Congo Actualité n. 504

SOMMAIRE

LETTRE OUVERTE À ANTONIO GUTERRES, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, SUR LES GRAVES ÉVÉNEMENTS QUI SÉVISSENT DANS L’EST DU CONGO
LETTRE DES INTELLECTUELS ET AMIS DU CONGO À ANTONIO GUTERRES, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES

Alors que des négociations de paix se déroulent à Doha (Qatar) entre les délégations du gouvernement congolais et de l’Alliance du Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23) et à Washington (Etats-Unis) entre les délégations du gouvernement congolais et du gouvernement rwandais, deux lettres ouvertes ont été adressées au Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres. La première a été rédigée par un groupe d’intellectuels sur les graves événements qui actuellement sévissent dans l’Est du Congo et la deuxième est publiée par un groupe d’intellectuels et amis du Congo, pour apporter quelques éclaircissements sur la première.
Les deux lettres mettent en évidence des problématiques, des données historiques, des points de vue différents, des tensions et des propositions que les médiateurs (éminentes autorités du Qatar et des États-Unis) des négociations susmentionnées devraient prendre en considération, afin que tout accord éventuel puisse établir une paix véritable, juste et durable dans la Région des Grands Lacs africains en général et dans l’est de la République Démocratique du Congo, en particulier.

1. LETTRE OUVERTE À ANTONIO GUTERRES, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, SUR LES GRAVES ÉVÉNEMENTS QUI SÉVISSENT DANS L’EST DU CONGO

Le 15 mars 2025, plus de 400 signataires, dont des écrivains, artistes, hommes d’État, journalistes, représentants religieux, survivants de génocide, chercheurs et universitaires, originaires de plus de 50 pays du monde, ont écrit une lettre ouverte au Secrétaire général des Nations Unies.
Les signataires considèrent que le conflit dans la région orientale du Congo a été réduit à une unique narration: celle de la menace de fragmentation de l’État et de l’exploitation de ses ressources. Le monde demeure largement indifférent à l’exclusion des Tutsi congolais, tandis que l’incitation à leur extermination est soutenue par certains acteurs politiques congolais.

Monsieur le Secrétaire général,

Des graves événements de l’Est du Congo plongeant leurs racines dans l’histoire, n’émerge qu’un récit unique: le risque de balkanisation du Congo et l’exploitation de ses richesses. On passe ainsi sous silence l’exclusion des Tutsi congolais dont l’extermination est de plus en plus ouvertement évoquée par certains acteurs politiques. Cette guerre, aussi abominable soit-elle, ne saurait être réduite à une seule de ses causes. Elle résulte plutôt d’un mélange explosif de tensions sociales et économiques qui se sont progressivement cristallisées en une crise identitaire et en conflit armé.
Il est impératif de conclure un cessez-le-feu immédiat, afin de préserver des vies humaines et d’ouvrir la voie à une solution négociée. Le meilleur moyen d’y parvenir n’est certainement pas de répéter l’accusation particulièrement simpliste, selon laquelle le Rwanda soutiendrait le Mouvement du 23 mars (M23) dans le seul but d’exploiter les ressources naturelles du Kivu. Cette interprétation univoque, largement relayée par les médias, choisit d’ignorer les atrocités épouvantables commises au grand jour contre les Tutsi congolais tués et mutilés par leurs bourreaux. Elle exacerbe en outre les tensions et alimente les discours de haine. L’actuelle escalade militaire en est du reste une conséquence directe.

Nous vous invitons par la présente à privilégier la recherche d’une solution durable prenant en compte les causes profondes de ce conflit. Nous jugeons tout aussi important de bien identifier les principales forces présentes sur le terrain ainsi que leurs objectifs et leur philosophie politique. Le M23 fait face à l’armée congolaise, appuyée par les FDLR, désignées comme une entité terroriste en raison de leur idéologie génocidaire qui est aussi celle des Wazalendo, composés de plus de deux cents autres groupes armés. En plus d’exploiter les ressources naturelles du Congo et de semer la terreur par des viols massifs et des tueries brutales, les groupes armés FDLR et Wazalendo organisent le recrutement forcé d’enfants-soldats.
Ce conflit résulte en grande partie du défaut d’intégration de populations regroupées malgré elles au sein de nouvelles configurations frontalières établies par les autorités coloniales. Il est également motivé par le refus de prendre en compte des mouvements migratoires dans la période ayant précédé et suivi les indépendances africaines. Une autre de ses causes est la restriction de la citoyenneté à des critères ethniques et physiologiques.

Depuis trois décennies, des centaines de milliers de Tutsi congolais sont condamnés à une vie précaire dans des camps de réfugiés au Burundi, en Ouganda, au Kenya et au Rwanda ou ils ont trouvé refuge dans plusieurs pays occidentaux. Face à l’indifférence ou à la complicité de l’état congolais, certains d’entre eux ont pris les armes pour assurer leur propre défense. C’est dire que ce conflit ira en s’aggravant, tant que la question de la nationalité des Banyarwanda du Congo ne sera pas résolue.
Nous nous permettons aussi de vous faire remarquer que, au Nord-Kivu, les génocidaires FDLR ont vu leurs rangs grossir dans les zones qu’elles contrôlaient avant d’en être délogées par le M23. Elles s’y étaient livrées pendant longtemps et en toute impunité à toutes sortes d’exactions. L’Etat congolais, au lieu de réagir, les laissait au contraire exploiter les minerais et le bois revendus sur le marché mondial avec la complicité de certains politiciens. De plus, elles percevaient des taxes dans les régions sous leur contrôle. Cette situation a contraint de nombreux Tutsi à chercher refuge dans les pays voisins.

L’étude approfondie de l’histoire complète de la région démontre que l’émergence du M23 est la conséquence de la privation systématique des droits humains des Banyarwanda et des Tutsi en République Démocratique du Congo, faisant d’eux des citoyens de seconde zone interdits de participer pleinement à la société civile.
Permettez-nous de soumettre à votre réflexion les faits particulièrement significatifs que voici:
– Trois ans après l’indépendance du Congo (1960), le Nord-Kivu a vécu une période de troubles connue sous le nom de Guerre de Kanyarwanda. Le leader Nande, Denis Paluku a proclamé la souveraineté du Nord-Kivu contre Kinshasa. Ses collègues rwandophones se sont opposés à lui et prôné l’unité du Congo. En réaction, Paluku avait décidé d’envoyer une expédition punitive dans le Masisi. Les Tutsi y étaient arrêtés et exécutés à Kiroshe. En ce temps-là, le M23 n’existait pas.
– Dans les années 1980, des étudiants tutsi ont été molestés sur le campus de Kinshasa aux cris de: « Vive la nationalité zaïroise! A mort les usurpateurs de notre nationalité!». Un tract appelait aussi à «éradiquer partout et dans leur intégralité ces serpents (les étudiants Tutsi) qui veulent nous mordre». On pouvait également y lire ceci: «Tous les écrits reconnaissent que les Tutsi se trouvant au Zaïre, sont des immigrants et partant ne doivent pas bénéficier des mêmes droits que les fils authentiques de ce pays». En ce temps-là, le M23 n’existait pas.
– En 1991, les Tutsi congolais ont été interdits de participation à la Conférence Nationale Souveraine, sous prétexte qu’ils n’étaient pas « zaïrois ». En ce temps-là, le M23 n’existait pas.
– Pendant la Deuxième République, surtout à partir des années 80, les Tutsi rwandophones avaient la possibilité d’être électeurs sans pour autant être éligibles. En ce temps-là, le M23 n’existait pas.
– La constitution de la République démocratique du Congo a été modifiée à plus de sept reprises, chaque révision étant associée à la question des Rwandophones. En ce temps-là, le M23 n’existait pas.

Il est clair que la communauté internationale commet une erreur aux effets potentiellement dévastateurs, en s’imaginant que l’élimination d’un seul groupe rebelle et l’imposition de sanctions contre le Rwanda suffiront pour restaurer la paix dans l’Est du Congo. Selon nous, pour une paix et une sécurité durables dans la Région des Grands Lacs Africains, il est nécessaire de:
– prévenir la possibilité d’un génocide contre les Tutsi congolais;
– prendre au sérieux les préoccupations sécuritaires du Rwanda en neutralisant les FDLR et leur idéologie génocidaire;
– passer en revue les accords entre le gouvernement congolais, le CNDP et le M23, en vue de déterminer ce qui a empêché leur application;
– arrêter et décourager tout appui militaire au gouvernement congolais tant que ce dernier continuera à faire appel à des génocidaires, à des mercenaires et à des milices dont le programme politique se limite à l’extermination des Tutsi;
– réaffirmer le double principe de l’intangibilité des frontières congolaises et du droit inaliénable des communautés tutsi ou rwandophones de vivre en toute sécurité, sur leur terre natale et ailleurs au Congo;
– garantir la sécurité des minorités en encourageant une éducation aux valeurs favorisant la compréhension de l’identité congolaise à travers le prisme de l’individu-citoyen plutôt que de l’appartenance à une tribu/ethnie;
– mettre en place une Commission internationale neutre chargée d’enquêter sur les contrats miniers ainsi que sur les pratiques liées à l’exploration, à l’exploitation, à la commercialisation et au financement de l’économie des minerais, des terres rares et des exploitations agricoles et forestières dans toute la République Démocratique du Congo.[1]

2. LETTRE DES INTELLECTUELS ET AMIS DU CONGO À ANTONIO GUTERRES, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES

Le 20 avril 2025, un groupe d’écrivains, artistes, journalistes, religieux, avocats, médecins, membres de la société civile, chercheurs et professeurs universitaires au Congo et dans le monde, ayant pris connaissance de la lettre que des intellectuels rwandais vivant sur les différents continents ont adressée au Secrétaire Général des Nations Unies à propos des tragiques événements dans l’Est de la RDC (cf.genocidealertdrc.org), ont jugé indispensable d’ajouter des précisions utiles dans la recherche d’une solution durable à la crise  dans l’Est du Congo.

Monsieur le Secrétaire Général,

On se serait attendu à ce que les signataires de la lettre vous adressée précédemment déplorent, en préalable, les faits présents: massacres des populations civiles à Goma; multiples exécutions sommaires à Bukavu; destructions des camps des réfugiés; viols des femmes et jeunes filles; imposition des sévices corporels dégradants; exclusion des humanitaires de la zone d’occupation. Aucune condamnation de ces crimes.
Nous ne pouvons qu’être surpris par la volonté manifeste des auteurs de la lettre d’ignorer l’un des principes fondamentaux du droit international: le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, qui fonde aujourd’hui les condamnations de l’ensemble de la communauté internationale, face aux violences et violations perpétrées par le Rwanda depuis 30 ans sur le territoire de la République Démocratique du Congo. Les auteurs de la lettre justifient même cette violation du principe, en expliquant que le conflit à l’Est du Congo ne devait pas être compris au travers du «narratif unique du risque de balkanisation du Congo et d’exploitation de ses ressources naturelles», mais qu’il est le résultat d’un mélange explosif des tensions sociales et économiques, dont principalement l’exclusion des Tutsi congolais. Pour les auteurs donc, plus que les velléités d’expansion territoriale et l’exploitation des ressources minières, le sort des Tutsi congolais et la présence des membres des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) justifieraient la violation du principe d’intangibilité des frontières par le Rwanda.

Les signataires ont omis d’expliquer en quoi ces actes guerriers et criminels améliorent la situation des Tutsi au Congo. Par contre, un intellectuel tutsi congolais, Alexis Gisaro, de surcroît ministre des Travaux Publiques à Kinshasa, a déclaré clairement, au nom de sa communauté: «Nous n’avons chargé aucun Etat étranger de s’occuper de nous!». Les attaques répétées du territoire congolais par le Rwanda, cinq au total depuis 1996 à ce jour, ont en effet contribué, de l’avis de tous, à compliquer la situation des Congolais d’expression kinyarwanda. Qu’on en juge par la comparaison de la situation de ces dernières décennies à celle des années antérieures, de la période coloniale aux années 1990.
La lettre présente l’émergence du M23 comme la «conséquence de la privation systématique des droits humains des Banyarwanda et des Tutsi en RDC». À ce propos, nous souhaitons relever l’utilisation malicieuse simultanément des termes «Banyarwanda et Tutsi». Il existe en République Démocratique du Congo, notamment dans le Nord Kivu, des populations parlant le kinyarwanda, composées des Hutu, majoritaires, et des Tutsi. Il relève de l’honnêteté intellectuelle d’indiquer que les différentes rébellions et expéditions punitives conduites par le Rwanda depuis 30 ans ont eu pour unique objectif la défense des seuls Tutsi et que les Hutu congolais en ont été massivement victimes.

Permettez-nous de vous prier de noter ces faits significatifs, démontrant le contraire de ce que l’on s’efforce de vous faire croire:
– En ce moment où sévit la guerre dans l’Est du Pays, il existe des Congolais tutsi, membres du gouvernement, du parlement et des institutions publiques congolaises, y compris de l’armée, comme le général Masunzu. Où serait cette haine des Tutsi?
– Du point de vue historique, la grande majorité des Rwandophones au Congo ont été installés par le pouvoir colonial dans le cadre des initiatives du soutien à l’industrie congolaise naissante ou, comme geste humanitaire de drainage du trop-plein du peuplement rwandais vers le Kivu (1927, 1937-1945, 1949-1955). La veille de l’indépendance du Congo, la loi électorale coloniale du 23 mars 1960 n’a pas accordé à tous ces immigrés et leurs descendances, la possibilité d’être électeurs; elle n’avait reconnu ce droit qu’aux résidants de plus de dix ans. Pourtant, dès le premier gouvernement en 1960, le Congo indépendant comptait un rwandophone parmi ses membres, en la personne de Marcel Bisukiro, ministre du Commerce extérieur. En cetemps-là où était la soi-disant haine des Rwandophones de la part du peuple congolais?
De 1959 à 1994, pendant quatre décennies, le Congo-Zaïre a reçu, accueilli et intégré socialement des contingents de réfugiés tutsi, condamnés à l’exil, fuyant les pogroms rwandais. Plusieurs ont suivi des études dans les écoles et universités congolaises, bénéficiant même de bourses d’études.
Ils ont par la suite occupé des fonctions diverses dans les institutions de la République et les services publiques; exercé des métiers comme hommes d’affaires, avocats, enseignants d’école secondaire ou professeurs d’Université. Le plus connu d’entre eux, Barthélemy Bisengimana Rwema, un ingénieur diplômé de l’Université Lovanium de Kinshasa, fut Directeur de cabinet de Mobutu, de 1969 à 1977, et exerça pratiquement des responsabilités normalement dévolues à un Vice – Président de la République. C’est lui qui géra le dossier de nationalisation des entreprises (zaïrianisation), créant une baronnie tutsie au Congo, particulièrement au Kivu. C’est à lui aussi qu’est attribuée la Loi N°72-002, du 5 janvier 1972, qui stipule que des personnes originaires du Ruanda-Urundi établies dans la province du Kivu avant le 1 janvier 1950 à la suite de la décision de l’autorité coloniale, et qui ont continué à résider depuis lors dans le pays , ont acquis la nationalité zaïroise à la date du 30 juin 1960. En ce temps-là où était la haine des Tutsi?
– Dans les rébellions mulélistes qui s’organisèrent au Sud-Kivu, les réfugiés tutsi combattirent activement aux côtés des rebelles congolais, comme en témoigne Ernesto Che Guevara dans ses écrits. En ce temps-là où était la haine des Tutsi? Le révolutionnaire bolivien nota, par ailleurs, à propos de ces populations d’origine rwandaise qu’il a rencontrées dans la région de Fizi, que celles-ci gardaient fermement l’esprit d’attachement à leur patrie d’origine. Auraient-ils une difficulté particulière d’intégration au sein d’autres communautés?
– Ce sont les immenses privilèges concédés aux Tutsi, à l’ère de Bisengimana, qui finirent par exaspérer la colère des non Tutsi. La montée de leur revendication s’enflammait à mesure que le pouvoir de Mobutu déclinait. S’il n’y a jamais eu de molestation d’étudiants tutsi au campus de Kinshasa, il y a eu, en revanche, la mise à l’écart, à la Conférence Nationale Souveraine, dans le cadre général de ce qui fut à l’époque qualifié de «Zaïrois de nationalité douteuse», des Rwandophones, qu’ils soient tutsi ou hutu. Ce sentiment fut par la suite exacerbé du fait que plusieurs Tutsi, considérés comme congolais, apportèrent ostensiblement leur soutien moral et financier à la rébellion contre l’ancien régime du Rwanda et que certains, surtout du Masisi et du Rutshuru, la rejoignirent. Plusieurs cadres tutsi congolais apportèrent eux-mêmes la preuve de cette complicité, en regagnant massivement le Rwanda à la prise de pouvoir par le FPR, en y occupant de hautes fonctions, y compris dans l’armée.
De plus, pendant toute la période allant du renversement de Mobutu, en mai 1997, à l’arrivée au pouvoir de Felix Tshisekedi, en janvier 2019, à l’exception de la petite parenthèse (mi-1998 à janvier 2001) de la brouille entre le Rwanda et Laurent Kabila ayant conduit à son assassinat, les élites tutsi ont été aux commandes réelles de principaux rouages du pouvoir en RDC: service d’intelligence, forces de sécurité et de défense, institutions de la République. Selon la croyance populaire, rien de significatif n’a pu se faire au Congo, en cette période, sans la décision de Kigali.
Il est difficile dans ces conditions de comprendre le discours sur les Tutsi exclus et marginalisés tenu par les signataires de cette lettre. Pourtant, les rébellions du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) et du M23 sont nées, et ont sévi dans le Kivu au cours de cette même période, au motif de défendre ces mêmes populations tutsi.

Les auteurs et les signataires de la lettre placent le M23 au même niveau que les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et associent les FDLR aux Wazalendo en leur attribuant, à tous les deux l’idéologie génocidaire.
Il est surprenant que l’Etat rwandais se préoccupe davantage de la situation des Rwandophones congolais (tutsi) et non des Rwandophones rwandais habitant le Congo, au motif qu’ils seraient des génocidaires. Sous ce concept de FDLR, l’Etat rwandais a décrété la marginalisation de l’ethnie majoritaire au Rwanda, à savoir les Hutu, décimés et massacrés depuis trois décennies au Congo. Dans l’imaginaire populaire créé par le pouvoir rwandais, aujourd’hui Hutu=Interahamwe=FDLR.
Pour rappel, les armées ougando-rwandaises ont massacré systématiquement les réfugiés hutu, au cours des années 1996-97, dans les forêts congolaises au point que certains analystes ont parlé de génocide hutu ayant succédé au génocide tutsi. Le plus marquant a été le massacre de centaine de milliers des réfugiés hutu dans la forêt de Tingitingi, suffisamment documenté notamment par le Rapport Mapping et plusieurs organisations des droits de l’homme, et sur l’enquête duquel les Nations unies n’obtinrent jamais l’autorisation des rebelles congolais de l’AFDL et de leurs soutiens rwandais. L’ambassadeur du Rwanda à l’ONU déclara même, le.3 février 1997: «Il n’y a pas de réfugiés à l’intérieur du Zaïre, mais 40 000 soldats hutu et leurs familles». La communauté internationale a préféré oublier ces massacres qui continuent à hanter la mémoire des paysans congolais qui n’avaient jamais vu auparavant des violences de cette ampleur. Les rébellions rwandaises de RCD, du CNDP et du M23 ont poursuivi cette besogne de 1998 à nos jours.
Et, pour en finir avec l’accusation récurrente de complicité avec le FDLR, le Gouvernement de la République avait signé, en date du 31 juillet 2002, l’Accord dit de Prétoria avec le Rwanda, en présence du Gouvernement Sud-Africain qui en constituait une Tierce Partie. Cet Accord consacrait une donne de réduire sensiblement les FDLR opérationnels sur le sol de la RDC, en échange du retrait des Troupes Rwandaises du territoire Congolais.
Sur injonction de la communauté internationale, la RDCavait autorisé l’armée rwandaise à entrer sur le territoire congolais pour faire la chasse des Interahamwe (hutu), de 2009 à 2012, sous le label des opérations dénommées successivement Umoja wetu (notre unité), Kimia I et II (paix), Amani leo (la paix aujourd’hui.
Plusieurs rapatriements des FDLR et leurs dépendants ont été réalisés à partir de la Base militaire de KAMINA avec le concours dans Nations Unies à travers son opération de maintien de la paix, la MONUC, devenue plus tard MONUSCO. Voici quelques dates et faits:
– Le 20 mai 2014: 104 combattants à Kateku dans la province du Nord Kivu se sont rendus avec 104 armes déposées dont 12 armes collectives.
– Le 9 juin 2014 : 83 combattants à KIGOGO dans la province du Sud Kivu se sont rendus avec 83 armes déposées dont 8 collectives.
– Le 28 décembre 2014 : 84 combattants à BULEUSA dans le Nord Kivu et 67 à BURINYI au Sud Kivu se sont rendus avec, respectivement, 37 et 30 armes déposées dont globalement 11 armes collectives.
Au total, 338 combattants se sont rendus avec 254 armes déposées. Ce qui ne représentait que 26 % de l’effectif total de combattants FDLR présents en RDC évalués à 1300 en octobre 2012 par l’équipe militaire d’évaluation, organe composé d’Experts militaires de la CIRGL.
– Le 8 décembre 2016, la RDC a remis Ladislas NTAGANZWA, un chef FDLR, arrêté au Nord-Kivu.
– Le 30 novembre 2018 : il y eut fermeture des camps de Walungu, Kanyabayonga et Kisangani et rapatriement au Rwanda de tous les FDLR et leurs dépendants, soit un total de 1609 combattants rapatriés.
– Septembre 2019: on a procédé à la neutralisation de Sylvestre MUDACHUMURA et Ignace IRETEGEKA, leaders des FDLR, par une opération conjointe FARDC et Armée Rwandaise.
– Septembre 2024: le Gouvernement de la RDC a arrêté le chef des FDLR, le général Pacifique NTAWUNGUKA, alias «Oméga».
Le plus étonnant est que certains de ces éléments Hutus Rwandais des FDLR, rapatriés au Rwanda, se sont retrouvés à nouveau au Congo, massacrant les populations congolaises et pillant les ressources naturelles. Il y aurait ainsi de vrais et de faux FDLR. C’est au Congo et non au Rwanda que les FDLR ont réalisé le plus de massacres des populations civiles, tout en continuant à servir d’alibis au maintien des régions congolaises entières sous la sphère d’influence du Rwanda.

À propos du M23, condamné par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, par l’Union africaine et l’Union européenne, ainsi par les Communauté économiques régionales africaines, il est totalement exonéré et blanchi par les auteurs et les signataires de cette lettre.
Nous tenons humblement à rappeler que, ainsi que l’ont attesté plusieurs rapports des Nations Unies et des ONG nationales et internationales, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité se poursuivent de la part de ce groupe armé et de ses soutiens rwandais: des massacres de civils, des violences sexuelles, le recrutement d’enfants soldats, les déplacements des milliers de personnes, etc. Les milliers de morts victimes de l’invasion de Goma (plus de 6000) en témoignent.

Qu’il y ait un lien plus qu’évident entre ces attaques meurtrières et l’exploitation illégale des ressources naturelles du sol et du sous-sol congolais, le fait est largement affirmé et confirmé, chiffres à l’appui, par plusieurs observateurs, chercheurs et analystes de la situation. Même le tout dernier rapport du Groupe des Experts de l’Onu démontre que le choix des régions attaquées obéit méticuleusement à des emplacements des sites d’exploitation artisanale des minerais stratégiques.

Il est une autre raison que les signataires de la lettre préfèrent taire, mais qui apparait clairement dans les discours officiels au Rwanda: les visées expansionnistes du régime de Kigali et la volonté de conquête d’une partie du territoire congolais, sous le prétexte fallacieux du mythe de reconstitution du grand Rwanda précolonial. Cette ambition, les dirigeants rwandais l’expriment depuis 30 ans.
Le 10 octobre 1996 à Cyangugu, Pasteur Bizimungu, à l’époque président du Rwanda, avait déclaré: «Si nos combattants sont actuellement au Zaïre, ils y sont chez eux».
En avril 2023, Paul Kagamé, en visite à Cotonou au Bénin, a à son tour affirmé: «Les frontières qui ont été tracées à l’époque coloniale ont divisé nos pays; une grande partie du Rwanda a été laissée à l’extérieur, dans l’est du Congo».
Sans évoquer le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, adopté au 2è Sommet de l’OUA en 1963, l’existence de ce grand Rwanda n’est reconnue par aucun historien de métier, le royaume du Rwanda n’ayant jamais atteint les dimensions spatiales de l’actuelle République du Rwanda.

Quant à la question des réfugiés Tutsi congolais vivant au Rwanda, celle-ci constituerait, selon le discours répété des dirigeants rwandais, l’une des principales justifications (appelées causes profondes du confit) des rébellions et de différentes agressions, car la République Démocratique du Congo serait opposée à leur retour sur la terre natale. La lettre adressée au Secrétaire Général indique que des milliers de réfugiés Tutsi congolais «sont condamnés à une vie précaire dans des camps au Burundi, en Ouganda, au Kenya et au Rwanda».
Ces réfugiés congolais vivant au Rwanda sont estimés en centaines de milliers par le gouvernement rwandais, mais à 80 000 selon les ONG et à 72 000 selon les autorités congolaises.
Le 15 mai 2023, un Accord tripartite a été signé à Genève entre le Gouvernement de la RDC, le Gouvernement du Rwanda et le Haut – Commissariat des Nations unies pour les Réfugié,, relatif au rapatriement volontaire des réfugiés congolais vivant au Rwanda. Conformément à ses conclusions, une nouvelle réunion tripartite a eu lieu à Nairobi, les 26 et 27 juin 2023. Tout cela faisait suite aux accords initiaux de Kigali du 17 février 2010 entre ces trois partenaires qui avaient été suivis de la signature à Goma, le 30 juillet 2010, d’un autre accord sur les modalités pratiques de ce rapatriement. Le Rwanda n’a jamais accédé à la demande de contrôle physique individuel réglementaire de ces réfugiés, exigé par les deux autres partenaires.

La solution durable à la crise présente doit effectivement prendre en compte les causes profondes de ces conflits. Ces causes profondes ne sont pas congolaises; elles sont intra[1]rwandaises et résident dans l’antagonisme entre Tutsi et Hutu. La Communauté internationale, pourtant consciente de cette réalité, fait semblant de l’ignorer. Pour éviter de se brouiller avec le régime de Kigali qui a su instrumentaliser la mauvaise conscience internationale au sujet du génocide tutsi, celle-ci préfère adopter une posture de complaisance pour faire plaisir au régime rwandais, évitant d’être accusée de négationnisme.
Seule la vraie réconciliation tutsi-hutu, sur le territoire du Rwanda, serait le véritable point de départ d’une paix durable, la base « existentielle » de la concorde dans les pays des Grands Lacs. La guerre du Kivu n’est que le prolongement d’une interminable guerre rwando-rwandaise sur le territoire congolais, une guerre instrumentalisée à souhait pour des visées expansionnistes et des pratiques maffieuses de commercialisation et de financement de l’économie des minerais, de terres rares et d’exploitations agricoles et forestières. La communauté internationale et les institutions religieuses, nationales et régionales, devraient prendre le courage d’ouvrir cet épineux dossier pour mettre définitivement un terme à l’actuelle spirale des guerres et des violences. Ramener cette crise à la solution de simples querelles politiciennes au Congo, serait une très grave erreur,  comme l’a démontré notre histoire récente.[2]

[1] Lalibre.be/Afrique, 15.03.’25   https://afrique.lalibre.be/79516/lettre-ouverte-a-m-antonio-guterres-secretaire-general-des-nations-unies/    /      https://genocidealertdrc.org/french/
[2] Cf https://souveraineterdc.org/plaidoyers/francais