Congo Actualité n. 435

LE NOUVEAU PREMIER MINISTRE: 

SAMA LUKONDE KYENGE

SOMMAIRE

1. LA NOMINATION DU NOUVEAU PREMIER MINISTRE
a. Dans l’ombre du Président Tshisekedi
b. Le plus petit dénominateur commun de l’Union Sacrée de la Nation
c. Un allié et non un potentiel rival
d. Les défis: crise économique, insécurité, réformes électorales …
2. REMISE ET REPRISE AU SÉNAT
a. La lettre de Alexis Thamwe Mwamba aux Sénateurs
b. La réponse de Alexis Thambwe Mwamba à l’Inspecteur Général des Finances
c. La remise et reprise

1. LA NOMINATION DU NOUVEAU PREMIER MINISTRE

Le 15 février, Sama Lukonde Kyenge, 43 ans, a été nommé Premier ministre par le chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Né le 4 Août 1977 à Paris, il est fils de Faustine Mwansa et de Stéphane Lukonde Kyenge, une figure emblématique de la politique Katangaise assassinée en 2001.
Ingénieur de formation, il a commencé sa carrière professionnelle en Afrique du Sud, au sein de la société MultiChoice Africa, avant de rentrer en RDC en 2001 où il a œuvré dans le secteur minier jusqu’en 2004. Il a été par la suite, entre autres, gestionnaire de l’usine de cuivre Small Minerals Services puis consultant dans plusieurs sociétés minières privées, dont Métal Mines, Huashin et Rubamin.
En 2003, il a commencé son activisme politique entre Lubumbashi et Likasi. C’est en 2006 qu’il sera élu député national à Likasi. En 2009, il est parmi les membres fondateurs du parti Avenir du Congo (ACO) où il exercera notamment la fonction de secrétaire général adjoint.
Son expérience dans l’exécutif commence en 2014 quand il entre au gouvernement comme Ministre de la Jeunesse, Sports et Loisirs. En septembre 2015, il a démissionné de ses fonctions pour obéir à la consigne de son parti, exclu de la majorité présidentielle, pour avoir protesté contre un éventuel 3ème mandat de l’ex-président Joseph Kabila. Il est désigné Secrétaire général du parti ACO, membre du regroupement politique G7 de Moïse Katumbi. En 2016,  il a participé à la réunion de Genval qui a abouti à la formation du Rassemblement de l’opposition, qu’il quitte quelques mois avant les élections de 2018 pour soutenir la candidature de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle de cette année-là. Depuis juin 2019, il occupe le poste de Directeur général de la Générale des Carrières et des Mines S.A. (Gécamines).[1]

a. Dans l’ombre du Président Tshisekedi

Sama Lukonde Kyenge va prendre les rênes de la Primature en pleine offensive politique du président Félix Tshisekedi pour reprendre la main sur son prédécesseur Joseph Kabila. Après la rupture avec le FCC, la destitution de la présidente de l’Assemblée nationale, les démissions du premier ministre et du président du Sénat, Félix Tshisekedi a désormais les coudées franches pour appliquer son programme politique. Et son tout nouveau premier ministre devrait l’y aider.
Bahati out, Katumbi refuse.
La nomination de Jean-Michel Sama Lukonde à la Primature constitue la dernière étape de l’opération reconquête de Félix Tshisekedi. Deux autres noms étaient pourtant sur le haut de la pile pour diriger l’exécutif congolais. Il y a avait tout d’abord Modeste Bahati, l’informateur chargé d’identifier la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale et Moïse Katumbi, le président d’Ensemble pour la République. Le premier ne donnait pas l’image d’un véritable renouvellement politique. Modeste Bahati était déjà ministre sous Mobutu. Et le second a clairement décliné l’offre, préférant ne pas être comptable de la politique présidentielle, en cas de candidature aux élections de 2023 où il risquerait de se retrouver face à Félix Tshisekedi.
Kabila, Katumbi … puis Tshisekedi.
Député national en 2011, ministre des sports sous Joseph Kabila de 2014 à 2015 avant de démissionner pour protester contre un éventuel troisième mandat du président, il rejoint alors le G7 de Moïse Katumbi pour soutenir Félix Tshisekedi aux élections de 2018. Un parcours politique «à large spectre» qui lui permet une habile « triangulation » entre kabilisme, katumbisme et tshisekedisme. Un chemin idéal pour manoeuvrer la délicate l’Union sacrée présidentielle.
Gécamines et Katanga.
Autre atout du nouveau Premier ministre: sa récente nomination à la Gécamines au poste de directeur général. Une fonction qu’il doit à Félix Tshisekedi, qui espérait alors contrebalancer le très kabiliste Albert Yuma, toujours à la barre du géant minier. Sa parfaite connaissance d’une des locomotives de l’économie congolaise devrait être un avantage certain lorsqu’il faudra trouver des marges de manoeuvre financières pour appliquer le programme présidentiel. Enfin, Jean-Michel Sama Lukonde vient du Katanga, une province stratégique dans la politique congolaise qui constitue la base arrière et électorale de Joseph Kabila et de Moïse Katumbi… deux possibles rivaux de Félix Tshisekedi pour les élections de 2023.
La délicate composition gouvernementale.
La première mission de Jean-Michel Sama Lukonde sera de composer son équipe gouvernementale, même si la présidence aura sans doute la haute main sur la question. Car former un gouvernement qui soit représentatif de la diversité de l’Union sacrée tient du tour de force. L’attelage hétéroclite de la nouvelle majorité présidentielle qui va des dissidents FCC à l’UDPS, en passant par l’UNC, le MLC, Ensemble et l’AFDC de Modeste Bahati, risque de tourner à la foire d’empoigne pour l’obtention des maroquins. Il sera alors difficile de faire plaisir à tout le monde, et le problème est qu’il y aura forcément des déçus.
Un poids plume face à un hyper-président.
Avec une Union sacrée composée majoritairement d’anciens FCC, Félix Tshisekedi et son nouveau Premier ministre devront manoeuvrer avec délicatesse et risquent d’être ballottés au gré des humeurs des ex-kabilistes. Sans expérience politique majeure, Jean-Michel Sama Lukonde pèsera bien peu face à l’armée mexicaine que représente l’Union sacrée et surtout face à un hyper-président qui a désormais tous les pouvoirs et qui veillera à ce que son Premier ministre ne prenne pas trop la lumière. Ne nous y trompons pas, c’est un gouvernement de mission que dirigera Jean-Michel Sama Lukonde. La mission de produire un bilan positif aux yeux des Congolais pour porter la candidature du président Tshisekedi pour un second mandat.[2]

b. Le plus petit dénominateur commun de l’Union Sacrée de la Nation

Tshisekedi ne sera pas parvenu à convaincre Moïse Katumbi d’endosser le rôle de Premier ministre. Les tentatives ont été aussi nombreuses que vaines. L’ancien gouverneur du Katanga est demeuré sur ses convictions. Faute de ce gros poisson, le parti présidentiel a compris qu’il serait finalement mal vu de nommer un candidat issu de ses rangs, il est donc allé piocher juste à côté.
Le nouveau Premier ministre Sama Lukonde Kyenge coche quelques-unes des cases nécessaires pour endosser cet habit avec un certain équilibre géographique et politique.
Il est Katangais. Il est issu du parti Avenir du Congo (ACO) de Dany Banza. Ce parti faisait partie du G7 de 2015 à janvier 2018, date à laquelle Banza a décidé de couper le cordon ombilical avec ce regroupement qui avait fait de Moïse Katumbi son candidat unique. Il est donc Katangais mais il n’est pas proche de Moïse Katumbi.
Il a été opposant à Kabila. Entré jeune au gouvernement Matata, comme ministre des Sports,  il a démissionné de son poste en 2015, selon les orientations de son parti.
Il est proche du Président Tshisekedi. Le nom d’un candidat UDPS avait circulé avec insistance, mais cela faisait un peu beaucoup pour le parti présidentiel. Pour découvrir le candidat idéal, il est donc allé à la pêche au sein du cercle présidentiel.
Pour ses détracteurs, «Sama Lukonde Kyenge est un figurant. Figurant aux Sports, figurant à la Gécamines, il sera figurant à la Primature. C’est d’ailleurs ce que le président  Tshisekedi attend du futur Premier ministre». Seule certitude, le choix de Sama Lukonde Kyenge est le choix du plus petit dénominateur commun de cette immense majorité hétéroclite qu’est l’Union sacrée de la Nation voulue par le Président Tshisekedi.
Après la désignation de Christophe Mboso à la présidence de l’Assemblée nationale congolaise, celle de Sama Lukonde Kyenge à la Primature démontre surtout l’envie du premier cercle du pouvoir de ne pas s’entourer de personnalités fortes. Ce désir de conserver les rênes du pouvoir à la présidence et entre quelques caciques du parti est l’élément qui est mis en avant par certains proches de Moïse Katumbi pour expliquer le refus de ce dernier. «Il n’aurait pas eu mes mains libres pour mener la politique nécessaire pour conduire le pays sur la voie du succès», a affirmé un proche de l’ancien gouverneur du grand Katanga.[3]

c. Un allié et non un potentiel rival

À propos de la désignation du nouveau Premier Ministre, à l’origine, la présidence mettait en avant non seulement le critère de confiance, mais aussi celui du poids politique, pour assurer son investiture. Selon plusieurs sources à la présidence, Moïse Katumbi avait été pressenti avec ses 69 députés, mais l’option avait été écartée, selon la présidence, ou l’ancien gouverneur du Katanga avait refusé, selon ses proches. Parce que la confiance entre les deux hommes, sans doutes futurs rivaux en 2023, n’était pas suffisamment forte.
Les transfuges du FCC étant les plus nombreux, Félix Tshisekedi aurait ensuite envisagé Bahati Lukwebo, son informateur qui lui a apporté 41 députés et qui a identifié la majorité de l’Union sacrée. C’est l’un des premiers kabilistes à l’avoir rejoint. Il a finalement été écarté, pour être probablement renvoyé au Sénat.
Félix Tshisekedi voulait aussi un allié et non un potentiel rival à la primature, dit-on du côté de la présidence. Et le faible poids politique de Sama Lukonde Kyenge devient alors un atout. Il est membre d’un parti morcelé et avec peu de députés. Mais il garde, assure-t-on du côté de la  présidence, de bonnes relations avec ses anciens collègues du FCC de Joseph Kabila, aujourd’hui transfuges, et d’Ensemble de Moïse Katumbi. Ce sont les deux principales forces de l’Union sacrée à l’Assemblée nationale. Une autre source ajoute que, avec son poids politique relatif, Sama Lukonde ne fera pas de l’ombre au président de la République.
Enfin, le nouveau Prémier Ministre est un Katangais. Cela peut paraître  surprenant, vu que Félix Tshisekedi avait déjà choisi une personne originaire de cette région comme directeur de cabinet, Guylain Nyembo, et que ces postes clefs ont été longtemps répartis entre différentes zones géographiques. À ce propos, un collaborateur du chef de l’État a affirmé que, étant le directeur de cabinet de la Présidence un simple collaborateur du Chef de l’État, l’équilibre régional est conservé: le Centre a le chef de l’État, l’Ouest le président de l’Assemblée nationale, l’Est le futur président du Sénat et le Sud le Premier Ministre.[4]

d. Les défis: crise économique, insécurité, réformes électorales …

Le nouveau Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde est très attendu sur plusieurs dossiers.
Premier défi: la première mission à accomplir avant la session parlementaire du 15 mars est celle de former un gouvernement restreint et le faire accepter à une coalition élargie… Du côté de la présidence, on insiste sur l’importance de choisir des profils nouveaux et de renouveler les visages. Dans les rangs de l’opposition, on dénonce un nouveau partage de gâteau qui va se faire au détriment des intérêts de la population.
Deuxième défi: la RDC a besoin d’un nouveau gouvernement capable de faire face à une crise économique persistante. L’État dispose l’équivalent en devises de deux semaines d’importations de biens et services, c’est très peu. Le taux de change de 2 000 francs congolais pour un dollar pèse énormément sur le pouvoir d’achat des Congolais. Or, pour venir à nouveau en aide à la RDC, des bailleurs comme le FMI et la Banque mondiale attendent des signes forts d’amélioration de la gestion.
Troisième défi: la sécurité des populations. Les morts s’accumulent dans l’est, l’insécurité s’installe dans presque toutes les grandes villes et l’administration Tshisekedi redoute des troubles dans la région du Katanga, fief des Kabila.
Quatrième défi: les réformes électorales. Pour préparer les prochaines échéances électorales, il faut accélérer le processus des réformes longtemps réclamées, notamment les modalités de désignation des animateurs de la Céni ainsi que la garantie d’indépendance de ces derniers pour assurer la dépolitisation de la centrale électorale. Il y a par ailleurs la question du calendrier électoral. Il faut tout faire pour que les élections législatives et présidentielles soient organisées dans le délai constitutionnel, c’est-à-dire en 2023. Pour le député Daniel Mbau, il ne faut pas attendre l’année électorale pour aller chercher l’argent: «Il faut qu’il y ait une planification intelligente et avec un financement séquenciel du processus électoral». De son côté, l’avocat et activiste Hervé Diakese s’interroge sur la marge de manœuvre qu’aura le nouveau gouvernement: «À propos de l’agenda électoral, on est nettement en retard, puisqu’il faut d’abord préparer la logistique électorale nécessaire et, ensuite, mettre à jour les listes électorales».[5]

À propos du défi sécuritaire (le cas de la persistance des violences dans l’est du Pays):

Le 11 février, dans son rapport semestriel incluant les données recueillies entre janvier et décembre 2020, le Bureau Conjoint des Nations-Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) a déclaré que, dans les territoires de Beni (Nord-Kivu), Irumu et Mambasa (Ituri), les Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise, ont mené 166 attaques au cours desquelles au moins 849 civils ont péri.
Le 12 février, dans un point de presse, le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) a révélé que, «au cours de 2020, deuxième année de la présidence de Félix Tshisekedi, au moins 4100 congolais ont été tués rien que dans les foyers actifs de conflits à l’Est du pays (2.295 morts en Ituri, 1.206 morts à Beni, 432 morts dans les Hauts Plateaux,182 morts à Goma)».
Parmi les causes de l’échec des opérations militaires contre les grouper armés dans l’Est du pays, le député national Gratien Iracan cite l’affairisme de certains officiers supérieurs militaires et policiers qui collaborent avec les groupes armés pour avoir des avantages financiers: «Il y a des ventes des munitions et armes de guerre, des échanges d’informations sur le terrain, des planifications communes de certains attaques, des affrontements spectacles dans le but d’obtenir des frais du gouvernement et des opérations financières retour autour des vivres et médicaments pour les fournisseurs».
Selon le député national Grégoire Kiro, «le problème est essentiellement militaire. Les FARDC sont minées par les mêmes maux qui rongent la société congolaise: corruption et affairisme de certains responsables, impunité, etc. sans compter qu’elles sont un amalgame de plusieurs groupuscules réunis à l’occasion des mixages et brassages». Pour l’élu de Beni,  les détournements des fonds alloués à la paie des militaires engagés dans les  opérations contre les différents groupes armés demeurent l’une des principales causes de la persistance des tueries, notamment dans la région de Beni. Il argumente que ces détournements dont sont auteurs certains responsables de l’armée occasionnent l’abandon de grand nombre de soldats et démotivent ceux qui sont au front.[6]

À propos du défi économique (deux exemples):

Selon un mémo des travailleurs du Centre d’expertise et d’évaluation des Substance précieuses et semi-précieuse (CEEC), l’état congolais perd plus au moins 30 tonnes d’or par an, d’une valeur de 1.500.000.000 USD non tracés. Ce manque à gagner est notamment dû au sous équipement et à la «magouille organisée». Selon ce mémo, malgré plus de 3 millions de dollars des frais de fonctionnement mis à la disposition chaque année au CEEC, le comité de gestion néglige délibérément de fournir les laboratoires appropriés pour procéder aux analyses, de manière à avoir, avec précision et exactitude, les vraies teneurs de l’or produit en RDC. Un directeur du CEEC a affirmé, sous anonymat, que le comité de gestion est plutôt focalisé à la collecte des échantillons d’or destines à des analyses. Ces échantillons, qui devraient revenir à l’Etat congolais, sont régulièrement vendus par la direction du CEEC et l’argent détourné. A titre d’exemple, le personnel du CEEC renseigne que le comité de gestion a vendu 5 kgs d’Or d’échantillons de Kibali en 2019 et a exporté à la même année 17 kgs d’or sans payer aucune taxe au Trésor public. Ce qui aurait occasionné une perte de plus de 500 millions de dollars au Trésor public.
Selon l’Inspecteur général des Finances (IGF), Jules Alingete, la RDC effectue  plus de 1300 exonérations fiscales, avec un manque à gagner annuel évalué à près de 5 milliards de dollars américains. L’autre cible de l’IGF, c’est le système de compensations mis en place par l’État congolais et les entreprises auxquelles il doit de l’argent. C’est le cas pour la TVA, qui est parfois remboursée aux entreprises par l’État, quand ce dernier ne parvient pas à payer ses créditeurs. Aujourd’hui, l’État autorise presque 1 milliard USD (plus de 900 millions de dollars) de compensations par an, et cela réduit ses recettes. Entre 2014 et 2016, la RDC a connu une pression fiscale de 14%. Aujourd’hui, avec la même fiscalité, la pression fiscale est descendue à 9%, a expliqué l’inspecteur général des finances: «La différence, c’est le produit des compensations fantaisistes et des exonérations injustifiées qui ont massivement élues domicile dans nos finances publiques». Les bénéficiaires de ces exonérations et compensations sont souvent parmi les plus riches personnalités et entreprises du pays: 99% de produits de la corruption ne profitent qu’à 1% de la population.[7]

2. REMISE ET REPRISE AU SÉNAT

a. La lettre de Alexis Thamwe Mwamba aux Sénateurs

Le 5 février, le sénateur Alexis Thamwe Mwamba a transmis aux sénateurs un argumentaire de 5 pages qui démontre, selon lui, les erreurs ou raccourcis tant sur le fond que sur la forme qui ont mené à sa démission. Cinq pages dans lesquelles il démontre le non respect de la Constitution de la République démocratique du Congo et l’interprétation plus que douteuse du règlement d’ordre intérieur de cette institution par les signataires de la pétition de sa déchéance.
I. À propos de la forme de la pétition, il analyse la procédure suivie qui, selon lui, viole manifestement la Constitution et le Règlement intérieur du Sénat:
«Vu sous son aspect de l’assemblée plénière, le Sénat ne fonctionne que lors des sessions ordinaires et extraordinaires.
Les sessions ordinaires.
Les sessions ordinaires se tiennent du 15 mars au 15 juin et du 15 septembre au 15 décembre (articles 115 de la Constitution et 82 du Règlement intérieur). Elles examinent les matières inscrites au début et au cours de chaque session. Elles embrassent aussi bien la production législative que le contrôle parlementaire, en ce compris le contrôle des actions du Bureau. Les matières restées en suspens sont reportées à la session qui suit dont elles constituent les arriérés.
Les sessions extraordinaires.
Il y a d’abord la session extraordinaire inaugurale prévue aux articles 114 de la Constitution et 81 du Règlement intérieur. La séance d’ouverture est présidée par le Secrétaire général de l’Administration. Elle a pour objet l’installation du Bureau provisoire présidé par le doyen d’âge, la validation des pouvoirs des élus, l’élection et l’installation du Bureau définitif, l’élaboration et l’adoption du Règlement intérieur. La session prend fin à l’épuisement de l’ordre du jour.
Il y a ensuite la session extraordinaire convoquée sur un ordre du jour déterminé prévue par les articles 116 de la Constitution et 83 du Règlement intérieur. Elle examine les matières pour lesquelles la session a été convoquée. Sa durée ne peut dépasser trente jours et les matières restées en suspens sont examinées en session ordinaire qui suit (art. 83 RI).
Calendriers des sessions.
Contrairement au calendrier de la session ordinaire qui est ouvert, car destiné à recevoir à tout moment de la session les initiatives législatives et celles du contrôle parlementaire selon les articles 130 et 138 de la Constitution et 127, 128 et 155 et suivants du Règlement intérieur, celui de la session extraordinaire, inaugurale ou non, est fermé et ne comprend que les matières inscrites dans l’acte de convocation. Tout ajout est une entorse à la Constitution et au Règlement intérieur, car attentatoire à l’immutabilité consacrée par la Constitution et le Règlement intérieur.
La motion de déchéance.
La motion de déchéance relève du contrôle parlementaire, même lorsqu’elle vise les membres du Bureau. Elle ne s’exerce que pendant la session soit ordinaire, soit extraordinaire et, pour cette dernière, dans la mesure où la motion est contenue dans l’ordre du jour préétabli de la session.
C’est en vain que l’on soutient que la motion a priorité sur le débat. Cela revient à confondre la motion en tant qu’incident de procédure et la motion en tant que mécanisme de mise en cause de la responsabilité.
Seule la motion, incident de procédure, a priorité sur le fond. La motion, mécanisme de mise en cause de la responsabilité, relève du contrôle parlementaire comme expliqué ci-dessus.
Son exercice en dehors de ce cadre, par une plénière présidée par le Secrétaire général de l’Administration ou par le doyen d’âge viole les dispositions pertinentes de la Constitution ainsi que celles du Règlement intérieur.
L’article 28 du Règlement intérieur fait état d’une plénière présidée par le doyen d’âge. Cette plénière se tient pendant la session et non pendant les vacances parlementaires. Point n’est besoin de rappeler que la session extraordinaire a été clôturée le mardi 2 février 2021.
Les honorables sénateurs sont ainsi invités à un sursaut de patriotisme, pour faire respecter tant la Constitution que le Règlement intérieur».
II. Quant au fond de la pétition, Alexis Thamwe Mwamba revient sur les griefs qui lui sont reprochés sous l’intitulé « Relations exécrables avec les autres institutions de la République »:
«Ils se fondent sur les faits ci-après:
Avoir accusé publiquement le Président de la République d’avoir violé la Constitution en décrétant l’état d’urgence sanitaire sur la base de l’article 85 de la Constitution. Cette disposition stipule en effet que le Président de la République déclare l’état d’urgence après consultation avec le Premier Ministre et les Présidents des deux Chambres. De son côté, l’article 119 de la loi fondamentale dispose que la proclamation de l’état d’urgence est autorisé par le Congrès. Les deux articles ne semblent pas avoir une compréhension sans équivoque. En accordant ma préférence à l’article 119 en lieu et place de l’article 85 suivi par le Président de la République, je ne crois pas avoir affiché une attitude irrespectueuse envers le Président de la République, même si l’on était dans un régime de pensée unique. Il s’est agi d’une divergence découlant de l’interprétation des textes. Il a fallu attendre l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a concilié les deux tendances, en décidant que la Constitution a consacré une alternative.
Le refus de proclamer et de poursuivre l’état d’urgence. Cette accusation ne repose sur aucun fait vérifiable. Je n’ai posé aucun acte pour m’opposer à la proclamation de l’état d’urgence qui, du reste, était proclamé avant ma prise de position sur le respect de l’article 119 de la Constitution. Il en est de même de la poursuite de l’état d’urgence, car ceux qui le savent diront que l’avant proposition de loi portant prorogation de l’état d’urgence a été élaboré par mes services, avant de la communiquer pour information à l’Assemblée nationale qui en a fait une proposition de loi.
L’absence lors de la prestation de serment des membres de la Cour constitutionnelle. En dehors du membre de la Cour appelé à remplacer le juge Lwamba qui avait démissionné, les deux autres membres ont été nommés dans des conditions critiquables.
J’ai eu l’occasion d’en parler de vive voix au Président de la République lors de l’audience qu’il avait accordée sur cette question à ma collègue de l’Assemblée nationale et à moi-même.
Assister à la prestation de serment s’analysant à cautionner l’entorse à la Constitution et à la loi organique, j’ai décliné l’invitation à me rendre à cette cérémonie.
Comme au point 1, je n’ai pas accusé le Président d’avoir violé la Constitution. Il n’y a aucune instance que j’ai saisie pour ce faire … Par ailleurs, en déclinant l’invitation, je n’ai invité aucun sénateur à se joindre à moi.
Absence de rapport de gestion à chaque session parlementaire: certes, deux sessions se sont écoulées sans que le Bureau rende compte de sa gestion. À l’heure actuelle, une commission est à pied d’œuvre pour auditer les différentes périodes. Elle couvre ainsi la lacune constatée.
La commission de contrôle de la gestion a été mise en place par la Plénière, en se conformant à la lettre du Règlement intérieur. Je ne vois pas en quoi consiste la violation du Règlement ……..
La non restitution à l’assemblée plénière des activités de la gestion du Bureau pendant l’inter session. Concernant ce point, je renvoie au point 4 ci-dessus» ……
III. À l’égard de ce qui précède, Alexis Thamwe Mwamba arrive à la conclusion suivante:
«Quant à la forme, la procédure entamée est irrégulière, car initiée en violation de la Constitution et du Règlement intérieur. Quant au fond, aucun grief ne peut être retenu.
Ceci dit, considérant que, d’une part, la confiance n’existe plus entre un groupe de sénateurs et moi-même et que, d’autre part, l’installation d’un Bureau d’âge désormais opérationnel, je remets ma démission en tant que Président du Sénat».[8]

b. La réponse de Alexis Thambwe Mwamba à l’Inspecteur Général des Finances

Le 9 février, dans une correspondance, l’ex-président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba, a répondu à l’inspecteur général des finances (IGF), chef de service, Jules Alingete Key. En effet, dans une feuille d’observations provisoires transmise à Alexis Thambwe Mwamba le 3 février dernier, l’inspecteur général des finances (IGF) lui avait donné un délai de 5 jours pour justifier la somme de CDF 107.393.869.128,82, environ 54 millions USD. D’après Jules Alingete Key, inspecteur général des finances chef de service, cette somme a été mise à la disposition de la chambre haute du Parlement pour la période de janvier 2019 à fin 2020 sans être justifiée.
De prime à bord, Alexis Thambwe a précisé avant tout que son Bureau a pris ses fonctions en date du 1er août 2019 à la suite des élections du 27 juillet de la même année. Ainsi, l’Ex Président du Sénat souligne qu’il ne saura pas fournir des éléments précédents la date de sa prise des fonctions.
«Ainsi, le montant total indiqué dans votre courrier correspond à 3 périodes de gestion, notamment le Bureau de la législature précédente, le Bureau provisoire et enfin le bureau définitif sortant que j’ai eu l’honneur de présider», a écrit Alexis Thambwe Mwamba. Par ailleurs, l’ancien Speaker du Sénat note que le total des sommes reçues du Trésor public au profit du Sénat s’élèvent, sauf erreur ou omission des services comptables à 105.310.423.482 CDF (environ 52,6 millions USD) pour la période allant du 1er août 2019 au 31 décembre 2020, contrairement aux allégations de l’IGF qui évoque le montant d’une hauteur de 107.393.869.128,82 CDF (environ 53,6 millions USD) entre janvier 2019 à fin 2020. S’agissant de l’affectation des fonds reçus, Thambwe Mwamba indique que les services techniques du Sénat mettront à la disposition de l’Inspection Générale des Finances sans nulle doute, les pièces justificatives y relatives.[9]

c. La remise et reprise

Le 9 février, lors d’une cérémonie de remise et reprise, Alexis Thambwe Mwamba, président sortant du Sénat, a officiellement passé les commandes à Léon Mamboleo, président du nouveau Bureau d’âge. Cette démarche fait suite à la démission, le 5 février, de six des sept membres du bureau du Sénat visés par des pétitions de déchéance.[10]

[1] Cf Actualité.cd, 15.02.’21; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 15.02.’21; Politico.cd, 15.02.’21
[2] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 15.02.’21
[3] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be Afrique, 15.02.’21
[4] Cf Sonia Rolley – RFI, 15.02.’21
[5] Cf Patient Ligodi – RFI, 17.02.’21
[6] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 12.02.’21; Carmel Ndeo – Politico.cd, 12.02.’21; Radio Okapi, 12.01.’21; Ivan Kasongo – Actualité.cd, 09.01.’21
[7] Cf Radio Okapi, 08.01.’21; Pascal Mulegwa – RFI, 14.08.’20; Actualité.cd, 14.08.’20
[8] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 07.02.’21   https://afrique.lalibre.be/58040/rdc-alexis-thambe-mwamba-donne-sa-version-des-faits/   et https://afrique.lalibre.be/app/uploads/2021/02/Argumentaire-contre-le-motion-de-d%C3%A9ch%C3%A9ance-ATMwamba.pdf
[9] Cf Carmel Ndeo – Politico.cd, 10.02.’21; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 09.02.’21
[10] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 09.02.’21