Congo Actualité n. 376

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: ÉLECTIONS DU 30 DÉCEMBRE 2018 → QU’EST-CE QUI S’EST VRAIMENT PASSÉ?
1. LA PREMIÈRE SESSION DE LA NOUVELLE ASSEMBLÉE NATIONALE
2. LES LIMITES DU POUVOIR DU CHEF DE L’ÉTAT EN CAS DE COHABITATION
3. LA QUESTION DE LA DÉSIGNATION D’UN INFORMATEUR POUR IDENTIFIER LA MAJORITÉ PARLEMENTAIRE
4. LE PROCESSUS ÉLECTORAL

ÉDITORIAL: ÉLECTIONS DU 30 DÉCEMBRE 2018 → QU’EST-CE QUI S’EST VRAIMENT PASSÉ?

1. LA PREMIÈRE SESSION DE LA NOUVELLE ASSEMBLÉE NATIONALE

Le 28 janvier, la session extraordinaire de l’Assemblée nationale s’est ouverte avec un seul point inscrit à l’ordre du jour: l’installation du bureau provisoire qui sera dirigé par le doyen d’âge assisté de deux députés nationaux les moins âgés. La première plénière a été présidée par le secrétaire général à l’Assemblée nationale. Le bureau provisoire de l’Assemblée nationale a été installé. Il est présidé par le doyen âge, Gabriel Kyungu wa Kumwanza. Il est secondé de Jackson Uhuse Atingoto (26 ans) et Aminata Namasiya Bazego (25 ans). La nouvelle Assemblée nationale est composée d’environ 20% d’anciens députés réélus et de 80% députés nouvellement élus.
Parmi les missions assignées à ce bureau provisoire, il y a notamment la validation des pouvoirs, l’élection et l’installation du bureau définitif ainsi que l’élaboration et l’adoption du règlement intérieur. La session extraordinaire prendra fin à l’épuisement de l’ordre du jour.
En attendant la publication des résultats définitifs des législatives nationales par la Cour constitutionnelle, tous les 485 députés sur les 500 attendus, participent à titre provisoire à cette première séance plénière de la troisième législature. Les 15 députés restants seront incorporés à après l’organisation retardée, en mars 2019, des législatives nationales dans les circonscriptions de Beni Ville et Territoire, Butembo Ville (Nord-Kivu) et Yumbi (Maï-Ndombe). [1]

Le 13 février, l’Assemblée nationale a procédé à la validation des mandats des nouveaux députés nationaux. Outre la vérification et la validation des pouvoirs, cette session extraordinaire est consacrée à l’élaboration et à l’adoption du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, à l’élection et à l’installation des membres du bureau définitif de la chambre basse du parlement.[2]

Le 25 février, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale a adopté la proposition du règlement d’ordre intérieur de cette institution. Le texte adopté par cette commission constituée de 78 députés a été remis au bureau provisoire de la Chambre basse. Cette proposition de règlement d’ordre intérieur sera soumise à l’Assemblée plénière en vue de son adoption définitive.[3]

2. LES LIMITES DU POUVOIR DU CHEF DE L’ÉTAT EN CAS DE COHABITATION

Le 2 février, François Beya a été nommé conseiller spécial du chef de l’Etat Félix Tshisekedi en matière de sécurité. Il remplace à ce poste Jean Mbuyu Luyongola, dernier conseiller de Joseph Kabila depuis février 2018. Membre du Conseil National de Sécurité sous le régime du président Mobutu et de l’Agence Nationale des Renseignements (l’ANR) sous Laurent-Désiré Kabila, François Beya était depuis douze ans à la tête de la Direction générale de migration sous  Joseph Kabila Kabange. Il est remplacé à son ancien poste de directeur général de la DGM par Roland Kashwantale Chihoza.[4]

La Cour Constitutionnelle a déclaré vainqueur de l’élection présidentielle Felix Tshisekedi, un des deux candidats de l’opposition et membre de la plateforme CACH. Etrangement, le Font Commun pour le Congo (FCC), plate-forme électorale de l’ancienne majorité présidentielle, a remporté l’élection législative avec presque 350 sièges sur les 500 à pourvoir. Par conséquent, le nouveau Chef de l’Etat ne détient pas la majorité parlementaire. Une cohabitation s’impose donc. Cette situation fera-t-elle de Felix Tshisekedi un Président « protocolaire », comme le disent certains?
En ce qui concerne la nomination du nouveau Premier Ministre, selon l’article 78 de la Constitution, «le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci». Ayant déjà raflé 350 sièges sur les 608 composant le parlement (Assemblée Nationale et Senat), le Front Commun pour le Congo (FCC) détient déjà la majorité parlementaire. Le Président Tshisekedi devra donc consulter cette majorité parlementaire, dont l’autorité morale n’est nulle autre que Joseph Kabila, pour obtenir les noms des personnes parmi lesquelles le nouveau Président de la République puisse nommer un nouveau Premier Ministre. Il faut donc s’attendre logiquement à ce qu’un membre de l’ancienne Majorité Présidentielle, ou un homme de confiance de l’autorité morale de cette plate-forme, devienne Premier Ministre, ce qui est tout à fait logique. Quant à la cinquantaine de députés de CACH, la coalition de Felix Tshisekedi, nouveau Président de la République, ils pourront éventuellement s’allier au FCC, pour soutenir leur poulain à la Présidence, et lui assurer une majorité parlementaire plus que suffisante. Il y aura, de fait, une nouvelle Majorité Présidentielle composée du FCC et de CACH.
En ce qui concerne l’application du programme présidentiel, d’une part, le 1er alinéa de l’article 91 de la Constitution stipule que «le Gouvernement définit en concertation avec le Président de la République, la politique de la Nation et en assume la responsabilité». En somme, le programme du FCC soutenu par Emmanuel Shadary et celui de CACH soutenu par Felix Tshikedi pendant la campagne électorale devront fusionner, pour ne faire qu’un. Il faudra donc réévaluer les promesses électorales du nouveau Chef de l’Etat, à la lumière de ce qui sortira de cette mise en commun.
D’autre part, le 2ième alinéa de l’article 91 de la Constitution, précise que «le Gouvernement conduit la politique de la nation». En somme, c’est le Premier Ministre, Chef du gouvernement, qui sera en charge d’appliquer ce programme. Quant au pouvoir du Président, le 3ième alinéa de l’article 91 de la Constitution nous renseigne que «la défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Gouvernement et le Président de la République». Quant aux autres secteurs comme l’économie, les finances, le budget, la santé, l’éducation, les mines, les hydrocarbures etc., la politique est conduite par le Gouvernement seul. Celui-ci étant conduit par un membre du FCC, il ne faut donc pas s’attendre à un changement radical du mode de gestion des affaires publiques.
En ce qui concerne un éventuel changement dans l’appareil sécuritaire, il faut noter que, malgré la collaboration sur des secteurs clefs comme l’armée et la sécurité, le 4ième alinéa de l’article 91 de la Constitution précise que «le Gouvernement dispose de l’administration publique, des forces armées, de la Police Nationale et de services de sécurité». Donc, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, disposer de soldat ou de policier pour mener une quelconque opération, cela étant de la compétence exclusive du Gouvernement en collaboration avec le Chef de l’Etat. Quant au changement à la tête de l’armée, de la police et des services de sécurité, l’article 81 de la Constitution nous renseigne que, «sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres: le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées ainsi que les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu … ». En somme, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, révoquer ou nommer un chef d’état-major général, les chefs d’état-major, les commandants des grandes unités, les officiers généraux ou supérieurs des forces armées ou de la police nationale. Cela doit découler obligatoirement d’une proposition du Gouvernement entendu en conseil des Ministres conduit ici, selon la logique légale, par le Premier Ministre qui sera issu de la majorité parlementaire, donc du FCC. Avec des telles contraintes légales, la marge de manœuvre quant aux promesses électorales du nouveau Chef de l’Etat concernant notamment la sécurité sera très étroite. Il est donc peu probable d’assister un démantèlement rapide de l’appareil sécuritaire mise en place par l’ancien de chef de l’Etat.
À propos du risque d’une confrontation entre le Président de la République et le Gouvernement, il faut noter que si, à titre illustratif, le chef de l’Etat nomme ou révoque, par mégarde, un nouveau Chef d’Etat major sans attendre la proposition du gouvernement, il s’agira là d’un acte anticonstitutionnel synonyme de «haute trahison», comme le prévoit l’article 165 de la Constitution. Quant à sa mise en accusation, le FCC aura les coudés franches vu que l’article 166 de la Constitution stipule que «la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement». Il suffirait donc pour le FCC de réussir à faire élire 55 sénateurs à la prochaine élection sénatoriale pour constituer les deux tiers du parlement. Un exercice relativement facile au regard du score effectué par lui lors des élections provinciales, sachant que ce sont les députés provinciaux qui votent à l’élection sénatoriale.
Dans le cas où il y aurait une quelconque crise entre le Chef de l’Etat et la majorité parlementaire, le Président de la République pourrait éventuellement dissoudre le parlement conformément à l’article 148 de la Constitution. Cependant, le deuxième alinéa de ce même article nous rappelle qu’«aucune dissolution ne peut intervenir dans l’année qui suit les élections». Ainsi, l’actuel Chef de l’Etat devra attendre au moins une année pour dissoudre le Parlement en cas de crise. D’ici là il devra s’adapter à l’actuelle majorité parlementaire.
Par contre, une dissolution de l’Assemblée Nationale entrainerait une crise institutionnelle majeure. En effet, le 3ième alinéa de l’article 148 de la Constitution stipule que, «à la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale, la Commission électorale nationale indépendante convoque les électeurs en vue de l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale, dans le délai de soixante jours suivant la date de publication de l’ordonnance de dissolution». Sachant que l’on ne peut pas organiser des élections législatives en RDC dans un délai de deux mois, il existera un vide institutionnel qui entrainera un blocage inédit de nos institutions. Pour illustrer ce blocage, on peut prendrais le cas particulier des finances publiques. En effet, l’article 130 de la Constitution stipule que «les projets de loi adoptés par le Gouvernement en Conseil des ministres sont déposés sur le Bureau de l’une des Chambres. Toutefois, s’agissant de la loi de finances, le projet est impérativement déposé dans les délais prévus à l’article 126 sur le Bureau de l’Assemblée nationale». Cela veut dire que, sans «Assemblée Nationale», le Gouvernement sera dans l’impossibilité de faire adopter un budget, donc de faire fonctionner les institutions. Il lui serait même impossible contre carrer cette difficulté via des crédits provisoires qui doivent, eux aussi, être autorisés par les deux chambres, conformément à l’article 126 de la Constitution qui, en son 7ième alinéa, stipule que, «si le projet de loi de finances n’a pas été déposé en temps utile, pour être promulgué avant le début de l’exercice, le Gouvernement demande à l’Assemblée nationale et au Sénat l’ouverture de crédits provisoires».
Si on allait vers une cohabitation, il est nécessaire de rappeler au public qu’un Président sans majorité parlementaire propre est un Chef d’Etat certes pas «protocolaire», mais dont le rayon d’action est fort limité.[5]

3. LA QUESTION DE LA DÉSIGNATION D’UN INFORMATEUR POUR IDENTIFIER LA MAJORITÉ PARLEMENTAIRE

En vertu de la Constitution, le prochain Premier ministre sera issu de la majorité à la Chambre basse du Parlement. Toutefois, cette majorité à la nouvelle Assemblée nationale est au centre de grandes manœuvres politiques entre le FCC, dont Joseph Kabila est l’autorité morale, et le CACH, la coalition d’opposition qui a porté Félix Tshisekedi ù la Présidence de la République. Si le FCC la revendique d’emblée au vu des scores réalisés, il n’en est pas le cas pour le CACH, qui entend recourir à la nomination d’un informateur, avec la charge d’identifier au préalable cette majorité parlementaire, avant de la confirmer.
Pour ce faire, CACH évoque l’article 78 de la Constitution qui stipule que: «Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité, en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois».
Dans les deux camps, FCC et CACH, la préalable nomination d’un informateur pour identifier la majorité à l’Assemblée Nationale fait polémique. Ce qui pourrait vraisemblablement amener aux premières frictions entre eux et à une éventuelle rupture de l’accord qu’il avaient conclu bien avant la publication, le 9 janvier 2019, des résultats provisoires de la présidentielle.
Il est un secret de polichinelle que les deux coalitions, CACH et FCC, ont conclu un accord de partage de pouvoir. Selon certaines indiscrétions, la coalition CACH s’était engagée, en vertu de cet accord, à céder la Primature au FCC, avec en prime le contrôle de certains ministères régaliens, tels que les affaires étrangères, la défense, les finances et l’intérieur. Le FCC devait en plus garder une mainmise sur le ministère de la Justice.
D’une part, Aimé Kilolo, un des porte-paroles du FCC, a rappelé que «ce n’est que lorsqu’il n’y a pas de majorité que le Chef de l’État nomme un informateur», en précisant que «le FCC détient environ 350 députés, plus ou moins 3/4 des députés. Donc, la Majorité est déjà constituée», même si «rien n’empêche que, dans un effort de cohésion nationale, le Chef de l’Etat envisage l’idée d’une majorité parlementaire élargie à CACH, par exemple, mais le Premier ministre doit être provenir nécessairement du FCC».
D’autre part, Jean-Joseph Mukendi, cadre de Cap pour le Changement (CACH), la plateforme ayant soutenu la candidature de Félix Tshisekedi a, au contraire, affirmé que «l’informateur a pour rôle de confirmer les déclarations et les supputations pour donner une configuration exacte de la Majorité au sein de laquelle on fera appel pour désigner un Premier ministre».
Pour l’instant, dans les deux camps, des réunions se multiplient. Et au FCC, on reste de marbre. «Le FCC a la majorité à l’Assemblée nationale, soit plus de 300 députés nationaux. Cela saute aux yeux. Faut-il nécessairement passer par un informateur pour le constater?», a fait comprendre un haut cadre du FCC. Au finish, c’est au chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, que reviendra le dernier mot. Autrement dit, la route qui mène à la nomination d’un Premier ministre est encore long et parsemée de nombreux pièges que le président de la République devra déjouer pour ne pas déranger dès le début de son mandat l’accord qui le lie au FCC.[6]

Le 7 février, analysant l’actuelle composition de l’Assemblée nationale, le constitutionnaliste et nouveau député national, André Mbata, a affirmé que, étant donné qu’aucun parti ou regroupement politique reconnu ne détient la majorité parlementaire, le nouveau Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, doit désigner un informateur pour identifier la majorité parlementaire, en vue de la désignation du premier ministre. «En voyant les chiffres de la CENI, aucun parti politique reconnu n’a la majorité à l’assemblée nationale. Le CACH [qui a porté la candidature de l’actuel président, Félix Tshisekedi], Lamuka [qui a soutenu la candidature de Martin Fayulu] ou le FCC [plateforme d’Emmanuel Ramazani] ne sont pas reconnus à l’assemblée nationale. Là, on ne reconnait que les partis politiques et regroupements enregistrés au niveau du ministère de l’Intérieur», a fait savoir André Mbata, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Kinshasa (UNIKIN). Selon lui, il faudrait aussi attendre la validation des mandats des députés nationaux avant la désignation d’un informateur qui identifierait la majorité au Parlement.[7]

Aucun gouvernement ne peut être formé avant que les équilibres ne soient déterminés. Tout dépend des négociations entre le Front Commun pour le Congo (FCC), la plateforme de Joseph Kabila, et Cap pour le Changement (CACH) du duo Félix Tshisekedi – Vital Kamerhe. Si un accord n’est pas rapidement trouvé, Félix Tshisekedi devra alors nommer un informateur, dont le rôle sera d’identifier une majorité à l’Assemblée nationale, de laquelle devra sortir le Premier ministre. Le nouveau chef de l’Etat pourra se passer de cette étape en cas d’accord entre son camp et celui de Kabila, qui revendique plus de 300 élus dans une assemblée d’environ 500 députés. «A ce stade, Félix Tshisekedi peut nommer un Premier ministre, mais ce dernier ne pourra être investi qu’après l’installation du bureau définitif de l’Assemblée nationale», a expliqué un député proche du camp présidentiel.[8]

Le 20 février, les regroupements et partis politiques membres du Front Commun pour le Congo (FCC), réunis à Kingakati (Kinshasa) autour de leur autorité morale Joseph Kabila, ont décidé de transformer leur plateforme électorale en plateforme parlementaire au sein de l’assemblée nationale et des assemblées provinciales.
L’acte constitutif de cette majorité parlementaire a été signé par les chefs des regroupements du FCC. Désormais, le FCC qui revendique plus de 335 députés nationaux, s’identifie comme la majorité parlementaire. Pour plusieurs responsables du FCC, avec la signature de cet acte constitutif, la désignation d’un informateur ne se pose plus. Ils estiment qu’il faut passer directement à la désignation du Premier ministre qui, bien entendu, sera issu de leurs rangs.
Dans la foulée, les chefs des 18 regroupements du FCC ont pris 7 engagements devant le président honoraire: Fidélité et loyauté à Joseph Kabila; Unité et discipline; Mutation de la coalition électorale en plateforme de gouvernement; Demeurer membre de la majorité parlementaire FCC;  Mettre en place des mécanismes d’unité d’actions dans toutes les assemblées; Avoir de nouveaux organes FCC;  S’abstenir de nuire aux membres du FCC et respecter les décisions de ses organes.[9]

Le 24 février, à Kingakati (Kinshasa), l’Autorité morale du Front Commun pour le Congo (FCC), Joseph Kabila, a animé une « grande » matinée politique à laquelle ont participé les députés élus des partis et regroupements membres de cette plateforme politique. Selon Néhémie Mwilanya, coordonnateur du comité stratégique du FCC, au terme des élections générales du 30 décembre dernier, cette coalition a obtenu 352 députés nationaux (PPRD: 116, AAA: 22, AAB: 30, AABC: 22, AAC: 10, ABCE: 11, ACO: 22, ADRP: 22, ADU: 6, AFDC: 41, ALLIANCE: 8, APECO: 3, ATIC: 9, CODE: 8, G18: 4, PALU A: 17, PRP: 1) et près de 836 députés provinciaux.
Le Front Commun pour le Congo (FCC) se dit en droit de revendiquer la majorité à la nouvelle Assemblée nationale, car il pense avoir atteint le seuil requis, soit 250 députés plus un.
Par conséquent, dans les rangs du FCC, on exclut désormais l’option de la nomination d’un informateur pour identifier, au regard de l’article 78 de la Constitution, cette majorité parlementaire d’où sera nommé le prochain Premier ministre. «Le FCC a la majorité à l’Assemblée nationale. La question ne devrait pas faire débat. C’est une évidence. Le président de la République n’a qu’à le constater. Dans ces conditions, je ne vois pas l’opportunité de nommer un informateur, dans la mesure où la majorité obtenue par le FCC ne fait l’ombre d’aucun doute», a indiqué un haut cadre du FCC.[10]

Le 20 février dernier, les regroupements politiques membres du Front Commun pour le Congo (FCC) se sont retrouvés autour de l’ex-Président Joseph Kabila, autorité morale de cette plateforme. Au cours de cette réunion, les leaders de ces regroupements ont décidé que la coalition électorale FCC se muait en plateforme de gouvernement.
Christian Kabange Nkongolo, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa, s’est alors demandé quelles sont les implications que pareille mutation pourrait avoir dans le processus de nomination du prochain Premier ministre et de formation d’un gouvernement de coalition au regard de l’article 78 de la Constitution.
Quant à la mutation du FCC de plateforme électorale en plateforme de gouvernement, il convient de rappeler qu’elle ne change pas la configuration actuelle de l’Assemblée nationale. Par conséquent, même lorsqu’une coalition électorale se reconvertit en coalition de gouvernement, la désignation d’un informateur reste nécessaire et opportune, du moins dans le contexte congolais.
Cette nécessité est avant tout le fait de la Constitution elle-même dans la mesure où il s’agit d’un prescrit résultant de l’alinéa 2 de son article 78, toutes les fois que la majorité parlementaire doit se dégager au moyen d’une coalition.
Il faut souligner que le FCC n’est pas formellement membre de l’Assemblée nationale et que, par conséquent, sa majorité demeure abstraite, dès lors qu’aucun parti ni regroupement politique représenté au sein de cette dernière n’a, à lui seul, la majorité absolue. Ceci a pour implication que l’alliance conclue au sein du FCC entre ses membres et son autorité morale en dehors du cadre parlementaire demeure une “res inter alias acta” jusqu’au moment où elle sera identifiée par l’informateur comme la coalition parlementaire majoritaire tel que le prévoit l’article 78 précité.
Cependant, à la vue de l’évidence, certains pourraient penser qu’il s’agit là d’un exercice superfétatoire, loin de là!
Les expériences précédentes des élections de 2006 et 2011 renforcent cette approche et prouvent bien à suffisance que, même lorsqu’un accord de coalition majoritaire existe entre les partis et regroupements politiques, le Chef de l’Etat commence toujours par désigner un informateur.
Les 30 septembre et 17 octobre 2006, l’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) signe successivement des accords avec le Parti Lumumbiste Unifié (PALU) et l’Union des Mobutistes (UDEMO) en vue de dégager une large coalition majoritaire, puis en date du 19 décembre 2006, Antoine Gizenga est désigné informateur.
Le 5 avril 2011, l’AMP qui s’est muée en la Majorité Présidentielle (MP) adopte sa charte, puis, après les élections, Mwando Nsimba est désigné informateur le 8 mars 2012.
Si donc Joseph Kabila qui avait devant lui, dans l’un et l’autre cas, l’évidence de l’existence d’une coalition parlementaire majoritaire acquise à son pouvoir, avait choisi de respecter la procédure établie à l’alinéa 2 de l’article 78, il n’y a évidement aucune logique qui justifierait aujourd’hui que l’actuel Chef de l’Etat puisse passer outre et violer ce prescrit constitutionnel, alors même qu’il est lui-même à la recherche d’une coalition parlementaire majoritaire. La nomination d’un informateur devient donc non seulement nécessaire, mais aussi opportune pour l’actuel Chef de l’Etat, surtout en vue d’une coalition entre sa famille politique (CACH) et le FCC, par ailleurs souhaitée dans les déclarations des uns et des autres, aussi bien au sein du FCC que de CACH. Ou faudra-t-il, par absurde, considérer que Félix Tshisekedi et sa famille politique sont eux-aussi désormais membres de la coalition majoritaire FCC?
Pour mieux comprendre l’absence de logique qui résulterait d’une tentative d’éluder la désignation d’un informateur, il convient de rappeler successivement la mission de ce dernier et celle du formateur. L’informateur a pour mission d’identifier une coalition majoritaire au sein de l’Assemblée nationale. Pour ce faire, il recueille les informations auprès des partis et regroupements politiques en rapport avec leurs points de vue concernant la formation du gouvernement de coalition. Quant au formateur, il lui revient de parvenir à un accord de gouvernement qui implique, d’une part, les modalités qui serviront de base à la collaboration pendant toute la durée de la législature et, d’autre part, l’identification des personnalités qui occuperont les différents ministères.
Comment alors imaginer un rapprochement entre l’actuelle majorité présidentielle et la coalition du FCC s’il n’existe pas un accord de coalition plus large ou élargie entre les deux familles politiques comme ce fut le cas en 2006 (AMP-PALU-UDEMO) et 2011 (MP)? Si l’on reste dans logique d’un rapprochement entre les deux, il est clair qu’il faudra bien un informateur pour identifier cette coalition plus large comme ce fut le cas lors des expériences précédentes.
Ceci est d’autant plus vrai que, si le FCC décidait de s’imposer tout seul comme coalition majoritaire, on peut alors se demander quel sera le sous-bassement du cadre de collaboration politique pendant toute la législature, cadre que du reste le formateur aura la mission d’établir en l’absence d’un accord avec la majorité présidentielle sur le programme de gouvernement et l’identification des personnalités qui occuperont les différents ministères.
L’incohérence d’une telle démarche traduirait en réalité la mise de la charrue avant les bœufs. Tout porte donc à croire que si l’actuel Chef de l’Etat et sa famille politique ne sont pas associés à la coalition parlementaire majoritaire de laquelle sera issue le prochain Premier ministre et son gouvernement, le rapprochement entre le CACH et le FCC ne représentera en fait qu’un masque de déguisement aux apparences d’une coalition, mais dont les effets seront bien ceux d’une cohabitation où presque tout est dicté au Chef de l’Etat. Il faut bien souhaiter que les choses n’aillent pas dans ce sens, sinon il sera bien difficile de faire prévaloir les idéaux de l’UDPS, chers au défunt Tshisekedi wa Mulumba.[11]

Modeste Mutinga, président de l’Alliance pour l’alternance démocratique (AAD), regroupement politique de l’opposition, s’est insurgé contre le fait que le FCC veuille revendiquer une majorité à l’Assemblée nationale, alors qu’aucun parti ni regroupement politique n’a réussi à dépasser le seuil légal, soit 250 +1.
Modeste Mutinga pose son argumentaire par une série d’interrogations: «En quoi le FCC est-il majoritaire à l’Assemblée nationale? Qu’est-ce qui le prouve? Sur base de quoi revendique-t-il cette majorité à l’Assemblée nationale?».
Modeste Mutinga note que le FCC, comme plateforme électorale, constitué par des regroupements politiques, ne peut pas être pris comme référence dans l’identification de la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale. Selon lui, «le FCC a été créé à des fins électorales. C’est une association de regroupements politiques qui se sont coalisés autour d’une candidature unique à la présidentielle, en l’occurrence Ramazani Shadary. Le FCC ne s’est jamais présenté aux élections sous cette étiquette. Son nom, qui ne se retrouve dans aucun registre de partis et regroupements politiques légalement enregistrés au niveau du ministère de l’Intérieur, ne figurait sur aucune liste électorale. En vertu de quoi peut-il réclamer aujourd’hui une majorité à l’Assemblée nationale?».
Le président de l’AAD se réfère aussi à la notion de la majorité à l’Assemblée nationale. « En principe, un parti ou regroupement politique peut revendiquer la majorité à l’Assemblée nationale s’il a atteint le nombre de 250 plus un. Avec les résultats publiés par la Ceni, aucun parti ou regroupement politique, toutes tendances confondues, n’a atteint ce seuil. Aucun regroupement n’a atteint la majorité à l’Assemblée nationale. À la lumière des résultats provisoires des législatives nationales, la majorité à l’Assemblée n’existe pas. Aucun parti ou regroupement politique n’a réuni les conditions requises par la loi. Le FCC, non plus car, au regard de la loi, c’est un regroupement politique qui n’existe pas».
Si tel est le cas, quel est le mécanisme à mettre en place? À ce propos, Modeste Mutinga pense qu’il est du devoir du président de la République de nommer un informateur pour identifier la majorité à l’Assemblée nationale. Dans la configuration actuelle de cette Assemblée nationale, cette majorité ne peut être que la résultante d’une coalition de regroupements politiques présents à l’Assemblée nationale. «Que le FCC le constate, sans passer par la voie légale de l’informateur, est une aberration. C’est violer de bout en bout la Constitution», souligne Mutinga qui, dès lors, interpelle le chef de l’État à faire preuve de courage politique, en nommant un informateur pour identifier la majorité à l’Assemblée nationale.[12]

4. LE PROCESSUS ÉLECTORAL

Le 21 janvier, le président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), Corneille Nangaa, a rendu public le calendrier des élections, à suffrage universel indirect, des sénateurs et des gouverneurs de province:
Le 06 mars: Élections des sénateurs par les députés provinciaux et annonce des résultats provisoires par la CENI;
Le 18 mars: Élections des gouverneurs par les députés provinciaux et annonce des résultats provisoires par la CENI;
Le 21 mars: Publication des résultats définitifs des élections des sénateurs par la Cour Constitutionnelle;
Le 03 avril: Publication des résultats définitifs des élections des gouverneurs par les Cours d’Appel faisant office des Cours administratives d’Appel.
Il a confirmé le démarrage de l’inscription des candidats sénateurs et gouverneurs.
Corneille Nangaa a par ailleurs déclaré que, dans les provinces du Nord-Kivu et Maï-Ndombe, les élections de sénateurs et des gouverneurs, prévues respectivement les 6 et 18 mars 2019, n’interviendront qu’après l’organisation des scrutins directs des députés nationaux et provinciaux dans les circonscriptions de Beni-ville, Beni-territoire et Butembo (Nord Kivu) et Yumbi (Maï-Ndombe), car ce sont les députés provinciaux qui élisent les sénateurs et les gouverneurs de provinces. Il a expliqué cette décision suite au report, pour fin mars prochain, des élections législatives provinciales dans ces quatre circonscriptions, pour des raisons sécuritaires et sanitaires.[13]

Le 29 janvier, évoquant des contraintes légales, techniques et opérationnelles, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a annoncé que les élections des sénateurs, initialement prévues le 6 mars, auront lieu le 14 mars et que les élections des gouverneurs et vice-gouverneurs, prévues le 18 mars, auront lieu le 26 mars.
La période des dépôts des candidatures des sénateurs, gouverneurs et vice-gouverneurs des 24 provinces est prorogée de 5 jours. La clôture interviendra le 4 février au lieu du 30 janvier.
Les circonscriptions électorales de Beni ville, Beni territoire, Butembo (Nord Kivu) et Yumbi (Maï-Ndombe) ne sont pas concernées par ces activités, car elles devront attendre l’organisation des élections législatives. La CENI a annoncé la mise en place d’une équipe technique, afin d’examiner les questions opérationnelles et arrêter la date de la tenue des législatives nationales et provinciales qui, dans ces 4 entités, devraient avoir lieu au plus tard le 31 mars. Elles étaient reportées pour des raisons sécuritaires et sanitaires.[14]

Le 2 février, la CENI a arrêté la date du 31 mars 2019 pour les élections à Yumbi, à Beni-ville, Beni-territoire et Butembo, si toutes les conditions sécuritaires et sanitaires seront réunies.[15]

[1] Cf Radio Okapi, 28.01.’19
[2] Cf Actualité.cd, 13.02.’19
[3] Cf Radio Okapi, 26.02.’19
[4] Cf Radio Okapi, 03.02.’19
[5] Cf Engunda Ikala (juriste) – 7sur7.cd, 22.01.’19
[6] Cf Le Potentiel / via mediacongo.net, 28.01.’19; Top Congo / via mediacongo, 27.01.’19
[7] Cf Radio Okapi, 07.02.’19
[8] Cf RFI, 08.02.’19
[9] Cf 7sur7.cd, 20.02.’19
[10] Cf Le Potentiel / via mediacongo.net, 25.02.’19
[11] Cf Christian Kabange Nkongolo – Actualité.cd, 21.02.’19 https://actualite.cd/2019/02/21/le-fcc-se-mue-en-plateforme-de-gouvernement-rien-ne-change-la-donne-le-prescrit
[12] Cf Le Potentiel / via mediacongo.net, 25.02.’19
[13] Cf Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 21 et 22.01.’19; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 21.01.’19
[14] Cf Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 30.01.’19
[15] Cf Actualité.cd, 02.02.’19