Congo Actualité n. 374

«Les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) ne correspondent pas aux données collectées par la mission d’observation de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO)»

«La CENCO souhaite que le Conseil de Sécurité de l’ONU demande à la CENI la publication des procès-verbaux pour chaque bureau de vote, chaque circonscription électorale et chaque Centre local de compilation des résultats, afin de pouvoir comparer les données de la CENI avec celles des candidats, ce qui aiderait à enlever les doutes et à apaiser les esprits»

(Mgr Marcel Utembi, président de la CENCO)

SOMMAIRE

1. AVANT LA PROCLAMATION DES RÉSULTATS ÉLECTORAUX PROVISOIRES
2. LA PROCLAMATION DES RÉSULTATS PROVISOIRES DE LA PRÉSIDENTIELLE
3. ELECTIONS PRÉSIDENTIELLES: OÙ SE TROUVE LA VÉRITÉ DES URNES?
4. LES RÉSULTATS PROVISOIRES DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES NATIONALES
5. VERS UNE COHABITATION OU UNE NOUVELLE COALITION?

1. AVANT LA PROCLAMATION DES RÉSULTATS ÉLECTORAUX PROVISOIRES

Le 6 janvier, dans une interview concédée à Colette Braeckman, journaliste de Le Soir, alors que la CENI compile toujours les résultats venus des provinces et assure que, avant la proclamation du résultat provisoire, aucune prévision n’est autorisée ni même pertinente, Martin Fayulu, candidat de LAMUKA à la présidentielle 2018, a assuré qu’il a toutes les raisons de se montrer optimiste: «on ne peut pas arrêter un raz de marée, un plébiscite».
Se référant à Jean Pierre Bemba et Moïse Katumbi, il a déclaré qu’ils «doivent rentrer au Congo, leur place est ici. Mais le leader c’est moi, avec tout ce que cela comporte comme attributs: les compétences, les pratiques managériales, la vision claire, le sens des responsabilités qu’il faut insuffler… Cela, je sais le faire. Mais il faut aussi l’esprit d’équipe, il n’y aura pas de leadership au rabais…Si j’étais faible, il y a longtemps que j’aurais cédé».
Au cours de sa campagne, Fayulu avait déclaré que, après deux ans, il mettrait son mandat en jeu, afin de refaire des élections crédibles. Aujourd’hui, il affirme que «il ne sera pas un président intérimaire». Il n’entend pas remettre en cause la durée du mandat, car «il faut honorer les engagements pris».
Martin Fayulu refuse de s’appesantir sur le sort de Joseph Kabila: «la Constitution a tout prévu, il sera sénateur à vie, il bénéficiera des avantages dus aux anciens chefs d’Etat. Pour moi, le maître mot, c’est « pas de revanche », sinon le calme ne reviendra jamais dans ce pays. Si Kabila considère qu’il est Congolais, il doit pouvoir vivre dans son pays; s’il veut poursuivre des études à distance, il en a le droit. Quant à l’armée, elle est républicaine, elle respectera l’ordre constitutionnel et exécutera les ordres que lui donnera le président élu».[1]

Le 6 janvier, dans une interview concédée à Colette Braeckman, journaliste de Le Soir, Félix Tshisekedi, candidat de Vers le Changement à la présidentielle 2018, a affirmé qu’il «n’approuve pas le fait que, au départ des observations de la CENCO, (la conférence des évêques catholiques), qui a participé au monitoring des élections, la coalition Lamuka ait déjà inondé les réseaux sociaux. La CENCO a peut-être fait une erreur dans sa communication, Lamuka en a profité et cela pousse les gens aux extrêmes, Moi je dis simplement qu’il faut attendre la fin du travail de compilation. Sur la base des informations que nous possédons, je suis confiant».
Ayant été l’un des premiers à accepter l’usage de la machine à voter, Félix Tshisekedi, huit jours après le vote, ne retire pas sa confiance à Corneille Nangaa, le président de la centrale électorale: «certes, il y a eu des incidents, des temps d’attente, mais globalement cela s’est bien passé. Mon verdict, c’est un satisfecit. Et la machine, tant décriée, a finalement fait ses preuves. Je crois même qu’à l’avenir, on pourra maintenir ce système».
Félix Tshisekedi écarte toute perspective de désordres et de violences, lorsque les résultats seront proclamés: «il ne faudra pas se livrer à une chasse aux sorcières, nous devrons éviter les règlements de comptes. Lorsque nous nous trouverons dans un Etat de droit, nous aurons besoin de tout le monde. Il ne faut pas qu’il y ait des frustrations. Il faudra pardonner, tirer un trait sur le passé. Le nouveau leader du pays devra rassembler tout le monde et construire le Congo de demain».
À l’égard du président sortant Joseph Kabila, il a affirmé que «il pourra vivre tranquillement dans son pays, vaquer à ses occupations, il n’a rien à craindre. Un jour nous devrons même songer à lui rendre hommage pour avoir accepté de se retirer. Pourquoi, compte tenu de son expérience, ne pas lui confier des tâches diplomatiques spéciales, faire de lui un ambassadeur extraordinaire du Congo?»[2]

Le 8 janvier, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) a reconnu un rapprochement entre son président Félix Tshisekedi et le chef de l’État Joseph Kabila Kabange. Selon Jean-Marc Kabund, secrétaire général du parti, il s’agit bel et bien d’une démarche qui s’inscrit dans le cadre de la réconciliation nationale: «Quant aux rumeurs faisant état d’un rapprochement entre le président sortant Joseph Kabila et le candidat pressenti gagnant des élections du 30 décembre 2018, en l’occurrence Félix Tshisekedi Tshilombo, l’UDPS tient a préciser qu’elle s’inscrit dans la logique de la réconciliation nationale et s’oppose à toute politique de règlement de comptes ou de chasse à l’homme». Pour le secrétaire général de l’UDPS, «les deux personnalités ont intérêt à se rencontrer pour préparer la passation pacifique et civilisée du pouvoir».
Le jour antérieur, sur Twitter, Peter Kazadi, directeur de cabinet adjoint de Félix Tshisekedi, a déclaré que «Le Congo se reconstruira avec l’apport de tous. Même ceux qui l’ont pillé et mis à genoux seront appelés à mettre la main à la patte pour le mieux-être de tous».[3]

Le 8 janvier, dans une déclaration commune, le candidat de LUMUKA, Martin Fayulu et d’autres candidats à la présidentielle ont annoncé qu’il allaient contester tout résultat qui ne reflèterait pas le vote des Congolais: «Nous affirmons avec force que les résultats électoraux ne se négocient point et qu’en aucun cas, ni le peuple congolais ni nous-mêmes n’accepterons des tels résultats» et ils appellent la CENI à «ne publier que le candidat ayant recueillis le plus de suffrages exprimés par le peuple congolais». Pour ces candidats, il s’agit de se mobiliser devant la CENI, alors que la situation est devenue volatile, suite à des rumeurs persistante sur des possibles contacts entre les clans Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, qui pourraient aboutir à un « deal ».[4]

Le 9 janvier, le porte-parole du gouvernement et du regroupement qui soutient le candidat Emmanuel Ramazani Shadary, Lambert Mende, a affirmé que le Front Commun pour le Congo (FCC) pourrait s’unir avec la coalition Cap pour le changement (CACH) pour gérer le pays ensemble, si la main leur est tendue: «Je pense que si le groupe auquel monsieur Kabund appartient est prêt à ces passerelles-là, nous n’allons pas rejeter la main tendue parce qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour s’opposer et se disputer l’électorat mais aussi un temps pour s’unir et défendre les intérêts supérieurs du pays pour unir tous les congolais. Vous trouverez déjà dans le FCC des anciens amis de monsieur Kabund».[5]

2. LA PROCLAMATION DES RÉSULTATS PROVISOIRES DE LA PRÉSIDENTIELLE

Le 10 janvier, vers 3h du matin, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Corneille Nangaa, a annoncé les résultats provisoires de l’élection présidentielle. Selon les résultats publiés par la CENI, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est élu président de la République avec 7.051.013 soit 38,57%. Il est suivi de Martin Fayulu Madidi avec 6.366.732 soit 34,83% et d’Emmanuel Shadary avec 4.357.359 soit 23,84%. Selon la commission électorale, le taux de participation à ce scrutin est de 47,56% et les suffrages valablement exprimés sont 18.280.820. Corneille Nangaa avait commencé son intervention en annonçant les résultats des élections législatives provinciales. Cela a surpris tout le monde car, selon le calendrier électoral réaménagé et publié le 26 décembre dernier, le ramassage, la compilation et la centralisation des résultats des élections législatives nationales et provinciales auraient dû se dérouler du 31 décembre au 22 janvier.[6]

Après sa victoire à la présidentielle, Félix Tshisekedi à rendu hommage à son père, Etienne Tshisekedi, aux 13 parlementaires fondateurs de l’UDPS et à Joseph Kabila. «Je sais que pour beaucoup d’entre nous, c’est difficile à accepter, mais je le dis avec sincérité: je rends hommage au président Joseph Kabila que je considère comme un partenaire politique et non un adversaire ou ennemi», a dit Félix Tshisekedi, devant une foule immense rassemblée au siège de son parti.[7]

Dans une interview, Martin Fayulu, candidat de la coalition de l’opposition Lamuka, a contesté les résultats proclamés par la Commission électorale. Pour lui, «il s’agit de résultats ridicules qui ont été trafiqués, inventés et fabriqués dans les officines obscures du FCC et qui n’ont rien à voir avec la vérité des urnes. C’est une vilaine escroquerie de M. Nangaa et de son camp politique. C’est un véritable putsch électoral, c’est incompréhensible. Je demande à la Cenco, à l’Eglise du Christ au Congo, à la Symocel et à tous ceux qui ont observé les élections de révéler au peuple congolais et au monde entier le nom de la personne qui a réellement incarné le choix de notre peuple, en publiant les résultats dont ils disposent (…) On a volé la victoire du peuple congolais et le peuple congolais n’acceptera jamais que sa victoire lui soit volée».[8]

Dans une déclaration, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) a déclaré que les résultats publiés par la Commission Électorale, qui consacrent la victoire de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle, ne correspondent aux données qu’elle a collectées dans les bureaux de vote. Au cours d’une conférence de presse organisée au Centre interdiocésain de Kinshasa, le secrétaire général de la CENCO, l’Abbé Donatien N’shole, a déclaré: «Nous prenons acte de la publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle qui pour la première fois dans l’histoire de notre pays ouvre la voie à l’alternance au sommet de l’État. Cependant, de l’analyse des éléments observés par cette mission, nous constatons que les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la CENI ne correspondent pas aux données collectées par notre mission d’observation à partir des bureaux de vote et de dépouillement».
Les Évêques de la CENCO ont souligné: «Au lendemain de la publication des résultats de la présidentielle, nous exhortons tout le monde à faire preuve de maturité civique et surtout à éviter tout recours à la violence. En cas d’une éventuelle contestation de ces résultats provisoires par une partie, nous l’exhortons à user des moyens de droit conformément à la Constitution et à la loi électorale».
Selon l’Abbé Donatien N’shole, la CENCO estime qu’il revient aux acteurs politiques d’envisager, s’ils le souhaitent, de contester les résultats provisoires publiés par la Commission Électorale:
«En ce qui concerne le nom du vainqueur, les évêques ont été clairs. Ils ont accepté de s’exprimer dans l’étape actuelle dans la limite de leur mission d’observation électorale et dans le respect de la légalité. La CENCO n’est pas là pour défier la loi. Et la loi est claire: il ne revient pas à une institution autre que la CENI de publier les résultats et les tendances». L’Abbé N’shole a également insisté sur les responsabilités des uns et des autres: «Il ne revient pas à la CENCO de contester les résultats. Les acteurs politiques doivent prendre leur responsabilité. Il ne faut pas s’attendre que la CENCO conteste les résultats, ce n’est pas sa mission. Sa responsabilité s’arrête à dire ce qu’elle a observé. A chacun de prendre ses responsabilités».[9]

Le 11 janvier, la coalition LAMUKA vient de dévoiler les résultats issus de son centre de compilation. Selon les chiffres fournis par les 220.000 témoins qu’elle a déployés à travers le pays et rendus publiques par Fidel Babala, qui lisait le rapport, Martin Fayulu arriverait largement en tête avec 61,5% de suffrages (plus de 8 millions de voix). Loin devant Félix Tshisekedi qui n’obtiendrait que 18,8 % de suffrages, tandis qu’Emmanuel Shadary, troisième, obtiendrait 18,4%. Concernant le taux de participation, il ne serait pas de 47% comme l’a annoncé la CENI mais de 36,3%, assure Lamuka. Face à ces résultats, le candidat Martin Fayulu a dénoncé ce qu’il qualifie de «nomination» de Félix Tshisekedi et il a annoncé qu’il déposera son recours devant la Cour constitutionnelle, pour exiger de la Commission électorale le recomptage des voix.[10]

Le 11 janvier, intervenant dans une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU, par vidéoconférence à partir de Kinshasa, le président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), Marcel Utembi, a affirmé que «La CENCO a pu disposer de 40.850 observateurs accrédités par la CENI. D’autres 1.776 observateurs formés dont l’accréditation a été rejetée ont tout de même pu mener des observations hors des bureaux de vote. Les observateurs de la CENCO étaient présents dans tous les centres de vote du pays. La CENCO s’était dotée d’un centre de traitement des données. Elle a pu recevoir les résultats exprimés par 13.110.999 citoyens, sur plu de18 millions de suffrages, soit plus de 71,53% des suffrages valablement exprimés». Mgr Marcel Utembi ha confirmé que  «les résultats tels que publiés ne correspondent pas aux données collectées par la mission d’observation de la Cenco». Il n’a pas dit qui a gagné les élections, mais il a laissé entendre qu’il s’agirait d’un autre opposant congolais, Martin Fayulu. Il a donc demandé à l’ONU d’exiger que la Commission électorale congolaise (Céni) publie les procès-verbaux du scrutin présidentiel du 30 décembre: «la Cenco souhaite que le Conseil de sécurité demande à la Céni la publication des procès-verbaux pour chaque bureau de vote, afin de pouvoir comparer les données de la CENI avec celles des candidats, ce qui aiderait à enlever les doutes et à apaiser les esprits».
A l’opposé, le président de la Céni, Corneille Nangaa, a exhorté le Conseil de Sécurité de l’ONU à soutenir les nouvelles autorités élues. «Nous avons aujourd’hui un président élu et il mérite d’être soutenue par la communauté internationale», a-t-il dit, en ajoutant: «Pour les contentieux, il n’y a que deux options. Soit confirmer les résultats de la Céni, soit annuler l’élection. Annuler l’élection voudrait dire que les institutions en place (l’actuel président de la République) se poursuivraient jusqu’à ce qu’on organise des nouvelles élections».[11]

Le 14 janvier, la Commission nationale électorale indépendante (CENI) a annoncé la prestation de serment du président élu le 22 janvier, après la publication des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle. La CENI a précisé que le traitement de recours en contestation de résultats des législatives nationale et provinciales irait jusqu’au samedi 23 mars 2019. Le traitement de recours se fera concomitamment avec l’installation de l’Assemblée nationale. Une session extraordinaire est retenue au 26 janvier 2019 pour la chambre basse, et le 24 janvier pour les assemblées provinciales.
Les candidats sénateurs, gouverneurs et vice-gouverneurs pour leur part, devront déposer leurs dossiers de candidature à partir du 21 jusqu’au 27 janvier.[12]

3. ELECTIONS PRÉSIDENTIELLES: OÙ SE TROUVE LA VÉRITÉ DES URNES?

Alors que des voix se sont élevées pour demander un recomptage des voix, TV5Monde, RFI, et le Financial Times, en collaboration avec le Groupe d’études sur le Congo, l’institut de recherche de l’Université de New York, ont pu prendre connaissance de deux documents exceptionnels qui apportent un nouvel éclairage sur les résultats de la présidentielle congolaise. Selon ces documents, l’un de la Conférence épiscopale (Cenco) et l’autre de la commission électorale (Ceni), Martin Fayulu serait sorti vainqueur.
Selon deux sources proches de la coalition d’opposition Lamuka soutenue par Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président, et Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, «ces documents proviennent du serveur de la commission électorale. Ils auraient été téléchargés par un lanceur d’alerte, dans les 24h à 48h après la fermeture officielle des bureaux de vote et la transmission électronique des données, grâce aux machines à voter».
Le premier document est une compilation de résultats réalisée par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), présente sur tout le territoire grâce à ses 40.000 observateurs.
Ce document porte sur 42,92% des suffrages et 28.733 bureaux de vote. Cela représente 8 millions de suffrages exprimés le 30 décembre 2018 sur un total de 18 millions.
L’autre document, attribué à la Commission électorale, est une base de données, un fichier comportant ni en-tête, ni logo ou signes caractéristiques de la commission électorale. Il porte sur les résultats finaux pour 15.694.364 suffrages valables, c’est-à-dire le 87% de suffrages exprimés. Ce document de 2.064 pages et 49.161 entrées, répertorie les résultats de la présidentielle congolaise par site de vote. Les numéros d’identification des sites de vote et des centres locaux de compilation des résultats correspondent à ceux attribués par la Commission électorale.
Toutes les informations tirées de ces deux documents convergent vers le même résultat, Félix Tshisekedi ne serait pas le vainqueur comme l’a indiqué la Commission électorale lors de la publication des résultats provisoires le 10 janvier 2019. C’est son adversaire et également opposant Martin Fayulu qui arriverait en tête.
Lorsqu’on compare les résultats de la Ceni avec les compilations de la Cenco, la corrélation est quasi-parfaite.
Selon la compilation de la CENCO, Martin Fayulu arrive en tête avec 62,8% des voix, devant le dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shardary crédité de 17,99% et enfin Félix Tshisekedi avec 15%.
Selon le document attribué à la CENI, Martin Fayulu aurait obtenu près de 59 % des voix sur tout le territoire.
Dans la capitale Kinshasa, la Ceni livre les résultats suivants : Martin Fayulu en tête avec 73, 61% devant Félix Tshisekedi avec près de 17% et Emmanuel Ramazani Shadary avec 7,90%. Les chiffres de la Cenco portant sur un échantillon plus restreint livrent un résultat similaire: 73,65% pour Martin Fayulu, 17,52% pour Félix Tshisekedi et 7,40% pour Emmanuel Ramazani Shadary. Même scénario pour la province d’Ituri. Les données de la Ceni donnent Martin Fayulu toujours vainqueur avec 85% quand la Cenco le crédite de 82% des voix.
Selon Gérard Gerold, expert électoral et ancien conseiller de la mission de l’ONU en RDC, «la Ceni n’a pas publié ces résultats (issus des documents qui ont fuité, ndlr) mais des résultats qui étaient autres… Ils ont bougé près de 3 millions de voix pour publier des résultats qui n’étaient pas ceux qui venaient des machines à voter».
Y a-t-il eu fraude? «Apparemment oui», conclut-il.
Toutefois, pour l’instant, il est impossible de comparer toutes ces données avec tous les procès verbaux issus du vote, car la Ceni n’a jamais publié de résultats bruts ou compilés par site de vote, centres locaux de compilation ou circonscription.[13]

4. LES RÉSULTATS PROVISOIRES DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES NATIONALES

Le 12 janvier, aux premières heures du matin, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé les résultats provisoires des élections législatives nationales. Il a proclamé les noms de 485 députés nationaux élus au scrutin du 30 décembre 2018. Les quinze autres députés restant seront connus à l’issue de l’élection prévue en mars dans les circonscriptions de Beni, Butembo et Yumbi.
Le Front Commun pour le Congo (FCC), coalition dont l’autorité morale est le chef de l’État Joseph Kabila et qui a appuyé la candidature de Ramazani Shadary, aurait obtenu environs 350 sièges. Le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) du président sortant Kabila obtient 48 sièges. Son parti-satellite PPPD du ministre de l’Intérieur Henri Mova compte 20 députés.
La coalition LAMUKA de Martin Fayulu obtient 94 sièges, plus que celle de Felix Tshisekedi. Cette coalition devient ainsi la première force de l’ opposition à l’Assemblée nationale. En son sein ,
Ensemble pour le Changement de Moïse Katumbi arrive en première position, avec environ 55 députés nationaux.
La coalition Cap pour le Changement (CACH) de Félix Tshisekedi n’obtient que 46 sièges: 32 pour l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Felix Tshisekedi, et 14 pour l’Union pour la nation congolaise (UNC) de son allié Vital Kamerhe.
Si ces résultats sont confirmés par la Cour Constitutionnelle, c’est du FCC, dont le futur ancien président Joseph Kabila est l’autorité morale, que devrait sortir le premier ministre qui formera le prochain gouvernement de la République. D’après plusieurs sources, le FCC et CACH auraient scellé un accord qui garantirait au FCC un droit de regard sur des postes stratégiques (Défense, Finances, gouverneur de la Banque centrale). Par ailleurs, la révocation ou la permutation des commandants des grandes unités de l’armée et de la police ne peuvent s’opérer sans l’avis de Kabila.[14]

Après la présidentielle, les élections législatives nationales et provinciales sont aussi déjà fortement contestées, du fait, notamment d’un certain nombre d’incongruités constatées.
Pourquoi la Commission électorale a-t-elle choisi de proclamer les résultats des provinciales et des législatives de façon anticipée, à chaque fois au milieu de la nuit et en convoquant la presse à la dernière minute? Son calendrier électoral prévoyait pourtant ces annonces après l’investiture du président élu.
Une décision d’autant plus étonnante que dans un certain nombre de bureaux de vote de l’intérieur du pays, par exemple à Goma, des sacs de bulletins de vote pour les législatives se trouvaient toujours dans les centres de compilations, scellés, sans que personne n’ait commencé à les dépouiller. Dans d’autres centres, le processus de compilation était loin d’être terminé au moment même où à Kinshasa les résultats étaient annoncés. Comment la Céni a-t-elle donc pu confirmer le nom des 485 députés élus? La question pourrait bien rester sans réponse. Moins de 5% des procès-verbaux ont été affichés à l’extérieur des centres de compilation des résultats, comme l’exige pourtant la loi. Il n’y a donc pas de traçabilité possible. Livrée à l’oral, aucune liste officielle de ces résultats n’a encore été publiée.
Autre surprise: l’inversion des tendances entre la présidentielle et les législatives nationales et provinciales. Dans les rangs de l’opposition, de la société civile et des observateurs, on s’étonne de ce score très élevé. La coalition qui détient le moins de voix à la présidentielle (4 millions pour son candidat Emmanuel Ramazani Shadary) raflerait 70 % des sièges ou même plus. Quant aux coalitions de l’opposition, CACH et LAMUKA, elles se retrouvent largement minoritaires, tout en ayant recueilli plus de 70 % des suffrages à la présidentielle. Comment expliquer le rejet d’un candidat sur un scrutin et un quasi-plébiscite sur les deux autres? Pour la majorité, le succès de la coalition au pouvoir aux législatives nationales et provinciales s’explique par une bonne implantation locale. Pour l’opposition, ces résultats contradictoires sont la preuve qu’il y a eu marchande et tripatouillage.
Malgré l’ampleur des contestations qui s’annoncent, déposer des recours risque de s’avérer un véritable parcours du combattant. Les candidats ont 8 jours maximum pour déposer des recours. Trois se sont déjà écoulés depuis la proclamation des résultats provisoires des provinciales (le 10 janvier) et la Commission électorale n’a toujours pas publié les procès-verbaux et texte de la décision rendue. Pas de publication sur le site de la Céni, encore moins au Journal officiel.[15]

5. VERS UNE COHABITATION OU UNE NOUVELLE COALITION?

Dans ce contexte, Felix Tshiskedi va devoir choisir entre cohabitation pure et dure ou une coalition, explique Jason Stearns, le directeur du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), rattaché à l’université de New York : « S’il est vrai que le FCC a emporté largement le Parlement, ce qui paraît être le cas, ce sera lui qui va pouvoir former le gouvernement, et donc avoir le Premier ministre et désigner le Conseil des ministres. Maintenant, le choix pour l’ancienne opposition, Cach et Lamuka, sera de participer ou non à la formation de ce gouvernement. Je suppose que pour Lamuka, ce ne sera pas le cas. Pour Cach de Félix Tshisekedi – qui sera à la présidence – c’est une possibilité». En cas de cohabitation, face à un Premier ministre issu là aussi des rangs de la coalition au pouvoir, du fait de leur majorité au Parlement, le président risque fort d’être affaibli au niveau des institutions. D’autant plus que Félix Tshisekedi ne dispose pas des réseaux pour contrôler l’armée ou les renseignements. Cohabitation entre le président et le Premier ministre, ou cohabitation au sein du même gouvernement, quoi qu’il en soit, ce sera «une situation qui n’a jamais été vécue en RDC», rappelle Jason Stearns.[16]

Selon l’analyste politique Bob Kabamba, les résultats des élections législatives nationales et provinciales publiés par la CENI  laissent transparaitre une cohabitation entre le président, le gouvernement et le parlement. Selon lui, il ne peut pas y avoir blocage des institutions, étant donné que la constitution a déjà réglé les problèmes entre le gouvernement et le président de la République. «La constitution définit clairement les prérogatives des uns et des autres. S’il y a des problèmes entre le gouvernement et le président de la République, la Cour constitutionnelle est là pour réguler les problèmes qui peuvent y avoir entre ces deux institutions», a fait savoir Bob Kabamba, professeur à l’université de Liège en Belgique. Il indique aussi que le président de la République et le gouvernement ont l’obligation de concertation, un mécanisme qui peut permettre d’éviter des conflits entre le président et le gouvernement.[17]

Le 13 janvier, à la suite de la publication des résultats provisoires des élections en République démocratique du Congo (RDC), dans un document signé par l’un de ses conseillers, le président de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), Edgar Lungu, a appelé à un gouvernement d’union nationale en RDC pour restaurer la confiance. Le président zambien dit s’exprimer au nom de l’ensemble la Communauté des Etats d’Afrique Australe alors que les résultats provisoires de la présidentielle sont «fortement contestés». Pour le président zambien, la solution en RDC passe avant tout par «un accord politique négocié» entre toutes les parties. Un tel accord permettrait, selon Edgar Lungu, de remédier «aux vives contestations» exprimées par plusieurs acteurs sur les résultats provisoires de la présidentielle.
Il a ainsi encouragé toutes les parties prenantes à s’entendre pour former «un gouvernement d’union nationale». Le président zambien a estimé que cette option permettrait de «renforcer la confiance, de créer des ponts et de renforcer le processus électoral».[18]

Le 13 janvier, à l’issue d’une rencontre entre Joseph Kabila et les cadres de sa famille politique, André-Alain Atundu, porte-parole de la Majorité Présidentielle (MP), a déclaré que cette dernière est disposée a discuter avec Félix Tshisekedi, vainqueur de la présidentielle selon les résultats provisoires, en vue de la gestion du pays: «La Majorité Présidentielle se tient prête à entamer avec le Président élu, et ce sous la houlette de son Autorité Morale, le Président Joseph Kabila Kabange, toutes les négociations nécessaires en vue de déterminer les modalités pratiques de collaboration pour une gouvernance efficace du pays». Cette sortie médiatique est intervenue juste après le communiqué de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) qui a suggéré la formation d’un gouvernement d’union nationale.[19]

Le 14 janvier, dans un deuxième communiqué signé par son ministre des Affaires étrangères, Joseph Malanji, la Zambie invite les acteurs politiques congolais à privilégier un règlement «négocié» à travers le dialogue et l’ « inclusivité » et suggère donc la formation d’«un gouvernement d’Union nationale».[20]

Le 14 janvier, un membre du bureau stratégique du FCC, Barnabé Kikaya, a annoncé que le Front commun pour le Congo, coalition du président sortant Joseph Kabila et le Cap pour le Changement, plateforme dirigée par le vainqueur de la présidentielle du 30 décembre 2018, Félix Tshisekedi, ont entamé des discussions. Il a souligné que «il ne s’agit pas d’une cohabitation, mais bien d’une coalition et les discussions sont en cours». Fort de ses 350 sièges remportés aux élections législatives, le FCC part dans ces négociations dans une position confortable. C’est lui par exemple qui doit proposer au président élu le nom du futur Premier ministre.[21]

Le 15 janvier, l’UDPS s’est exprimée pour la première fois au sujet notamment de l’éventualité d’une collaboration avec le regroupement politique du président sortant, Joseph Kabila.
Au sujet de la main tendue du Front commun pour le Congo, le FCC, de Joseph Kabila, sur l’éventualité d’une alliance avec le camp Tshisekedi au Parlement notamment, le porte-parole de Félix Tshisekedi, Vidye Tshimanga, a estimé qu’il est encore trop tôt pour se prononcer là-dessus.
«Patientez jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle présente ses résultats finaux et que nous sachions exactement dans quelle configuration nous nous trouverons. Il y a certes des alliances qui pourront se créer. L’UDPS est prête à collaborer soit avec le FCC, soit avec LAMUKA, mais toujours dans le cadre de son programme», a-t-il souligné, en donnant la même réponse pour ce qui est de la proposition de la formation d’un gouvernement d’Union nationale, comme proposée par la Communauté économique des Etats d’Afrique australe (SADC).[22]

[1] Cf Le carnet de Colette Braeckman – Le Soir 06.01.’19
[2] Cf Le carnet de Colette Braeckman – Le Soir 06.01.’19
[3] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 08.01.’19; Cas-info.ca, 07.01.’19
[4] Cf Cas-info.ca, 08.01.’19
[5] Cf Radio Okapi, 09.10.’19
[6] Cf Radio Okapi, 10.01.’19
[7] Cf Actualité.cd, 10.01.’19
[8] Cf RFI, 10.01.’19
[9] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 10.01.’19; Actualité.cd, 10.01.’19;diacenco.com, 10.01.’19
http://www.diacenco.com/declaration-de-la-cenco-a-lissue-de-sa-mission-dobservation-electorale/
[10] Cf P. Ndongo – Cas-info.ca, 11.01.’19
[11] Cf RFI, 11.01.’19; Japhet Toko – Actualité.cd, 12.01.’19
[12] Cf Radio Okapi, 14.01.’19
[13] Cf Ilhame Taoufiqi – TV5monde.com, 15.01.’19 https://afrique.tv5monde.com/information/elections-en-rdc-martin-fayulu-est-il-le-vrai-vainqueur
Sonia Rolley – RFI, 15.01.’19 http://www.rfi.fr/afrique/20190115-elections-rdc-trouve-verite-urnes
[14] Cf AFP – TV5/Monde, 12,01.’19
[15] Cf RFI, 13.01.’19
[16] Cf RFI.13.01.’19
[17] Cf Radio Okapi, 12.01.’19
[18] Cf RFI, 13.01.’19
[19] Cf Actualité.cd, 13.01.’19
[20] Cf RFI, 14.01.’19
[21] Cf P. Ndongo – Cas-info. ca, 14.01.’19
[22] Cf RFI, 15.01.’19