LA RD CONGO ET LA RÉGION DES GRANDS LACS AFRICAINS
Prospective d’une paix durable et mutuellement bénéfique à l’horizon 2040
Note de plaidoyer du Bureau de Coordination de la Société Civile du Sud-Kivu – Bukavu, 21.05.2025
SOMMAIRE
RÉSUMÉ
1. CONTEXTE
2. CONSTAT ET RÉCOMMANDATIONS
2.1. À la République Démocratique du Congo (RDC)
2.2. Au Rwanda
3. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS AUX ETATS-UNIS D’AMERIQUE
RÉSUMÉ
– Les membres de la Société civile du Sud-Kivu soutiennent vivement le projet de partenariat stratégique entre les Etats-Unis d’Amérique et la RD Congo.
– Ils saluent la proposition faite aux Etats Unis par le Président Félix Tshisekedi d’un partenariat stratégique pour l’exploitation minière en RDC en contrepartie de la sécurisation et des investissements massifs dans les infrastructures en RD Congo par les Etats-Unis.
– Le projet de partenariat stratégique entre la RD Congo et les Etats-Unis d’Amérique est une opportunité importante pour la cessation des guerres à l’Est de la RD Congo et l’avènement d’une paix durable dans la région des Grands-Lacs africains.
– A l’instar du « Plan Marshall », ce partenariat avec les Etats-Unis, pourrait contribuer au redressement économique en RD Congo et à la prospérité dans la région des Grands-Lacs africains et dans le monde.
– Sa réussite dépendra notamment de la capacité des Etats-Unis de peser de tout leur poids pour la levée de pesanteurs de mauvaise gouvernance en RD Congo d’une part, du bellicisme et du travestissement des faits historiques par le régime rwandais d’autre part. En effet, depuis le règne de Mobutu, en passant par Joseph Kabila jusqu’à Felix Tshisekedi, les différents régimes congolais n’ont fait que perpétuer la corruption et le détournement des deniers publics comme mode de gestion. Des politiciens arrivent au pouvoir les poches vides mais, 5 ou 10 ans après, ils en sortent millionnaires et milliardaires en dollars par l’effet du pillage du pays. Quant au régime rwandais actuel, il ne fait que perpétuer une gouvernance caractérisée par la violence politique et l’exclusion interne comme ce fut le cas sous les régimes de ses prédécesseurs Habyarimana, Kayibanda et même les monarques du Ruanda précolonial.
– Ce projet de partenariat nécessite la mobilisation et l’implication de la Société civile, de l’Assemblée Nationale et du Sénat congolais ainsi que toutes les forces vives de la région des Grands-Lacs africains. La participation des jeunes et des femmes en tant qu’acteurs à part entière est un gage de succès et de pérennité.
– Ce projet gagnerait également à mobiliser et à impliquer l’Union africaine, la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC), les pays ainsi que les personnes de bonne volonté qui, ces dernières décennies ont apporté leur concours à la pacification de la RD Congo et la région des grands-lacs.
– Ce projet gagnerait enfin à mobiliser et à impliquer les partenaires européens de la RD Congo engagés sur le continent africain notamment par le truchement du projet Global Gateway. Ce programme de l’Union européenne vise notamment à soutenir la sécurité et la paix, à faciliter le commerce et le transport ainsi que la gestion des ressources naturelles.
1. CONTEXTE
Au-delà des ressources propres à chaque Etat, la région des Grands-lacs africains regorge d’immenses ressources naturelles transfrontalières. Exploitées avec rationalité et de manière durable, elles pourraient assurer la prospérité des peuples de la région et du monde. Que l’on pense à l’exploitation concertée entre RD Congo, le Burundi et la Tanzanie des réserves halieutiques du lac Tanganyika, le lac le plus poissonneux du monde. De l’exploitation concertée entre la RD Congo et le Rwanda du gaz méthane du lac Kivu. De l’exploitation des Lacs Edouard et Albert par la RD Congo et l’Ouganda. Du tourisme circulaire entre l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et la RD Congo dans cette région paradisiaques, doté d’un climat printanier permanent, des parcs naturels avec une faune et une flore exceptionnelle, des montagnes, des rivières et des lacs à couper le souffle. C’est une région dotée d’un environnement naturel de rêve, unique au monde.
2. CONSTAT ET RÉCOMMANDATIONS
2.1. À la République Démocratique du Congo (RDCongo)
Bien que nous ayons félicité le Président Felix Tshisekedi pour l’initiative du partenariat stratégique avec les Etats-Unis dans l’exploitation minière, nous déplorons le fait que cet important projet s’échafaude dans une opacité inquiétante alors qu’il concerne le présent et l’avenir de notre peuple. Le Mahatma Ghandi avait dit: «Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi».
Nous rappelons au Président Tshisekedi que de nombreux projets ont connu des échecs dans notre pays, notamment parce que les dirigeants les ont formulés et conduits sans prendre en compte les avis de la population.
C’est le cas du fameux Contrat minier signé entre la RDC et la Chine en 2007. En dépit des promesses mirobolantes, à ce jour, 18 ans après, il reste sans résultats réels et les bénéfices concrets pour la population sont quasi nuls. Les chemins de fer, les routes, les centrales hydro-électriques, les hôpitaux et les écoles promis n’ont jamais vu le jour.
Les auteurs de ce crime économique n’ont jamais été interpellés. Certains d’entre[1]deux, assurés d’une jouissance infinie de l’impunité contribuent même à la dégradation de la situation sécuritaire actuelle dans le pays.
Afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, il est indispensable de faire toute la lumière sur ce projet d’une part, et d’autre part d’associer directement la population à l’identification des besoins et à la définition des priorités.
Pour que ce contrat avec les Etats-Unis soit réellement bénéfique aux populations, il nous parait important qu’il ne se limite pas uniquement à l’extractivisme minier. Il devrait être pensé comme un inducteur et un catalyseur du développement systémique de toutes les provinces de la RDC et des pays de la région des Grands Lacs sur le temps long.
En cela, il devrait prioritairement concerner la construction-réhabilitation des infrastructures (routes interprovinciales, routes de desserte agricole, ports, aéroports, centrales hydroélectriques, usines de transformation minière, usines de transformation agricole, etc.). Il devrait également permettre la modernisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. De plus, il devrait venir à l’appui de l’éducation, de la santé et de l’entreprenariat local, national et régional.
Ce partenariat devrait aussi appuyer la mise en place des réformes profondes de l’Etat dans divers domaines (juridique, fiscal, administration publique, services de sécurité et armée, etc.). En effet, nous sommes convaincus que sans une réforme copernicienne de l’Etat et l’émergence d’une classe politique plus responsable, il sera difficile de créer un environnement favorable aux investissements durables et au développement des entreprises.
Le respect des règles démocratiques, des libertés et des droits fondamentaux est indispensable pour la cohésion sociale, préalable nécessaire d’un climat propice aux affaires.
La lutte contre la corruption endémique et généralisée en RD Congo, la lutte contre la gestion patrimoniale de l’Etat, le respect des mandats électoraux devraient également être envisagés comme des maillons indispensables à la réussite de ce partenariat. Telles sont, entre autres, les raisons pour lesquelles nous exhortons le Gouvernement congolais à œuvrer à la promotion de la cohésion sociale en s’appuyant sur l’initiative de paix portée par la Conférence épiscopale de l’Eglise Catholique et l’Eglise du Christ au Congo (Eglise protestante).
Pour restaurer la confiance et garantir la cohésion sociale à long-terme, le régime congolais devrait renoncer à son autoritarisme qui frise la dictature, au clientélisme et au népotisme comme mode de gestion ainsi qu’aux velléités de changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir au-delà des mandats légaux.
Enfin de compte, pour espérer faire sortir notre pays de l’état de déliquescence dans lequel il se trouve, nous congolais, devons avoir la lucidité et l’honnêteté intellectuelle de reconnaitre que nous sommes coresponsables de nos propres malheurs. Depuis des très longues années, depuis le règne de Mobutu jusqu’aujourd’hui, la classe politique congolaise s’est montrée très peu patriote, égoïste, cupide, irrationnelle et superficielle. Cessons de blâmer uniquement les autres.Aujourd’hui, il est devenu de bon aloi d’accuser le Président Kagame d’être l’unique responsable de tous les malheurs de la RD Congo. Bien que rien ne peut excuser les forfaits du régime rwandais en RD Congo, par honnêteté intellectuelle, nous avons tout de même, le devoir de nous interroger sur notre part de responsabilités.
Est-ce le régime rwandais qui empêche nos dirigeants de construire les routes, les écoles, les hôpitaux, etc.? Est-ce le régime rwandais qui octroi des salaires astronomiques aux ministres et aux députés alors que les militaires, les enseignants, les soignants et les fonctionnaires sont condamnés de survivre des miettes? Est-ce le régime rwandais qui cautionne les détournements scandaleux de centaines des millions de dollars par nos dirigeants au détriment de la population qui croupit dans une misère insoutenable?
Il est temps que le peuple congolais refuse d’être le jouet d’une propagande éhontée sur le patriotisme, le souverainisme et le nationalisme qui détourne l’attention sur des crimes commis par nos propres dirigeants. Les centaines des millions, voire de milliards de dollars détournés par des politiciens congolais dans les projets Bukanga-Lonzo, le projet de 100 jours, le projet forage-lampadaires, auraient à eux seuls permis la réhabilitation et l’asphaltage de beaucoup de routes.
Pour encore illustrer la décomposition de notre Etat, à Bukavu et à Goma, la plupart des institutions privées ont une boite postale au Rwanda parce que le service de poste n’est plus opérationnel dans notre pays depuis au moins cinq décennies. Le seul moyen de recevoir à temps et en sécurité un courrier provenant de l’étranger est d’ouvrir une adresse postale au Rwanda. Des lors, quel crédit accorder aux discours soi-disant souverainistes, nationalistes et anti-impérialistes de nos dirigeants sur la menace de partition ou de balkanisation de notre pays?
Plusieurs pays frontaliers de la RD Congo ont une longueur d’avance sur nous en matière d’organisation. Il suffit de franchir les frontières du Congo-Brazzaville, de l’Angola, de la Zambie, de la Tanzanie, du Burundi, du Rwanda, de l’Ouganda pour se rendre compte du retard de développement que nous avons sur eux. Au lieu de nous perdre dans des discours d’un nationalisme creux, nous devrions avoir l’humilité et l’intelligence d’apprendre d’eux.
Nous devrions nous interroger sur les raisons pour lesquelles le Rwanda ne s’attaque qu’à la RD Congo et pourtant il est aussi frontalier de la Tanzanie et du Burundi deux pays où vivent également des ressortissants rwandais. La réponse est évidente et claire: c’est parce que l’Etat congolais est faible, sans armée et dirigé par des politiciens pour la plupart irresponsables.
Enfin, concernant la sortie de la crise actuelle, comme l’ont relevé diverses organisations continentales et internationales, il n’y’aura pas de solution militaire à ce conflit.
Dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, il est évident que le rapport de force militaire sur le terrain est actuellement en défaveur de la RD Congo. Cependant, bien que l’AFC-M23 aient l’ascendant militaire et occupent le terrain, une résistance subtile et une défiance civile silencieuse leur sont opposées. Et, considérant les leçons de l’histoire, ils peuvent provisoirement dominer par les armes, mais ils ne soumettront jamais psychologiquement la population de Bukavu et du Sud-Kivu.
Tenant compte de cette réalité et de la nouvelle donne internationale, il est crucial pour le régime de Kinshasa et l’AFC-M23 d’adopter une approche pragmatique de négociations, dans le but de mettre fin aux souffrances des populations du Nord et du Sud-Kivu. Compromis n’est pas compromission.
Le gouvernement congolais doit avoir le courage de conclure une paix de braves avec l’AFC-M23.
2.2. Au Rwanda
Tout d’abord, il sied de faire le distinguo entre le régime politique actuel du Rwanda et le peuple rwandais. L’agression dont est victime le Congo et les congolais est l’œuvre du régime politique actuel et non du peuple rwandais qui en grande partie subit le joug du même autoritarisme. Nous congolais sommes liés au peuple rwandais par la géographie et par le destin. Province enclavée, le Rwanda comme le Burundi et la Tanzanie sont les seuls exutoires qui nous donne accès à l’Océan Indien.
Dans le contexte trouble et violent dans lequel nous survivons, rwandais et congolais sommes appelés à revisiter nos représentations de l’Autre, à être solidaires et à faire nôtre l’exhortation de Martin Luther King Jr d’«apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots».
Ces trente dernières années, le régime rwandais a assis son agression de la RD Congo et ses violences meurtrières à l’encontre des populations congolaises qui s’en sont suivies sur trois prétextes qu’il qualifie des «causes profondes du conflit». Il s’agit de:
1. Les revendications territoriales prétendument issues du «mythe du Grand Rwanda précolonial»,
2. La protection des «minorités rwandophones» qui seraient discriminées et menacées d’extermination en RD Congo.
3. La sécurisation de ses frontières au regard de la «menace existentielle» que constituerait le groupe armée «Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda» (FDLR).
R1: Des revendications territoriales ont été exprimées, notamment par le Président Pasteur Bizimungu dans son discours du 10 octobre 1996 à Cyangugu, par le Président Paul Kagame dans son allocution du 15 avril 2023 au Bénin et le Parlement rwandais dans sa Résolution du 21 février 2025.
Ces allégations des autorités rwandaises ne sont pas fondées. Le mythe du «Grand Rwanda précolonial» a été contredit par des nombreux historiens rwandais et étrangers (Vansina, Nahimana, Lugan, Ndaywel, Mworaha, de Lacger, Ntezimana, Kagame, Newbury, Pages, etc.).
L’histoire montre qu’avant l’an 1900, laquelle correspond à l’exploration et l’installation timide des colonisateurs allemands et belges dans la région des Grands Lacs africains, le Rwanda ancien, c’est-à-dire le «Royaume Nyinginya» était de loin plus petit que le Rwanda actuel.
Le Royaume Nyiginya était un petit territoire situé près du lac Muhazi, dans l’actuel district de Gasabo, au centre-Est du Rwanda actuel. C’est la colonisation allemande, puis belge qui permirent au Rwanda actuel d’annexer des territoires de l’Ouest et du Nord-Ouest du Rwanda. C’est le cas du territoire de Kinyaga, la région Ouest, frontalière à la RD Congo. Toute cette région allant de la rivière Ruzizi jusqu’à Gikongoro et incluant le Parc de Nyungwe faisait historiquement partie du Royaume du Bushi (actuelle Chefferie de Kabare, un territoire congolais)…
Les territoires shi comme le Bukunzi et le Busozo étaient indépendants du royaume Nyinginya. Ils n’ont été intégrés dans le Rwanda actuel qu’à partir de l’an 1920 par la colonisation belge. Ses derniers monarques, Ndagano et Ngoga déposés par la colonisation belge, étaient des princes shi descendants du grand roi Kabare du Bushi en Rd Congo. Ces contrées qui vont de l’Ile Nkombo à Bugarama, en passant par Nyamasheke, Cyangugu, Impara étaient des prolongements territoriaux et culturels du Royaume du Bushi (actuelle Chefferie Kabare, un territoire congolais).
Aujourd’hui encore, leurs populations restent en grande partie de culture shi. Elles se considèrent comme des Bashi et plusieurs parlent le Mashi en plus du Kinyarwanda.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, le 28 juin 2024, le Président Paul Kagame en meeting électoral fut accueilli au stade du District de Ruzisi par les chants d’allégresse en mashi. Lui-même, par politesse, adressa ses salutations à la foule en liesse en mashi et en ces mots: «Rusizi, Nyamasheke mwazukire! Enyanya!», avant de poursuivre son discours de campagne en Kinyarwanda.
Jusqu’en fin 19ème siècle, le monarque rwandais Rwabugiri tentait encore, en vain, des expéditions de conquête du Bushi. Et c’est à Nyamasheke qu’il mourût en 1895, mortellement blessé après une cuisante défaite militaire lui infligée par les Bashi, de par l’armée du roi Rutaganda de Kabare.
La tradition orale du Bushi comme d’ailleurs certains historiens rwandais, dont Alexis Kagame, font également état de la défaite cuisante que l’armée des Bashi-Bahavu conduite par le roi Nsibula d’Idjwi infligea aux troupes du roi rwandais Ndahiro Cyamatare à Gitarama. A la page 98 du livre: «Histoire du Rwanda: Des origines au XXème siècle», publié en 2011 par la Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation en collaboration avec l’Université Nationale du Rwanda et consultable en ligne, Gamaliel Mbonimana rapporte que le roi Ndahiro Cyamatare blessé, traversa la rivière Kibilira mêlant sang aux eaux du ruisseau. En souvenir de cette raclée, aucun monarque rwandais ne pouvait, par la suite, traverser cette rivière. Cyamatare fut achevé sur le massif Rugarama. Nsibula emporta avec lui le tambour emblème «Rwoga» comme trophée de guerre. Face à cette hécatombe, il fut décrété un deuil national de deux semaines et on décida que plus jamais un monarque rwandais ne porterait le nom dynastique de Ndahiro, car il incarnait la honte pour le royaume et serait un porte-malheur à ses successeurs.
Comme disait l’historien rwandais Alexis Kagame: de tous les peuples de la région, les Bashi étaient les plus braves et imposaient du respect au Rwanda. Le Bushi ancien était une forteresse imprenable. Avec ses redoutables guerriers, il a toujours été le cimetière des velléités expansionnistes du Rwanda ancien. Mais cette histoire ne fut heureusement pas qu’une épopée guerrière. Elle fut aussi une histoire d’amitié, de fraternité, de mariage et d’échanges commerciaux entre les Bashi et les Banyarwanda. Les traditions orales de deux pays et les historiens rapportent que des rois et des princes bashi et banyarwanda ont réciproquement trouvé refuge au Bushi ou au Rwanda en cas de menace ou de guerre. C’est fut le cas du roi Mibambwe Sekarongoro Mutabazi du Rwanda qui prit fuite vers le Bushi lorsque son royaume fut envahi par les Abanyoro de l’Uganda actuel.
Pour leur part, Bernard Lugan et Antoine Nyagahene ont montré que le Kinyaga était à l’époque précolonial au centre d’un réseau commercial qui reliait le Nord du Tanganyika, le Burundi, le Rwanda et l’Est de la RD Congo. En reliant les peuples de ces trois pays en plus de la Tanzanie, il fut un prélude à la Communauté des Pays des Grands Lacs dont nous appelons la redynamisation de tous nos vœux.
Concernant le Nord-Ouest du Rwanda actuel, les historiens Nahimana et de Lacger, ont montré que le Rwanda pré-Nyinginya comptait une cinquantaine d’entités politiques indépendantes ou des royaumes qui ne faisaient pas partie du Rwanda actuel. C’est le cas de tout le pays Kiga, le Bushiru, Buhoma, Bugamba, Bugoyi, Bukonya, Bwanamwari, Cyingogo, Kiabari, Kiganda, Ruhengeri, Rwankeri, etc. Ils ne furent, pour la plupart, intégrés dans le royaume central que sous la colonisation et avec le soutien des colonisateurs allemands, puis belges.
La région de Bwisha qui couvre actuellement les territoires congolais de Rutshuru et Masisi revendiqués par le Rwanda au motif qu’une partie de leurs habitants sont « rwandophones » étaient également des Etats indépendants du royaume Nyiginya. Le Bushiru par exemple était un territoire du peuple Hunde de la RDC.
Au Nord-Est, le Ndorwa était également indépendant. Au Sud, le Nduga, le Bugesera, le Gisaka étaient des royaumes indépendants. La rivière Akagera dessinait les frontières de Gisaka avec le Burundi et la Tanzanie actuels. C’est seulement vers 1840, sous le règne du Mwami Mutara II Rwogera, que le Gisaka fut annexé au Rwanda.
Il découle de ces faits historiques que contrairement aux poncifs et aux prétentions des autorités rwandaises d’aujourd’hui, le Rwanda ancien (royaume Nyiginya), n’avait jamais atteint les dimensions spatiales du Rwanda d’aujourd’hui. C’est la colonisation allemande, puis belge qui ont construit l’Etat centralisé actuel du Rwanda et lui ont annexé des nombreux territoires qui appartenaient aux Etats indépendants frontaliers.
Les représentations territoriales du régime rwandais actuel sont donc anachroniques et belligènes. Prétendre que tous les territoires où des populations parleraient le Kinyarwanda ou des langues proches du Kinyarwanda, en RDC, en Ouganda ou en Tanzanie, seraient des territoires rwandais est un non-sens. Cela reviendrait à soutenir qu’une partie de la Belgique serait néerlandaise, française ou allemande parce qu’on y parle le Néerlandais, le Français ou l’Allemand. Ou encore que la Suisse pourrait être légitimement revendiquée à la fois par l’Allemagne, l’Italie et la France parce qu’on y parle l’Allemand, l’Italien ou le Français.
Ces revendications sont extrêmement dangereuses car elles soutiendraient qu’un Etat comme la Floride aux Etats-Unis pourrait être revendiqué par Cuba parce qu’il est habité par plus d’un million d’américains qui se déclarent d’ascendance cubaine.
Cela soutiendrait aussi que des villes et contrées comme Sacramento, San Francisco, Santa Cruz, Los Angeles, San Diego, Las Vegas, Santa Fe n’appartiendraient pas aux Etats-Unis car leur toponymie est hispanophone.
Plus proche de nous, les origines de Barega, ethnie congolaise du Sud-Kivu remonte au royaume du Bunyoro en République d’Uganda actuel. Dans leur migration vers la RD Congo, ils ont laissé au Bunyoro la dynastie Kabalega (fils de Balega) qui règne encore aujourd’hui sur ce royaume ougandais. Partant de cette histoire, et suivant la logique du Rwanda, la RD Congo se permettrait-t-elle de revendiquer les terres du Bunyoro en Uganda?
Enfin, l’on sait qu’il existe en Tanzanie des Babembe dont l’origine remonte à la déportation esclavagiste arabe. La plupart sont installés dans le district de Kigoma. Ils sont Tanzaniens à part entière, bien que descendants de Babembe, ethnie congolaise du Sud-Kivu. En aucun cas, l’existence de cette diaspora congolaise ne donnerait droit à la RD Congo de revendiquer des terres en Tanzanie ou de s’immiscer dans la gestion de cette communauté désormais tanzanienne.
Nous avons montré que les allégations qui sous-tendent ces revendications territoriales rwandaises sur la RDC ne sont pas historiquement fondées. Elles sont des alibis avancés pour justifier les guerres d’agression rwandaise en RDC et le pillage de ses ressources.
A plusieurs reprises, des autorités rwandaises, au plus haut niveau, ont réclamé un nouveau découpage territorial dit « Berlin II ». Si tel était le cas, la Société civile du Sud-Kivu et la RD Congo seraient en droit de réclamer toutes les terres et tous les peuples appartenant historiquement au royaume du Bushi. Rappelons que le royaume du Bushi, au-delà de la RD Congo, allait de la rivière Ruzizi à la préfecture de Gikongoro au Rwanda. Ce remodelage donnerait logiquement naissance à une grande alliance entre les Bashi du Congo et les Bashi du Rwanda.
R2: Concernant l’allégation de la protection des « minorités rwandophones » discriminées et menacées d’extermination en RD Congo, cet alibi est également contredit par l’histoire et par les faits.
Tout d’abord l’usage du concept de « minorités rwandophones » n’a pas de fondement démographique, linguistique, culturel ou politique en RD Congo.
La RD Congo compte plus de 500 ethnies et tribus. A l’échelle du pays, chacune d’elles est minoritaire. Par ailleurs, toutes ces ethnies sont polyglottes. Elles font usage aussi bien de leurs langues maternelles que des langues véhiculaires. Ainsi, à l’Est de la RDC, le Swahili est la langue véhiculaire de tous les habitants. C’est la langue scolaire et une véritable « lingua franca » qui relie les populations de l’Est du Congo dans les échanges avec les populations des pays de l’Est de l’Afrique: Kenya, Uganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, Malawi jusqu’à une partie de la Zambie et du Mozambique. Cela veut dire que dans les faits, il n’existe pas de clivage géolinguistique en RD Congo comme cela est le cas en Belgique ou au Canada par exemple. L’instrumentalisation de ces différences linguistiques par le Rwanda se fait essentiellement pour des desseins de conquête et de pillage de la RD Congo.
En outre, dans le Nord et le Sud-Kivu, une très grande partie des populations ayant le Kinyarwanda comme langue maternelle, se revendiquent d’abord congolais et sont même hostiles à l’instrumentalisation de leur identité par le régime rwandais.
Au Nord Kivu, le Mwami Jean-Baptiste Ndeze Katurere, chef coutumier du Bwisha l’a exprimé à plusieurs reprises. Ses communications publiques sur cette question sont disponibles en abondance sur l’internet. Au mois d’octobre 2024, il a même récusé l’intronisation factice des chefs coutumiers illégaux par le M23 en représailles à la fidélité des autorités traditionnelles authentiques de cette région à la nation congolaise.
Au Sud-Kivu, les représentants des populations rwandophones « Banyamulenge » se sont à plusieurs reprises exprimés pour récuser l’instrumentalisation de leur identité par le régime rwandais à des fins de guerre. C’est le cas de leur déclaration du 28 février 2025 en dénonciation de la déclaration du Colonel Charles Sematama (du groupe armé Twirwaneho allié du M23 et du Rwanda) impliquant la communauté Banyamulenge dans la guerre de l’AFC/M23. Leurs propos sont clairs et explicites:
Au point 2, ils déclarent: «condamnons et rejetons toute personne, organisation ou Etat qui tient à instrumentaliser notre tribu pour des fins personnelles et inavouées».
Au point 6, ils soulignent: «Tenons avec beaucoup d’intérêt à la cohabitation pacifique entre notre tribu et nos voisins et qui s’éloigne chaque fois quand il y a une guerre menée en notre nom».
Au point 9, ils concluent: «Réaffirmons notre indéfectible attachement aux institutions légalement établies en RDC. Notre soutien n’est pas un vœu pieux car beaucoup de nos jeunes sont engagés à défendre notre patrie, la République Démocratique du Congo, aux côtés de leurs compagnons d’armes au sein des FARDC et meurent tous les jours au front en train de combattre les ennemis de la République».
Cette déclaration des Banyamulenges démontre que l’instrumentalisation belliciste de leur communauté par le Rwanda est loin de trouver un écho favorable auprès de toute la population Banyamulenge et des autres « rwandophones ». La grande majorité n’aspire qu’à vivre en paix aux cotés de leurs compatriotes congolais ainsi que de servir leur pays.
Citoyens à part entière de la RDC, ils jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs que tous les autres congolais. Plusieurs d’entre eux participent à la défense du territoire congolais. C’est le cas du Lieutenant-Général Pacifique Masunzu, Commandant de la 3ème zone de défense de la RD Congo (Tshopo, Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema) et engagé au front contre l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23. C’était aussi le cas du Colonel Munyamulenge Alexis Rugabisha, commandant de la 12ème brigade des Forces armées de la RDC, qui a été tué le 01 février 2025 au front à Mukwija dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu en plein bataille contre les RDF/M23.
Dans le domaine politique, un autre munyamulenge, Alexis Gisaro, actuel ministre congolais des infrastructures et des travaux publics s’est, à plusieurs reprises, positionné contre l’ingérence du Rwanda dans les affaires internes de la RD Congo et l’instrumentalisation de Banyamulenge.
Le Ministre Gisaro n’est d’ailleurs pas le premier, ni l’unique munyamulenge à occuper des hautes fonctions d’Etat en RDC. Avant lui, de nombreux « rwandophones » tutsi et hutu ont occupé des hautes fonctions dans l’administration publique, l’armée et les services de sécurité. Parmi eux, il y eu même un Vice[1]Président de la République en la personne d’Azarias Ruberwa, de nombreux ministres, des généraux et des hauts responsables militaires.
Comme conclusion partielle quant à ce second point, la RD Congo est une nation pluriethnique. A l’instar de plusieurs pays du monde, il peut, par moment, connaitre des tensions entre des groupes qui la composent. Jusqu’ici, ces tensions ont été gérées et n’ont pas atteint le paroxysme des rivalités ethniques connu au Rwanda et au Burundi. Il est indubitable que le renforcement de l’Etat congolais et le redressement économique via le partenariat avec les Etats-Unis contribuera à une meilleure cohésion nationale, à la coexistence pacifique et à la coopération entre les groupes ethniques congolais.
R3 : Concernant l’impératif de neutraliser les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), dont la présence en RD Congo représenterait une « menace existentielle » pour la sécurité du Rwanda, ce prétexte invoqué par le Rwanda pour justifier ses multiples invasions en RD Congo ne tient également pas la route.
En effet, de nombreux experts internationaux, dont des experts des Nations Unies, s’accordent au fait que les FDLR, seraient actuellement estimés à moins de 1000 hommes et sont devenus une «force résiduelle» incapable de déstabiliser le Rwanda dont, paradoxalement, on connait l’efficacité de ses troupes déployées sur de nombreux théâtres militaires dans le monde.
L’essentiel de combattants des FDLR ont été rapatriés au Rwanda avec leurs dépendants; soit plus de 30.000 personnes selon la Monusco. Plusieurs ont d’ailleurs été intégrés dans la société rwandaise et l’armée.
Même si, par moment, il y a eu une collusion condamnable entre ces rebelles hutus qualifiés de génocidaires avec l’armée congolaise, il est crucial de faire observer que l’armée congolaise a, à plusieurs reprises, mené des opérations conjointes soit avec la Monusco, soit avec l’armée rwandaise pour neutraliser les FDLR. Il s’agit notamment des opérations Sokola II, Amani leo, Umoja wetu, Kimia II. C’est d’ailleurs cette conjonction des forces entre la RD Congo et le Rwanda qui permit l’élimination de Sylvestre Mudacumura, «Commandant suprême» de l’aile militaire de FDLR et de plusieurs de ses hommes le 18 septembre 2019 au Nord-Kivu.
Ces faits battent en brèche l’argument selon lequel le soutien du Rwanda au M23 serait motivé par la menace des FDLR. Non seulement l’analyse de ces guerres sur trois décennies met en exergue, à plusieurs étapes, la bonne foi de la RD Congo, mais aussi, il s’avère de plus en plus évident que la résolution des problèmes de la région des Grands lacs africains passera aussi par la résolution des problèmes internes du Rwanda.
En effet, pour une paix durable dans la région des grands lacs africains et à l’instar de la RD Congo, il s’avère indispensable que le régime rwandais règle politiquement ses propres problèmes internes. Il ne peut continuer à se complaire dans une fuite en avant, en ayant la répression violente comme la seule réponse à la divergence politique légitime. La diversité d’opinion est un des piliers de la démocratie et est nécessaire à la stabilité politique et économique.
Ainsi donc, mettre fin aux menaces de FDLR et d’autres mouvements opposés au régime actuel de Kigali ne relève pas seulement de la responsabilité de la RD Congo, mais aussi de la communauté internationale. C’est d’ailleurs le Conseil de sécurité de l’ONU qui par la résolution 929 du 22 juin 1994, permit l’Opération turquoise et la ruée des réfugiés rwandais vers le Zaïre (RD Congo).
Pour l’avènement d’une paix durable, le régime rwandais ne peut indéfiniment fuir ses responsabilités et les externaliser en RD Congo. Il doit faire face à ses problèmes internes et les résoudre. Le régime rwandais doit cesser de mentir en arguant la poursuite des FDLR pour justifier ses expéditions meurtrières en RD Congo, essentiellement motivées par le contrôle et le pillage des minerais congolais.
Pour terminer, la reconnaissance par les Etats-Unis et la communauté internationale de l’agression et des crimes commis en RD Congo par le régime rwandais et ses supplétifs est une avancée et un début du long processus de reconstruction des millions des victimes congolaises. La guérison des hommes, femmes et enfants victimes passera par l’exigence de la vérité, de la justice et des réparations.
Tant que le régime rwandais se croira investi par la communauté internationale de la légitimité d’imposer sa force aux autres, tant qu’il se croira permis de massacrer des paisibles civils en toute impunité, nous compterons encore des millions des morts et l’avenir de la région des Grands-Lacs africains restera sombre.
3. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS AUX ETATS-UNIS D’AMERIQUE
– Le projet de partenariat stratégique entre la RD Congo et les Etats-Unis est à nos yeux plus qu’une perspective d’exploitation extractives de minerais dont regorge le sol congolais. Il est une importante opportunité de construire une paix durable en RD Congo et dans la région des grands-Lacs africains, prémices d’une prospérité partagée. En cela, la RD Congo avec ses nombreuses ressources, elle a la capacité de devenir un vecteur du développement de la région.
– Pour y arriver, les Etats-Unis devraient aider à la reconstruction de l’Etat congolais comme garantie d’un partenariat durable. La lutte contre la corruption, l’impunité et la mauvaise gouvernance devraient être envisagée comme étape préalable dans la mise en œuvre du partenariat. La construction de la cohésion sociale au travers du dialogue politique inclusif est un gage d’un climat politique apaisé et d’une stabilité favorable aux investissements.
– Les Etats-Unis devraient également œuvrer à plus de démocratisation et de respect des droits humains au Rwanda. À l’instar de la RD Congo, le Rwanda est un pays miné par des fractures internes. Les discordes intestines sont une tendance lourde de deux pays. Des origines à aujourd’hui, le Rwanda a un culte de la violence politique séculaire et du développement de façade. Le Rwanda devrait quitter le trompe-l’œil, pour s’inscrire dans une modernité humaniste et durable. L’inclusion et la participation de tous les Rwandais à la gestion de leur pays nous semble aussi être un préalable à la paix durable et au succès de ce partenariat stratégique. Il est temps pour le Rwanda et la RD Congo de donner à leurs enfants un autre exutoire au malaise de l’exclusion, du chômage et de la pauvreté. La guerre ne devrait être la seule issue pour des générations. Il est temps de rompre ce cercle vicieux, pour offrir des nouvelles opportunités à nos peuples par la mise en commun de nos intelligences et nos compétences pour permettre un développement bénéfique à tous. Il est temps de canaliser positivement l’énergie auto-destructrice de la région, de transformer les chars de combat en tracteurs, de transformer les kalachnikovs en arrosoirs pour plantes.
– Les Etats-Unis devraient envisager ce partenariat stratégique sur le long-terme et de manière systémique, afin de promouvoir un développement général de la région des grands-lacs. Pour ce faire, la relance de la Communauté des Pays des Grands-Lacs serait utile. Cet instrument d’intégration régionale crée en 1976 s’était déjà doté des institutions communes dans divers domaines, dont la finance, l’agriculture, la recherche et l’énergie. Son extension à des nouveaux pays comme la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya pourrait renforcer ses capacités et son influence.
– Cette coopération régionale devrait s’appuyer sur la réalisation des projets d’infrastructures intégratrices dans divers domaines. En cela, l’Est de la RDC et la région des grands-lacs africains pourraient s’arrimer au Corridor de Lobito en interconnexion avec le Corridor Est du chemin de fer Tanzanie-Zambie (Tazara).
– Cette coopération régionale devrait également promouvoir la connaissance et les échanges entre les acteurs de la société civile des pays de la région (les opérateurs économiques, les mouvements associatifs, les organisations des femmes, les organisations des jeunes, les universités, les scientifiques, les corporations professionnelles, etc.). Cette perspective pourrait favoriser le partage et la mise en commun des avantages comparatifs détenus par les uns et les autres. La connaissance mutuelle des peuples permet de bâtir un mieux vivre-ensemble et d’éradiquer les raccourcis rétrogrades et destructeurs du genre: «la guerre des nilotiques contre les bantous». Les réalités humaines sont plus complexes que ne le laisse croire les stéréotypes.
– L’application de la Résolution 2773 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 février dernier de l’ONU est une nécessité.
– La coopération avec d’autres pays de l’Europe et du monde à cette initiative est souhaitable, pour bénéficier de leurs expertises sur la région ainsi que de l’effet de masse dans le financement et la mise en œuvre de ce véritable «Plan Marshall».