Congo Actualite’ n. 500

SOMMAIRE

1. LES CONFLITS DANS LES KIVU (RDC): UNE CRISE À SIX DIMENSIONS
a. Démographie et politisation de la question de l’identité
b. Le foncier dans les Kivu: une source directe de conflit?
c. Le minier: une équation entre économie, insécurité et rivalités régionales
d. La question des FDLR: une source majeure de tensions sécuritaires et diplomatiques
e. Déficit de gouvernance et déliquescence de l’État: un terreau fertile pour les violences
f. Récits historiques et manipulations mémorielles: un conflit nourri par le passé
2. LA (NOUVELLE) OFFENSIVE DU M23 SUR GOMA
a. Quelle est la taille de l’expansion territoriale du M23?
b. Pourquoi le M23 se bat-il?
c. Comment le gouvernement congolais a-t-il géré la résurgence du M23?
d. Quel est le lien avec la politique nationale?
e. Le Rwanda est-il impliqué?
f. Pourquoi le Rwanda s’est-il impliqué?
g. Qu’en est-il des minéraux?

1. LES CONFLITS DANS LES KIVU (RDC): UNE CRISE À SIX DIMENSIONS

Patient Ligodi – RFI, 02,05,’25
https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20250502-les-conflits-dans-les-kivu-en-rdc-d%C3%A9cryptage-d-une-crise-%C3%A0-six-dimensions

La crise dans les Kivu, dans l’est de la RDC, ne se résume ni à un conflit unique, ni à une seule cause comme les minerais ou les tensions ethniques. Elle résulte d’un enchevêtrement de facteurs historiques, fonciers, sécuritaires et politiques qui s’alimentent mutuellement depuis bien plus de trois décennies.
C’est une crise qui dure depuis trois décennies, répètent quasiment tous les protagonistes. Mais en réalité, les racines de la conflictualité dans cette partie de la RDC remontent à bien plus loin. Peut-on parler d’un seul conflit, ou de plusieurs conflits entremêlés? Contrairement aux discours dominants, tout ne peut être réduit à la seule question minière, comme le suggèrent certaines autorités à Kinshasa, ni à la problématique de la discrimination anti-tutsie, souvent avancée par Kigali.
La réalité est plus complexe. Elle repose sur des dynamiques croisées, anciennes, souvent superposées, qui se renforcent mutuellement. L’objectif de cet éclairage est ici d’offrir des clés de compréhension sur les tensions actuelles dans les Kivu. Pour cela, nous avons confronté des sources issues de l’actualité, de travaux historiques et d’experts de terrain. Nous pouvons identifier au moins six facteurs majeurs qui structurent cette crise. Ils sont interconnectés, parfois enchevêtrés, et participent tous à l’intensification ou à la persistance des violences.

a. Démographie et politisation de la question de l’identité

La région des deux Kivu est au cœur d’une dynamique démographique exceptionnelle. Comme l’explique le géographe français Roland Pourtier, cette zone bénéficie des bienfaits de l’altitude sous l’équateur. «La fraîcheur y éloigne la mouche tsé-tsé, ce qui favorise à la fois l’agriculture et l’élevage bovin. Cela a attiré depuis longtemps des populations agricoles et pastorales», dit-il. Résultat: les Kivu comptent aujourd’hui parmi les zones les plus densément peuplées d’Afrique.
À cette densité naturelle s’ajoute une histoire migratoire complexe, notamment celle des populations banyarwanda. Selon Filip Reyntjens, spécialiste des Grands Lacs, certaines de ces populations ont migré depuis le sud-ouest du Rwanda dès le XVIIIe siècle. Elles ont ainsi les mêmes droits à la nationalité congolaise que d’autres groupes présents de longue date, comme les Bashi ou les Banande.
Une autre dimension à prendre en compte est mise en exergue par le géographe Jean-Pierre Chrétien qui rappelle qu’à partir des années 1930, les autorités belges ont favorisé un flux migratoire important des Rwandais dans la région, notamment au nord-ouest du lac Kivu. Jason Stearns, chercheur au Center on International Cooperation de l’université de New York, où il dirige le groupe de recherche sur le Congo, précise que plus de 150 000 personnes venues du territoire rwandais ont été transférées entre 1928 et 1956, principalement pour répondre aux besoins de main-d’œuvre dans les exploitations minières et agricoles européennes, en particulier dans le territoire de Masisi, où la population locale Hunde refusait souvent de travailler pour les colons.
Au fil du temps, les chiffres se sont révélés significatifs: au Masisi, la densité est passée de 12 habitants/km2 en 1940 à 111 habitants/km2 en 1990, et le cheptel bovin de 21 000 têtes en 1959 à 113 000 en 1983, selon diverses sources. Cette croissance rapide a provoqué une forte pression sur les terres, rendant les rivalités plus vives.
Les premières tensions à caractère politique sont apparues dès 1958, lors des élections municipales. Certains leaders locaux ont alors refusé le droit de vote aux migrants installés pendant la colonisation, pourtant légalement citoyens. Sous Mobutu (1965-1997), des nominations d’administrateurs extérieurs ont parfois permis de calmer temporairement les rivalités.
Mais c’est à partir de 1991, avec l’annonce d’un recensement national, que les tensions se sont ravivées. Kinshasa a laissé entendre que les « transplantés » coloniaux ne seraient pas reconnus comme citoyens zaïrois. Des violences ont alors éclaté, notamment contre des centres de recensement dans le Masisi. Elles se sont poursuivies jusqu’en 1993, avant de s’aggraver après 1994, avec l’arrivée de 1,5 million de réfugiés hutus du Rwanda, dont certains anciens militaires du régime de Juvénal Habyarimana (1973-1994). Cette arrivée a bouleversé les équilibres locaux, y compris entre les Hutus et les Tutsis congolais.
Filip Reyntjens note que ces arrivées ont accentué les fractures et complexifié les identités: «Les Banyarwanda étaient vus comme un groupe unique, mais après 1994, ils se sont redécouverts Hutu ou Tutsi». Dans cette zone, il parle d’«identités variables», souvent manipulées par des « entrepreneurs de l’insécurité », qui peuvent aussi être des acteurs économiques. Cette démographie instable continue d’être un facteur de crise encore aujourd’hui. Selon la Commission des mouvements de population (CMP), 2,7 millions de personnes ont été déplacées au Nord-Kivu et 1,7 million au Sud-Kivu depuis janvier 2025, à cause du conflit en cours.

b. Le foncier dans les Kivu: une source directe de conflit?

Depuis la reprise des hostilités en 2024 et l’avancée du groupe armé AFC/M23 vers Goma (chef-lieu de la province du Nord-Kivu), des retours massifs ont été observés dans les zones rurales. Alors que près de 700 000 déplacés vivaient dans une centaine de sites autour de Goma en novembre 2024, seuls cinq de ces sites abritaient encore environ 1 800 personnes en février 2025. «Beaucoup ont été contraints de retourner dans leurs villages, souvent pour découvrir leurs terres occupées par d’autres civils, par des groupes armés, voire détruites. Ce phénomène accroît fortement les risques de violences intercommunautaires, surtout dans des zones où les services essentiels sont absents», selon l’Unicef.
L’accès à la terre est l’un des facteurs clés – mais souvent sous-estimé – de tensions et de conflits. Des experts expliquent que l’enjeu foncier ne se limite pas à la question de l’occupation physique des terres: il renvoie à des systèmes juridiques concurrents, à des pratiques coutumières enchevêtrées dans des régimes législatifs étatiques, et à une histoire de déplacements et de retours forcés, expliquent des experts.
Le chercheur Christoph Vogel souligne que l’enjeu foncier est indéniable, mais reste insuffisamment pris en compte. Ce n’est pas seulement une question de population ou de démographie, mais aussi de gouvernance. La superposition du droit coutumier et du droit étatique a généré des revendications conflictuelles: certains exigent un accès à la terre pour la cultiver, d’autres pour y faire paître leur bétail, tandis que d’autres encore revendiquent un droit de propriété formel. «Le système formaliste étatique n’est pas aligné au système coutumier», résume-t-il, rappelant que l’ambiguïté des rôles entre pouvoir coutumier et autorité publique alimente les tensions.
Le professeur Filip Reyntjens, quant à lui, élargit l’analyse: «Le problème foncier inclue aussi les conflits entre pasteurs/éleveurs et agriculteurs … Il faut un espace par vache. Cela crée des conflits d’usage entre ceux qui cultivent et ceux qui élèvent».
L’évolution historique de la législation foncière est également un facteur important. Avant la colonisation, le droit foncier était oral, basé sur les traditions. Les colons ont introduit un nouveau système pour libérer les terres en faveur des plantations. Puis, sous Mobutu, de nouvelles lois ont encore changé les règles. Chaque réforme du régime foncier crée de nouveaux déséquilibres. Enfin, en Afrique centrale, explique Filip Reyntjens, la terre a une valeur économique et symbolique forte. Contrairement à l’Europe, où une part importante de la population n’est plus liée à l’agriculture, la majorité des Congolais vivent encore de la terre, en agriculture de subsistance. Ainsi, chaque fois que le statut juridique de la terre est modifié ou contesté, cela peut provoquer des conflits sociaux majeurs.

c. Le minier: une équation entre économie, insécurité et rivalités régionales

Dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, les minerais stratégiques – or, coltan, étain et tantale – sont aussi au cœur des tensions persistantes. Loin d’être le seul facteur des conflits, ils alimentent toutefois une économie parallèle puissante, qui profite à une mosaïque d’acteurs: groupes armés, réseaux de contrebande, opérateurs économiques locaux et étrangers.
Le gouverneur du Sud-Kivu, Jean-Jacques Purusi, a affirmé devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française qu’au moins 1 600 entreprises exploitaient illégalement les ressources minières dans sa province, quand il est arrivé à sa tête. Selon lui, environ 750 000 kilogrammes d’or sont extraits tous les six mois, puis dirigés vers le Rwanda où ils sont raffinés. Il évoque un système alimenté par la corruption, dans lequel les capitaux circulent en liquide à travers la frontière. En réponse, la province a suspendu les activités minières (arrêté du 18 juillet 2023), supprimé 147 taxes, réduit la fiscalité de 80% à 26%, et imposé des mesures de bancarisation. Ces réformes ont porté les recettes mensuelles de la province de 500 000 à 1,75 million de dollars américains dès le premier mois. Ces efforts sont à relativiser avec l’arrivée de l’AFC/M23 dans la région qui a nommé une administration parallèle et ses propres règles.
Face aux accusations, le Rwanda rejette toute implication dans l’exploitation illégale des minerais congolais. Son ambassadeur, François Nkulikiyimfura, affirme que le Rwanda possède ses propres ressources minières et qu’il n’a pas besoin de s’approvisionner à Rubaya (Nord-Kivu). Il soutient que son pays fait preuve de transparence, avec un accord signé en juin 2024 avec l’Union européenne sur la traçabilité des minerais. Il rappelle également les investissements dans des infrastructures locales, comme la fonderie d’étain (2018), la raffinerie d’or (2019) et celle de tantale (2024), qui accueillent des opérateurs venus d’Afrique et d’Europe pour traiter leurs minerais légalement.
Pour le spécialiste de la question Christoph Vogel, dans cette zone, l’or reste le minerai le plus structurant des conflits, notamment en raison de sa haute valeur, de sa facilité de transport et de sa non-traçabilité une fois fondu. L’ancien membre de l’équipe du groupe d’experts de l’ONU pour la RDC, Zobel Behalal, souligne quant à lui que, malgré la guerre, les flux de minerais ne s’arrêtent jamais: «Le marché ne connaît pas la guerre». Il alerte également sur les failles des systèmes de traçabilité actuels, souvent limités à une vérification documentaire, et appelle à privilégier la coopération régionale et des accords économiques équilibrés pour transformer une économie de guerre en économie légale.

d. La question des FDLR: une source majeure de tensions sécuritaires et diplomatiques

Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) sont un groupe armé hutu rwandais créé en 2000, dont une partie des membres sont issus des milices et de l’armée impliquées dans le génocide des Tutsis en 1994. Ce groupe est considéré par l’ONU comme l’un des plus importants groupes armés étrangers opérant sur le territoire congolais. Les FDLR sont régulièrement mentionnées dans les rapports du Conseil de sécurité de l’ONU et du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH) pour leur implication dans de graves violations des droits humains : meurtres, violences sexuelles, enlèvements, déplacements forcés principalement sur le sol congolais.
Selon François Nkulikiyimfura, ambassadeur du Rwanda en France, le Rwanda a subi plus de trente attaques depuis 1997, dont plus de vingt entre 2018 et 2025, qu’il attribue aux FDLR. Il affirme que la présence continue de ces combattants en RDC représente une menace persistante pour la sécurité de son pays, et accuse Kinshasa de tolérer ou même de collaborer avec ce groupe, une accusation que les autorités congolaises rejettent.
Face aux pressions internationales, notamment de la part des États-Unis, en novembre 2023, le général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées de la RDC (FARDC), a annoncé l’interdiction stricte de tout contact entre les militaires congolais et les FDLR. Cette décision intervenait peu après les visites à Kinshasa et à Kigali de Avril Haines, directrice du renseignement national américain (DNI), dans un contexte où Washington pousse à une désescalade entre la RDC et le Rwanda. En juin 2024, Robert A. Wood, ambassadeur américain à l’ONU, avait déjà demandé à la RDC de rompre tout lien avec les FDLR, et au Rwanda de cesser son appui à l’AFC/M23.
Pour gérer cette situation, une lueur d’espoir commençait à poindre fin 2024, dans le cadre du processus de Luanda. Un « Concept of Operations » (CONOPS) a été élaboré par les délégués de la RDC, du Rwanda et de l’Angola. Ce plan prévoit des opérations de neutralisation des FDLR, avec le soutien des pays de la région. Cependant, la mise en œuvre de ce plan reste incertaine, du fait des nombreuses fragilités politiques, diplomatiques et sécuritaires sur le terrain.
Selon divers rapports, ce groupe finance ses opérations à travers diverses activités illégales : commerce de bois de chauffe et du charbon de bois (Makala), enlèvements contre rançon et imposition de taxes dans les zones sous son contrôle.

e. Déficit de gouvernance et déliquescence de l’État: un terreau fertile pour les violences

L’un des éléments clés pour comprendre la persistance des conflits dans l’est de la République démocratique du Congo est la faiblesse structurelle de l’État congolais. Ce déficit de gouvernance ne se limite pas à un manque de moyens ou de ressources humaines. Il traduit une incapacité quasi chronique à exercer les fonctions de base attendues d’un État souverain. Le professeur Filip Reyntjens résume ainsi la situation: «L’État congolais est juridiquement un État, mais empiriquement, il ne remplit pas les fonctions essentielles d’un État».
Autrement dit, sur le papier, l’État existe, mais dans la réalité quotidienne, ses fonctions régaliennes – telles que le contrôle du territoire, la collecte des impôts ou la fourniture de services publics – sont largement défaillantes. Selon Reyntjens, cette absence de contrôle permet l’implantation durable de groupes armés, l’ingérence des armées étrangères sur le sol congolais et l’exploitation illégale des ressources naturelles par des acteurs locaux ou transnationaux. Il insiste: «Tout cela ne serait pas possible si on avait un État même modérément fonctionnel».
Ce repli de l’État à Kinshasa – voire son absence même dans certaines zones de la capitale – rend impossible une gouvernance cohérente sur un territoire aussi vaste et aussi fragmenté que celui de la RDC. Cette déliquescence de l’État alimente une perception selon laquelle la force devient la seule voie de protection et de survie, comme l’écrivait déjà en 2012 Jason Stearns, chercheur et auteur reconnu sur la région: «Cette faiblesse renforce l’idée selon laquelle le recours à la force armée représente le seul moyen de protéger les biens et les libertés individuelles».

f. Récits historiques et manipulations mémorielles: un conflit nourri par le passé

Au-delà des causes économiques, politiques ou sécuritaires, les récits historiques constituent un autre levier majeur de tension dans les Kivu. L’histoire y est non seulement mobilisée comme outil de légitimation, mais aussi réinterprétée pour servir des intérêts politiques et communautaires. Le chercheur Christoph Vogel souligne l’impact de ces récits: «La réinterprétation de l’histoire, la manipulation basée sur les récits historiques, a aussi un impact sur comment se déroule le conflit aujourd’hui». Cette manipulation peut prendre plusieurs formes: contestation des frontières héritées de la colonisation, mobilisation autour de récits victimaires, ou négation d’événements majeurs, comme le génocide de 1994. Chacun convoque «son histoire» pour justifier sa position actuelle, ce qui complique la recherche de compromis. Christoph Vogel poursuit: «Il y a une mobilisation politique sur des récits plus ou moins acceptables».
Cette instrumentalisation empêche souvent la résolution des conflits, même lorsque des solutions techniques ou économiques semblent à portée de main. Une décision sur la gestion minière, par exemple, peut être rejetée non pas pour son contenu, mais parce qu’elle ne prendrait pas en compte une injustice du passé, réelle ou supposée. Chaque camp porte ses blessures: «Le RCD a tué mon père», dira l’un, «les FDLR ont tué ma tante», dira l’autre. Cette logique rend le conflit perpétuel, car les mémoires s’affrontent autant que les armes.
Zobel Behalal, expert à la Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC), souligne le danger de cette approche. «Les causes profondes commencent où?», s’interroge-t-il, en appelant à des solutions ancrées dans l’économique, qui permettent d’impliquer toutes les parties prenantes. Selon lui, l’économie peut structurer des solutions viables, là où la mémoire reste parfois un champ de bataille sans fin.

2. LA (NOUVELLE) OFFENSIVE DU M23 SUR GOMA

Un conflit ne qui ne concerne pas seulement les minerais – Sept questions-réponses.

International Peace Information Service (IPIS) – 6 février 2025
https://ipisresearch.be/fr/publication/the-new-m23-offensive-on-goma-why-this-long-lasting-conflict-is-not-only-about-minerals-and-what-are-its-implications-qa/

L’avancée rapide du M23, soutenu par l’armée rwandaise (RDF), au Nord-Kivu a pris la plupart d’entre nous par surprise. Au matin du 29 janvier 2025, les rebelles contrôlaient en grande partie la ville stratégique de Goma, à l’exception de quelques dernières poches de résistance de soldats de l’armée congolaise et de groupes armés alliés. Le 3 février, l’ONU a signalé qu’au moins 900 personnes avaient été tuées lors de la prise de Goma et a souligné des exécutions sommaires, des cas de violences sexuelles et sexistes, ainsi que la destruction de camps de personnes déplacées. Cette crise sécuritaire a également provoqué le déplacement de 237 000 personnes supplémentaires depuis début 2025, alors que les provinces du Kivu abritaient déjà 4,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays à la fin de l’année dernière.
Pour expliquer rapidement et clairement les causes de cette crise humanitaire, le rôle des ressources naturelles et, en particulier, des minéraux, est souvent surestimé. Si l’exploitation minière et le commerce des minéraux jouent inévitablement un rôle important, en tant qu’élément vital de l’économie locale, il est important d’évaluer les atouts économiques plus largement, ainsi que les intérêts politiques et les revendications sociales.
La récente flambée de violence a vu la conjonction de multiples facteurs de conflit. De nombreux acteurs sont impliqués, chacun avec ses propres objectifs. De plus, plusieurs événements et décisions politiques ont alimenté la situation ces deux dernières années, provoquant l’escalade actuelle de la violence dans l’est de la RDC.
Nous avons tenté de répondre aux questions les plus importantes de manière concise, tout en soulignant les différents aspects et complexités du problème.

a. Quelle est la taille de l’expansion territoriale du M23?

L’occupation du Nord-Kivu (ou de certaines de ses parties) par le M23 n’est pas nouvelle. Depuis fin 2021, il y a continuellement réalisé des gains territoriaux importants et a établi des administrations parallèles dans les zones conquises. Fin janvier 2025, la zone d’influence du M23, qui couvre les territoires de Rutshuru, de Nyiragongo et (la majeure partie du) Masisi, couvrait environ 7 800 km².
Jusqu’à fin janvier 2025, l’attention internationale pour l’est de la RDC était toutefois limitée, le M23 ne s’étant pas aventuré à Goma, la principale ville de l’est de la RDC, encerclée depuis près d’un an. La prise de Goma par le M23 en 2012 avait suscité une vive indignation internationale et diplomatique, marquant à l’époque la fin de son insurrection. On pensait donc que le M23 ne commettrait pas la même erreur. Mais fin décembre 2024, le M23 lança une nouvelle offensive. Le 21 janvier, il s’empara de Minova, dans le territoire de Kalehe (Sud-Kivu), et Sake, dernier bastion avant Goma, tomba vers le 24 janvier.
Par ailleurs, depuis décembre 2024, le M23 a également lancé des attaques sur son front nord, près de Bingi, dans le territoire de Lubero. Il se dirige actuellement plus au sud, dans la province du Sud-Kivu , où il aurait pris Nyabibwe le 5 février.

b. Pourquoi le M23 se bat-il?

Si le soutien de l’armée rwandaise est un facteur crucial pour expliquer la résurgence du M23 en 2021, le mouvement n’est pas seulement un mandataire du Rwanda. Il poursuit avant tout ses propres intérêts et objectifs.
Le M23 a été créé en 2012 par d’anciens officiers du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mécontents de la mise en œuvre par le gouvernement de l’accord de paix du 23 mars 2009, qui permettait au CDNP de se transformer en parti politique et à ses unités militaires d’intégrer les FARDC. En 2021, le M23 a repris les combats après l’échec des négociations confidentielles entre le gouvernement congolais et le M23 concernant la mise en œuvre des Déclarations de Nairobi de 2013, qui avaient mis fin à la première rébellion du M23.
Le M23 estime que le gouvernement ne protège pas suffisamment les communautés rwandophones de l’est de la RDC, notamment contre la haine et les groupes armés. Les tensions entre ces communautés rwandophones (Hutus, et surtout Tutsis) et les autres groupes ethniques du Nord-Kivu remontent à l’époque coloniale et post-indépendance . La concurrence pour l’accès à la terre et le rôle des autorités locales dans la gestion foncière ont alimenté les tensions qui ont opposé les communautés. Au cours des dernières décennies, le gouvernement congolais n’a jamais réussi à apaiser ces tensions ni à garantir les droits fonciers des populations. Initialement, l’objectif du M23 était d’éradiquer les groupes armés rivaux, de s’assurer le contrôle foncier en prenant le pouvoir local — et en particulier de protéger les terres acquises par la communauté «Tutsi» — et de s’intégrer dans l’armée nationale.
Ce qui est nouveau, cependant, c’est que les revendications du M23 ont progressivement pris une dimension politique nationale, dépassant la simple protection des communautés rwandophones des provinces du Kivu. Le mouvement s’attaque désormais directement au régime de Kinshasa. Ce phénomène est encore accentué par son pacte avec l’Alliance Fleuve Congo (AFC), considérée comme l’aile politique du M23. L’AFC a été fondée en décembre 2023 par l’ancien chef de la commission électorale, Corneille Nangaa, qui a déclaré: «Notre objectif n’est ni Goma ni Bukavu, mais Kinshasa, la source de tous les problèmes». Le président Tshisekedi a toujours perçu l’AFC comme une tentative de l’ancien président Kabila de le renverser, affirmant que «l’AFC, c’est lui».
Reste à savoir si le M23 souhaite réellement renverser le gouvernement actuel. À l’heure actuelle, son objectif principal semble être de faire pression sur Kinshasa pour qu’il mène des négociations directes, en vue d’intégrer ses unités dans l’armée nationale, d’y obtenir des postes importants et, potentiellement, de participer au gouvernement congolais.

c. Comment le gouvernement congolais a-t-il géré la résurgence du M23?

Félix Tshisekedi a pris le pouvoir en 2019 après des élections contestées, dont beaucoup pensent qu’elles ont été le résultat d’un accord corrompu avec le président sortant Joseph Kabila. Durant son premier mandat, le président Tshisekedi s’est concentré sur la constitution et la réforme de sa coalition présidentielle (fragile), et ses résultats politiques ont été plutôt faibles. S’il faut reconnaître que la situation sécuritaire dans l’Est dont il a hérité était déjà mauvaise, sa politique n’a fait qu’empirer la situation.
Premièrement, en 2019, Tshisekedi a intensifié la diplomatie régionale pour établir une coopération politique et sécuritaire avec les pays voisins. Bien que la diplomatie et la coopération régionales soient importantes, cette stratégie semble avoir sous-estimé – et même exacerbé – les tensions historiques entre les différents dirigeants régionaux, qui se sont historiquement battus pour l’influence dans l’est de la RDC. De plus, ces alliances régionales – en particulier celle avec le Rwanda – ont été accueillies avec une profonde suspicion en RDC et ont alimenté une résurgence du sentiment anti-rwandais et anti-tutsi. (De nombreux Congolais considèrent toujours le Rwanda et son armée comme un adversaire en raison de son rôle dans la Seconde Guerre du Congo). Deuxièmement, le gouvernement a déclaré l’état de siège en mai 2021 pour faire face à l’escalade de la violence en Ituri et au Nord-Kivu, mais la situation sécuritaire s’est considérablement détériorée et la mesure a aggravé la situation des droits humains dans le pays.
Troisièmement, l’armée congolaise (FARDC) étant incapable d’enrayer l’expansion du M23 — en raison de problèmes structurels tels que des problèmes de chaîne de commandement, la corruption, des réformes infructueuses, l’échec des processus d’intégration des groupes armés et la démotivation des troupes —, l’armée et le gouvernement ont choisi de combattre le groupe par procuration. Ils ont fourni un soutien militaire et financier secret à une coalition de groupes armés congolais (plus tard baptisés «Wazalendo», ou patriotes en kiswahali), y compris les ennemis jurés de Kigali, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Plus grave encore, le recrutement et le réarmement renouvelés par ces groupes armés compromettent les initiatives passées et futures de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR).
Quatrièmement, Kinshasa a poursuivi une stratégie militaire étroite contre le M23 ces dernières années, refusant de négocier avec lui, le considérant comme un groupe terroriste. Que cette décision soit justifiée ou non, elle a ignoré la réalité militaire sur le terrain. Chaque offensive de l’armée congolaise ou de ses alliés s’est retournée contre elle et a conduit à une nouvelle expansion du M23. Enfin, Tshisekedi s’est montré assez instable dans ses alliances militaires. Il a exhorté la MONUSCO à se retirer de son pays, et les Casques bleus ont déjà quitté le Sud-Kivu en juin 2024. Cependant, courant 2024, le gouvernement a semblé reconsidérer cette décision, du moins pour le moment, face à la dégradation continue de la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Il a également fait appel à de nombreuses sociétés de sécurité privées, aux forces internationales (CAE et SADC) et aux armées nationales (par exemple burundaise), pour en licencier certaines peu après. Cette incohérence alimente le chaos et risque d’exacerber les tensions régionales.

d. Quel est le lien avec la politique nationale?

Bien que Tshisekedi ait été réélu fin 2023, l’opposition a remis en question la validité des résultats électoraux en raison d’importants problèmes logistiques. De plus, les opposants politiques craignent désormais que Tshisekedi ne brigue un nouveau mandat en modifiant la Constitution, ce qui lui permettrait de rester au pouvoir au-delà de 2028. Ces actions ont incité certains opposants politiques clés à prendre position, l’ancien président Joseph Kabila et Moïse Katumbi œuvrant pour une alliance politique unie contre Tshisekedi.
Alors que la crise du M23 continue de s’aggraver, la question se pose de savoir si cela pourrait également signifier la fin du gouvernement de Tshisekedi. L’opposition politique à Kinshasa condamne avant tout le Rwanda pour son soutien au M23. Mais nombreux sont ceux qui tiennent également Tshisekedi pour responsable et critiquent son approche de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC. Néanmoins, Katumbi et Kabila sont surveillés avec suspicion par le gouvernement, car ils n’ont jusqu’à présent pas commenté les derniers développements dans les Kivus.
Depuis que le président Tshisekedi a déjoué Kabila et l’a écarté de la majorité politique en 2020, il le considère comme une menace. Il est également convaincu que Kabila est à l’origine de la création de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et de ses liens avec la rébellion du M23. Malgré la méfiance à l’égard du M23 – en raison de son soutien du Rwanda –, le soutien à l’AFC pourrait en réalité s’accroître à mesure que l’opposition politique à Tshisekedi s’intensifie.
Quelle que soit l’influence de Kabila sur l’AFC, la chute de Goma — capitale du Nord-Kivu et principale ville de l’est — et la décision du M23 de marcher sur Bukavu affaiblissent encore davantage la crédibilité de Tshisekedi et compromettent ainsi son avenir politique.

e. Le Rwanda est-il impliqué?

Le M23 n’aurait jamais réussi à réaliser une expansion territoriale aussi impressionnante sans le soutien du Rwanda. Le Groupe d’experts des Nations Unies a documenté dans plusieurs rapports comment l’armée rwandaise fournit du matériel militaire et une formation au M23. Il a même fait état de la présence de 3 000 à 4 000 soldats rwandais au Nord-Kivu, combattant aux côtés du M23, ce qui ne serait qu’une estimation prudente selon certains observateurs. La ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, a signalé que des troupes rwandaises supplémentaires avaient traversé la frontière à l’approche du siège de Goma, et certains rapports évoquent désormais jusqu’à 5 000 soldats rwandais dans la province. Le Groupe d’experts des Nations Unies a également signalé que les opérations au Nord-Kivu sont coordonnées par le conseiller du président Kagame, le général James Kabarebe. Ce dernier était déjà impliqué dans la chaîne de commandement du M23 en 2012, lorsqu’il était ministre de la Défense du Rwanda.

f. Pourquoi le Rwanda s’est-il impliqué?

Les raisons du soutien du Rwanda au M23, et de son ingérence au Nord-Kivu de manière plus générale, sont très complexes et incluent des préoccupations sécuritaires, ainsi que la concurrence politique et économique régionale pour l’influence dans l’est de la RDC et dans la région au sens large.
Depuis le génocide de 1994 au Rwanda, Kigali insiste sur la menace sécuritaire que représente pour le Rwanda la situation dans l’est de la RDC. Le démantèlement des FDLR (un groupe armé créé en 2000 par d’anciens auteurs du génocide) est une priorité sécuritaire pour eux. Certains observateurs, cependant, voient dans les préoccupations sécuritaires de Kigali un prétexte pour continuer à affirmer son influence sur l’est de la RDC. Les FDLR constituent toujours un groupe armé important dans le sud du Nord-Kivu, avec environ 1 000 à 1 500 combattants, mais ils ne représenteraient plus une menace imminente pour le Rwanda. Cependant, le prétexte du  soutien du Rwanda au M23 est fondé sur la collaboration des FDLR avec l’armée congolaise, ce qui leur permet d’ intensifier leurs efforts de recrutement.
Néanmoins, quelle que soit la menace que les FDLR pourraient représenter pour Kigali, cela n’enlève rien au fait que le génocide est une expérience traumatisante, et que la peur de la violence pourrait donc être un sentiment important au Rwanda. Une fois de plus, Jason Stearns explique très bien comment le FPR de Kagame a besoin de la menace sécuritaire extérieure pour légitimer son régime et réprimer l’opposition et les voix dissidentes: «Compte tenu de la place centrale que le génocide occupe encore dans la mémoire et la politique rwandaises, les FDLR demeurent une puissante menace symbolique».
Deuxièmement, l’est de la RDC offre d’importantes opportunités économiques à ses pays voisins, notamment l’Ouganda et le Rwanda, qui se font concurrence pour profiter de l’exportation des ressources naturelles de la RDC, mais aussi du marché de vente que la RDC offre pour les produits agricoles, les biens de consommation et les services.
En 2021, juste avant la résurgence du M23, l’équilibre régional (fragile) du pouvoir dans la région des Grands Lacs a été bouleversé. Kigali a perçu une menace pour sa «zone d’influence» en RDC. En effet, l’Ouganda et la RDC avaient annoncé une collaboration en matière de sécurité et un projet de réhabilitation de routes dans l’est de la RDC. Des soldats ougandais ont été déployés en Ituri et dans le nord du Nord-Kivu (Grand Nord) depuis novembre 2021, dans le cadre de l’opération Shujaa, pour combattre les Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise. Les analystes ont toutefois évoqué d’autres motivations économiques, dont la construction de routes pour élargir le marché des produits ougandais.
Dans le même temps, le gouvernement congolais avait suspendu la collaboration militaire avec le Rwanda et annulé les promesses antérieures d’augmentation du commerce de l’or de la RDC vers le Rwanda (par exemple, un accord avec le raffineur d’or rwandais Dither).
Le fossé entre le régime congolais actuel et Kigali semble également être devenu irréconciliable, depuis que Tshisekedi a intensifié la rhétorique nationaliste contre le Rwanda dans le cadre de sa campagne électorale de 2023. Le gouvernement a engagé un cabinet d’avocats pour dénoncer la contrebande de minerais vers le Rwanda et a appelé au boycott des exportations de minerais 3T (étain, tungstène, tantale) de ce dernier.
Néanmoins, Kagame semble se sentir plus que jamais en mesure d’oser une nouvelle attaque du M23 contre Goma. Si l’Europe a condamné le soutien du Rwanda au M23, Kigali sait que l’Europe a de plus en plus besoin du Rwanda comme partenaire «stable» sur le continent africain dans la lutte contre le terrorisme et dans la lutte géopolitique pour les ressources fossiles et minérales. Cela comprend, par exemple, la signature d’un protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables des matières premières et un programme d’aide militaire à Kigali lié au déploiement de ses troupes au Mozambique.
Cette collaboration européenne avec Kigali est mal perçue en RDC. L’homme politique congolais Christophe Lutundula a ainsi évoqué les intentions du Rwanda, et de Kagame en particulier,: «Il veut démontrer à la communauté internationale qu’il est le seul interlocuteur valable pour traiter des questions de sécurité, de paix et même de coopération avec la région des Grands Lacs. … Si vous voulez traiter avec la région des Grands Lacs, c’est avec moi qu’il faudra le faire».
L’objectif immédiat de Kigali derrière la dernière offensive du M23 alimente les spéculations. Quoi qu’il en soit, il semble que le siège de Goma par le M23 ait été déclenché par l’échec des négociations de Luanda en décembre 2024, lorsque la RDC a catégoriquement rejeté la demande du Rwanda d’un dialogue direct entre le M23 et la RDC. L’expansion territoriale du M23 et l’occupation de villes importantes augmenteraient la pression sur Tshisekedi, pour qu’il accepte des négociations directes avec le M23, ce qui fragiliserait davantage sa position et renforcerait l’influence du Rwanda dans l’est de la RDC. De ce fait, la crainte d’une «balkanisation» – croyance largement répandue en RDC selon laquelle la communauté internationale, et le Rwanda en particulier, tentent de diviser la RDC – se profile à l’horizon. Certaines sources estiment que Kigali pourrait envisager une occupation plus permanente des Kivus par le M23, avec une administration favorable à Kigali, voire un changement de régime à Kinshasa. Cela alimente l’analyse de certains observateurs selon laquelle le Rwanda a l’intention de créer une zone tampon dans l’est de la RDC, ce qui répondrait à la fois aux préoccupations stratégiques économiques et sécuritaires mentionnées ci-dessus.

g. Qu’en est-il des minéraux?

Les minéraux jouent un rôle dans le financement des conflits dans l’est de la RDC et s’inscrivent dans les tensions géopolitiques régionales plus larges. Cela est logique, étant donné que l’exploitation minière et le commerce des minéraux constituent une part importante de l’économie locale et des flux commerciaux régionaux. Cependant, les minéraux ne doivent pas être considérés comme la cause principale des conflits. En réalité, les conflits dans l’est de la RDC sont beaucoup plus complexes, impliquant des conflits d’autorité, des conflits d’accès aux terres et aux ressources, des questions non résolues de citoyenneté nationale, des inégalités sociales historiquement non traitées et des luttes pour le pouvoir politique.
Au cours des dernières décennies, de nombreux groupes armés se sont multipliés dans l’est de la RDC, prétendant protéger les intérêts de diverses communautés locales et dépendant, entre autres sources de revenus, des minerais pour leur survie. Pour le M23, une tendance similaire se dessine. Initialement, le mouvement cherchait à préserver les intérêts de la communauté tutsie, notamment en garantissant son accès à la terre et au pouvoir local au Nord-Kivu, ainsi qu’en luttant contre la discrimination qu’il perçoit à son égard. Le Groupe d’experts des Nations Unies a également perçu les positions des FDLR comme des cibles privilégiées du M23 lors de ses attaques militaires, déclarant: «Le M23 et les Forces de défense rwandaises (FDR) ont spécifiquement ciblé des localités majoritairement peuplées de Hutus dans des zones connues pour être des bastions des FDLR et des groupes Nyatura».
À mesure que le M23 étendait son contrôle territorial, il a continuellement remplacé les autorités locales par des membres du M23 et étendu son emprise sur tous les aspects de la gouvernance locale dans les territoires occupés. Ce faisant, il tente également de contrôler l’économie locale du Nord-Kivu, y compris les chaînes d’approvisionnement en minerais. À l’origine, il gérait principalement des points de contrôle et taxait les minerais introduits en contrebande au Rwanda, parallèlement à d’autres flux commerciaux. Début 2024, après plus de deux ans de rébellion, le M23 ne contrôlait pratiquement aucun site minier. Ce n’est que fin avril 2024 que le groupe s’est introduit dans les zones riches en minerais du Nord-Kivu et a commencé à se lancer dans la production de coltan (tantale). Depuis, il a étendu sa zone de contrôle à diverses zones riches en minerais des territoires de Masisi et de Kalehe.
Au niveau régional, le commerce de l’est de la RDC en général, et des minéraux en particulier, est traditionnellement lié à l’Afrique de l’Est. Plusieurs corridors commerciaux importants existent dans l’est de la RDC qui acheminent l’or et les minéraux 3T via l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie et le Kenya vers le marché mondial. De plus, la contrebande transfrontalière à grande échelle constitue un problème majeur dans la région depuis des décennies. Pendant longtemps, l’Ouganda a été le principal exportateur d’or congolais (de contrebande), tandis que le Rwanda était le principal exportateur de minéraux 3T congolais. Cependant, le Rwanda est également devenu une destination de plus en plus importante pour l’or de contrebande en provenance de RDC depuis 2017. Par conséquent, l’Ouganda et le Rwanda se sont fait concurrence au cours des dernières années, pour devenir la principale porte d’entrée de l’or congolais vers le marché mondial. L’or est devenu le produit d’exportation le plus important, en valeur, des deux pays, représentant environ 48 % de la valeur totale des exportations de l’Ouganda et 31 % de celle du Rwanda en 2022. Pour le Rwanda, la part des exportations de minéraux dépasse également 40 % de la valeur totale des exportations, car il exporte également des volumes considérables d’étain et de tantale, qui sont également et en grande partie introduits en contrebande dans le pays depuis la RDC.
Plusieurs acteurs continuent de profiter du commerce frauduleux et de la contrebande vers les pays voisins. Parmi eux, on pourrait citer les groupes armés, des officiers militaires et des personnalités politiques. Global Witness, par exemple, a accusé James Kabarebe (conseiller présidentiel et ancien ministre rwandais de la Défense) d’être impliqué dans l’organisation de la contrebande de minéraux vers le Rwanda dans les années 2010. Ces acteurs et individus bénéficient clairement du statu quo et de la persistance de l’insécurité dans l’est de la RDC et, donc également, de la renaissance du M23.
La concurrence entre le Rwanda et l’Ouganda dans le commerce international des minerais et son impact sur le financement des conflits dans l’est de la RDC doivent être contextualisés.
La rivalité autour des routes d’exportation de l’or congolais s’inscrit dans une géopolitique régionale plus large et dans une dynamique d’intégration régionale (économique). L’est de la RDC est un marché important pour ses voisins au-delà du secteur minier, notamment pour les produits agricoles, les biens de consommation et les services. La RDC est la deuxième destination des importations rwandaises, représentant environ 25 % de la valeur totale des exportations du Rwanda. Ces exportations comprennent le riz, le sucre brut, le pétrole raffiné, le poisson congelé, etc.