Congo Actualité n. 460

L’ARMÉE OUGANDAISE EN RDCONGO POUR COMBATTRE LES ADF

SOMMAIRE

1. RDC-OUGANDA: LE TABOU DES INTERVENTIONS MILITAIRES ÉTRANGÈRES
2. L’ENTRÉE DE TROUPES OUGANDAISES EN RDCONGO
3. LES DÉCLARATIONS QUI ONT SUIVI
4. LE DEBAT SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ OU NON DE L’AUTORISATION D’ENTRÉE EN RDCONGO ACCORDÉE PAR KINSHASA À L’ARMÉE OUGANDAISE
5. DES ENJEUX CACHÉS

1. RDC-OUGANDA: LE TABOU DES INTERVENTIONS MILITAIRES ÉTRANGÈRES

Depuis le 30 novembre, des opérations militaires conjointes ont été lancées par les armées ougandaises et congolaises à l’Est du Congo, pour traquer les rebelles ADF. Mais la présence de soldats ougandais sur le sol congolais fait débat.
Depuis le feu vert de Kinshasa aux troupes ougandaises d’entrer au Congo, la polémique enfle sur la légitimité et les objectifs d’une telle intervention.
Les images de soldats ougandais qui entrent à pieds avec armes et bagages au Congo, suscitent beaucoup d’interrogations et rappellent surtout de bien mauvais souvenirs aux Congolais. Entre 1998 et 2003, l’armée ougandaise avait activement participé à ce que l’on appelle la «deuxième guerre congolaise», en soutenant d’abord la milice du MLC de Jean-Pierre Bemba, puis en affrontant l’armée rwandaise à Kisangani en 2000. Si la majorité des Congolais veulent en finir avec les massacres dans la région du Nord-Kivu et de l’Ituri, ils s’inquiètent aussi sur les risques de voir entrer une armée étrangère de triste mémoire sur leur territoire.
À ce propos, il faut rappeler que, en 2005, l’Ouganda avait été condamné par la Cour internationale de justice de La Haye, pour «violations des droits de l’Homme» et «pillages et exploitations des ressources naturelles».
Les opérations militaires ougandaises ont été justifiées par des attentats à la bombe, récemment perpétrés à Kampala et que les autorités attribuent aux ADF. Mais on imagine que la demande des Ougandais d’intervenir sur le sol congolais n’était pas pour déplaire à Kinshasa.
Depuis mai dernier, le Nord-Kivu et l’Ituri ont été placés sous état de siège. Un régime d’exception qui donne les pleins pouvoirs aux militaires et intensifie les offensives militaires. Mais après sept mois d’état de siège, force est de constater que la violence n’a pas diminué dans la zone. Plus de 1.200 civils ont été tués pendant cette période, et l’aide ougandaise tombe à point nommé pour redorer un état de siège dont les résultats se font cruellement attendre.
Selon une source sécuritaire occidentale, la décision de Félix Tshisekedi de laisser entrer les troupes ougandaises pour combattre les ADF est ainsi très pragmatique: «Devant le manque de résultats de l’état de siège, le président n’avait pas d’autres choix que de faire appel à ses voisins. L’armée congolaise est encore très faible. Elle n’arrivera pas à ramener la sécurité toute seule et le président sait qu’il est très attendu sur le dossier sécuritaire».
Mais les risques de l’intervention ougandaises sont bien réels.
Le président Tshisekedi a fait le pari d’une amélioration de la sécurité à l’Est grâce aux opérations conjointes menées avec son voisin ougandais, qui, comme lui, a tout intérêt à voir disparaître la menace des ADF. Mais le pari est risqué. Les résultats peuvent être décevants et la pression militaire sur ce groupe armé peut avoir l’effet inverse, et notamment d’augmenter les représailles contre les populations civiles.
L’arrivée sur le territoire congolais des forces ougandaises risque aussi de relancer les tensions régionales. C’est ce qu’explique Jason Stearns, directeur du GEC (Groupe d’étude sur le Congo) à l’université de New York: «Le Rwanda, qui a longtemps regardé l’Ouganda avec suspicion, pourrait voir le déploiement de troupes ougandaises comme une menace et un empiètement sur une zone qu’il considère comme essentielle pour sa sécurité nationale et son développement économique». La crainte serait une intensification du conflit, où l’Ouganda et le Rwanda se retrouveraient en RDC avec, au milieu, une armée congolaise impuissante.
Au de là de ces risques, si les opérations militaires sont indispensables pour éradiquer les groupes armés, elles ne sont pas suffisantes pour ramener la paix dans l’Est du Congo. Les causes de l’insécurité sont, en effet, multiples: problèmes économiques, conflits fonciers, communautaires, sociaux, lutte pour les ressources naturelles ou le pouvoir politique… et la réponse militaire ne peut pas être la seule retenue. S’il est nécessaire mener des opérations militaires, il faut aussi mettre en œuvre un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion sociale, favoriser des projets de médiation des conflits locaux, construire et entretenir les infrastructures et, enfin, fournir les services publics essentiels.[1]

2. L’ENTRÉE DE TROUPES OUGANDAISES EN RDCONGO

Le 28 novembre, un conseiller de la présidence congolaise qui a requis l’anonymat a déclaré que, le vendredi 26 novembre, le  président Félix Tshisekedi a autorisé l’armée ougandaise à traverser la frontière pour combattre, en collaboration avec l’armée congolaise, les Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise responsables de nombreux massacres dans l’est de la République démocratique du Congo et de récents attaques en Ouganda. Selon ses déclarations, «il faut toutefois que toutes les procédures soient respectées, notamment au niveau du Parlement et du commandement des Forces Armées de la RDC (FARDC)».
Le Chef de l’État est parvenu à cette décision après avoir consulté une délégation des notables de la communauté Nande, majoritaire dans la région de Beni et dont faisait partie aussi Antipas Mbusa Nyamuisi, président du RDC-K/ML.[2]

Le président congolais Félix Tshisekedi a accepté la demande formulée par son homologue ougandais Yoweri Museveni. Cette intervention devrait prendre la forme d’une opération conjointe avec les FARDC. L’objectif est notamment de poursuivre le groupe armé ADF qui sévit dans l’est de la RDCongo. Le 16 novembre dernier, les autorités ougandaises avaient également accusé les ADF d’être à l’origine des deux attentats de Kampala ayant fait quatre morts. Ces deux attentats avaient été revendiqués par le groupe Etat islamique à travers sa province d’Afrique centrale (ISCAP) à laquelle les ADF appartiendraient. En effet, en mars dernier, les États-Unis avaient placé les ADF parmi les « groupes terroristes » affiliés aux jihadistes de l’Etat Islamique (EI).
C’est cet évènement qui a permis à Yoweri Museveni d’accentuer la pression sur son homologue congolais. Cela fait des années que le président ougandais tente d’obtenir l’aval de Félix Tshisekedi pour cette opération. Au cours d’un entretien accordé à France 24 en septembre, le président ougandais avait manifesté ses intentions d’envoyer des troupes en RDC: «Nous sommes toujours prêts à aider, si le gouvernement congolais nous y autorise».
Kinshasa et Kampala se sont davantage rapprochés depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. Sur initiative du Président ougandais Yoweri Museveni, en mai dernier, des accords avaient été signés notamment pour la construction de plusieurs routes reliant les deux pays. Les travaux dudit projet avaient été lancés mi-juin par les deux Chefs d’Etat à la cité frontalière de Kasindi.[3]

Le 29 novembre, dans une conférence de presse, Patrick Muyaya, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, a apporté quelques nuances. Selon lui, il n’existe aucune présence de l’armée ougandaise sur le sol congolais, mais plutôt des échanges d’informations entre les deux parties: «Il n’y a pas des troupes ougandaises en RDC… mais il y a des contacts réguliers et étroits entre les forces armées et les services de renseignement de la RDC et de l’Ouganda. Par rapport à la menace qui s’accroît, nos armées pourraient envisager des actions ciblées». Le porte-parole du gouvernement a laissé entendre la possibilité d’aller au-delà du type de collaboration actuelle:  «Dans la suite du travail de mutualisation des renseignements en cours depuis plusieurs mois, le peuple congolais sera informé sur les actions « ciblées et concertées » envisagées avec l’armée ougandaise pour combattre les terroristes de l’ADF, notre ennemi commun», en reconnaissant ainsi que l’éventualité d’une opération militaire conjointe entre les deux Pays «est une option possible, puisqu’il s’agit d’une menace internationale».[4]

Le 30 novembre, le porte-parole du ministère ougandais de la défense a annoncé que l’armée ougandaise (Uganda people’s defence force / UPDF), a lancé des opérations contre les combattants des Forces démocratiques alliées (ADF) dans le territoire de Beni, dans l’est de la RDC. Ces opérations sont coordonnées conjointement avec les « alliés », qui sont les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC): «Ce matin, nous avons lancé des frappes aériennes et d’artillerie conjointes contre les camps des ADF avec nos alliés congolais».
Juste après l’annonce faite par le porte-parole du ministère ougandais de la défense, dans un tweet, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a annoncé que «les actions ciblées et concertées avec l’armée ougandaise ont démarré avec des frappes aériennes et des tirs d’artillerie à partir de l’Ouganda sur les positions des terroristes ADF en RDC». En effet, dans la matinée, l’armée ougandaise a pilonné des positions des rebelles ADF près de Madina, dans la chefferie de Watalinga, en territoire de Beni, frontalier avec l’Ouganda.[5]

Le 30 novembre, le porte-parole du ministère ougandais de la défense a assuré que les frappes dirigées dans la matinée par la Force de défense du peuple ougandais (UPDF) contre des sites des combattants des Forces démocratiques alliées (ADF) dans le territoire de Beni (Nord-Kivu), ont atteint les cibles avec précision et que des opérations au sol sont aussi prévues, en vue de repérer d’autres sites ADF. Les sources locales confirment ces frappes. Au moins deux avions militaires ougandais ont sillonné la zone pour pilonner des cibles identifiées, notamment dans le Watalinga.
Après les frappes aériennes du matin, le porte parole du gouvernement congolais a annoncé que l’armée congolaise (FARDC) et celle ougandaise (UPDF) prévoient de passer à une offensive terrestre conjointe, avec le déploiement au sol des troupes d’infanterie, pour mener des opérations de fouille, ce qui leur permettra de prendre le contrôle sur le territoire et de le sécuriser.[6]

Le 30 novembre, la société civile des Watalinga, dans le territoire de Beni (Nord-Kivu), a confirmé l’entrée des troupes ougandaises sur le sol congolais. Selon David Muwaze, représentant de la société civile locale, des militaires ougandais avec tous les matériels ont traversé la frontière congolaise via le poste de Nobili cet après-midi et sont installés à Buisegha, un village situé entre Nobili et la localité de Kamango. Le président de la société civile de Watalinga. Mabele Musaidizi Watala, a précisé que «les militaires Ougandais sont déjà à Buisegha à 3 km de Kamango en allant vers Nobili et d’autres sont déjà à Bauma près de Bungando. Le mwami de la chefferie, Pascal Saambili nous a dit d’appeler la population au calme car il y a déjà un accord signé entre le gouvernement Congolais et celui de l’Ouganda. Hélas, la population n’était pas au courant de l’arrivée de ces éléments, voilà ça crée une psychose et des déplacements».[7]

Le 1er décembre, une autre vague de militaires ougandais est entrée vers 11H00 heures à bord de véhicules blindés, de chars de combat et d’une dizaine des camions « KAMAZ ».[8]

Le 1er décembre, à Kinshasa, devant la presse, le gouvernement congolais, via son porte-parole Patrick Muyaya, a confirmé la présence des éléments de l’armée Ougandaise en République démocratique du Congo depuis le jour précédent.
Répondant aux inquiétudes des Congolais qui dénoncent le recours à l’armée ougandaise pour mener des opérations sur le sol congolais en se référant aux atrocités commises par ces forces sur les populations congolaises dans le passé, le ministre de la Communications et médias, Patrick Muyaya, affirme que le gouvernement congolais a plutôt choisi d’aller de l’avant tout en n’oubliant pas le passé. «Nous savons tous que nous avons un passé difficile avec nos voisins. Nous n’oublions rien de notre passé. Les inquiétudes de nos compatriotes, nous les prenons en charge. Nous savons que c’est une opération que certains compatriotes, pour de bonnes raisons ont des doutes. Mais il y a des choix à faire et nous avons fait le choix d’avancer ensemble. Nous faisons face à un ennemi commun, les ADF, qui n’a pas de frontières, qui décime à la fois chez nous et en Ouganda. Nous avons l’obligation d’agir ensemble», a soutenu Patrick Muyaya.
L’Uganda people’s defence force (UPDF) avait occupé pendant plusieurs années la partie nord-est de la RDC, précisément la province de l’Ituri entre 1998 et 2003. L’armée ougandaise est aussi à la base des crimes graves commis dans la ville de Kisangani. Il y a 21 ans, la ville de Kisangani était secouée par la guerre entre les armées ougandaise et rwandaise pendant six jours, faisant plus de 1000 morts et 3 000 blessés et des dégâts matériels inestimables.[9]

Le 2 décembre, des renforts en troupes et équipements ont continué à arriver d’Ouganda en République démocratique du Congo, au 3e jour de l’opération lancée contre les rebelles ADF.
«Vers 16H00 (14H00 GMT), nous venons de voir une autre colonne de l’armée ougandaise entrer. Ils sont à bord de leurs véhicules blindés. il y a aussi des water tanks (camions citernes)», a indiqué Tony Kitambala, journaliste indépendant basé à Nobili (Nord-Kivu). Entretemps, en fin de journée. dans leur premier communiqué conjoint depuis le début de l’opération, les porte-parole des deux armées, les généraux Flavia Byekwaso et Léon-Richard Kasonga, ont indiqué que «les forces spéciales des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) appuyées par les unités spéciales des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) continuent les opérations de fouille dans la zone qui avait été pilonnée à l’aube du 30 novembre par les deux armées».[10]

Le 3 décembre, les troupes ougandaises et congolaises ont poursuivi leur offensive conjointe contre le groupe ADF sur le sol congolais. Les soldats ougandais sont entrés par Nobili, dans le groupement de Bawisa. En ce qui concerne l’accord entre les autorités congolaises et ougandaises sur ces opérations conjointes, on n’en sait encore rien. On ne connaît pas la durée des opérations. Les deux parties n’ont pas non plus donné le nombre des militaires ougandais qui opèrent en RDC.
Toutefois, selon certaines sources, au moins 1700 militaires ougandais sont déjà arrivés. Quelques 300 autres sont attendus. Ces militaires de l’armée ougandaise ont installé leur base opérationnelle avancée à Mukakati, un village du secteur de Watalinga, à environ 13 km à l’ouest de Nobili, poste frontalier avec l’Ouganda,[11]

Le 3 décembre, les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) ont déclaré qu’elles poursuivraient leur offensive dénommée « Shujja » (celui qui est fort, en swahili) et menée contre les Forces démocratiques alliées (ADF) jusqu’à ce que ce groupe soit décimé. Dans une interview, la porte-parole de la Défense et de l’Armée, le brigadier Flavia Byekwaso, a déclaré: «Nous ne pouvons pas dire quand l’UPDF quittera la République démocratique du Congo car il s’agit d’une opération en cours. Je veux croire que nous y resterons jusqu’à ce que ces gens soient complètement anéantis». L’offensive ougandaise est commandée par le chef des forces terrestres de l’UPDF, le lieutenant général Muhoozi Kainerugaba, et le commandant de la division Mountain, le major général Kayanja Muhanga.[12]

Très rares sont les informations sur les positions actuelles des ADF. Selon plusieurs sources sécuritaires, l’état-major actuel des ADF se trouverait à la limite des territoires de Mambasa et Irumu dans la province de l’Ituri, en proximité des positions de la milice CODECO.
Les ADF auraient déplacé leur quartier général de Beni vers cette région juste après l’instauration de l’Etat de siège au Nord-Kivu et en Ituri, après avoir vidé plusieurs de leurs campements traditionnels situés dans la région de Beni, où ils auraient formé des petits groupes d’une quarantaine des combattants qui opèrent sur différents axes: Halungupa, Lume, Bashu, Mwenda, Kainama et Mamove, avec comme objectif de mener des attaques pour se ravitailler et infiltrer les grandes agglomérations pour obtenir des renseignements. Toujours selon ces sources sécuritaires, Moussa Seka Baluku, l’actuel leader des ADF ne dispose pas d’un campement fixe. Il se déplacerait régulièrement dans la région de Beni pour échapper à la traque dont il fait l’objet grâce notamment à des réseaux de complicité mis en place par les ADF depuis plusieurs années.[13]

Sur terrain, plusieurs défis attendent les FARDC et l’UPDF.
Le premier défi est de sécuriser l’axe routier Kasindi-Beni long d’environ 80 Kilomètres. Une route d’intérêt économique ouvrant la voie à l’Afrique de l’Est et à l’océan Indien à partir de la frontière congolaise de Kasindi-Lubiriha. Les ADF y tendent des embuscades, tuent les civils, incendient des véhicules et pillent des marchandises. Pourtant, c’est la seule voie d’exportation et d’importation qu’utilisent les opérateurs économiques de Beni et Butembo pour ravitailler en produits de première nécessité le Nord Kivu, l’Ituri et la Tshopo.
Le deuxième défi est celui de faciliter le retour des populations dans plusieurs contrées notamment à Bulongo, Kisima, Makisabo, Halungupa, Mamove et dans d’autres villages du territoire de Beni considérés comme greniers de la région mais aujourd’hui abandonnés à la suite des attaques de l’ADF.
Le troisième défi est celui de la sécurisation de la route Oicha – Komanda, reliant le Nord Kivu à l’Ituri, les ADF ayant rendus la circulation difficile sur cette route avec des attaques et embuscades.[14]

3. LES DÉCLARATIONS QUI ONT SUIVI

Le 28 novembre, le prix Nobel de la paix 2018, le docteur Dénis Mukwege, dans un tweet a rappelé le passé des armées rwandaise et ougandaise au Congo et a dénoncé ce qu’il appelle une stratégie des pyromanes/pompiers et une décision inacceptable: «Après 25ans de crimes de masse et de pillage de nos ressources par nos voisins, l’autorisation du Président à l’UPDF et les accords de coopérations militaires avec RDF sont inacceptables. Non aux pyromanes/pompiers! Les mêmes erreurs produiront les mêmes effets tragiques. Debout Congolais. La Nation en danger».[15]

Le 29 novembre, le Professeur Bily Bolakonga s’est exprimé sur l’autorisation donnée à l’armée ougandaise d’entrer en RDC pour traquer les rebelles ADF dans les régions du Nord-Kivu et de l’Ituri. Selon lui, cette autorisation est un cinglant aveu d’échec de l’état siège décrété dans les deux provinces.
De toutes façons, il a affirmé que le Président de la République n’avait pas une grande marge de manœuvre. Depuis au moins deux semaines, l’Ouganda menaçait de faire une invasion en RDC.
Selon de bonnes sources, cette puissance voisine aurait investi notre sol avec ou sans l’accord de la RDC car, à l’en croire, des pans importants de son territoire faisaient l’objet de l’insécurité des troupes rebelles/forces négatives opérant depuis la RDC. Des négociations se sont alors déroulées dans le secret.
En choisissant d’admettre l’entrée des troupes ougandaises en RDC, le Chef de l’Etat a opté pour le moindre mal (qui reste tout de même un mal), dans la mesure où une invasion de l’armée ougandaise sans l’accord de la RDC aurait été une humiliation qui s’apparenterait aux fourches caudines. D’autant plus que  la RDC n’a nullement les moyens, pour le moment, de contenir une invasion ougandaise. Il valait donc mieux de coopérer d’autant plus que nos troupes sont gangrénées par l’affairisme de certains généraux et manquent cruellement des moyens opérationnels.
La décision ayant déjà été prise, il convient maintenant de l’encadrer:
Primo: il faut donner à cette décision l’étoffe de la légalité, en recourant à tous les instruments juridiques y afférent (parlement et autres);
Secundo: il faut encadrer cette entrée via un accord comportant des clauses clairs impliquant les commandements de deux armées (création d’une Commission militaire conjointe opérationnelle), éviter que l’armée ougandaise – réputée à l’Est de la RDC pour son faible niveau de discipline et l’affairisme de certains de ses généraux – ne verse dans l’exploitation des ressources naturelles et humaines, créer des mécanismes opérationnels et de contrôle conjoint à intervalle de temps régulier, prévoir de manière claire des mécanismes de sanction pour tout auteur de dérapage ou de crime qui qu’il soit;
Tertio: limiter dans le temps la présence de cette armée étrangère et veiller à ce que l’évaluation après échéance (avec possibilité de rallonge) soit basée sur les résultats et le respect scrupuleux des clauses de l’accord.[16]

Le 30 novembre, le député national et président du Groupe des députés des 26 provinces de la RDC, Gratien Iracan, a indiqué que «l’intervention conjointe des armées de l’Ouganda et de la RDC pour traquer les forces négatives qui déstabilisent la région de l’Ituri et du Nord-Kivu pourrait être une solution efficace pour arrêter les massacres en RDC». Pour ce député de Ensemble pour la République, après 5 mois d’opérations militaires dans le cadre de l’état de siège et face à la poursuite des tueries en dépit de cet état de siège, il est raisonnable pour la RDC d’associer l’armée Ougandaise à la traque des ADF.[17]

Le 30 novembre, les députés nationaux ont soutenu les opérations conjointes Ouganda-RDC pour plus d’efficacité dans la traque des ADF car, selon eux, « avant l’état de siège est égal à pendant l’état de siège ». C’était au cours de la plénière autorisant la 13e prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Afin de permettre à l’état de siège de rétablir rapidement la paix en Ituri et au Nord Kivu, les députés ont soutenu, au cours du débat, la mutualisation des forces armées Ouganda-RDC pour traquer les ADF et d’autres forces négatives.[18]

Le 30 novembre, le député national André Claudel Lubaya a affirmé que «l’entrée en guerre des Ougandais contre les ADF sur le territoire congolais avec l’autorisation du gouvernement est un aveu d’échec de l’état de siège, d’impuissance de l’appareil militaro-sécuritaire de la RDC et de toutes les politiques y afférentes». Cet élu de Kananga dans la province du Kasaï Central a demandé au gouvernement de dire toute la vérité à la population et a affirmé que le Chef de l’État, Félix Tshisekedi, ne peut pas rester muet, au moment où l’intégrité du territoire est menacée: «Le Président de la République a, sur pied de l’article 74 de la Constitution, la charge de maintenir l’indépendance du pays et l’intégrité de son territoire. Face à la gravité de la situation, le devoir l’oblige à sortir de sa réserve pour rassurer la nation et la rassembler, pour lever les doutes et dissiper les malentendus. Il ne peut rester muet dès lors que l’intégrité du territoire est menacée, surtout que c’est en intelligence avouée avec une puissance étrangère mieux connue pour son agressivité et sa nuisance à l’égard de notre pays».[19]

Le 30 novembre, le député national élu à Goma (Nord Kivu), Hubert Furuguta, lors du débat à l’Assemblée nationale sur la demande de prorogation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, a fustigé l’entrée, non contrôlée selon lui, des troupes ougandaises sur le sol congolais et sans interpeller la chambre basse du parlement. M. Furuguta a adressé une série de questions au président de l’Assemblée nationale, à qui il a également demandé de dire la vérité sur la présence des militaires de l’Ouganda voisin sur le territoire congolais: «En cette période complexe, nous avons entendu parler sur les médias des opérations des armées étrangères sur notre sol. Monsieur le président, ces opérations sont-elles conjointes aux opérations de l’état de siège? Sont-elles parallèles à celles de l’état de siège? Sont-elles indépendantes de celles de l’état de siège? Combien de militaires sont entrés et avec quelles armes? Ces militaires ont-ils quelles limites aux libertés de circulation sur notre territoire? Nous aimons la sécurité dans notre pays, mais si cette opération est mal conçue, elle produira une insécurité éternelle. Disons nous clairement la vérité. Si nous ne nous disons pas la vérité, nous serons témoins d’une histoire ridicule et malheureuse pour notre pays». En effet, aucune indication n’a été fournie de source officielle sur le nombre de soldats engagés ni la durée possible des opérations.[20]

Le 2 décembre, au sujet de la coopération militaire entre la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda, le président de l’assemblée nationale, Christophe Mboso N’kodia a déclaré que cette collaboration est une recommandation de l’assemblée nationale, à travers sa commission Défense et Sécurité: «Depuis le 30 novembre, les Forces Armées de la République démocratique du Congo bénéficient de la collaboration de l’armée ougandaise, ceci d’ailleurs suite aux recommandations de notre assemblée nationale. Recommandations issues de la Commission défense et sécurité».[21]

Le 2 décembre, lors d’une séance plénière, le président du Sénat, Modeste Bahati, a déclaré: «ce sont les députés et sénateurs de deux provinces de  l’Ituri et du Nord Kivu qui ont adressé un mémorandum au président de la République, pour lui demander de mutualiser les forces avec l’Ouganda. Il s’agit d’une recommandation formulée aussi dans le rapport de la Commission « Défense et Sécurité de l’Assemblée Nationale. Et donc, l’initiative est partie du parlement de par bon nombre de nos collègues».[22]

4. LE DEBAT SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ OU NON DE L’AUTORISATION D’ENTRÉE EN RDCONGO ACCORDÉE PAR KINSHASA À L’ARMÉE OUGANDAISE

Le 30 novembre, le député national André Claudel Lubaya a affirmé qu’on ne peut pas engager une nation dans une guerre sans l’informer, moins encore sans son autorisation: «En faisant recours au fait accompli. le gouvernement congolais est aujourd’hui mis face à ses responsabilités. Il est appelé à dire toute la vérité au peuple et à s’abstenir de traiter cette question par défi. On n’engage pas une nation dans une guerre sans la prévenir ni recueillir son aval. La situation est grave. Il y a des clarifications à apporter, des leçons à tirer et des responsabilités à assumer. Le devoir de transparence et de redevabilité incombe au gouvernement qui, sur cette question, est tenu à se conformer aux lois de la République».[23]

Le 1er décembre, le porte-parole de la Police nationale congolaise (PNC), le commissaire supérieur principal Pierrot Mwana Mputu s’est exprimé sur les opérations conjointes que mènent depuis mardi les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et Uganda people’s defence force (UPDF) contre les combattants des Forces démocratiques alliées (ADF) dans le territoire de Beni (Nord-Kivu). Pour répondre à ceux qui reprochent au gouvernement de n’avoir pas demandé l’autorisation du Parlement avant l’arrivée des troupes ougandaises, le porte-parole de la PNC a répondu: «Présentement, en République Démocratique du Congo il n’y a pas une procédure qui édicte que lorsque nous voulons avoir un appui des forces étrangères pour venir chez nous, qu’il y ait l’autorisation préalable du parlement». Pour lui, il faut juste que « le président de la République informe les membres du bureau du Sénat et de l’Assemblée nationale». Il a rappelé que la mutualisation entre les FARDC et Uganda people’s defence force (UPDF) fait partie des recommandations du parlement à l’endroit du gouvernement. En effet, les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri soutiennent les opérations conjointes FARDC-UPDF contre les ADF, auteurs des milliers de morts parmi les civils à Beni et en Ituri.[24]

Le 3 décembre, le député Juvenal Munubo, élu dans la circonscription de Walikale (Nord Kivu), a affirmé qu’ il n’était pas opportun d’autoriser l’entrée de troupes étrangères: «Nous aurions pu nous limiter uniquement à un échange des renseignements dans le cadre de la CIRGL et pas autoriser l’entrée des troupes ougandaises en RDC», étant donné que «mutualisation des forces ne veut pas dire inviter les forces étrangères au Congo».
Le député a même accusé l’exécutif de faute constitutionnelle: «En autorisant l’armée ougandaise à entrer en RDC sans soumettre au Parlement l’accord de défense dont il est le soubassement, le Gouvernement RDC viole intentionnellement l’article 214, alinéa 1 de la Constitution. Aux députés de s’assumer et au peuple de garder la vigilance». Réagissant aux explications du Porte-parole de la Police Nationale Congolaise (PNC), Juvenal Munubo a expliqué que, «selon l’article 214 de la Constitution, les accords de paix (de défense) doivent être soumis à ratification par le Parlement», en précisant que «la consultation des quelques députés membres des caucus provinciaux n’est pas une exigence légale en la matière».
Il va plus loin: «En ses articles 213 et 214, la Constitution distingue deux types d’accords: accords non soumis à ratification (article 213, alinéa 2) et accords soumis à ratification (214,alinéa 1), notamment les accords ayant pour matière la paix (la défense), le commerce, les finances».
Selon lui, la meilleure façon de procéder aurait été celle d’appliquer les recommandations de la Commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale: changement chaîne de commandement, renforcement des moyens logistiques, lutte contre l’impunité au sein de FARDC, etc.[25]

En réalité, la Constitution congolaise se prononce sur l’état d’urgence, l’état de siège, la déclaration de guerre, les traités de paix internationaux, mais elle ne semble faire aucune référence ni à une éventuelle autorisation d’entrée en RDC accordée à une armée étrangère, ni à des opérations militaires conjointes entre l’armée congolaise et l’armée d’un pays tiers en territoire congolais:
Article 119, alinéa 2:
Les deux Chambres se réunissent en congrès pour:
l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège et de la déclaration de guerre, conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution.
Article 85:
Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres .., Il en informe la nation par un message.
Article 86:
Le Président de la République déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat, conformément à l’article 143 de la présente Constitution.
Article 143:
Conformément aux dispositions de l’article 86 de la Constitution, le Président de la République déclare la guerre sur décision du Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de deux Chambres. Il en informe la Nation par un message.
Article 213:
Le Président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux.
Le Gouvernement conclut les accords internationaux non soumis à ratification après délibération en Conseil des ministres. Il en informe l’Assemblée nationale et le Sénat.
Article 214:
Les traités de paix (de sécurité, ndlr), les traités de commerce, les traités et accords relatifs aux organisations internationales et au règlement des conflits internationaux … ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.

5. DES ENJEUX CACHÉS

L’Ouganda et le Rwanda entretiennent des relations conflictuelles, s’accusant mutuellement d’une déstabilisation réciproque, à partir de l’est de la RDCongo.
Il faut rappeler que, déjà en 2000, les forces régulières rwandaises et ougandaises s’étaient battues pendant six jours, avec des armes légères et lourdes, à Kisangani, un important centre minier du nord-est de la RDC, faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés.
Être le principal point de transit de l’or et d’autres minerais extrait en RDC avant son exportation hors d’Afrique peut rapporter gros. C’est pourquoi le Rwanda et l’Ouganda se  lancent encore aujourd’hui dans un véritable bras de fer, afin d’obliger la RDCongo à favoriser l’un ou l’autre.
Mi-octobre, le chef de l’Etat ougandais Yoweri Museveni avait annoncé son intention de financer, à hauteur de 53 millions de dollars, la construction de nouvelles infrastructures routières au Nord Kivu. Par contre, le chef de l’Etat rwandais Paul Kagame veut construire aux alentours de la ville de Goma, dans la même province du Nord-Kivu, un « village moderne » (30 millions de dollars) pour les sinistrés de l’éruption volcanique survenue au mois de mai dernier. Tout cela démontre à suffisance que chacun de ces deux Pays à ses intérêts, économiques et géostratégiques, à défendre en RDCongo. Il faut dès lors se demander comment réagira le Rwanda si l’Ouganda, avec l’entrée de ses troupes en territoire congolais,  gênait les intérêts rwandais en RDCongo. On pourrait craindre le remake de l’affrontement des deux armées sur le sol congolais, même via des groupes armés affiliés, une guerre de six jours bis sur le sol congolais.[26]

En 2020, l’Ouganda avait déclaré qu’il se lançait dans le projet de construction de routes en RDC, pour améliorer la sécurité et les relations commerciales entre les deux Pays. Les routes ciblées sont Kasindi-Beni (80 km), Beni-Butembo (54 km) et Bunagana-Ruchuru-Goma (89 km). Le 27 mai 2021, les deux gouvernements ont signé un accord intergouvernemental pour permettre le projet.
Le 16 juin 2021, les Présidents Yoweri Museveni et Félix Tshisekedi ont participé à une cérémonie d’inauguration à Mpondwe-Kasindi. Au moins 65,9 millions de dollars seront dépensés pour l’ensemble du projet. L’équipement routier, y compris les excavatrices, les tracteurs, les rouleaux, les véhicules de surveillance, les camions et les conteneurs installés avec des bureaux, des logements et des installations de santé sont déjà assemblés à la base de Dott Services Limited et d’autres au Liberty Internal Custom Depot du parc industriel de Namanve.[27]

[1] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 04.12.’21
http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-ouganda-le-tabou-des-interventions-militaires-etrangeres-ravive/
[2] Cf AFP – lalibre.be/Afrique, 28.11.’21
[3] Cf Victor Mauriat – RFI, 28.11.’21; Actualité.cd, 28.11.’21
[4] Cf Actualité.cd, 29.11.’21
[5] Cf Radio Okapi, 30.11.’21; Patrick Maki – Actualité.cd, 30.11.’21
[6] Cf Actualité.cd, 30.11.’21; Auguy Mudiayi – Actualité.cd, 30.11.’21
[7] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 30.11.’21; Bantou Kapanza Son – 7sur7.cd, 30.11.’21
[8] Cf Merveilles Kiro – Politico.cd, 02.12.’21
[9] Cf Prince Mayiro – 7sur7.cd, 01.12.’21; Radio Okapi, 02.12.’21; Clément Muamba – Actualité.cd, 02.12.’21
[10] Cf AFP – Actualité.cd, 03.12.’21
[11] Cf Actualité.cd, 03.12.’21
[12] Cf Monitor – Congovirtuel.com, 03.12.’21
[13] Cf Radio Okapi, 07.12.’21
[14] Cf Radio Okapi, 08.12.’21
[15] Cf Actualité.cd, 28.11.’21
[16] Cf Bily Bolakonga – Laprunellerrdc.info, 29.11.’21
[17] Cf Radio Okapi, 30.11.’21
[18] Cf Radio Okapi, 01.12.’21
[19] Cf Christian Malele – Politico.cd, 30.11.’21
[20] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 30.11.’21
[21] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 03.12.’21
[22] Cf Moise Dianyishayi – 7sur7.cd, 02.12.’21
[23] Cf Christian Malele – Politico.cd, 30.11.’21
[24] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 02.12.’21
[25] Cf Actualité.cd, 03.12.’21
[26] Cf Coco Kabwika – Congovirtuel.com, 29.11.’21
[27] Cf The Observer – Congovirtuel.com, 02.12.’21