SOMMAIRE
1. À DOHA, LA MÉDIATION QATARIE A PROPOSÉ UN PROJET D’ACCORD DE PAIX ENTRE LE GOUVERNEMENT CONGOLAIS ET LE GROUPE ARMÉ AFC/M23
2. À WASHINGTON, AVEC LA MÉDIATION DES ÉTATS-UNIS, ON A SIGNÉ UN TEXTE PRÉPARATOIRE À UN ACCORD DE PAIX ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
a. Un obscure accord minier pour un accord de paix douteux entre la RDC et le Rwanda
b. Présentation d’un deuxième projet d’accord de paix entre la RDC et le Rwanda
c. Signature d’un texte préparatoire à un accord de paix entre la RDC et le Rwanda
d. Quelques réactions
1. À DOHA, LA MÉDIATION QATARIE A PROPOSÉ UN PROJET D’ACCORD DE PAIX ENTRE LE GOUVERNEMENT CONGOLAIS ET LE GROUPE ARMÉ AFC/M23
Le 4 mai, les discussions entre le gouvernement congolais et la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo / Mouvement du 23 mars (AFC/M23) ont repris à Doha sous la médiation du Qatar, deux semaines après la signature d’une déclaration conjointe. Dans ce dernier document, les deux parties annonçaient leur volonté de « travailler à la conclusion d’une trêve » en vue d’un cessez-le-feu effectif. Ces nouvelles discussions sont toujours qualifiées de préliminaires, visant à établir les bases des futures négociations. Il faut remarquer des gestes concrets de confiance posés par les deux parties en conflit, pour faire avancer le processus de paix. Il s’agit du retrait des troupes du M23 de Walikale, la publication de la déclaration conjointe par le gouvernement et l’AFC-M23, l’autorisation du retrait des troupes de la SADC de Goma, ainsi que l’accord pour le transfert à Kinshasa des FARDC et policiers qui étaient sous la protection de la MONUSCO à Goma: c’est déjà effectif et va se poursuivre jusqu’en juin.[1]
Le 19 mai, dans un mémorandum adressé aux parties en négociation (Gouvernement-AFC/M23) à Doha, la Société Civile du Sud-Kivu constate que, sur le plan sécuritaire, les provinces de l’Ituri, Nord Kivu, Sud-Kivu, Maniema jusqu’à la province de Tanganyika subissent une recrudescence des violences armées causant massacres, assassinats ciblés, braquages, kidnapping, viols, pillages des ressources naturelles à grande échelle et des déplacements massifs de la population causés par les groupes armés.
Selon la société civile, la prise de Goma et Bukavu par l’AFC-M23 n’a pas révélé que les interactions sécuritaires au niveau régional, mais aussi des causes profondes des conflits, souvent prises à la légère dans différentes résolutions précédentes aux conflits. Il s’agit des aspects suivants: la signature des accords à la vas vite, sans vider les causes profondes des conflits: les questions régionales économiques (minières), la persistance des groupes armés, la question identitaire, le non-aboutissement des réformes essentielles, dont la réforme du secteur de sécurité et de la justice, la réforme foncière, la réforme de la petite territoriale et la répartition inéquitable des ressources nationales, d’une part entre Kinshasa et les provinces, de l’autre entre ces dernières et les ETD à la base, y compris entre les communautés, ce qui fait paraître Kinshasa comme un centre de consommation des richesses nationales, sans contreparties aux provinces et aux ETD, à travers une pratique anticonstitutionnelle, la rétrocession, en violation de l’article 175 qui consacre plutôt la retenue à la source de 40%.
Eu égard à ce qui précède, la société civile propose un certain nombre de mesures de confiance, liées aux intérêts vitaux et immédiats de la population. Parmi elles: ouvertures des voies d’accès et des communications (routières et aéroportuaires) entre les entités sous contrôle AFC-M23 et le Gouvernement congolais, en vue d’alléger les souffrances de la population et faciliter l’accès à l’aide humanitaire; ouverture urgente des banques, coopératives d’épargne et de crédit et autres IMF (Institutions des Microfinances): mise sur pied des mécanismes conjoints de réunification du système sanitaire à travers l’accès au médicament, intrants et le parachèvement des campagnes de vaccination; mise sur pied d’un système intégré de mobilisation et de coordination de l’aide humanitaire en faveur des déplacés, réfugiés et sinistrés des catastrophes naturelles (couloirs humanitaires); participation des acteurs sociaux (société-civile, femmes, jeunes, peuples autochtones, les autorités coutumières…) dans le processus de paix.
La société civile du Sud Kivu propose aussi des options majeures sur la sécurité. la gouvernance, la paix durable et la cohésion nationale. Elles visent à toucher les causes profondes du conflit, en vue d’une thérapie holistique des problèmes majeurs pour une paix durable en RDC, il s’agit des options suivantes:
– Au plan sécuritaire: définir de manière claire les différents aspects liés à la réforme aux seins des secteurs de la sécurité et de la justice, y compris sur les effectifs, le maillage et le vetting et ne pas se limiter seulement à la distribution des postes et grades; identifier de manière consensuelle les axes de coopération sécuritaire, tant au niveau régional qu’international; mettre sur pied des stratégies visant à résorber de manière définitive la question de groupes armés et le rétablissement de l’autorité de l’Etat.
– Au plan de la gouvernance: mettre sur pied des mesures visant à garantir des processus électoraux crédibles, paisibles et démocratiques; renforcer l’autonomie des provinces, à travers un fédéralisme visant la redistribution équitable des ressources et des prérogatives, en vue de booster une gouvernance locale axée sur le développement endogène; réduire le train de vie des institutions et des animateurs des institutions publiques; mener à terme les réformes foncières et de la territoriale; faire de la justice équitable un moteur pour le décollage d’un état de droits.
– S’agissant de la paix et de la cohésion sociale, la société civile plaide pour la mise sur pieds des mécanismes de justices transitionnelles, intégrant une commission vérité et réconciliation autonome et indépendante, en vue de se pencher sur les blessures et les brisures sociétaux issues des conflits armés à répétitions y compris la création d’un ombudsman; mettre sur pied une campagne nationale d’éducation civique et de cohésion nationale.[2]
Presque un mois après la reprise des discussions à Doha, au moins quatre réunions directes ont été organisées. Pour le reste, les échanges se sont faits par médiation interposée. «C’est quasiment un dialogue de sourds», confie un diplomate qui suit de près le dossier. À Kinshasa, les autorités insistent sur un cessez-le-feu. Certains délégués congolais vont plus loin. Ils exigent même le retrait de l’AFC/M23 des villes qu’elle contrôle, avant d’aller plus loin dans les échanges. En face, les délégués de l’AFC/M23 posent leurs propres conditions. Ils réclament notamment la libération de leurs cadres.[3]
Le 5 juin, le Qatar a remis un projet d’accord de paix à la République démocratique du Congo (RDC) et à la rébellion du M23, dans une tentative de sortir du conflit sanglant qui déchire l’Est du pays. Les deux délégations sont appelées à consulter leurs hiérarchies respectives avant de revenir à la table des discussions. Selon un article de l’agence Reuters, le projet d’accord comprend les points suivants:
– Un cessez-le-feu immédiat entre les Forces armées de la RDC (Fardc) et les rebelles du M23.
– Le retrait progressif des troupes du M23 des zones qu’elles occupent dans l’est de la RDC.
– L’intégration partielle des combattants M23 dans l’armée congolaise, sous condition de vérification des antécédents.
– L’octroi d’une amnistie limitée aux membres du M23 non impliqués dans des crimes graves ou violations des droits humains.
– La restauration de l’autorité de l’État congolais sur les territoires récupérés.
– La reprise encadrée des activités économiques et minières, avec un contrôle international accru.
– La mise en place d’un mécanisme conjoint de suivi, avec la participation du Qatar, de l’Union africaine et de l’ONU.
Malgré cette proposition détaillée, la méfiance reste profonde entre les parties. Kinshasa exige un retrait total du M23 et conteste toute forme de réintégration militaire jugée précipitée. Le M23, quant à lui, insiste sur des garanties politiques et sécuritaires, accusant le gouvernement congolais d’avoir rompu les précédents engagements.
Plusieurs membres des deux camps ont quitté Doha, frustrés par le contenu du projet ou par le rythme des discussions. Bien que salué comme un pas important, le projet d’accord ne constitue pas encore un tournant décisif. La crainte demeure que le conflit s’éternise, alimenté par des intérêts croisés, notamment dans le secteur des ressources stratégiques de la région (coltan, or, lithium).
«Ce texte pose les bases, mais la paix ne se décrète pas sur papier. Elle doit être construite sur le terrain par la confiance et des engagements clairs», confie un analyste politique congolais.[4]
2. À WASHINGTON, AVEC LA MÉDIATION DES ÉTATS-UNIS, ON A SIGNÉ UN TEXTE PRÉPARATOIRE À UN ACCORD DE PAIX ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
a. Un obscur accord minier pour un accord de paix douteux entre la RDC et le Rwanda
Les négociations en cours à Washington, si elles évoquent un plan de paix, sont essentiellement des discussions qui visent à permettre aux États-Unis de faire main basse sur certaines mines stratégiques pour l’économie américaine dans une région où la Chine règne en maître jusqu’ici. Les négociateurs évoquent ainsi de “nouvelles perspectives économiques” qui doivent permettre “une intégration régionale” et la “collaboration sur certains projets entre Rwandais et Congolais avec des entreprises américaines”. Il y a encore des projets hydroélectriques ambitieux, la création de chaîne de valeurs pour les minerais critiques ou même la cogestion des parcs nationaux dans la région frontalière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC).
Une approche volontariste qui ne peut se concevoir sans des avancées sur les questions sécuritaires pour les deux pays. Washington ne l’ignore pas, la paix et la stabilité de la région sont une étape nécessaire pour le développement économique. Des mécanismes de sécurité conjoints sont donc aussi en discussion, mais les tractations de Washington ne peuvent aboutir sans progrès dans les négociations entre Kinshasa et les rebelles de l’AFC/M23 qui se déroulent parallèlement à Doha, au Qatar. Une des mines scrutées par Washington, celle de Rubaya, dans la province du Nord-Kivu, est sous la férule de l’AFC/M23.
À Doha le tempo est nettement moins soutenu et les tensions plus vives. Kinshasa a rejeté jusqu’ici tous les préalables mis sur la table par les rebelles qui, eux, se sont retirés de région qu’ils occupaient (Walikale), montrant ainsi leur « bonne volonté ».
Avant la tenue de ces négociations à Doha, on se souviendra que les premières discussions directes entre Kinshasa et l’AFC/M23 ont été un fiasco en Angola sous l’égide du président local Joao Lourenço, médiateur désigné par l’Union africaine dans cette crise à l’est de la RDC. Un échec qui a poussé le président angolais, devenu au mois de février dernier, président pour un an de l’Union africaine, à jeter l’éponge. Son rôle a été confié au président togolais Faure Gnassingbé entouré de cinq co-facilitateurs (tous d’anciens présidents africains à la retraite) chargés d’examiner chacun un aspect précis des relations entre les deux parties.
«L’accord de paix discuté à Washington doit intégrer les négociations de Doha», confirme sans tergiverser le ministre rwandais des Affaires étrangères Olivier Nduhungirehe, avant d’aller plus loin. «Il doit aussi tenir compte des négociations menées par les instances régionales (Union africaine, Communauté des États de l’Afrique australe et celle des États de l’Afrique de l’est)».
Les États-Unis du président républicain pourront-ils accepter ce rythme? «On parle de trouver une solution durable pour un conflit qui dure depuis plus de 30 ans, ça va prendre du temps», répond le ministre rwandais des Affaires étrangères. «Mais il y a aujourd’hui une vraie opportunité qui se dessine et si on veut une vraie paix durable … il faut aller au fond des questions. Les trois processus (Doha, Washngton et Union Africaine) doivent aller de pair. Ils sont complémentaires, il faut des négociations sur les causes profondes des tensions à l’est de la RDC. Si on ne fait pas ça, on sait que les conflits ressurgiront rapidement. Pour nous, Rwandais, la stabilisation de l’est de la RDC à long terme est une question cruciale», poursuit-il.
Dans le contexte sécuritaire actuel, tout processus doit inclure l’AFC/M23 qui contrôle une grande partie de l’est de la RDC et qui menace aussi l’ex-Grand Katanga, une province richissime qui ne pourra résister à une offensive éventuelle des troupes antigouvernementales, qui n’ont été ralenties jusqu’ici que par l’action des soldats burundais, des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR, héritières d’un groupe armé hutu d’origine rwandaise, ou des wazalendo, essentiellement des milices criminelles congolaises converties par Kinshasa à coups de billets verts et de livraisons d’armes en “patriotes”. Un ensemble hétéroclite concentré sur les provinces du Kivu, mais totalement absent au-delà de ces provinces, laissant les rebelles face à l’armée congolaise, sous équipée et sous payée.
En outre, les revendications de l’AFC/M23 ne se limitent plus à des questions circonscrites à l’est de la RDC. Face à ce constat, le ministre rwandais insiste aussi sur la nécessité d’un dialogue intercongolais évoqué par l’Union africaine mais aussi par le travail des évêques catholiques (Cenco) et des protestants (ECC).[5]
Les autorités congolaises veulent accélérer les discussions avec les États-Unis sur un accord stratégique concernant les minerais critiques, un accord qui pourrait impliquer davantage Washington dans la résolution de la crise sécuritaire à l’est de la RDC. Ce « deal minier » se négocie en parallèle avec l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, sous l’égide de Washington. Pour mieux structurer ces discussions, une cellule de coordination stratégique a été mise en place au sein du cabinet du président de la République. Elle sera chargée de suivre les négociations et de soutenir la mise en œuvre du partenariat entre la RDC et les États-Unis. À la direction de cette cellule de coordination stratégique, on retrouve trois membres du cabinet du président de la République, dont deux ministres: Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre d’État aux Affaires étrangères, et Kizito Pakabomba Kapinga Mulume, ministre des Mines. Également, Guy-Robert Lukama Nkunzi, président du Conseil d’administration de Gécamines SA, la plus grande société minière de la RDC.[6]
Malgré le contexte tendu à l’est du pays, Kigali et Kinshasa poursuivent leurs discussions autour de leurs accords miniers avec des entreprises américaines, sous l’égide du département d’État. Du côté rwandais, au moins un protocole d’accord a déjà été signé, tandis qu’à Kinshasa, les négociations se poursuivent. Les équipes congolaises travaillent à finaliser un accord commercial qui pourrait durer plusieurs décennies. Cet accord couvrirait l’exploration d’une grande partie du sous-sol congolais, pas seulement dans le Katanga ou le Kivu. Kinshasa insiste aussi sur la transformation des ressources qui doit se faire sur place. Mais pour l’instant, cette exigence n’est pas garantie, du moins pas à court terme. Pour le Kivu, l’intérêt est là. Mais peu d’entreprises osent se lancer, car beaucoup d’entre elles attendent de voir comment évolue la situation sécuritaire. Dans l’est du pays, elle reste encore très tendue, suite aux combats entre les Wazalendo et l’AFC/M23. Enfin, dans l’espace Katanga, l’intérêt américain reste fort, malgré la forte présence chinoise. A ce stade, la société californienne KoBold Metals, soutenue par Jeff Bezos et Bill Gates, déjà implantée en Zambie, vise le lithium congolais. D’après les sources proches des négociateurs, il est exclu que les États-Unis déploient des troupes au sol dans la région. Mais des sociétés privées de sécurité pourraient y être engagées.[7]
b. Présentation d’un deuxième projet d’accord de paix entre la RDC et le Rwanda
Attendus à Washington à partir de la semaine du 9 au 14 juin pour discuter de la crise dans l’est de la RDC, les délégués congolais et rwandais sont déjà sur place et à pied d’œuvres. Leur objectif? Arriver à un accord qui doit être soumis aux ministres des Affaires étrangères des deux pays. Aucune date n’a été fixée pour la signature d’un tel accord. Ils ont commencé à se rencontrer directement, face à face, une première depuis le début de l’implication américaine. Donc, plus de discussions par facilitateurs américains interposés ou par échanges de messages WhatsApp. Sur la table, un projet d’accord proposé par Washington. Il s’agit d’un second draft proposé par les facilitateurs américains qui se sont basés sur les premières remontées en provenance des deux parties.[8]
Une deuxième mouture d’un accord entre la RDC et le Rwanda sous la médiation de Washington a été remise aux délégations des deux Pays. Ce texte va plus loin que la déclaration de principes signée en avril dernier à Washington par les ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères.
Dans le document actuel, la signature de l’accord de paix est d’abord conditionnée par le retrait inconditionnel du Rwanda du territoire congolais. Cela inclut les armes et équipements sous contrôle rwandais, à l’exception des cas expressément prévus dans le cadre du Mécanisme conjoint de coordination sécuritaire. Selon certaines informations, ce point était déjà soulevé dans les propositions congolaises à l’origine du premier brouillon daté le 15 mai. Problème: Kigali n’a jamais reconnu la présence de ses forces en RDC. Le gouvernement rwandais parle plutôt de « mesures défensives » déployées pour sa propre sécurité.
Deuxième condition: la levée de l’état de siège dans le Nord-Kivu, le Sud Kivu et l’Ituri. En vigueur depuis 2021, cet état d’exception doit céder la place à une administration civile pour permettre l’avancée du processus. Le document mentionne par ailleurs l’accord de cessez-le-feu entre Kinshasa et le M23, toujours en discussion sous l’égide de Doha. La logique est claire: l’accord avec le Rwanda ne pourra être signé qu’après la conclusion de l’accord entre Kinshasa et l’AFC/M23.
Le projet d’accord aborde également la question des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Les deux pays devront «se coordonner de bonne foi pour identifier, évaluer, localiser et mettre fin à l’existence des éléments armés des FDLR». Cette coopération s’inscrit dans le cadre et selon les modalités du Concept d’opérations convenu à Luanda, en octobre 2024. Le texte prévoit enfin que la RDC interdira et interceptera tout soutien matériel ou financier, national ou étranger, destiné aux FDLR.[9]
Quelques semaines après la signature d’une déclaration de principes et la transmission d’un premier projet d’accord à Kinshasa et Kigali par le médiateur américain, les discussions progressent en vue de la signature d’un accord de paix dans l’Est de la RDC et la région des Grands Lacs Africains.
Selon des sources proches du dossier citées par Reuters le mardi 10 juin, les États-Unis promeuvent un accord qui obligerait le Rwanda à retirer ses troupes de l’Est du Congo avant toute signature formelle. L’administration Trump mène ces négociations dans le double objectif de mettre fin aux combats et d’attirer des milliards de dollars d’investissements occidentaux dans cette région riche en minéraux. Selon certaines sources, ce projet ne sera exécuté qu’après le retrait des soldats rwandais du territoire congolais, la seule condition sine qua non de Kinshasa.
Un projet d’accord de paix consulté par Reuters stipule qu’une condition de signature est le retrait des troupes, des armes et du matériel rwandais du Congo. Cette condition risque toutefois de froisser Kigali, qui considère les groupes armés opérant depuis la RDC comme une menace existentielle. Le Rwanda nie depuis toujours tout soutien militaire au M23, affirmant que ses forces agissent en état de légitime défense contre l’armée congolaise et les rebelles hutus FDLR liés au génocide de 1994, qui a fait près d’un million de morts, essentiellement des Tutsis.
Le projet prévoit également un Mécanisme conjoint de coordination sécuritaire. Celui-ci inclurait des observateurs militaires rwandais et étrangers pour aborder les questions sécuritaires, notamment la présence persistante en RDC de milices hutues rwandaises. Les analystes cités par Reuters estiment que le groupe le plus souvent évoqué, les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), ne représente plus une menace significative pour Kigali, même si le gouvernement du président Paul Kagame continue de les désigner comme une menace sérieuse.
Toujours selon le même document, Kinshasa s’engagerait à permettre au M23 de participer à un dialogue national «sur un pied d’égalité avec les autres groupes armés non étatiques de la RDC». Une concession importante pour le gouvernement congolais, qui considère le M23 comme un groupe terroriste soutenu par le Rwanda.
L’annonce de ce projet d’accord intervient alors que Kinshasa et Washington négocient en parallèle un partenariat stratégique dans le domaine des minerais critiques. Objectif: garantir aux entreprises américaines un accès privilégié aux ressources minières stratégiques de la RDC.[10]
c. Signature d’un texte préparatoire à un accord de paix entre la RDC et le Rwanda
Le 18 juin, réunis à Washington, les experts congolais et rwandais ont paraphé un document préparatoire à un accord de paix sous l’égide des États-Unis et en présence de la sous-secrétaire américaine aux affaires politiques, Allison Hooker. On a remarqué la présence d’un représentant du Qatar, pays engagé dans un processus de médiation entre le gouvernement congolais et l’AFC/M23, une démarche parallèle à celle des États-Unis entre la RDC et le Rwanda,
Il s’agit d’un pas important qui doit désormais être validé et définitivement approuvé par les ministres des Affaires étrangères des deux pays. Leur signature est attendue le 27 juin, en présence du secrétaire d’État américain, Marco Rubio.
Une éventuelle future rencontre entre les chefs d’État, à une date encore à déterminer, ne visera pas à entériner l’accord, mais à faire progresser la paix, la stabilité et la prospérité économique dans la région des Grands Lacs.
Le texte paraphé s’appuie sur la déclaration de principes signée le 25 avril 2025.
Le document contient cinq dispositions. Parmi celles-ci figurent: le respect de l’intégrité territoriale, l’arrêt des hostilités et la création d’un cadre d’intégration économique régional.
Un mécanisme conjoint de coordination pour la sécurité doit également être mis en place. Ce dernier doit notamment intégrer le CONOPs (Concept des opérations), un cadre d’échange de renseignements négocié à Luanda en octobre 2024, censé profiter aux deux parties. Ce mécanisme prévoit plusieurs phases, dont le démantèlement des rebelles FDLR, la levée des mesures dites défensives du Rwanda, l’arrêt des incursions transfrontalières, puis une évaluation conjointe par le biais d’un mécanisme de vérification. Autre point central: le désengagement et le désarmement des groupes armés non étatiques, ainsi qu’une intégration conditionnelle de certains éléments de ces groupes dans l’armé nationale. Cette notion suscite des débats en RDC. Tina Salama, porte-parole du président Félix Tshisekedi a rappelé que toute intégration éventuelle ne peut se faire qu’à travers le programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation.
Parmi les autres dispositions figurent le retour des réfugiés et des personnes déplacées internes et l’accès humanitaire,[11]
Si les États-Unis cherchent à obtenir la paix dans l’est de la RDC et dans la région des Grands Lacs, c’est pour permettre à leurs entreprises un accès aux matières premières stratégiques (lithium, coltan,…) qui se trouvent dans le sous-sol de cette région. Or, la rébellion antigouvernementale de l’AFC/M23 contrôle une grande partie de la province du Nord-Kivu mais aussi du Sud-Kivu. Par conséquent, aujourd’hui, Kinshasa ne contrôle plus les principales mines de ces deux provinces.
En outre, la presque totalité des mines congolaises sont sous contrôle de sociétés chinoises.
Le pouvoir congolais n’a donc pas grand-chose à offrir aux États-Unis qui seront contraints de négocier en coulisses avec les autorités chinoises, en contournant Kinshasa.
Les conflits dans la région des Grands lacs ont régulièrement abouti à la signature de cessez-le-feu et à des accords de paix qui n’ont jamais amené le silence des armes dans la région. Sur les quatre dernières années, une dizaine de ces textes ont été paraphés avant d’être systématiquement violés.
Le texte américain, qui tente de concilier les positions rwandaises et congolaises, évoque les négociations de paix qui se déroulent en parallèle à Doha, au Qatar, entre représentants du gouvernement congolais et une délégation de membres de l’AFC/M23. «À Doha, les délégations ne se parlent pas … Il n’y a eu aucun contact direct entre les négociateurs des deux camps qui, à deux reprises au moins, ont claqué la porte et sont rentrés à Kinshasa et à Goma» , explique une source proche du dossier. Dans ce contexte, la signature de cet accord à Washington ne devrait annoncer aucune amélioration de la situation sur le terrain, ni aucune baisse des tensions entre les hommes forts des deux pays qui se sont échangé des injures depuis des mois.
Les bruits d’achats d’armes massifs par le pouvoir de Félix Tshisekedi et l’arrivée de Joseph Kabila, l’ancien président congolais, à Goma, la “capitale” des rebelles antigouvernementaux, ne laissent par ailleurs entrevoir aucune désescalade dans la crise congolaise qui échappe sur de nombreux points aux négociateurs qataris et américains.
Si une future entente entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame relève de l’utopie, un rapprochement entre le coordonnateur de l’AFC/M23 Corneille Nangaa et Félix Tshisekedi paraît au moins aussi hypothétique, voire impossible. Le texte dont la signature est annoncée à Washington le 27 juin prochain pourrait donc vite être rangé dans le même tiroir que les précédents accords sans lendemain, quelle que soit la pression du président Donald Trump. [12]
d. Quelques réactions
Si la signature d’un texte provisoire d’accord est saluée par certains acteurs, d’autres se montrent toujours sceptiques par rapport à sa mise en œuvre sur terrain. Pour sa part, le Prix Nobel de la paix, Denis Mukwege qui salue toutes les initiatives en cours visant à une paix juste et durable, note que ce futur accord sera issu d’un processus « opaque et non inclusif » qui va avantager le Rwanda.
«Nous réitérons notre circonspection face à des efforts de médiation qui éludent la reconnaissance de l’agression de la RDC par le Rwanda et un processus caractérisé par son caractère opaque et non inclusif, qui laisse à penser qu’il est à l’avantage de l’agresseur non sanctionné, qui verra ainsi ses crimes du passé et du présent blanchis en « coopération économique ». Dans l’état actuel, l’accord en genèse reviendrait à accorder une prime à l’agression, à légitimer le pillage des ressources naturelles congolaises et à contraindre la victime à aliéner son patrimoine national en sacrifiant la justice en vue de garantir une paix précaire et fragile», a écrit Dénis Mukwege.
De plus, a-t-il fait remarquer, ce document préparatoire ne tient pas suffisamment compte des prescrits de la résolution 2773 adoptée le 20 février par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Selon Dr Mukwege, en tant que source du droit international, cette résolution s’impose à tous les États et exige un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel; le retrait immédiat des Forces de défense rwandaises du territoire de la RDC et la fin de leur soutien au M23, sans conditions préalables; ainsi que le démantèlement des administrations parallèles illégales établies dans les zones occupées.
«Nous exprimons par conséquent des réserves sur les négociations en cours et lançons un appel à la transparence et à l’inclusivité, en ayant recours une participation significative des femmes et des jeunes. En outre, le conflit en cours, qui s’inscrit dans la continuité de trente ans de guerres d’agression et de la commission d’une pléthore de crimes internationaux, ne pourra se résoudre sans placer la lutte contre l’impunité et le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle au cœur des efforts de pacification», a-t-il dit, en déplorant: «Envisager une intégration économique et une cogestion des ressources naturelles avec un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières et de millions de morts sans parler de justice et de réparations est inconcevable pour la population congolaise en général et les communautés martyres de l’Est du Congo en particulier. La justice est non négociable et les richesses du sous-sol congolais ne peuvent être bradées de manière opaque dans le cadre d’une logique extractiviste néocoloniale».
À en croire le docteur Dénis Mukwege, la paix ne peut se réduire à faire taire les armes, à obtenir un armistice et à faire du business car, pour être juste et durable, elle ne peut pas être réelle sans la justice et le respect des droits humains et du droit international. «Il est donc crucial de recourir à la justice transitionnelle pour prévenir la répétition des conflits et des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire et instaurer une paix durable en RDC. La justice, la vérité et des réparations constituent des préconditions à la réconciliation et à la cohabitation pacifique au sein des pays des Grands Lacs africains. Aucun accord ne doit passer sous silence les massacres à grande échelle qu’a subi la population civile congolaise, les viols commis sur des centaines de milliers de femmes, et les déplacements forcés de millions de personnes», a-t-il déclaré.[13]
Alors que l’accord de paix récemment paraphé entre la RDC et le Rwanda, sous la facilitation des États-Unis, suscite de nombreuses réactions, le professeur émérite Nyabirungu Mwene-Songa, figure respectée du droit congolais et doyen honoraire de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa, a tenu à rappeler une exigence essentielle: la paix véritable ne peut pas se construire sans justice. Dans une publication partagée sur son compte X, l’avocat près la Cour de cassation a écrit: «L’histoire des traités de paix entre Nations renseigne qu’aucun ne peut tenir s’il passe sous silence la justice et la réparation en faveur des victimes. Pas de paix sans justice». Par cette prise de position, le Professeur Nyabirungu souligne l’importance de ne pas reléguer au second plan les droits des victimes des conflits armés ayant endeuillé l’est de la RDC depuis plusieurs décennies. Son appel s’inscrit dans une perspective de justice transitionnelle, entendue comme un processus intégrant la vérité, la reconnaissance des torts apportés, la réparation et la sanction des auteurs. Alors que l’accord signé à Washington vise à tourner la page d’un cycle de tensions entre Kinshasa et Kigali, les propos de ce juriste de renom résonnent comme une mise en garde contre une paix fondée uniquement sur des intérêts économiques et diplomatiques, sans réparation des crimes de guerre, des exactions et des violences faites aux civils.[14]
Deux jours après la signature à Washington d’un document préparatoire à un accord de paix entre la RDC et le Rwanda par des représentants des deux pays, à Kinshasa l’événement continue de susciter de nombreuses réactions. Si du côté de Martin Fayulu – qui a opéré ces dernières semaines un rapprochement avec le président Tshisekedi – on met en avant des points positifs comme «l’obligation faite au Rwanda de retirer ses troupes du sol congolais», Prince Epenge, le porte-parole de Lamuka, s’inquiète toutefois du fait que la RDC n’apparaisse que comme «un immense gisement, une mine à ciel ouvert où l’on viendrait exploiter les minerais qui vont alimenter les industries minières au Rwanda».[15]
[1] Cf Radio Okapi, 05.05.’25
[2] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 20.05.’25
[3] Cf RFI / MCP, via mediacongo.net, 06.06.’25
[4] Cf Reuters / MCP, via mediacongo.net, 06.06.’25
[5] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 25,05,’25 https://afrique.lalibre.be/79640/rdc-rwanda-la-crise-dans-lest-dure-depuis-30-ans-il-faudra-etre-patient-pour-aboutir-un-accord-de-paix-definitif/
[6] Cf RFI – 03.06.’25
[7] Cf RFI, 29.05.’25
[8] Cf RFI, 15.06.’25
[9] Cf RFI, 12.06.’25
[10] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 11.06.’25
[11] Cf RFI, 19.06.’25
[12] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 19.06.’25
[13] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 20.06.’25
[14] Cf Prehoub Urprus – Opinion-info / MCP , via mediacongo.net, 21.06.’25
[15] Cf RFI, 21.06.’25