SOMMAIRE
1. LA POURSUITE DU PROCESSUS DE PAIX POUR L’EST DE LA RDC
a. Les États-Unis ont proposé un projet d’accord de paix entre la RDC et le Rwanda
b. Le médiateur et le Panel des facilitateurs de l’UA se sont retrouvés à Lomé (Togo)
2. DOHA-WASHINGTON: UNE NOUVELLE DONNE POUR LE M23
3. LA CRISE DANS L’EST DE LA RDC: LE FUTUR DU PAYS SE DESSINE-T-IL LOIN DE KINSHASA?
4. LES MINERAIS DES KIVUS ENTRE ÉCONOMIE, GÉOPOLITIQUE ET INSÉCURITÉ
5. PARTENARIAT RDC-USA: LE RWANDA VUE COMME LA PLAQUE TOURNANTE DU DEAL!
6. LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
1. LA POURSUITE DU PROCESSUS DE PAIX POUR L’EST DE LA RDC
a. Les États-Unis ont proposé un projet d’accord de paix entre la RDC et le Rwanda
Le 15 mai, plus de trois semaines après la signature d’une déclaration de principes à Washington entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, un premier projet d’accord vient d’être transmis aux deux parties par les médiateurs américains.
À Kinshasa comme à Kigali, les autorités confirment avoir reçu une version consolidée du projet d’accord de paix. Ce document reprend les propositions que les deux pays avaient soumises au début du mois, après la signature de la déclaration de principes sous l’égide des États-Unis.
Le document en cours d’élaboration prévoit des engagements concrets sur la souveraineté, la sécurité, la coopération économique régionale, le retour des personnes déplacées ainsi qu’un appui renouvelé à la mission de l’ONU en RDC (MONUSCO). Mais à ce stade, rien n’est encore joué. Encore à l’état de brouillon, ce texte devra toutefois faire l’objet de nouvelles discussions. En cas de divergence persistante sur le contenu du texte, la déclaration de principes prévoit une réunion ministérielle à Washington, sous la médiation du Secrétaire d’État américain.
Pour donner une nouvelle impulsion, le principal conseiller principal pour l’Afrique au département d’État Massad Boulos a personnellement appelé les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame pour leur présenter les grandes lignes du texte. Des échanges qu’il qualifie de constructifs, même s’il reconnaît que parvenir à un consensus sera difficile.
Selon certaines informations, Kinshasa et Kigali ont jusqu’à dimanche 18 mai pour formuler leurs observations et proposer des amendements. Mais des sources dans les deux camps estiment que le délai pourrait être trop court, au regard des sujets sensibles abordés, comme la coopération commerciale autour des minerais stratégiques, ou encore des aspects sécuritaires.
L’annonce de ce projet d’accord intervient alors que les États-Unis et la RDC négocient également un partenariat stratégique sur les minerais critiques. Cette entente, en cours de discussion, vise à offrir aux entreprises américaines un accès privilégié aux ressources minières stratégiques de la RDC, telles que le cobalt, le coltan et le lithium. En échange, les États-Unis s’engageraient à fournir une assistance sécuritaire pour aider la RDC à lutter contre les groupes armés, dont le Mouvement du 23 mars (M23), qui déstabilisent la région. Dans le même temps, les États-Unis et le Rwanda négocient un autre protocole de partenariat économique, consistant en la transformation de ces minerais stratégiques d’origine congolaise par les raffineries d’or et coltan déjà opérationnelles au Rwanda. Parallèlement, un autre projet d’accord circule. Il aurait été proposé à Doha par les médiateurs qatariens. Ce texte aurait été présenté aux émissaires du gouvernement congolais et aux représentants de l’AFC/M23. Là encore, très peu d’éléments ont filtré pour l’instant sur le contenu de ce document.[1]
b. Le médiateur et le Panel des facilitateurs de l’UA se sont retrouvés à Lomé (Togo)
Le 17 mai, le médiateur de l’Union africaine, Faure Gnassingbé, également Président du Conseil de la République togolaise, et le Panel des facilitateurs de l’Union africaine se sont retrouvés à Lomé au Togo. Selon un communiqué de la Présidence du Conseil de la République togolaise, les échanges ont porté sur la fusion des processus de Nairobi et de Luanda, comme déjà évoqué lors d’un sommet conjoint EAC-SADC du 8 février 2025. Les participants ont souligné la nécessité de coordonner les actions du médiateur et des facilitateurs dans un cadre intégré, et plaidé pour une collaboration renforcée avec l’EAC, la SADC, ainsi que des partenaires comme le Qatar et les États-Unis. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des efforts en faveur de la paix dans l’Est de la RDC, et du renforcement des relations entre la RDC et le Rwanda. Le Panel des facilitateurs est composé notamment des anciens chefs d’État: Olusegun Obasanjo (Nigeria), Uhuru Kenyatta (Kénya), Sahle-Work Zewde (Éthiopie), Catherine Samba-Panza (République centrafricaine) et Mokgweetsi Masisi (Botswana).[2]
2. DOHA-WASHINGTON: UNE NOUVELLE DONNE POUR LE M23
Les négociations au Qatar et l’arrivée des Etats Unis dans le cadre d’un possible accord de paix entre la RDC et le Rwanda rebattent les cartes pour la rébellion. Notamment pour l’AFC de Corneille Nangaa, qui pourrait se retrouvé marginalisé dans cette sortie de crise.
L’histoire s’accélère à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) dans le conflit entre le Congo et les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda. À Doha, une rencontre inattendue a eu lieu entre les présidents congolais et rwandais le 18 mars, puis entre les rebelles du M23 et Kinshasa. Enfin, à Washington, une déclaration de principes a été signée le 25 avril entre la RDC et le Rwanda sous l’égide des Etats-Unis. Un texte évoque sans surprise l’aspect sécuritaire du dossier: préservation de l’intégrité territoriale des deux pays et «cessation de tout soutien aux groupes armés». On pense évidemment à l’appui rwandais au M23 et à la «collaboration» de l’armée congolaise avec les FDLR, un groupe inspiré d’anciens génocidaires hutu, hostiles à Kigali. Des engagements qui n’ont jamais été respectés lors des différents rounds de négociations sous médiation africaine, à Nairobi, Luanda ou Dar es Salam.
Minerais contre sécurité
La deuxième partie de cette déclaration de principes est plus surprenante et signe une nouvelle approche dans la résolution du conflit. Elle prévoit un partenariat minier entre les deux pays (la RDC et le Rwanda) et des accords économiques bilatéraux entre les États-Unis et la RDC d’une part et entre et les États-Unis et le Rwanda, de l’autre. Ce volet économique acte la souveraineté de la RDC sur ses ressources minières et un partenariat avec le Rwanda voisin sur le transport et la transformation des minerais. Des entreprises américaines y seront également associées. Dans la délicate équation d’un possible accord de paix entre la RDC et le Rwanda, le partenariat économique entre les trois pays joue un rôle central. Inspirée par le troc «minerais critiques contre sécurité» proposé par les Etats-Unis en Ukraine, la présidence congolaise a présenté le même projet à Washington: accès aux minerais contre protection américaine.
Gagnant-gagnant…vraiment?
Les trois pays semblent donc y trouver leur compte: la RDC en récupérant ses territoires sous contrôle rebelle, les Etats-Unis en se voyant ouvrir les portes de sites miniers et le Rwanda en s’assurant l’exportation et la transformation des minerais. Il y a pourtant de nombreux bémols à ce projet d’accord. Pour la RDC, tout d’abord, qui ne se voit attribuer qu’un simple rôle de fournisseur de minerais, «un bradage des ressources naturelles», selon l’opposition. Les Etats-Unis ensuite, qui devront se frayer une place au milieu des nombreux autres groupes armés de la région, mais aussi au milieu des nombreuses entreprises minières chinoises, très implantées au Congo.
Un accord au détriment de l’AFC-M23
Un autre acteur pourrait être perdant dans ce nouveau deal «business contre territoires» entre le Rwanda et la RDC, c’est l’AFC-M23 de Corneille Nangaa. La rébellion s’est toujours déclarée «non-concernée» par les décisions prises entre Etats, comme cela a été le cas à Luanda, Dar Es Salam ou Doha. Mais l’arrivée des Etats-Unis et un possible accord assorti d’un deal minier change la donne. Ce très virtuel accord pourrait se faire au détriment de l’AFC-M23, qui devrait rendre les territoires conquis sans bénéficier du deal minier. La rébellion cherche donc le moyen de se faire une place entre Kinshasa, Kigali et Washington, pour éviter le risque de se voir marginaliser. Si le conflit a bien une dimension régionale, il a aussi une dimension locale, où il faudra bien trouver une porte de sortie pour l’AFC-M23 et les groupes armés supplétifs que Kinshasa a enrôlé auprès de l’armée congolaise.
L’AFC trop dépendant du M23
Corneille Nangaa a tenté de ramener le conflit entre le M23 et le gouvernement congolais à un problème de politique intérieure et de mauvaise gouvernance. Son objectif: faire partir Félix Tshisekedi. Par la force ou par le dialogue. Le projet d’accord entre Kinshasa et Kigali constitue donc un tournant très dangereux pour l’AFC, qui se retrouve désormais dans une position très inconfortable, étant trop dépendant du M23 et de son parrain rwandais. Selon Josaphat Musamba, chercheur au GEC-SH/CERUKi ISP de Bukavu, «le M23, qui a une branche politique et une branche militaire, est plus fort que l’AFC, qui est uniquement un mouvement politique. Corneille Nangaa a été poussé sur le devant de la scène pour congoliser le mouvement».
Nangaa absent à Doha
L’AFC de Corneille de Nangaa est arrivée tardivement par rapport au M23. Alors que les rebelles ont repris les armes fin 2021, c’est en 2023 que, depuis le Kenya, Corneille Nangaa lance l’AFC, avec à ses côtés Bertrand Bisimwa. «Les deux structures ne sont pas encore en compétition, ils ont construit ensemble leur discours de légitimation et d’explication de leur combat. Ils se sont nourris de leurs revendications respectives: la sécurité des Tutsi pour le M23 et des revendications de politique intérieure pour l’AFC. Mais il pourrait y avoir concurrence» suggère Josaphat Musamba. Signe qui ne trompe pas, c’est Bertrand Bisimwa (M23) qui était présent à Doha pendant les discussions avec les autorités congolaises, et non Corneille Nangaa (AFC).
Une crise aux multiples acteurs
Les pourparlers avec le gouvernement congolais à Doha (Qatar), pourraient permettre à l’AFC-M23 de trouver cette porte de sortie recherchée. Forte de la pression militaire du M23, l’AFC-M23 tente de faire monter les enchères, en demandant l’amnistie pour ses membres, la récupération des leurs biens confisqués, ainsi que leur intégration dans l’armée et dans les institutions politiques de l’État.
Une chose est sûre, pour mettre fin à cette crise sécuritaire, il ne suffira pas d’un accord régional entre la RDC et le Rwanda, même sous médiation américaine. Un accord qui reste aujourd’hui très hypothétique. Il faudra prendre en compte aussi l’ensemble de la centaine de groupes armés de la région et leur proposer de réelles alternatives à leur démobilisation. Enfin, il faudra que Kinshasa accepte de voir en face ce qui obère son développement depuis des décennies: la corruption, la prédation des ressources par les élites et la répression des oppositions.[3]
3. LA CRISE DANS L’EST DE LA RDC: LE FUTUR DU PAYS SE DESSINE-T-IL LOIN DE KINSHASA?
A Washington, à Doha, à Lome, les négociations se poursuivent pour tenter de ramener la paix dans la région des grands lacs. L’avenir politique de Félix Tshisekedi est au centre des discussions.
Le poids du Nigeria
Ces dernières semaines, Obasanjo a rencontré le chef d’État sud-africain Cyril Ramaphosa et l’ancien président Thabo Mbeki, excellent connaisseur, lui aussi, de la scène politique congolaise. Il s’est ensuite rendu au Zimbabwe, où il s’est entretenu avec le président Emerson Mnangagwa mais aussi avec l’ancien président congolais Joseph Kabila, hôte régulier de ce pays. Selon plusieurs sources, le message d’Obasanjo à Kabila était limpide: «son retour au pouvoir en RDC n’est pas désiré». L’ancien chef de l’État nigérian s’est ensuite rendu à Kinshasa et à Kigali pour des entretiens avec Félix Tshisekedi et Paul kagame. Sur le même ton, le Nigérian a expliqué à son hôte congolais qu’il était esseulé sur le continent, que son salut politique et la réussite de son second mandat passaient par la mise sur pied d’un nouveau gouvernement géré par l’opposition politique. Avant d’insister sur le fait que Washington voulait « un vrai gouvernement » entre les mains d’une «vraie opposition politique », ce qui explique aussi les entretiens qu’Obasanjo tient avec les leaders de l’opposition politique congolaise (Katumbi et Mbusa il y a dix jours à Paris, Fayulu quelques jours plus tard).
L’ombre qatarie
Jusqu’ici, les négociations entre Kinshasa et les troupes antigouvernementales de l’AFC/M23 patinent complètement à Doha. Kinshasa n’a accepté aucun préalable posé par les rebelles. Mais les Qataris n’entendent pas lâcher le processus. Ils ont mis sur pied des comités d’experts chargés d’élaborer des scénarios de sortie de crise qui devraient être sur la table au début du mois de juin.
Les délais se resserrent
Le mois de juin est aussi présenté comme décisif dans les négociations entre le Rwanda, Kinshasa et Washington. Kinshasa se fait peu loquace sur ces négociations. C’est Kigali qui a donné des premiers éléments d’un calendrier et qui a évoqué, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, M. Nduhungirehe, la signature d’un accord à la mi-juin… dans la foulée donc de ce qui devrait se décanter à Doha. A Washington, les accords, qui devraient être signés par les présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi sous l’oeil de Donald Trump, sont essentiellement économiques. Ils visent ni plus ni moins à légaliser l’exportation des minerais congolais vers un de ses voisins, le Rwanda, où ils pourraient être raffinés tant que la RDC n’a pas la capacité de procéder à cette action sur son territoire. Les entreprises américaines pourraient donc désormais acheter au Rwanda les minerais congolais dont ils ont besoin pour leur production. La marque « Made in Rwanda » leur permettra de pouvoir acheter des « minerais de sang » provenant de l’est de la RDC sans être poursuivies par des tribunaux.[4]
4. LES MINERAIS DES KIVUS ENTRE ÉCONOMIE, GÉOPOLITIQUE ET INSÉCURITÉ
Dans les deux Kivus, dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), les ressources minières sont au cœur d’un système complexe mêlant conflits armés, contrebande transfrontalière et stratégies économiques régionales. L’or, le coltan, l’étain et le tantale, souvent présentés comme les moteurs de la violence, structurent en réalité une économie parallèle qui profite autant à des groupes armés locaux qu’à des réseaux internationaux.
– Quels sont les produits miniers les plus structurants des conflits?
Les produits miniers les plus structurants des conflits dans les Kivus sont l’or et les «3T» (étain, tantale, tungstène). L’or occupe une place centrale.
Selon Christoph Vogel, chercheur sur les dynamiques de conflit en Afrique centrale, il a «une valeur bien supérieure» aux autres minerais, notamment parce qu’il est non traçable une fois fondu. Cela peut en faire un outil privilégié dans l’économie de la guerre. Zobel Behalal, expert à la GI-TOC (Global Initiative Against Transnational Organized Crime), explique que 750 000 kilos d’or sont extraits illégalement tous les six mois au Sud-Kivu et dirigés vers les pays voisins, où cet or est raffiné, notamment à Rubavu (Rwanda). Il ajoute que le gramme s’échangeait entre 40 et 50 dollars américains (USD) il y a quelques années, contre 80 à 100 USD aujourd’hui, avec une forte demande des acheteurs ougandais, dans la zone où sont déployés des soldats de la Uganda People’s Defence Force (UPDF). Pour sa part, Christoph Vogel appelle à la prudence. Il considère que le lien entre minerais et violences doit encore faire l’objet d’un intérêt scientifique. Il fait par exemple remarquer que l’implication minière du groupe armé M23 a changé dans le temps: elle était faible entre 2021 et 2023, mais le mouvement a ensuite pris le contrôle de Rubaya, une zone connue pour son coltan.
Dans cette région, il faut noter que les groupes armés tirent aussi des revenus d’autres activités (taxation d’alcool, routes). Mais l’or reste, selon les experts, la ressource la plus rentable, la plus souple à transporter et la plus convoitée.
– Quel impact a le conflit de cette zone sur le circuit mondial?
Le conflit dans les Kivus peut perturber les circuits mondiaux d’approvisionnement en minerais stratégiques. Le cas de la mine d’étain de Bisié, à Walikale, est emblématique: elle représentait en 2024, 6% de la production mondiale. Son arrêt temporaire, causé par l’occupation de la zone par l’AFC/M23, a entraîné des tensions sur les marchés internationaux. L’opérateur Alphamin a dû suspendre ses activités avant d’annoncer leur reprise après le retrait du groupe armé, preuve de l’interdépendance entre sécurité locale et stabilité économique globale. Pour sa part, Zobel Behalal insiste sur le fait que «le marché ne connaît pas la guerre»: même en contexte de conflit, les flux de minerais ne s’arrêtent pas. Il évoque notamment la montée du cours de l’or, passé à 100 USD le gramme à Mangurujipa, une localité du territoire de Lubero (Nord-Kivu), conséquence de la forte demande internationale. Les pays comme le Rwanda, l’Ouganda, mais aussi les Émirats arabes unis, absorbent une large part de cette production: selon les autorités provinciales, 67 % de l’or du Sud-Kivu irait au Moyen-Orient.
– Quels sont les enjeux de la traçabilité?
Les enjeux de la traçabilité dans la région des Kivus sont importants, tant pour lutter contre la contrebande que pour assainir la chaîne d’approvisionnement minière. L’absence de contrôle rigoureux permet à des minerais extraits illégalement de s’intégrer aux circuits légaux. Zobel Behalal souligne que les systèmes actuels reposent souvent sur des documents papier sans vérification réelle de l’origine. Par exemple, un produit déclaré «provenant du Rwanda» est automatiquement perçu comme propre, alors que son origine peut être congolaise.
La traçabilité est aussi détournée par les entreprises elles-mêmes, qui créent des mécanismes internes d’auto – contrôle. Cela limite les possibilités d’actions indépendantes. De plus, des réseaux structurés (chinois, indiens ou arabes) utilisent les pays voisins comme zones de transit, en contournant toute obligation de traçabilité rigoureuse.
Pour tenter d’y répondre, la RDC a mis en place la société DRC Gold Trading SA. En une année, les exportations légales d’or dans le Sud-Kivu sont passées de 25 kilos à plus de 5 tonnes, générant 300 millions USD, selon les autorités congolaises. Mais ce système s’est effondré avec la perte de contrôle de certaines zones au profit de l’AFC/M23. Le Rwanda, de son côté, a signé un accord avec l’Union européenne en juin 2024 pour garantir la transparence, et se dote de fonderies et raffineries pour raffiner l’or, l’étain et le tantale. Pourtant, la frontière poreuse avec l’est de la RDC alimente les soupçons de recyclage de minerais congolais dans les circuits rwandais.
– Quelles sont les réponses congolaises qui ont tenté de mettre de l’ordre?
Quelques réponses congolaises ont été initiées pour tenter de mettre de l’ordre dans le secteur minier du Sud-Kivu. À son arrivée à la tête de la province en mai 2024, le gouverneur Jean-Jacques Purusi, a lancé une série d’audits économiques. Il dit avoir identifié 1 600 entreprises opérant illégalement dans le secteur minier, sans permis d’exploitation, de recherche ou de travail, et n’ayant jamais payé d’impôts, selon lui. Face à ce constat, un arrêté provincial a suspendu toute activité minière dès le 18 juillet de la même année. Dans la foulée, plus de 147 taxes ont été supprimées pour alléger la fiscalité jugée «confiscatoire», ramenée de 80% à 26%. Le gouverneur a aussi imposé la numérisation des procédures, la bancarisation des transactions et la création de guichets uniques pour les opérateurs. Ces mesures ont permis d’augmenter significativement les recettes provinciales: de 500 000 dollars par mois, les revenus sont passés à 1,75 million dès le premier mois d’application, selon les documents officiels. Par ailleurs, une politique de lutte contre la corruption a conduit à l’arrestation d’une quarantaine de personnalités locales. Dans le même élan, des entreprises chinoises opérant illégalement ont été suspendues, contraintes à se régulariser et à commencer à payer les taxes dues. Mais les résultats sont restés mitigés, étant donné que le gouvernement de Kinshasa a perdu le contrôle d’une grande partie de la province.
– Comment répond le Rwanda?
Face aux accusations congolaises liant son implication à l’exploitation illégale des ressources dans les Kivus, le Rwanda oppose une ligne de défense fondée sur la transparence et la souveraineté économique. Lors de son audition à la Commission des affaires étrangères en avril 2025, l’ambassadeur rwandais en France, François Nkulikiyimfura, a nié tout lien avec l’exploitation à Rubaya, affirmant que le Rwanda disposait de ses propres ressources, notamment en coltan, wolfram, or et tantale, exploitées légalement sur son territoire. Il a souligné que le Rwanda et la RDC partagent la même zone géologique appelée «ceinture de Kibaran», et que la richesse minière ne s’arrête pas aux frontières coloniales. Pour appuyer sa position, il a rappelé la signature en juin 2024 d’un accord avec l’Union européenne sur la traçabilité des minerais. Il a aussi mis en avant les investissements du Rwanda dans la transformation locale: une fonderie d’étain (2018), une raffinerie d’or (2019) et une raffinerie de tantale (2024). Il a insisté sur le fait que des opérateurs africains et européens viennent faire raffiner leur or au Rwanda avant de le vendre sur les marchés de Dubaï ou d’Europe, dans le respect de procédures traçables.
– Quelles sont les solutions qui sont préconisées?
Pour Zobel Behalal, la clé réside moins dans la traçabilité stricte que dans la coopération régionale et des «contrats gagnant-gagnant» entre États et acteurs économiques. Il insiste aussi sur la nécessité d’impliquer les réseaux économiques – congolais, chinois, indiens – qui contrôlent aujourd’hui les circuits. Selon lui, il faut transformer ces chaînes criminelles en chaînes économiques vertueuses, en régularisant les activités et en responsabilisant les États de transit (Rwanda, Ouganda, Burundi, Tanzanie). Par ailleurs, les experts insistent sur l’importance d’une approche régionale du conflit et sur la régularisation des acteurs miniers pour endiguer l’exploitation illicite et affaiblir les sources de financement des groupes armés.
– Que sait-on du deal minier en négociation entre Kinshasa et Washington?
Un accord minier entre la RDC et les États-Unis est en cours de négociation. Il ne s’agit pas encore d’un contrat signé, mais d’un cadre en discussion, destiné à attirer davantage d’investissements américains dans le secteur minier congolais.
Ce que les États-Unis appellent un minerals deal, c’est un projet structurant de coopération économique. L’objectif, c’est d’encourager les entreprises privées américaines à investir dans les mines congolaises, mais aussi dans les infrastructures nécessaires à ces activités : routes, chemins de fer, barrages, centrales hydroélectriques.
Massad Boulos, conseiller principal pour l’Afrique du Département d’État américain, l’a répété: le gouvernement américain n’intervient pas directement dans les exploitations minières, mais il facilite les investissements à travers des institutions comme la Development Finance Corporation ou EXIM, la banque d’import-export des États-Unis.
Ce projet se veut «gagnant-gagnant», selon les deux parties. Les entreprises américaines qui seront impliquées devront respecter les lois congolaises, mais aussi les lois américaines, notamment sur le travail des enfants, le respect de l’environnement et la lutte contre la corruption.
Concernant la présence dominante de la Chine dans le secteur minier congolais, Washington dit ne pas vouloir interférer. Pas question, selon eux, de demander à Kinshasa de retirer des concessions à des entreprises chinoises. Les États-Unis disent vouloir offrir une alternative concurrentielle.
Ce deal est aussi lié à un autre grand projet stratégique: le corridor de Lobito, soutenu par les États-Unis. Ce corridor relie l’Angola, la Zambie et le sud-est de la RDC. Il doit permettre d’évacuer plus facilement les minerais vers l’Atlantique. Un élément clé pour les entreprises intéressées par le cuivre ou le cobalt, notamment dans la région de Kolwezi.
Mais une question reste en suspens: comment les États-Unis comptent intervenir dans les zones instables des Kivus, où l’or est largement exploité, souvent dans l’illégalité, parfois par des groupes armés. Sur ce point, le conseiller américain ne s’est pas prononcé. Pour que le projet se concrétise, les Américains sont regardants sur l’implication des autorités congolaises dans la mise en œuvre d’un cadre propice aux investissements. Massad Boulos a, dans cette perspective, salué l’engagement personnel du président Tshisekedi, qui aurait garanti des réformes pour sécuriser les investissements. Mais sur le terrain, tout dépendra des avancées concrètes en matière de gouvernance, de traçabilité et de stabilité sécuritaire.[5]
5. PARTENARIAT RDC-USA: LE RWANDA VUE COMME LA PLAQUE TOURNANTE DU DEAL!
Les minerais stratégiques congolais tels que le tungstène, le tantale et l’étain, que Kinshasa accuse depuis longtemps le Rwanda d’exploiter illégalement, pourraient bientôt être exportés légitimement vers le Rwanda pour être transformés. Cette possibilité s’inscrirait dans le cadre d’un accord de paix en négociation sous l’égide des États-Unis, ont déclaré trois sources à l’agence presse Reuters.
Pour Kinshasa, le pillage des ressources minières constitue l’un des principaux moteurs du conflit armé qui l’oppose aux rebelles du M23, soutenus par Kigali dans l’est du pays. Depuis janvier, le conflit s’est intensifié et les autorités congolaises accusent le Rwanda de faire transiter illégalement des dizaines de millions de dollars de minerais par ses frontières chaque mois, pour les vendre ensuite comme produits rwandais.
Dans l’objectif d’attirer des milliards de dollars d’investissements occidentaux dans la région, Washington fait pression pour qu’un accord de paix entre les deux parties soit signé et accompagné d’accords sur les minerais, a déclaré à Reuters Massad Boulos, conseiller principal du président américain Donald Trump pour l’Afrique, au début du mois.
Deux sources diplomatiques et une source onusienne, informées par des responsables américains, ont déclaré à Reuters que les négociations pourraient conduire à ce que des minerais issus des zones d’exploitation artisanale dans l’est de la RDC soient raffinés et commercialisés depuis le Rwanda.
Un deal gagnant pour tout le monde?
«Le raisonnement de Washington est simple: si le Rwanda peut légitimement tirer profit des minerais congolais, par le biais de leur transformation, il sera moins tenté d’occuper militairement son voisin et piller ses minerais», a expliqué l’un des diplomates, en ajoutant: «Et pour la RDC, une industrialisation du secteur minier permettrait d’accroître ses recettes, d’améliorer la traçabilité et de priver les groupes armés de leurs financements illégaux».
Pour Kigali, les négociations pourraient permettre une régularisation du secteur minier, souvent qualifié d’illicite, et ouvrir la porte à un afflux important d’investissements.
Du côté américain, l’enjeu est également stratégique: obtenir un accès élargi aux ressources minières congolaises, présentement dominées par la Chine.
À ce propos, il faut rappeler que la RDC et le Rwanda ont signé le mois dernier, à Washington, une déclaration commune visant à établir «des chaînes de valeur minières transparentes, formalisées et licites de bout en bout (de la mine au métal traité) qui relient les deux pays, en partenariat avec le gouvernement américain et les investisseurs américains».
Les détails précis des montants qui seraient investis, et de qui les ferait, ne sont pas encore clairs, mais le conseiller principal du président américain Donald Trump pour l’Afrique a indiqué que des discussions avec des investisseurs américains étaient en cours jusqu’à fin mai notamment pour «le financement des projets miniers au Rwanda», y compris les activités de traitement en aval.
Les projets miniers pas suffisants pour mettre fin à un conflit qui remonte à des causes profondes.
Un responsable congolais, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré qu’aucune coopération sur les minerais ne pourrait avoir lieu sans le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et du M23 des localités qu’il occupe. «Le Rwanda doit respecter notre souveraineté, y compris sur nos ressources naturelles», a-t-il également affirmé. «Un simple accord minier ne peut pas suffire à garantir la paix. Ces projets prendront trois, cinq ou dix ans», a déclaré un diplomate en précisant: «Il y a des problèmes immédiats et des causes profondes qui doivent être abordés».
Enfin, il faut rappelé qu’il y a quatre ans, une précédente tentative d’accord de coopération minière entre la RDC et le Rwanda en vue de garantir de manière officielle l’exploitation des ressources minières avait échoué. Ainsi, en juin 2021, les deux parties avaient signé des accords comprenant un mémorandum sur l’exploitation et la commercialisation conjointes de l’or congolais entre l’entreprise publique Sakima et la société privée rwandaise Dither. Mais Kinshasa a suspendu l’accord en juin 2022, invoquant le soutien militaire présumé du Rwanda au M23 et l’occupation par le groupe rebelle de la ville frontalière stratégique de Bunagana.[6]
6. LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Le 29 avril, une quarantaine d’intellectuels, de militants des droits humains et de personnalités de la société civile congolaise, dont le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, avaient adressé une lettre ouverte au président de la République démocratique du Congo, fustigeant la tournure prise par les discussions diplomatiques en cours autour de la crise dans l’Est du pays.
Dans ce texte publié à la veille du sommet prévu à Washington entre la RDC et le Rwanda, les signataires s’inquiètent d’une « menace existentielle » pesant sur la RDC, dénoncent une occupation de territoires par l’armée rwandaise et l’AFC/M23 et mettent en garde contre ce qu’ils perçoivent comme un « esprit transactionnel » dominé par les intérêts étrangers, notamment américains.
Alors que des millions de Congolais vivent sous la menace permanente de la violence, de la faim et du déplacement forcé, les signataires dénoncent une double responsabilité: celle des ambitions expansionnistes étrangères et celle d’une gouvernance nationale jugée défaillante. Ils appellent à une action urgente pour sortir de la crise et rétablir la paix dans les zones sous occupation militaire.
Les auteurs de la lettre attirent l’attention sur l’intérêt géopolitique croissant que suscitent les minerais stratégiques de la RDC, essentiels à la transition énergétique mondiale, à l’industrie numérique et à la défense. Ils avertissent cependant que ces ressources ne doivent plus alimenter les conflits, mais plutôt servir le développement du pays.
La déclaration de principes signée le 25 avril à Washington entre la RDC et le Rwanda, sous la médiation des États-Unis, suscite leur défiance. Bien qu’elle réaffirme les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale, les auteurs du texte jugent qu’elle manque de transparence et d’inclusivité. « La paix est notre seul horizon », affirment-ils, tout en demandant que cette paix ne se construise pas au détriment des ressources naturelles du pays.
Les défenseurs des droits humains rappellent au chef de l’État que tout accord engageant ces ressources sans loi délibérée par le Parlement constitue une violation de la Constitution.
Ils invoquent plusieurs articles de la Constitution congolaise (5, 56, 57 et 214) pour rappeler que la souveraineté appartient exclusivement au peuple et que tout accord international portant atteinte à la souveraineté sur les ressources naturelles constitue une infraction grave, assimilable à de la haute trahison. Ils exigent donc que tout traité de paix ou de commerce impliquant les ressources naturelles soit soumis à l’approbation du Parlement, conformément aux lois du pays.
Ils appellent à des consultations nationales, à l’inclusion de la justice transitionnelle dans les négociations, et exhortent le président à «ne pas brader» les richesses congolaises dans le cadre d’une intégration régionale promu par les États-Unis, dont le premier bénéficiaire serait le régime de Kigali, soutenu par des puissances étrangères.
Les signataires appellent le Président Félix Tshisekedi à assumer pleinement son rôle de garant de la Constitution et à protéger les intérêts stratégiques de la nation. Ils refusent toute forme de concession ou de compromission qui priverait le peuple congolais de la maîtrise de ses ressources, et exhortent les autorités à défendre la souveraineté économique et territoriale de la RDC.
Pour conclure, ils citent notamment les paroles du pape François lors de sa visite à Kinshasa en 2023 : « Retirez vos mains de l’Afrique. Elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser ».
Outre Denis Mukwege, la lettre est signée par des figures comme Me Jean-Claude Katende (Asadho), les professeurs Alphonse Maindo et Jean-Claude Maswana, Dismas Kitenge, Joseph Bobia Bonkaw, et une trentaine d’autres personnalités issues de la société civile, du monde universitaire et de la diaspora congolaise.[7]
[1] Cf RFI, 16.05.’25; Radio Okapi, 16.05.’25
[2] Cf Radio Okapi, 19.05.’25
[3] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 13.05.’25 https://afrikarabia.com/wordpress/doha-washington-une-nouvelle-donne-pour-le-m23/
[4] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 19.05.25 https://afrique.lalibre.be/79623/rdc-le-futur-du-congo-se-dessine-loin-de-kinshasa/
[5] Cf Patient Ligodi – RFI, 17.05.’25 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250517-est-rdc-les-minerais-des-kivus-entre-%C3%A9conomie-g%C3%A9opolitique-et-ins%C3%A9curit%C3%A9
[6] Cf Sonia Rolley et Daphne Psaledakis (trad de l’anglais Kd) – Reuters / MCP, via MediaCongo.net, 21.05.’25
https://www.mediacongo.net/article-actualite-150812_partenariat_rdc_usa_le_rwanda_vue_comme_la_plaque_tournante_du_deal.html
[7] Cf Actualitè.cd, 30.04.’25; Pierre Kabakila – Mines.cd, 01.05.’25
Texte intégral : https://www.rfmtv.net/rdc-felix-tshisekedi-appele-a-ne-pas-sacrifier-les-minerais-congolais-lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-democratique-du-congo/