SOMMAIRE
1. COMMUNIQUÉS ET DÉCLARATIONS SUR L’ACCORD DE PAIX ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
2. UNE RÉFLEXION SUR L’ACCORD DE PAIX DE WASHINGTON: DEVELOPPEMENT DURABLE OU RECOLONISATION?
3. NEUTRALISATION DES FDLR ET LEVÉE DES « MESURES DEFENSIVES » DU RWANDA: LES PRÉMIÈRES DIFFICULTÉS DÉJÀ PREVUES
a. Le plan de l’opération
b. Les FDLR: qui sont-elles?
c. Neutralisation des FDLR et levée des mesures défensives du Rwanda / retrait de l’armée rwandaise du territoire congolais
d. Le lien entre FDLR et Wazalendo
1. COMMUNIQUÉS ET DÉCLARATIONS SUR L’ACCORD DE PAIX ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
L’accord de paix signé par la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sous la médiation américaine a suscité des réactions dans l’environnement sociopolitique congolais. Si du côté gouvernement l’on se montre optimiste quant à sa mise en œuvre, d’autres acteurs par contre se montrent pessimistes au regard de certaines dispositions qui ne sont pas avantageuses pour la RDC.
Dans un commentaire intitulé « Des minerais pour la paix? Comment faire respecter l’accord entre le Rwanda et la RD Congo », Human Right Watch, affirme que l’accord de paix négocié par les États-Unis et signé le 27 juin entre la République démocratique du Congo et le Rwanda liera l’intégration économique et le respect de l’intégrité territoriale à la promesse d’investissements occidentaux. S’il s’agit avant tout d’un accord minier, l’accord offre aussi une opportunité pour la paix dans la région. Sa bonne mise en œuvre sera toutefois fonction de la surveillance continue du gouvernement américain. L’accord s’aligne directement sur les intérêts stratégiques des États-Unis et est en adéquation avec la tendance du président Donald Trump à privilégier une politique étrangère transactionnelle. Si les avantages offerts à la RD Congo d’une part, pour ses minerais, et au Rwanda de l’autre, en tant que plateforme potentielle de transformation et d’exportation des minerais, peuvent amener les deux pays à la table des négociations, l’expérience démontre qu’une paix durable ne peut être instaurée que si la reddition des comptes pour les violations des droits humains commises par toutes les parties figure au premier plan des discussions.
Toutefois, cet accord ne s’attaque malheureusement pas à l’impunité, un facteur pourtant clé des conflits dans la région. Des graves abus ont été commis par le groupe rebelle M23, qui contrôle des zones clés de l’est de la RD Congo, et par les forces gouvernementales rwandaises qui le soutiennent. De son côté, le gouvernement congolais devrait aussi rendre des comptes pour les exactions commises par ses propres troupes et les milices qui lui sont alliées.
Depuis des années, le Rwanda soutient le M23, alimentant ainsi la violence et l’instabilité dans la région : exécutions sommaires, bombardements de camps de déplacés, recrutement forcé d’enfants et déplacement de centaines de milliers de personnes.
Pour que la dynamique impulsée par l’administration Trump aboutisse à de réels progrès, le Rwanda doit d’abord être tenu de respecter les principes qu’il a signés en avril, notamment retirer ses troupes de la RD Congo et mettre fin à son appui au M23. Le respect de ces engagements devrait être évalué par des observateurs internationaux indépendants ayant connaissance de la tendance du gouvernement rwandais au déni et à la duplicité. Les États-Unis devraient être prêts à imposer de nouvelles sanctions à l’encontre des responsables rwandais impliqués dans la commission d’abus et à dénoncer publiquement le gouvernement s’il contourne les dispositions clés de l’accord.
Le gouvernement de la RDC devrait également assumer ses propres responsabilités. Son soutien continu à ses milices alliées et aux Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), dont certains combattants et commandants ont été responsables du génocide rwandais de 1994, compromettra l’accord. Cela doit cesser. La RD Congo doit démanteler ces groupes armés une fois pour toutes. Les divisions ethniques demeurent très vives dans la région. Le gouvernement congolais devrait faire preuve d’efforts de bonne foi pour réfréner les discours haineux qui risquent d’inciter à la violence.
Le Congrès américain peut contribuer à améliorer les chances de succès et de viabilité de l’accord négocié par les États-Unis avec la RD Congo et le Rwanda en exigeant que tout investissement dans les infrastructures ou le soutien à la sécurité soit nécessairement subordonné au retrait complet des troupes rwandaises de la RD Congo et à la fin du soutien congolais aux groupes auteurs d’exactions. Le Congrès devrait également manifester son soutien aux enquêtes sur les crimes graves et veiller à la mise en place d’un suivi international et au respect de l’accord.
De telles actions constituent le minimum pour ne pas trahir la promesse d’une paix réelle et durable pour l’est de la RD Congo, ainsi que pour garantir aux États-Unis un approvisionnement fiable en minerais qui ne soit pas entaché de violations des droits humains.[1]
Pour le prix Nobel de la paix Dénis Mukwege en signant cet accord avec le Rwanda, le régime de Kinshasa a abandonné sa souveraineté aux mains des forces d’agression et légitime l’occupation d’une armée responsable de millions de morts et de déplacés.
«Cet accord ne se base pas sur la reconnaissance par le médiateur américain qu’il y a un État agresseur, le Rwanda, qui défie chaque jour le droit international, en totale impunité et un pays agressé, la RDC, qui subit de plein fouet les effets néfastes d’une géopolitique cynique. Si, en apparence, l’accord de paix signé aujourd’hui semble se baser sur le respect de l’intégrité territoriale et prévoit la cessation des hostilités entre la RDC et le Rwanda, et que les deux parties au conflit sont amenées à s’engager à ne plus soutenir les groupes armés, les FDLR du côté congolais et le M23 du côté rwandais, diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées», a fustigé le prix Nobel de la paix dans sa déclaration lors de la soirée concert pour la paix en RDC en Belgique.
Pour Dénis Mukwege, le retrait de l’armée rwandaise du territoire congolais, qui devrait être immédiat et sans condition, selon les prescrits de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée le 21 février 2025, semble dorénavant être conditionné à la neutralisation des FDLR, par le truchement d’un mécanisme conjoint de sécurité (RDC/Rwanda) qui autorise l’armée rwandaise à opérer sur le sol congolais. À l’en croire, l’agresseur non sanctionné pourra donc poursuivre ses opérations dans les Kivus, avec l’aval du gouvernement congolais.
«Le démantèlement du M23 dépendra des négociations parallèles à Doha dont l’issue est incertaine, car dépendant largement du bon vouloir du Rwanda, qui tire les ficelles de ce groupe armé, même s’il n’a jamais reconnu son soutien, alors que des preuves accablantes démontrent son contrôle direct sur ces rebelles. Ainsi, nous pouvons dire que, en signant cet accord, le régime de Kinshasa a abandonné sa souveraineté aux mains des forces d’agression, et légitimé l’occupation et les opérations d’une armée qui est à la base de millions de morts, de centaines de milliers de femmes violées et du déplacement de millions de congolais», a-t-il ajouté.
L’accord de Washington comporte aussi des dispositions pour accélérer une intégration économique régionale. Dénis Mukwege ne digère pas le fait qu’un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières depuis 30 ans puisse bénéficier d’une cogestion des ressources naturelles de la RDC.
«Ainsi, sous couvert de coopération économique, de sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minerais et de création de chaînes de valeur intégrées et transparentes, pour reprendre les termes de l’accord signé aujourd’hui, les minerais congolais seront exportés, pour ne pas dire « bradés » à l’état brut vers le Rwanda, qui procédera à la transformation et à l’exportation de produits semi-finis ou finis vers le reste du monde. L’État rwandais agresseur-pilleur bénéficiera donc, avec le blanc-seing de Kinshasa, des bénéfices de la valeur ajoutée des minerais congolais, dans une logique extractiviste néocoloniale qui fera perdurer le sous-développement en RDC», a regretté le Docteur Dénis Mukwege. Face à cette situation, le prix Nobel de la paix mobilise la population détentrice de la légitimité à se lever contre cet accord. Il a aussi interpellé les institutions de la République de leurs obligations à ne privilégier que l’intérêt général.
«Comment accepter d’abandonner notre souveraineté? Comment accepter de légitimer l’occupation d’un pays agresseur? Comment accepter le bradage de nos ressources minières? Comment sacrifier la justice sur l’autel d’une paix qui ne pourra qu’être fragile, car l’accord de paix plante les graines de la répétition des conflits et des atrocités de masse? Nous appelons donc en dernier recours à une prise de conscience du peuple congolais, à qui appartient la souveraineté nationale, et à un appel à la responsabilité dans le chef du gouvernement et du Président de la République, gardien de notre Constitution. En vertu de notre loi fondamentale (art 214), le règlement de conflits internationaux ne peut être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi, et doit donc être préalablement soumis aux élus de l’Assemblée Nationale congolaise. Je rappelle aussi que tout accord qui aurait pour conséquence de priver la Nation d’une partie de ses propres moyens d’existence, tirés notamment de ses richesses naturelles, est érigé en infraction de pillage et que ces actes, ou leurs tentatives, sont punis comme infraction de trahison (art.56 et 57)», a fait remarquer le Prix Nobel de la paix.[2]
Amnesty International a déclaré que l’accord de paix conclu récemment entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda n’aborde pas la question de la justice pour les victimes de crimes graves, dans la mesure où il ne contient aucune disposition visant à amener les auteurs présumés de ces crimes à rendre des comptes. «En ne luttant pas contre l’impunité pour les terribles crimes commis dans l’est de la RDC, cet accord a manqué une occasion d’éliminer l’un des facteurs persistants du conflit», a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, en ajoutant que «lorsque des personnes responsables d’atteintes aux droits humains ne font pas l’objet d’une enquête et ne sont pas amenés à répondre de leurs actes, cela crée un cercle vicieux, dont les civiles en paient le prix. Cela doit cesser pour que la sécurité soit pérenne».
Depuis la signature de l’accord à Washington le 27 juin, Amnesty International a reçu des informations crédibles selon lesquelles le Mouvement du 23 mars (M23) – qui bénéficie de l’appui du Rwanda – et les Wazalendo – groupes armés soutenus par l’armée congolaise – ont continué à s’affronter dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, ce qui a entraîné des morts parmi la population civile. En outre, le M23 continue à enlever des jeunes hommes et à les emmener dans des lieux inconnus. Le M23, qui est en pourparlers avec les autorités de la RDC dans le cadre d’un autre processus de médiation dirigé par le Qatar, le 30 juin a dit « prendre acte » de l’accord de paix facilité par les États-Unis, mais après il a déclaré que cela ne le concernait pas. «Il faut que le Rwanda et la RDC exhortent de toute urgence le M23 et les Wazalendo à accorder la priorité à la protection des civils et à respecter le droit international humanitaire», a déclaré Agnès Callamard.[3]
Dans de sa prise de parole au Vatican lors de la conférence de presse de présentation du document préparatoire des églises d’Asie, d’Afrique et de l’Amérique latine en prélude de la COP30, le Cardinal Fridolin Ambongo a critiqué l’accord de paix signé le 27 juin dernier à Washington entre la RDC et le Rwanda, qu’il a qualifié de « fausse solutions » au conflit qui ravage l’est congolais depuis des dizaines d’années. L’archevêque métropolitain de Kinshasa a d’abord relevé que les minerais critiques, pomme de discorde de la guerre dans l’Est de la RDC, sont à la base de la prolifération des groupes armés en Afrique et il a ensuite démontré l’inefficacité de la solution « sécurité en échange des minerais » proposée par Trump à la RDC et au Rwanda.
«Alors que nos communautés restent privées d’eau potable, la course aux minéraux stratégiques est aujourd’hui, surtout en Afrique, à l’origine de la prolifération de groupes armés. Et récemment, vous avez suivi la solution que Trump propose à la RDC et au Rwanda: vous êtes en guerre entre vous à cause des minéraux. Moi, le grand Trump, j’arrive pour vous réconcilier et vous me donnez vos minéraux. Il a tenté cette solution en Ukraine. Ça n’a pas marché. Mais bon, chez nous, tout le monde court derrière lui», a lâché le prélat catholique, en dénonçant: «Nous disons, avec ce document, que c’en est assez, cette façon de fonctionner. Assez de fausses solutions. Assez de décisions prises sans écouter ceux qui vivent en insécurité».[4]
Face aux voix qui s’élèvent pour dénoncer l’absence de dispositions relatives à la justice en faveur des victimes de la guerre de l’AFC/M23, rébellion soutenue par le Rwanda, la partie congolaise souligne que l’accord met en avant les questions sécuritaires.
«Nous devons voir l’accord de Washington comme un accord qui s’est concentré sur les questions qui bloquent le plus pour l’instant. Est-ce que cela veut dire que la question de la justice n’est pas pertinente ou n’est pas une priorité, surtout pour le gouvernement congolais? Pas du tout», a indiqué Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des affaires étrangères.
Face aux appels pressants des activistes des droits de l’homme sur l’absence dans cet accord, de la reconnaissance du Rwanda comme pays agresseur de la RDC, Kinshasa affirme avoir négocié de manière à ne pas charger Kigali davantage, pourvu que la paix revienne dans l’est du pays: «On ne peut pas s’attendre à ce qu’un accord de paix soit une capitulation. Il y a aussi le souci de s’assurer que pour sa bonne exécution, on ne puisse pas humilier l’autre partie. Cela ne veut pas dire que la question de la justice n’a pas sa pertinence. Et cela ne veut pas dire que la question de la justice n’avance pas. Elle avance à travers nos institutions judiciaires, elle avance à travers la CPI, elle avance à travers la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples».[5]
2. UNE RÉFLEXION SUR L’ACCORD DE PAIX DE WASHINGTON: DEVELOPPEMENT DURABLE OU RECOLONISATION?
En occasion du jour marquant les 65 ans de l’indépendance de la République Démocratique du Congo, l’heure n’est plus seulement à la commémoration. Une question plus que jamais existentielle se pose: la RDC, dépositaire de près de 70 % du cobalt mondial et d’immenses réserves de lithium et de coltan, est-elle en train de négocier sa renaissance ou son assujettissement sous un drapeau différent, celui des multinationales américaines et de la géopolitique verte?
– Un accord stratégique ou un pacte faustien?
Depuis février 2025, Kinshasa et Washington discutent d’un partenariat inédit: un accès préférentiel des États-Unis aux minerais critiques congolais en échange d’investissements dans les infrastructures, la sécurité et la transition énergétique. Un deal présenté comme «gagnant-gagnant». Mais à qui profitera-t-il réellement?
Loin d’être anodin, cet accord pourrait inscrire la RDC dans une nouvelle matrice économique: celle d’une Afrique au service de la révolution technologique mondiale: batteries électriques, intelligence artificielle, énergies vertes. Ironie tragique: alors que le monde se «décarbone», la RDC risque de se «re-minéraliser»… dans la dépendance.
– La guerre de l’Est: laboratoire d’un chaos géoéconomique?
Depuis la chute de Mobutu, l’Est du Congo est devenu une matrice de guerre hybride où se croisent intérêts mafieux, logiques géopolitiques et extraction minière sous haute intensité. En 2024, la prise de la mine de Rubaya par le M23 a été moins une victoire militaire qu’un coup stratégique dans la guerre mondiale des ressources. Ce que peux osent dire à haute voix: le silence complice de certaines puissances occidentales, y compris les États-Unis, face à l’agression rwandaise, ne relève pas seulement d’un calcul diplomatique. Il s’inscrit dans un jeu d’équilibre cynique: fermer les yeux sur les crimes, tant que les flux de minerais critiques ne s’interrompent pas.
– Tshisekedi, l’Amérique et le mirage de la stabilité
Pour le président Tshisekedi, ce partenariat américain pourrait être un levier de légitimation internationale, alors que son régime est confronté à un mécontentement croissant, à des scandales financiers à répétition et à un front sécuritaire hors de contrôle. Certains analystes évoquent une stratégie de «sécurisation du régime» par la diplomatie des ressources: livrer l’accès aux minerais contre une forme de parapluie politique occidental. Une sorte de «plan Marshall inversé», où les ressources financent la stabilité… mais pas forcément celle du peuple.
– De Pékin à Washington: le piège des illusions renouvelées
L’accord sino-congolais de l’ère Kabila avait déjà été présenté comme la promesse d’un avenir radieux. Quinze ans plus tard, les routes sont fissurées, les hôpitaux inachevés, et les milliards se sont évaporés dans les méandres opaques du pouvoir. Avec les Américains, le narratif a changé, mais la structure de domination semble identique: les technologies ont évolué, les empires aussi. Ce n’est plus la colonisation par les armes, mais par les algorithmes, les contrats confidentiels et les «partenariats public-privé».
– Un avenir sous conditions: l’heure de la réinvention congolaise
Le véritable enjeu n’est pas le partenariat avec les États-Unis, mais comment il sera encadré, par qui, et pour quoi faire. Le développement durable ne se décrète pas dans un mémorandum d’entente, il se construit dans les actes, la redevabilité et, surtout, la conscience historique.
Et si le Congo cessait d’être un «eldorado pour investisseurs» pour devenir une nation-pivot du XXIe siècle? Il pourrait devenir une puissance stratégique assumée, où le peuple garde la main sur ses ressources, où la jeunesse transforme les minerais en technologie locale, où la souveraineté cesse d’être un slogan.
– Conclusion: De l’indépendance formelle à la souveraineté réelle
Soixante-cinq ans après l’indépendance proclamée, le véritable enjeu demeure celui de la souveraineté concrète. L’accord en négociation entre la RDC et les États-Unis pourrait représenter une opportunité historique, ou bien se révéler être un mirage aux conséquences irréversibles.
Ce qui fera la différence, ce ne sont pas les signatures solennelles à Washington, mais la capacité du peuple congolais à exercer un contrôle citoyen, à questionner les choix politiques et, si nécessaire, à s’y opposer. À défaut, nous risquons d’entrer dans une ère de «colonialisme climatique»: propre en apparence, technologique en façade, mais impitoyablement extractiviste. Et nous ferons de nos enfants et petits-enfants des esclaves sur leur propre terre.[6]
3. NEUTRALISATION DES FDLR ET LEVÉE DES « MESURES DEFENSIVES » DU RWANDA: LES PRÉMIÈRES DIFFICULTÉS DÉJÀ PREVUES
a. Le plan de l’opération
Après la signature de l’accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les interrogations s’accumulent. Le texte signé à Washington, sous l’égide des États-Unis, prévoit notamment un plan de neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hutu présent sur le territoire de l’est e la RDC et accusé par le Rwanda d’être une menace contre sa sécurité. Mais la mise en œuvre de ce plan s’annonce délicate, tant sur le plan militaire que politique.
Un calendrier resserré pour un objectif ambitieux.
Le document prévoit une opération de neutralisation des FDLR en quatre étapes. D’abord, la création d’un mécanisme conjoint de coordination de la sécurité, censé être opérationnel avant le 27 juillet. Ce mécanisme doit permettre la planification conjointe des actions militaires entre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les troupes rwandaises. Suit une phase de préparation de 15 jours destinée à localiser les positions des FDLR et à collecter des renseignements. La troisième étape, opérationnelle, est la plus délicate: pendant trois mois, les forces congolaises sont appelées à intervenir sur le terrain. L’objectif affiché est double et simultané: d’un côté, la neutralisation des FDLR; de l’autre, la levée des mesures dites défensives du Rwanda, ce qui inclut le retrait des troupes rwandaises déployées en territoire congolais. Mais l’équation est loin d’être simple. Des éléments des FDLR sont disséminés aussi bien dans les zones contrôlées par les FARDC que dans celles tenues par les troupes de l’AFC/M23 appuyées par l’armée rwandaise. Ce chevauchement fragilise la faisabilité du plan de neutralisation tel que prévu, d’autant plus que ces groupes refusent toujours de déposer les armes. En 2024, ils avaient demandé à la médiation angolaise de faciliter un dialogue direct avec Kigali, mais sans succès. Le risque de nouveaux affrontements dans les mois à venir est réel.
Des civils peu considérés dans le processus.
Autre faiblesse majeure de l’accord: la place réservée aux victimes civiles du conflit. Si les populations déplacées ou réfugiées sont mentionnées, avec un engagement des deux États à garantir leur retour volontaire, sûr et digne, le texte reste silencieux sur toute forme de justice ou de réparation. Aucun mécanisme de vérité, d’indemnisation ou d’accompagnement psychosocial n’est prévu.
Un accord entre États, sans l’AFC/M23.
Un absent de poids dans l’accord de Washington est l’AFC/M23. Ce groupe armé soutenu par Kigali, selon de nombreux rapports onusiens, n’est pas signataire. Les discussions avec le M23 se poursuivent dans un cadre parallèle, celui des négociations de Doha, sous la médiation du Qatar. À ce jour, ces discussions sont presque au point mort. Les deux camps restent irréconciliables sur la méthode: Kinshasa exige un désengagement immédiat du M23, le cantonnement de ses troupes et le retour de l’autorité de l’État libérées. Le M23, lui, réclame d’abord des mesures de confiance, un cessez-le-feu, puis la signature d’un accord global.
Un cadre de surveillance diplomatique délicat.
Pour garantir l’application de l’accord de Washington, deux dispositifs sont prévus: le mécanisme conjoint de coordination, et un comité de surveillance conjointe. Ce dernier aura pour tâche de recevoir les plaintes, documenter les violations et proposer des solutions. Il pourra également mettre en place des mécanismes ad hoc, en cas de besoin. Sur le papier, l’architecture diplomatique paraît solide. Mais tout dépendra de la volonté réelle des États concernés à respecter les engagements pris. En l’absence de sanctions ou de garanties fortes, la portée de cet accord pourrait rapidement s’éroder.[7]
À ce propos, par exemple, dans une interview à Jeune Afrique, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a affirmé que l’accord signé n’impliquait pas le retrait des troupes rwandaises, mais visait uniquement les groupes armés non étatiques: «Le terme “désengagement” se réfère exclusivement aux groupes armés non étatiques». C’est cette façon d’interpréter le texte qui, dans l’avenir, pourra fragiliser l’accord même.[8]
b. Les FDLR: qui sont-elles?
Le Professeur Martin Ziakwau, chercheur en dynamique sécuritaire dans l’Est de la RDC distingue deux conceptions des FDLR:
– Au sens strict, il s’agit de combattants génocidaires ne représentant plus une menace tactique, trente et un ans après le génocide de 1994 au Rwanda. Ces hommes, autrefois en première ligne, ont vieilli, et plusieurs opérations militaires menées unilatéralement par la RDC, ou en collaboration avec les forces rwandaises et/ou la Monusco, ont significativement réduit leurs effectifs. En 2017, des centaines d’ex-combattants ont ainsi été rapatriés au Rwanda, témoignant d’un déclin tangible de leur influence.
– Au sens large, les FDLR désigneraient non seulement le vecteur armé d’une idéologie « génocidaire », inoculée par les Interahamwe et autres extrémistes hutus, mais aussi des descendants de ces derniers regroupés dans des recoins aux Nord-Kivu et Sud-Kivu. Selon cette conception, les jeunes issus de cette lignée, initiés aux combats, seraient une menace à la paix et la stabilité de la région. C’est suivant cette dernière conception que les FDLR sont citées dans les Rapports du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC.[9]
Aujourd’hui, que reste-t-il des FDLR? Selon le groupe d’expert de l’ONU, les FDLR, présents sur le sol congolais, représentaient environ 1000 combattants en début d’année. Un chiffre difficilement vérifiable, confie un chercheur, qui ne souhaite pas être identifié. Selon lui, l’aile dure des FDLR – d’anciens génocidaires rwandais – ne serait pas plus d’une centaine. Des combattants plus âgés, assurant les taches les plus sensibles, le renseignement, la formation… Le reste des troupes serait composé de nouvelles recrues, d’enfants de FDLR nés en RDC. Mais dont l’idéologie génocidaire reste très présente, note ce chercheur. Avant l’importante offensive de l’AFC/M23 en janvier, les FDLR étaient présents dans le triangle reliant Rutshuru à Masisi, au sud du territoire de Lubero. Depuis, il est plus difficile de les localiser, ajoute ce même chercheur. Ils représentent des poches de résistance dans des zones contrôlées par le M23.
Dans leur dernier rapport, les experts de l’ONU notent que, contrairement à l’engagement de Kinshasa, l’armée congolaise a continué à utiliser les FDLR contre le M23. Ses combattants ont d’ailleurs subi d’importantes pertes – ajoutent ces experts – à Saké et Goma où leur numéro 2, le général Ezéchiel Gakwerere, a été capturé au mois de mars. Bras droit de leur chef militaire, le général Pacifique Ntawunguka, alias « Oméga ». Ezéchiel Gakwerere était sous-lieutenant dans l’armée rwandaise en 1994, lors du génocide des Tutsi dans lequel il aurait pris une part très active à Butare. Son nom a d’ailleurs été cité à plusieurs reprises devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. Il s’est réfugié avec ses compagnons d’armes dans l’est de la RDC où ils ont finit par former les FDLR, dont il a gravi au cours des 30 dernières années tous les échelons.[10]
c. Neutralisation des FDLR et levée des mesures défensives du Rwanda / retrait de l’armée rwandaise du territoire congolais
Quelques jours seulement après la signature de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda à Washington, le 27 juin, la question du désarmement des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) – fondées en 2000 avec la participation de certains anciens responsables du génocide au Rwanda en 1994 – fait déjà débat. L’accord prévoit en effet la neutralisation de ces combattants hutus rwandais présents dans l’est de la RDC, ainsi que la levée des mesures défensives (comprendre le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais) dans les trois mois et d’une façon simultanée. Mais Kinshasa et Kigali ne semblent pas être d’accord sur l’ordre dans lequel doivent intervenir ces opérations.[11]
Tandis que Kigali lie le retrait de ses « mesures de défense » à la neutralisation des FDLR, Kinshasa persiste à dénoncer une manipulation et une instrumentalisation des FDLR par le régime rwandais qui, encore aujourd’hui, continue à considérer les FDLR comme une grande menace pour sa sécurité, malgré le nombre très réduit de ses actuels combattants et exige du gouvernement congolais leur neutralisation.[12]
Lors d’un point de presse tenu le 3 juillet, la cheffe de la diplomatie congolaise, Thérèse Kayikwamba Wagner, a déclaré que «On ne peut pas penser à une neutralisation des FDLR sans une présence de l’armée congolaises dans les zones où elles opèrent. Et donc, on ne peut pas penser à une neutralisation des FDLR sans un désengagement préalable de l’AFC/M23 et des forces armées rwandaises des territoires occupés, où opèrent aussi les FDLR».[13]
D’autre part. dans une interview à Jeune Afrique et interrogé sur les conditions de levée des « mesures de défense » rwandaises, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a conditionné cette levée à la neutralisation des FDLR». À l’idée que les FDLR opèrent aussi dans des zones contrôlées par le M23 appuyé par des troupes rwandaises, et que la neutralisation des FDLR impliquerait donc un retrait préalable du M23 et des troupes rwandaises qui l’appuient, le ministre rwandais des Affaires étrangères a répondu: «Les FDLR sont appuyées par le gouvernement congolais, collaborent avec les FARDC ou y sont intégrées. Est-ce que les FARDC sont dans la zone du M23? Non ! Donc, les FDLR n’ont aucune présence sur le territoire du M23».[14]
Dans un communiqué. Justicia Asbl, une structure de la société civile, a affirmé que la problématique des FDLR doit être examinée en toute neutralité, transparence et objectivité. C’est ainsi qu’elle propose la mise en place d’une commission spécialisée pour examiner minutieusement cette question. Pour sa neutralité et impartialité, elle devrait intégrer les représentants des gouvernements de la RDC, du Rwanda, des Etats-Unis, du Qatar, de l’Union Africaine, de Union Européenne et d’autres organismes spécialisés, Justicia ASBL parle clairement des missions qui doivent être assignées à cette commission, entre autres la localisation et le recensement des éléments FDLR en vue de leur rapatriement au Rwanda.
Cette commission ad hoc devrait avoir entre autres pour mission de:
– Identifier, localiser et recenser les FDLR qui seraient au Congo (leur nombre réel, leur emplacement, le nombre et la qualité des armes qu’ils disposent);
– S’ils sont dispersés, les rassembler en vue de leur rapatriement volontaire chez eux au Rwanda;
– Mettre en place un programme de leur réinsertion au Rwanda avec le soutien du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés, la Coordination des affaires Humanitaire (OCHA), du Bureau Conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme ainsi que des organisations internationales;
– Créer un cadre de rapatriement volontaire des combattants vers le Rwanda avec une garantie de sécurité avérée et une politique claire de réintégration;
– Surveiller le respect des droits fondamentaux à chaque étape en évitant de faire croire que tous ceux qui seraient identifiés comme FDLR aujourd’hui, y compris ceux qui seraient nés après le génocide Rwandais de 1994 ou ceux qui étaient enfants à cette époque, ne soient considérés comme génocidaires ou éléments des forces combattantes.
Dans la foulée, Justicia ASBL évoque la nécessité pour le Rwanda de se réconcilier avec les FDLR qui accepteraient le rapatriement volontaire. Enfin, selon cette organisation de la Société Civile, «sans une volonté politique réelle de la RDC, du Rwanda et en l’absence d’une action conjointe régionale et internationale, la question des FDLR continuera à servir de prétexte pour continuer la guerre dans l’Est du pays».[15]
d. Le lien entre FDLR et Wazalendo
Dans son Rapport à mi-parcours de décembre 2024, le Groupe d’experts affirme notamment que, très souvent, les FDLR sont des alliés de groupes Wazalendo dans des opérations contre la coalition AFC-M23 et la RDF (point 74) et que, lorsqu’ils se voient attaqués par le FARDC, la stratégie est d’intégrer les combattants FDLR dans les unités des Wazalendo et de faire comme si les FDLR n’existaient plus. C’est ainsi que souvent les commandants des FDLR ont demandé à leurs combattants de se faire passer pour des membres d’autres groupes (point 75).[16]
Selon le rapport des experts des Nations unies, le gouvernement congolais continue de s’appuyer sur les Wazalendos et les FDLR comme forces supplétives, pour combattre contre l’AFC/M23. Pour Martin Ziakwau, enseignant en Relations internationales à l’Université catholique du Congo, la neutralisation des FDLR par le gouvernement congolais risque d’être problématique, à cause de leur proximité avec les Wazalendos. «Je constate que le groupe d’experts des Nations unies donne un certain nombre d’informations sur les relations entre les FDLR et les Wazalendo. Il y aurait des connexions entre les commandements des FDLR et d’autre part les commandants de Wazalendo attestant cette proximité pour montrer que la neutralisation des FDLR devrait requérir l’assentiment et l’adhésion également des Wazalendo, explique t-il dans une interview. Dans ce contexte, lorsque le gouvernement est en train de négocier avec l’AFC/M23 à Doha (Qatar), on risque d’assister à un renversement d’alliance; des Wazalendos qui actuellement combattent à coté de l’armée congolaise contre le M23 peuvent constituer une entrave à la neutralisation des FDLR.[17]
[1] Cf https://www.hrw.org/fr/news/2025/07/07/des-minerais-pour-la-paix-comment-faire-respecter-laccord-entre-le-rwanda-et-la-rd
[2] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 01.07.’25 https://actualite.cd/index.php/2025/07/01/rdc-rwanda-si-en-apparence-laccord-semble-se-baser-sur-le-respect-de-lintegrite
[3] Cf https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/07/drc-peace-deal-with-rwanda-fails-to-address-serious-crimes-committed-in-eastern-drc/
[4] Cf Samyr Lukombo – Actualité.cd, 10.07.’25
[5] Cf Samyr Lukombo – Actualité.cd, 04.07.’25
[6] Cf Bibiche Bolobiongo, CPA, Raleigh, États-Unis – Lalibre.be/Afrique, 30.06.’25 https://afrique.lalibre.be/79707/rdc-accord-de-paix-de-washington-developpement-durable-ou-recolonisation-apres-65-ans-dindependance/
[7] Cf Patient Ligodi – RFI, 02.07,’25
[8] Cf Actualité.cd, 01.07.’25
[9] Cf. 7sur7.cd, 02.07.’25
[10] Cf. RFI, 03.07.’25
[11] RFI, 03.07.’25
[12] RFI, 03.07.’25
[13] Cf Djodjo Vondi – congo-press.com (MCP) / mediacongo.net, 04.07.’25
[14] Cf Actualité.cd, 01.07.’25
[15] Cf José Mukendi – Actualité.cd. 02.07.’25
[16] Cf 7sur7.cd, 02.07.’25
[17] Cf RFI, 03.07.’25