provinces ont été mises sous état de siège, le 06 mai 2021, par le président Félix Tshisekedi.
Cela fait bientôt six mois que cette mesure a été mise en place par le président de la République. Et jusque-là, les chiffres ne montrent aucun bilan positif. Les tueries de civils se sont poursuivies au même rythme qu’avant l’état de siège. En réalité, les effets de cette mesure n’ont pas été ceux qui étaient attendus. Pourquoi?
Des militaires et policiers ont pris possession des administrations civiles dans les provinces, territoires, et villes du Nord-Kivu et de l’Ituri. Ils ont été largement accaparés par cette charge
et très peu de moyens supplémentaires leur ont été fournis. Conséquence paradoxale: l’activité de l’armée congolaise sur le terrain a en réalité diminué depuis l’instauration de l’état de siège.
Sur le terrain, l’opinion semble de plus en plus sceptique. Lors du dernier sondage du Groupe d’étude sur le Congo et de la Fondation Berci, réalisée en septembre, 66 % des personnes interrogées dans les provinces du Kivu et de l’Ituri estimaient que la situation sécuritaire s’était dégradée depuis l’investiture du gouvernement actuel, au mois d’avril.
Malgré cela, le président Tshisekedi ne montre aucun signe de remettre en cause sa décision.
Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New-York, le 21 septembre, il a même dit qu’il la lèverait lorsque «les circonstances qui l’ont motivé disparaîtront». Ce discours pourrait inscrire le pays dans un piège: celui d’une mesure inefficace, mais malgré tout maintenue indéfiniment.
Alors, pourquoi le président Félix Tshisekedi tient-il tant à cette mesure? Pourquoi va-t-il continuer à prolonger cette mesure?  Il y a d’abord une question de crédit politique: revenir en arrière, alors que les tueries se poursuivent manifestement, serait un aveu d’échec difficile à assumer devant l’opinion publique. Ensuite, de manière plus pernicieuse, les militaires qui ont obtenu, grâce à cette mesure, des postes et l’accès à des ressources, n’ont pas d’intérêt personnel à ce qu’elle prenne fin. On peut imaginer qu’ils ne fassent remonter que les informations qui les arrangent, dissimulent leurs pertes, pourtant nombreuses, et communiquent constamment sur des progrès, sans jamais atteindre une paix véritable.
Une manière de sortir de ce cycle inquiétant serait que le Parlement joue pleinement son rôle de contrôle de l’exécutif, évalue objectivement cette mesure et, s’il l’estime nécessaire, s’oppose à sa reconduction ou la conditionne à des réformes. Le rapport de la Commission défense et sécurité pourrait être une étape importante, s’il permettait l’ouverture d’un débat démocratique sur l’état de siège.[4]

Le 1er novembre, dans son rapport mensuel, le Baromètre Sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker / KST) a affirmé que cinq mois d’état de siège en Ituri et au Nord Kivu, n’ont pas produit « d’effets positifs visibles » et relève une « nette » augmentation des violences en septembre, après une « baisse notable » en août. En septembre, dans ces régions, le KST a enregistré 198 meurtres, en hausse de 19% sur le mois précédent.
Faisant le bilan du 3e trimestre, le KST considère que « la comparaison avec le trimestre précédent ne permet pas de conclure à une efficacité de l’état de siège instauré en Ituri et dans le Nord-Kivu ». « Le nombre de civils tués y est resté remarquablement stable (546 au 3e trimestre, contre 566 au 2e), de même que le nombre d’enlèvements (280 contre 273) ».
Le Kivu Security Tracker (KST) est une initiative conjointe du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), rattaché à l’Université de New York, et de l’ONG américaine Human Rigths Watch (HRW).[5]

Le 2 novembre, dans un communiqué, les chauffeurs exerçant sur la route Butembo-Beni-Kisangani-Bunia ont déclaré que, sous le régime de l’état de siège, mille quatre cent cinquante-neuf (1.459) civils ont été tués, trois cent cinquante-sept (357) civils sont portés disparus, quarante-cinq (45) véhicules incendiés et quatre cent vingt (420) maisons incendiées.
Pour ces chauffeurs, il s’observe une augmentation exagérée de tracasseries policières et militaires sur le tronçon Beni-Butembo-Bunia-Kisangani avec la multiplicité des barrières, où diverses sommes d’argents sont demandées aux conducteurs. Ils évoquent les barrières de la police de circulation routière à Eringeti, Luna, Irumu, Marabo et Komanda, où toutes les voitures payent 10.000 francs congolais (5USD) par passage, sans aucune quittance. A cela s’ajoute le frais du Fonds National d’Entretien Routier (FONER) à Luna, qui s’élève à 46000 francs (23 USD).
Selon les mêmes sources, d’autres frais appelés « rapports » des policiers et militaires s’y ajoutent; sans oublier les « frais de l’état de siège », qui s’élève à 5.000 francs (2.5 USD) perçus à Oicha, Mavivi et Eringeti-Kasana et 10$ de convoi « dont l’activité est dictatoriale et irrégulière ».[6]

Le 6 novembre, dans une déclaration, le mouvement pro-démocratie Lutte pour le Changement (LUCHA) a dressé un bilan de plus de 1.502 civils tués depuis l’instauration de l’état de siège par le président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. La LUCHA dit constater que l’état de siège déclaré «pour endiguer les violences armées, sécuriser les populations civiles et leurs biens» est un «échec» jusque-là. En conséquence, elle s’inscrit en faux contre ses éventuelles prorogations.
«6 mois après, les violences contre les civils se sont accentuées et étendues aux zones jadis relativement calmes et paradoxalement aucune activité militaire intense n’a été constatée, y compris dans les zones fortement insecurisées (Beni, Djugu, Irumu, Mambasa). Plus de 1.502 civils ont été tués dans les provinces sous état de siège, soit une moyenne de 8 civils par jour. […] Proroger continuellement un état de siège dont l’échec ne fait l’ombre d’aucun doute est une insulte à la mémoire des victimes», écrit le mouvement citoyen.
Face aux atrocités perpétrées dans l’Est de la République démocratique du Congo, la LUCHA formule au chef de l’État, Félix Tshisekedi Tshilombo, certaines recommandations dont notamment:
– Identifier et écarter des opérations militaires en cours et de la chaîne de commandement de l’armée, de la Police et des services de renseignements, les officiers et militaires soupçonnés de violations graves des droits humains, des collisions avec les groupes armés ou de trafics divers et les mettre à la disposition de la justice.
– Mettre en œuvre, sous un leadership sérieux, honnête, rassembleur et rassurant, un vrai programme de démobilisation, désarmement, réinsertion communautaire et éventuellement rapatrier des membres de groupes armés étrangers.
– Dissocier les troupes kényanes de la MONUSCO tout en les dotant d’un mandat et des moyens adéquats pour protéger les civils et neutraliser les groupes armés, afin de leur permettre d’avoir un peu plus de liberté et d’efficacité sur le plan opérationnel.[7]

Le Vice-Président de la Société Civile Forces vives du Nord-Kivu, Edgar Katembo Mateso, a donné 10 raisons expliquant « l’échec » de l’État de siège dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri:
1. Impréparation
2. Déficit dans la planification
3. Absence de réalisme et de déterminisme
4. Absence d’un mécanisme contraignant de suivi et d’évaluation
5. Absence de principe de redevabilité
6. Absence d’un cadre de concertation civilo-militaire
7. Absence de coordination d’actions et de mécanisme conjoint de vérification entre acteurs
8. Insuffisance des actions de justice qui accompagnent efficacement les opérations
9. Absence d’empathie nationale
10. Absence du plan de sortie.
Selon Edgar Mateso, «la population s’attendait à ce qu’au lendemain du déploiement des autorités militaires et policières, les offensives allaient immédiatement commencer et continuer jour et nuit jusqu’à la neutralisation du dernier ennemi. Jusqu’aujourd’hui, on a l’impression que les autorités de l’État de siège travaillent à tâtons, avec un focus sur les actions non militaires, dont les urgences humanitaires et la maximisation des recettes. Notre armée ne répond qu’aux attaques. Elle est à la défensive. Pas de chronogramme clair de reconquête des entités sous contrôle de l’ennemi et de réinstallation des déplacés. Leur P-DDRC-S peine à démarrer et les groupes armés à démobiliser deviennent de plus en plus actifs et nocifs. On pensait que le gouvernement dit des « Warrios » intégrerait quelque chose de multidisciplinarité, de telle sorte qu’au sein de chaque ministère on définisse quelque chose qui concoure à l’érection de la paix, mais en vain».[8]

4. LES DERNIÈRES PROROGATIONS

Le 8 octobre, le Gouvernement a adopté le projet de loi portant autorisation de la prorogation de l’état de siège décrété sur les deux provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.[9]

Le 14 octobre, l’Assemblée nationale a adopté, pour la dixième fois consécutive, le projet de loi portant prorogation de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. 275 des 284 députés présents ont voté « pour », 8 ont voté « contre » et 1 s’est abstenu. Adopté en première lecture, le texte sera envoyé au Sénat pour la seconde lecture avant la promulgation par le Chef de l’État. Cette prorogation intervient après que la plénière de l’Assemblée nationale a adopté le rapport de la commission défense et sécurité relatif à l’état de siège en vigueur dans cette partie du pays depuis le 6 mai dernier et qu’elle a exigé au gouvernement de présenter un «plan de gestion de sortie de l’état de siège» avant la 10e prorogation de l’état de siège.[10]

Le 15 octobre, le député national Jean-Baptiste Kasekwa, élu de Goma (Nord Kivu), a rappelé que, le 29 septembre dernier, la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale avait recommandé que le gouvernement présente un plan de sortie avant toute autre prorogation. Jean-Baptiste Kasekwa regrette ainsi que le gouvernement se soit de nouveau présenté pour solliciter une nouvelle prorogation sans préalablement avoir présenté ce plan de sortie de l’état de siège.[11]

Le 15 octobre, le Sénat a voté en seconde lecture le projet de loi du gouvernement portant prorogation de l’état de siège dans les deux provinces du Nord Kivu et de l’Ituri.[12]

Le 1er novembre, les députés nationaux de l’Ituri et du Nord-Kivu ont décidé de quitter la plénière consacrée à l’examen du projet de loi portant prorogation de l’état de siège pour la 11e fois. Ces élus disent avoir constaté avec regret et déception que la situation sécuritaire de leurs provinces s’est détériorée davantage pendant l’état de siège en cours. Ils notent «la persistance de l’activisme des groupes armés locaux et étrangers, des tueries quasi permanentes de la population civile, du pillage des biens et du bétail, des incendies des maisons et des infrastructures sociales de base, des déplacements massifs de la population et de l’occupation des villages par les groupes armés locaux et étrangers». Au regard de ce qui précède, dans une déclaration faite au sortir de la plénière, les députés nationaux de l’Ituri et du Nord-Kivu ont affirmé: «Nous exprimons notre désapprobation à toute énième prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu; suspendons de ce fait, toutes nos participations aux plénières convoquées pour adopter le projet de loi portant prorogation de l’état de siège et cela jusqu’à nouvel ordre; Demandons avec insistance la démission immédiate des gouverneurs militaires de l’Ituri et du Nord-Kivu qui ont démontré leurs limites et leur faible degré d’engagement à réaliser les opérations et objectifs assignés à l’état de siège de même que  celui du ministre de la défense nationale et anciens combattants; Exigeons aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, de nous organiser une rencontre autour du Chef de l’État pour aborder l’épineuse question de la précarité et la persistance de la situation sécuritaire dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu».[13]

Le 1er novembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi portant 11ème prorogation de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. 335 députés des 342 présents ont voté « pour », 6 ont voté « contre » et 1 s’est abstenu. Cette nouvelle prorogation prend cours du 3 au 17 novembre, soit 15 jours. C’est sur fond de controverses que l’état de siège a été prorogé une nouvelle fois. Les députés de l’Ituri et du Nord-Kivu n’ont pas participé au vote. Ils ont quitté la salle pour exiger un plan de sortie de cette mesure avant toute prorogation. Pour eux, l’état de siège ne résout rien car les violences ne font que s’aggraver dans les deux provinces. Par conséquent, ils exigent aussi le départ du Ministre de la Défense et des deux gouverneurs militaires.[14]

Le 3 novembre, le Sénat a adopté en seconde lecture le projet de loi portant 11ème prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Sur 109 sénateurs, 89 ont pris part au vote, 84 ont voté pour, 4 ont voté non et 1 sénateur s’est abstenu. Après cette adoption au Sénat, le texte est envoyé au Président de la République en vue de sa promulgation. Cette nouvelle prorogation va du 3 au 17 novembre, soit 15 jours.[15]

Le 5 novembre, le Conseil des Ministres a adopté le projet de loi portant prorogation de l’état de siège pour la 12e fois dans les deux provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. D’après Rose Mutombo, ministre de la justice, l’objectif est de cristalliser les acquis des opérations militaires en cours. Toujours selon la ministre, le gouvernement de la République souhaite mettre en place un cadre de concertation avec les députés nationaux des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, ce qui pourra permettre au gouvernement d’enrichir ses informations, avant de solliciter d’autres prorogations par l’Assemblée nationale.[16]

Le 11 novembre, le Premier ministre Sama Lukonde, accompagné par plusieurs membres du gouvernement, a échangé avec les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri sur la problématique de l’état de siège dans ces deux provinces. Cette séance de travail et d’échange d’informations a connu la participation d’autres membres du gouvernement, notamment le VPM de l’intérieur Daniel Aselo, la ministre d’État de la justice Rose Mutombo, le ministre de la Défense nationale Gilbert Kabanda et quelques officiers supérieurs militaires et policiers. Depuis plusieurs semaines, les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri s’opposent  à la prorogation de l’état de siège et se montrent plutôt favorables à une mutualisation des forces avec «des pays amis», en vue de traquer les groupes armés, notamment la rébellion de Forces Démocratiques Alliées (ADF). Au cours de ces échanges, ils ont insisté sur la nécessité de mettre en œuvre les recommandations du Parlement sur l’état de siège, notamment le changement du commandement militaire et des deux gouverneurs et un plan de sortie de l’état de siège.[17]

Le 17 novembre, en l’absence des députés de l’Ituri et du Nord Kivu, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi portant 12ème prorogation de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Sur les 287 députés qui ont pris part à la plénière, 280 ont voté pour la prolongation, 3 ont voté contre et 4 autres se sont abstenus. Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, ce texte sera transmis au Sénat pour une seconde lecture avant sa promulgation par le Président de la République. Cette nouvelle prorogation prend cours dès le 19 novembre et expire le 3 décembre, soit 15 jours. De leur part, les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri continuent à exiger la démission du ministre de la défense et des deux gouverneurs militaires, pour insuffisance des résultats obtenus.[18]

Le 17 novembre, dans une déclaration, les députés nationaux du Nord-Kivu et de l’Ituri ont réitéré leur position contre la 12ème prorogation de l’état de siège et ils ont fustigé la non prise en compte, par le gouvernement, de leurs recommandations pour mettre fin à l’insécurité à l’Est du pays. Dans leur déclaration, ils ont répertorié au moins 161 cas de civils tués en 13 jours, soit 11 tués par jour sous la 11e prorogation de l’état de siège. A titre illustratif, ils ont cité les cas suivants: «Dans la nuit du 14 au 15 novembre 2021, au moins 22 civils ont été tués au village Chabusiku, groupement Tsere, chefferie de Bahema en territoire d’Irumu en Ituri. Dans la nuit du 11 au 12 novembre 2021, au moins 70 civils ont été massacrés au village Kisunga en chefferie de Bashu, en territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu. Du 03 au 09 novembre 2021,  au moins  52 corps en décomposition ont été retrouvés dans différents villages du groupement Babila Bangolo, chefferie de Babila Babombi, en territoire de Mambasa, en Ituri». Face à cette situation, les députés nationaux de l’Ituri et du Nord-Kivu, disent réitérer avec force leur appel pressant à l’endroit du gouvernement, pour qu’il mette urgemment en œuvre les recommandations lui soumises par les députés nationaux, en vue de rétablir rapidement la paix dans les deux provinces sous état de siège.[19]

Le 18 novembre, le Sénat a adopté, en seconde lecture, le projet de loi portant 12ème prorogation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Sur 91 sénateurs qui ont pris part au vote, 87 ont voté Oui, 3 ont voté non et 1 s’est abstenu. Ce projet de loi a été présenté et défendu par la ministre de la justice, Rose Mutombo qui a aussi rappelé la nécessité d’activer le cadre de concertation entre le gouvernement et les parlementaires (députés et sénateurs) des deux provinces sous état de siège. Le texte adopté en seconde lecture est envoyé au Président de la République en vue de sa promulgation.[20]

[1] Cf Radio Okapi, 10.11.’21; Pascal Mulegwa – RFI, 10.11.’21; Clément Muamba – Actualité.cd, 09.11.’21; Roberto Tshahe – 7sur7.cd, 09.11.’21; Victoire Muliwavyo – Lesvolcansnews.net, 16.10.’21
[2] Cf Marie-France Cros – Lalibre.be, 02.11.’21; https://afrique.lalibre.be/app/uploads/2021/11/D_Cfre_Desktop_rapport-parlementaire-etat-de-siege.pdf
[3] Cf Pascal Mulegwa – RFI, 31.10.’21
[4] Cf http://congoresearchgroup.org/la-rdc-peut-elle-sortir-de-letat-de-siege/?lang=fr
[5] Cf AFP – Actualité.cd, 01.11.’21
[6] Cf Radio Okapi, 03.11.’21
[7] Cf Joël Kaseso – 7sur7.cd, 08.11.’21
[8] Cf Magloire Tsongo – Laprunellerdc.info, 11.11.’21
[9] Cf Moise Dianyishayi – 7sur7.cd, 09.10.’21
[10] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 14.10.’21
[11] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 15.10.’21
[12] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 15.10.’21
[13] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 01.11.’21
[14] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 01.11.’21
[15] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 03.11.’21
[16] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 06.11.’21
[17] Cf Radio Okapi, 12.11.’21; Clément Muamba – Actualité.cd, 12.11.’21
[18] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 17.11.’21
[19] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 17.11.’21; Carmel Ndeo – Politico.cd, 17.11.’21
[20] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 18.11.’21