Congo Actualité n. 378

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: ÉLECTIONS → ENTRE CORRUPTION ET MAJORITÉ PARLEMENTAIRE GONFLÉE
1. LES ÉLECTIONS SÉNATORIALES
a. Les premiers indices de corruption
b. Le déroulement des élections et la proclamation des résultats provisoires
c. L’FCC a obtenu une très large majorité parlementaire: les possibles conséquences
d. Les allégations de plusieurs cas de corruption confirmées
e. La suspension provisoire de l’installation des sénateurs nouvellement élus et le report des prochaines élections des gouverneurs
f. La levée de la suspension de l’installation des sénateurs

ÉDITORIAL: ÉLECTIONS → ENTRE CORRUPTION ET MAJORITÉ PARLEMENTAIRE GONFLÉE

1. LES ÉLECTIONS SÉNATORIALES

a. Les premiers indices de corruption

Le 26 février, dans un communiqué, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) a accusé certains agents de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) d’exercer la pression et d’autres cadres des partis politiques de recourir aux pots de vin pour tenter d’influencer la décision des juges dans le cadre des contentieux des élections législatives nationales et provinciales. Dans son communiqué, l’ACAJ a souligné que «certains responsables des partis et regroupements politiques exercent des pressions sur les juges et vont jusqu’à leur proposer des avantages matériels pour qu’ils rendent des décisions en leur faveur. Aussi, certains responsables de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sont accusés de tenter à influencer lesdits juges pour qu’ils n’annulent ou ne modifient pas les résultats contestés». L’ACAJ a appelé les procureurs généraux de différentes Cours à prendre des dispositions nécessaires afin de poursuivre les auteurs des actes qu’elle a dénoncé. Le traitement des contentieux électoraux se poursuit à la Cour constitutionnelle pour les élections législatives nationales et dans les Cours d’appel de chaque province pour ce qui concerne les élections législatives provinciales. La justice a jusqu’au 1er avril pour rendre ses verdicts, afin de permettre la publication des listes définitives des députés nationaux et provinciaux élus le 30 décembre 2018.[1]

Le 28 février, dans un communiqué, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a annoncé la publication de la liste définitive des candidats sénateurs. 874 candidats sont censés concourir à l’élection pour les 100 sièges. Les sénateurs seront élus au suffrage indirect par les députés provinciaux. 24 provinces sont concernées par cette élection qui aura lieu le 15 mars. Les provinces du Nord-Kivu et de Mai-Ndombe doivent attendre les législatives reprogrammées pour le 31 mars dans les circonscriptions de Beni ville, Beni territoire, Butembo et Yumbi. La CENI rappelle que la campagne électorale ira du 11 au 13 mars. La chambre haute du parlement congolais est composée de 108 élus, plus l’ancien chef de l’Etat élu. Chaque province élit 4 sénateurs sauf Kinshasa qui élit le double.[2]

Quelques jours auparavant, le 26 février, le conseiller spécial de l’ancien chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, Luzolo Bambi, avait demandé au procureur d’ouvrir une information judiciaire sur des faits allégués de corruption dans le processus d’élections des Sénateurs et gouverneurs. Certains députés provinciaux vendent leurs voix qui à 20.000, 50.000 voire 100.000 dollars selon le rang qu’occupe le candidat. Ce dernier aussi approche l’électeur et lui fait des propositions. Plusieurs articles de presse ont fait état de cette tendance générale de corruption. Luzolo Bambi avait retiré sa candidature dans la course pour les sénatoriales dans la province du Kongo central. [3]

La coordination nationale de la Société Civile aussi s’est alarmée des allégations de corruption rapportées dans le cadre des élections de nouveaux sénateurs et gouverneurs. A ce sujet, la société civile a mis en garde les candidats sénateurs et gouverneurs qui, pour se faire élire, tentent de corrompre les députés provinciaux. Selon les recommandations de la Société civile, ces derniers devraient s’abstenir de toute tentative de corruption pour choisir librement les candidats le jour du vote. D’après des sources, la voix d’un député provincial pour l’élection du gouverneur ou sénateur se négocie entre 20.000 et 50.000 USD.[4]

Le 9 mars, le Procureur général près la Cour de Cassation, Flory Kabange Numbi, a demandé au président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) de reporter les élections de sénateurs et gouverneurs à cause de certaines allégations de corruption. Les élections de sénateurs sont prévues pour le 15 mars, celles des gouverneurs et vice-gouverneurs le 27 mars pour 24 provinces. Dans une lettre, Flory Kabange Numbi a affirmé que ce report lui permettrait de réunir des éléments probants de ces soupçons de corruption. Il a instruit le commissaire général de la police nationale congolaise en charge de la police judiciaire de mener des investigations urgentes à cet effet. Flory Kabange a estimé qu’organiser les élections dans des telles conditions, ouvrirait grandement la voie à des contestations et violences meurtrières.
Toutefois, malgré la demande du Procureur général près la Cour de Cassation de reporter les élections des Sénateurs et gouverneurs à cause des soupçons de corruption, la CENI a décidé d’organiser ces élections aux dates prévues. Son rapporteur, Jean-Pierre Kalamba, a indiqué que cette décision vise à respecter les prescrits de la constitution et de la loi électorale: «La CENI se trouve dans l’obligation de maintenir son calendrier qui est une décision d’une institution indépendante. La CENI avait fixé un calendrier qui tient compte de la loi électorale et de la constitution qui veut que quatre jours après l’installation des bureaux définitifs des assemblées provinciales, qu’on puisse organiser les élections sénatoriales, tient à ce qu’à partir du 15, qu’il y ait des élections pour des raisons constitutionnelles … Avant toute décision de culpabilité rendue par un juge, tous les députés provinciaux sont présumés innocents. Par conséquent, il n’y a pas lieu de leur priver l’exercice de leurs prérogatives. La CENI confirme donc la tenue des élections, conformément à son calendrier électoral, 15 mars pour l’élection des sénateurs et 26 mars pour l’élection des Gouverneurs et vice-gouverneurs».[5]

b. Le déroulement des élections et la proclamation des résultats provisoires

Le 11 mars, dans 24 provinces, les assemblées provinciales ont élu leurs bureaux définitifs. Le Front Commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président de la République, Joseph Kabila, a remporté la présidence des bureaux définitifs de 20 assemblées provinciales sur 24, notamment dans la capitale Kinshasa, le Haut-Katanga, Kwilu, Kasaï, Sankuru, Haut-Lomami, Tanganyika, Tshopo, Maniema, Ituri, Haut-Uele, Bas-Uele, Équateur, Sud-Ubangi, Lomami, Sud-Kivu et Lualaba.
Le camp Kabila a été débouté notamment dans les provinces du Kasaï Oriental (UDPS/Tshisekedi), du Kongo Central (ABAKO/Lamuka), du Kasaï Central (AR/Lamuka) et de la Mongala (MLC).[6]

Le 15 mars, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a procédé à l’organisation des élections des sénateurs dans 24 provinces sur les 26 en RDC. Selon la législation actuelle, ce sont les députés provinciaux qui élisent les sénateurs nationaux par suffrage universel indirect. En attendant les élections de Yumbi, Beni et Butembo, le Front commun pour le Congo (FCC) a remporté 91 sièges, plus un sénateur à vie qu’est l’ex président Joseph Kabila, LAMUKA 6 et Cap pour le Changement (CACH) 3. Parmi les sénateurs élus: les anciens Premiers ministres Matata Ponyo et Samy Badibanga, l’ancien ministre de la Justice Alexis Thambwe Mwamba, l’ancien ministre des Affaires étrangères Léonard She Okitudu, l’ancien ministre d’état au plan Modeste Bahati Lukwebo, l’ancien ministre des Affaires Intérieures Evariste Boshab, le gouverneur sortant de la ville-province de Kinshasa André Kimbuta Yango, le gouverneur sortant de la province du Kasaï oriental Alphonse Ngoyi Kasanji, le vice président de Ensemble pour le Changement Pierre Lumbi ou encore la présidente de l’Union panafricaine de la jeunesse, Francine Muyumba.
Il reste huit sénateurs à élire dans les provinces du Nord-Kivu et du Maï-Ndombe, où des élections provinciales doivent encore se tenir à la fin du mois.[7]

c. Le FCC a obtenu une très large majorité parlementaire: les possibles conséquences

«En obtenant une très large majorité de plus de deux tiers au Sénat, le Front Commun pour le Congo (FCC) confirme sa prépondérance en tant que première force politique en République Démocratique du Congo. Le FCC invite ses membres députés provinciaux à demeurer mobilisés en vue des élections restantes des gouverneurs et vice-gouverneurs prévues pour bientôt», a indiqué Néhémie Mwilanya, coordonnateur du Comité Stratégique du FCC. «C’est une nouvelle démonstration que, dans les deux chambres du Parlement, la large majorité parlementaire appartient bel et bien au FCC», a indiqué Félix Momat Kitenge, haut cadre de cette coalition.
Cap pour le changement (CACH), la plateforme dirigée par Félix Tshisekedi, a reconnu sa défaite. «L’élection sénatoriale est une élection de second degré. Ne gagne cette élection que celui qui a une majorité de députés provinciaux, et c’est le FCC qui a été proclamé vainqueur des élections provinciales du 30 décembre 2018, donc Cach partait avec un handicap», a réagi à Jean Baudoin Mayo Mambeke, secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), le parti du directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe. Un député provincial du Kasaï central et cadre de l’UDPS, Katawa, a estimé que les députés de son parti n’ont pas observé le mot d’ordre tel que donné. «Vote atypique des élus de l’UDPS de Kinshasa et du Kasaï. Le mal est profond et nécessite une attention particulière du leadership du parti», a tweeté Jacquemin Shabani; responsable de la centrale électorale de l’UDPS.[8]

L’écrasante majorité du FCC dans les deux Chambres du Parlement lui confère assez de latitude dans les pressions à exercer sur le Chef de l’Etat et l’organisation future de l’Etat. Il va sans dire qu’au regard de la Loi fondamentale de la RDC, le FCC est pleinement en droit d’initier la révision constitutionnelle sur les matières autorisées.
En effet, l’article 218 de la Constitution dispose:
« L’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment:
– au Président de la République;
– au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres;
à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ;
– à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres.
Chacune de ces initiatives est soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision. La révision n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum. Toutefois, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquième des membres les composant« .
Considérant que le FCC disposerait provisoirement de 330 sièges sur les 500 que comprend l’Assemblée nationale, et de 92 sur les 108 que comporte le Sénat, il y a lieu de noter que cette plateforme politique compterait 422 sur 608 sièges du Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis). Les 3/5 représenteraient 365 élus.
Avec cette majorité, en ce qui concerne l’organisation de l’élection présidentielle, le FCC sera-t-il tenté de lancer une réflexion sur la mutation du suffrage universel direct vers le suffrage universel indirect? Ce, en déployant l’argument axé sur la rationalité électorale, sous prétexte du (ou eu égard au) devoir de sobriété dans la gestion des ressources financières de l’Etat pour l’organisation du cycle électoral en tenant compte de nombreux défis socioéconomiques à relever.
Sans se lancer d’ores et déjà dans la réflexion politologique sur le sens du «principe du suffrage universel», on ne peut pas exclure la possibilité d’initiatives, dans les prochaines années, sur l’avenir de la Constitution de la RDC. Ce d’autant plus que l’universalité du suffrage ne revêt pas une seule modalité: le suffrage universel peut être direct ou indirect. En effet, même si l’article 220 de la Constitution stipule que «le principe du suffrage universel ne peut pas faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle», l’article 5 de la Constitution affirme que «le suffrage universel peut être direct ou indirect». Dès lors, est-il constitutionnel d’envisager la révision du premier alinéa de l’article 70 qui dispose: «Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois». Ce en se fondant sur l’imprécision de la modalité du suffrage universel découlant de l’article 220.
Force est de constater que le FCC a la latitude d’initier la révision constitutionnelle avec ou sans l’appui du CACH, son allié politique. Quelle marge de manœuvre ce dernier pourrait-il disposer pour contrer une initiative de révision constitutionnelle qui lui serait désavantageuse?[9]

Avec les résultats des élections sénatoriales qui consacrent, comme les législatives, la suprématie au Congrès (assemblée nationale et sénat) du Front Commun pour le Congo (FCC), coalition politique dirigée par Joseph Kabila, l’ex président de la République a les moyens politiques de déchoir le chef de l’Etat Félix Tshisekedi. Fort de cet armada politique au Congrès, le FCC peut donc ébranler le nouveau président de la République Félix Tshisekedi en le mettant en accusation devant la Cour constitutionnelle. En effet, l’article 166 de la Constitution stipule que, en cas de haute trahison, violation intentionnelle de la Constitution, cession du territoire, violations graves des droits de l’homme, corruption, malversations, enrichissement illicite, atteinte à l’honneur ou à la probité, la décision des poursuites et de mise en accusation du Chef de l’État et du Premier Ministre est votée par le Parlement à la majorité renforcée ou qualifiée: 2/3 des parlementaires qui composent le Congrès. Il faut au camp Kabila 406 députés et sénateurs sur les 609 membres que comptera le parlement, pour déclencher les poursuites pénales contre le président de la République. Le FCC revendique 330 députés nationaux et a déjà plus de 90 sénateurs selon les résultats provisoires. Ce qui fait un total de 420 parlementaires. Suffisant pour déchoir le Président de la République.[10]

d. Les allégations de plusieurs cas de corruption confirmées

Ces élections sénatoriales ont été entachées par plusieurs allégations de corruption, poussant au retrait de plus de 40 candidats, dont Luzolo Bambi, le conseiller de l’ancien président Joseph Kabila en matière de lutte contre la corruption, l’homme d’affaires Adam Bombole ou encore Raphaël Katebe, le frère de l’opposant Moïse Katumbi, qui ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de « corruption ». «Même là où nous pouvions avoir un sénateur cela n’a pas été possible à cause de la corruption. Je crois qu’il faut une réflexion profonde sur l’élection des sénateurs et des gouverneurs», a souligné Jean Baudoin Mayo Mambeke, secrétaire général de l’UNC de Vital Kamerhe. En effet, fort de 12 députés à l’assemblée provinciale de Kinshasa ou encore 7 dans le Kasaï – central , l’Union pour la démocratie et le progrès social ( UDPS) du président Félix Tshisekedi n’a obtenu aucun siège au sénat pour ces deux provinces . Même chose dans la province du Haut-Katanga, où le candidat de la plateforme Ensemble de Moïse Katumbi, Vano Kiboko, n’a pas été élu malgré le nombre important de députés de cette plateforme au sein de cet organe délibérant.[11]

Le 17 mars, le porte-parole du Front Commun pour le Congo (FCC), coalition politique dirigée par l’ancien président Kabila, et candidat malheureux aux sénatoriales du 15 mars 2019 dans la province de la Mongala, André-Alain Atundu, a porté plainte pour corruption contre 4 députés provinciaux, dont 3 membres du bureau de l’assemblée provinciale. Il s’agit:
– du vice-président Célestin Matili qui, selon lui, lui avait exigé 15.000 $ en échange de sa voix pour le poste de sénateur.
– du rapporteur adjoint Patcheco Mayombe qui lui aurait exigé 10.000$ pour le poste de sénateur.
du questeur Mosala qui lui avait réclamé 15.000$.
– du coordonnateur du caucus des députés de Bumba, Aimé Bokungu, accusé de l’avoir ”harcelé” pour ”un deal politique”.
Pour André-Alain Atundu, il ne fait l’ombre d’aucun doute que sa défaite aux sénatoriales est due au monnayage des voix auquel se sont adonnés les députés provinciaux: «Il ne fait aucun doute que mon refus d’accéder à ces 4 demandes ont joué en ma défaveur lors du vote de sénateurs».[12]

Le 17 mars, Peter Kazadi, cadre de l’UDPS et député provincial de la ville de Kinshasa, a affirmé que l’affaire des soupçons de corruption évoquées lors de l’élection des sénateurs est une honte non seulement pour le parti, mais également pour toutes les assemblées provinciales du pays. Sans affirmer qu’il y a eu corruption, le député de l’UDPS a constaté que certains faits poussent à croire qu’il y a eu corruption: «Je ne peux pas affirmer qu’il s’agit de corruption. Mais je constate que certains députés de l’UDPS n’ont pas respecté la ligne du parti. Dans ce cas-là, il y a des soupçons de corruption. En effet, j’ai entendu dire que, à l’Assemblée provinciale, il y avait des gens qui distribuaient de l’argent pour être élus: 30 000 USD, 20 000 USD ou 50 000USD. Lorsque quelqu’un vote parce qu’il a reçu de l’argent, je pense que ça peut être assimilé à la corruption».[13]

Le 17 mars, dans une interview, le président intérimaire de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Jean-Marc Kabund, a annoncé que son parti va déposer des plaintes contre les députés provinciaux qui l’ont trahi. Il a affirmé détenir des preuves de députés corrompus de sa formation politique: «Nos députés provinciaux ont trahi le parti. Quand on est membre d’un parti politique, on respecte les consignes et instructions du parti. L’UDPS va prendre certaines mesures qui serviront de leçons. En début de la semaine, il va déposer des plaintes contre les députés suspectés de corruption. A Kinshasa 9 députés seront estes en justice. Six à Mbuji-Mayi et 5 à Kananga». Si reconnus coupables de corruption, ces députés devront renoncer à leurs mandants et être exclus du parti. En outre, Jean-Marc Kabund a déclaré que «l’UDPS rejette non seulement les élections de sénateurs organisées le 15 mars dernier, mais aussi l’élection des bureaux des assemblées provinciales, car les règlements d’ordre intérieur de ces assemblées provinciales n’ont pas encore obtenu l’avis favorable de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, les élections des membres des bureaux définitifs et des sénateurs ont été organisées en violation de la constitution».[14]

Le 19 mars, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a invité l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), qui a demandé la réorganisation des élections des sénateurs et des membres des bureaux des assemblées provinciales, de s’adresser à la Cour constitutionnelle, qui traite les contentieux électoraux, car la CENI n’a plus compétence à dire quoi que ce soit, dès lors qu’elle a publié les résultats provisoires de ces élections.[15]

Le 25 mars, le vice-président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Norbert Basengezi, a décliné la responsabilité de son institution dans les allégations de corruption qui ont émaillé les sénatoriales du 15 mars. Pour lui, s’il y a eu corruption, cela ne s’est pas faite dans les sites électoraux: «Ce sont 4 ou 5 les candidats qui ont dénoncé des actes présumés de corruption. Aucun de ces actes ne s’est tenu dans l’hémicycle pendant la campagne électorale ou les opérations de vote. Si donc il y a eu corruption, ça n’engage pas la CENI».[16]

À ce jour, la gestion des élections sénatoriales relève de la compétence non plus de la CENI mais plutôt du pouvoir judiciaire. Actuellement, on est dans l’étape de la contestation de la régularité et/ou des résultats des élections sénatoriales. Pour annuler les résultats et les effets des élections, il faudrait que l’instance judiciaire compétente (la Cour administrative d’appel) constate et déclare leur irrégularité. Car le pouvoir de la proclamation des résultats définitifs relève, en RDC, de la compétence exclusive des instances judiciaires citées par la loi électorale.
Dans ce cadre, l’article 73 de la Loi électorale stipule que « (…) peuvent contester, selon le cas, les résultats provisoires des élections, dans un délai de huit jours, dès l’annonce par la Commission électorale nationale indépendante:
– le parti politique ou le regroupement politique ayant présenté un candidat ou son mandataire ;
– le candidat indépendant ou son mandataire».
En outre, il y a lieu de noter que l’article 110 (2ème alinéa) de la Constitution dispose: « Toute cause d’inéligibilité, à la date des élections, constatée ultérieurement par l’autorité judiciaire compétente entraîne la perte du mandat de député national ou de sénateur. Dans ces cas, il est remplacé par son premier suppléant». En vertu de l’article 10 de la Loi électorale, sont inéligibles «(…) les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement des deniers publics, d’assassinat, des tortures, de banqueroute et les failles (…)».
L’action contre la corruption lors des sénatoriales peut porter des fruits escomptés dans les prochaines semaines, voire dans les prochains mois et ce, dans le strict respect de la présomption d’innocence des députés provinciaux et des candidats sénateurs.
En ce qui concerne les députés provinciaux de l’UDPS, le fait qu’ils n’aient pas fait montre de discipline, en se passant du mot d’ordre de leur hiérarchie au sein de leur formation politique, ne doit pas faire oublier que le parti politique est essentiellement une organisation privée. Le linge sale doit être lavé en famille, et non pas sur la place publique. Ceci doit interpeller l’UDPS qui dit toujours s’attaquer aux antivaleurs. Prendre le risque politique d’annuler les résultats des élections sénatoriales serait ouvrir la boîte de pandore quelques jours après l’inédit communiqué de la coalition FCC-CACH. Ceci risque de contribuer à légitimer la démarche de Martin FAYULU, candidat malheureux à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, qui, manifestement non encore disposé à boire la pilule amère de sa défaite, continue de plaider pour l’organisation d’une nouvelle présidentielle avant la fin de l’année, à défaut de recompter les voix.[17]

e. La suspension provisoire de l’installation des sénateurs nouvellement élus et le report des prochaines élections des gouverneurs

Le 18 mars, à l’issue d’une réunion interinstitutionnelle tenue à la cité de l’Union Africaine, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, a décidé de suspendre l’installation des sénateurs nouvellement élus et de la tenue prochaine de l’élection des gouverneurs. Il a aussi instruit le procureur général près la Cour de cassation de diligenter des enquêtes contre les députés provinciaux corrupteurs et les corrompus dénoncés au cours de ces élections des sénateurs.
Selon le vice-premier ministre de l’Intérieur et porte-parole de la réunion interinstitutionnelle, Basile Olongo, la décision du chef de l’état a été motivée par le souci de lutter contre la corruption.
La réunion interinstitutionnelle s’est tenue en présence des présidents et procureurs près de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, du Conseil d’état, de la Haute cours militaire des FARDC, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, du Premier ministre, du directeur du cabinet du chef de l’Etat , du président et du vice-président de la CENI.[18]

Le 19 mars, dans un communiqué, le Front Commun pour le Congo (FCC) a rejeté les décisions prises à l’issue de la réunion institutionnelle. La plateforme de Joseph Kabila a rappelé que la réunion interinstitutionnelle n’est qu’un cadre de concertation et que, de ce fait, elle ne dispose d’aucun pouvoir de décision. Elle aurait dû se limiter à la formulation de recommandations à adresser aux institutions constitutionnellement établies. Sur le report des élections des gouverneurs, le FCC a rappelé que la constitution confère à la seule CENI la compétence de fixer le calendrier électoral et, le cas échéant, de le modifier. Le FCC n’a pas non plus cautionné la suspension de l’installation des sénateurs élus parce que, selon lui, c’est une tentative de freiner le processus «tant attendu» du renouvellement du sénat.
Dans le camp de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), on se défend en soulignant que ces décisions sont prises non pas par la réunion interinstitutionnelle, mais par le chef de l’Etat, en tant que garant de la nation et du bon fonctionnement des institutions de la République. Bien plus, dans l’entourage du chef de l’Etat, on ajoute que la décision, en décembre dernier, de reporter les élections législatives dans les circonscriptions de Beni, Butembo et Yumbi, avait été prise à l’issue d’une réunion interinstitutionnelle présidée par le chef de l’Etat de l’époque.
Pour le président de l’Association Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (ASADHO), Jean Claude Katende, «le chef de l’État a agi en véritable « garant du bon fonctionnement des instituons » (article 69 de la Constitution)».[19]

Selon l’avocat Chris Shematsi, la décision relative à la suspension de l’installation du Sénat viole les dispositions de l’article 114 de la Constitution. En effet, lesdites dispositions organisent sans équivoque le calendrier de l’installation des chambres parlementaires.
En effet, l’article 114 de la Constitution stipule que chaque Chambre du Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire le quinzième jour suivant la proclamation des résultats des élections législatives par la Commission électorale nationale indépendante. Selon Chris Shematsi, point n’est besoin de rappeler que, lorsque la réunion interinstitutionnelle s’est tenue le 18 mars, le délai constitutionnel de 15 jours avait déjà commencé à courir à partir du 15 mars.
En outre, la décision de la CENI publiée le 15 mars à l’issue des élections des sénateurs ouvre la voie aux contentieux relatif à ces élections: « Les réclamations et contestations relatives aux résultats provisoires seront portées devant la Cour constitutionnelle dans un délais de huit jours à partir de la date de la proclamation des résultats provisoires ». Toujours selon Chris Shematsi, la décision du Président de la République rend inutile le temps que la Constitution et la loi électorale prévoient pour la présentation et le traitement des contentieux électoraux liés à l’élection des sénateurs.
Pour ce qui est du report sine die des élections des gouverneurs de provinces, il convient de mettre en lumière le fait que le Président de la République se soit arrogé un pouvoir de substitution en termes de compétences, dans la mesure où il revient à la seule CENI de prendre une telle décision en toute indépendance.
En ce qui concerne l’ouverture d’une enquête en procédure de flagrance, selon Chris Shematsi, il faut observer que le pouvoir d’enjoindre le Procureur Général près la Cour de Cassation dans le but d’ouvrir une enquête ou d’initier une instruction préparatoire portant sur des faits infractionnels revient au Ministre de la Justice, et ce conformément à la loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, spécialement en son article 72. Toujours selon Chris Shematsi, le Président de la République ne dispose donc pas d’une telle prérogative. Il aurait dû instruire le Ministre de la Justice afin que ce dernier enjoigne au Procureur Général près la Cour de Cassation aux fins ci-dessus mentionnées.[20]

Dans une interview accordée à la télévision Univers Groupe, le professeur de Droit André Mbata a affirmé que les récentes décisions prises par le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi sont strictement conformes à la Constitution. Brandissant l’article 160 alinéa 2 de la Constitution, ce constitutionnaliste a indiqué que les élections des sénateurs et celles des membres des bureaux définitifs des Assemblées provinciales avaient été organisées dans l’irrégularité: «Sur le plan constitutionnel, ces élections sont entachées d’irrégularités. Elles auraient dû être organisées après que la Cour Constitutionnelle ait déclaré que les règlements intérieurs de ces assemblées délibérantes sont conformes à la Constitution. Ce qui n’a pas été fait». Pour le professeur André Mbata, en suspendant la mise en place des sénateurs élus et en reportant sine die les élections des gouverneurs, le président de la République n’a fait que faire respecter la Constitution:  «Le président de la République a juré solennellement de défendre la Constitution. Qu’est ce qu’il devrait faire lorsque la CENI et les Assemblées provinciales la violent?».[21]

f. La levée de la suspension de l’installation des sénateurs

Le 28 mars, le président Félix-Antoine Tshisekedi a levé la suspension de l’installation des sénateurs élus le 15 mars dernier. Selon un communiqué diffusé sur les ondes de la Télévision nationale, cette décision fait suite au rapport préliminaire des enquêtes du procureur général de la République (PGR) près la cour de cassation sur les allégations de corruption ayant émaillé les sénatoriales. Après avoir reçu le pré-rapport des enquêtes du procureur, le président Tshisekedi a estimé que «plus rien ne peut s’opposer à l’installation du Sénat». Dans le même communiqué, Félix Tshisekedi a réaffirmé sa détermination à combattre la corruption sous toutes ses formes et a encouragé les magistrats à faire aboutir les enquêtes en cours contre les corrupteurs et les corrompus à ces élections. Le président de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ), Georges Kapiamba, a demandé au procureur général près la Cour de cassation de publier, «au nom de la transparence», le résumé de son rapport préliminaire.[22]

Le 29 mars, dans un communiqué, le secrétaire général du Sénat a “invité les sénateurs nouvellement élus à «se présenter samedi 29 et dimanche 31 mars au palais du peuple, pour leur identification».[23]

Le 30 mars, le Sénat a débuté la procédure d’identification des sénateurs élus. Le début de cette opération coïncide avec le quinzième jour suivant la publication des résultats, date marquant l’ouverture de la session extraordinaire inaugurale du Sénat, conformément à l’article 114 de la constitution.[24]

[1] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 26.02.’19
[2] Cf Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 01.03.’19
[3] Cf Radio Okapi, 26.02.’19
[4] Cf Actualité.cd, 01.03.’19
[5] Cf Radio Okapi, 10.03.’19
[6] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 11.03.’19; Radio Okapi, 11.03.’19
[7] Cf 7sur7.cd, 15.03.’19   https://7sur7.cd/rdc-senatoriales-voici-les-resultats-provisoires-des-23-provinces-sur-les-24-qui-confirment-la-suprematie-du-fcc/              Stanis Bujakera Tshiamala – Jeune Afrique, 15.03.’19
[8] Cf Stanis Bujakera Tshiamala – Jeune Afrique, 15.03.’19 ; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 15.03.’19; Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 15.03.’19
[9] Cf Martin Ziakwau Lembisa – Actualité.cd, 15.03.’19
[10] Cf Alphonse Muderhwa – 7sur7.cd, 15.03.’19
[11] Cf Stanis Bujakera Tshiamala – Jeune Afrique, 15.03.’19
[12] Cf Zabulon Kafubu – 7sur7.cd, 17.03.’19
[13] Cf Radio Okapi, 17.03.’19
[14] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 17.03.’19
[15] Cf Radio Okapi, 19.03.’19
[16] Cfr Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 25.03.’19
[17] Cf Martin Ziakwau Lembisa – Actualité.cd, 17.03.’19
[18] Cf Radio Okapi, 18.03.’19
[19] Cf Actualité.cd, 19.03.’19; RFI, 20.03.’19; 7sur7.cd, 18.03.’19
[20] Cf Chris Shematsi – 7sur7.cd, 20.03.’19
[21] Cf Orly-Darel Ngiambukulu – 7sur7.cd, 21.03.’19
[22] Cf Radio Okapi, 29.03.’19
[23] Cf 7sur7.cd, 29.03.’19
[24] Cf Radio Okapi, 30.03.’19