Congo Actualité n. 364

SOMMAIRE:

ÉDITORIAL: UN APPEL ADRESSÉ À LA COMMISSION ÉLECTORALE → « PLUS DE RESPONSABILITÉ ET UNE MAJEURE TRANSPARENCE »
1. L’ÉTAPE DES CONTENTIEUX DES CANDIDATURES AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES
a. La présentation des recours à la Cour Constitutionnelle
b. Les requêtes du Ministère Public
c. Les décisions des juges de la Cour Constitutionnelle
d. Les réactions après les jugements de la Cour Constitutionnelle
2. LA COMMISSION ÉLECTORALE NATIONALE INDEPENDANTE (CENI)
a. Le début de l’affichage des listes provisoires des électeurs
b. L’expédition du premier lot de machines à voter
c. La question de la logistique
d. L’entretien avec le Forum des Commissions Électorales des Pays de la SADC
e. Comment utiliser la machine à voter
3. LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE NATIONALE DU CONGO (CENCO)
a. En vidéoconférence avec le Conseil de Sécurité de l’ONU
b. L’entretien avec le président de la Troïka de la SADC sur la Politique, la Sécurité et la Défense<

ÉDITORIAL: UN APPEL ADRESSÉ À LA COMMISSION ÉLECTORALE → « PLUS DE RESPONSABILITÉ ET UNE MAJEUR TRANSPARENCE »

1. L’ÉTAPE DES CONTENTIEUX DES CANDIDATURES AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES

D’après le calendrier électoral, la période des contentieux des candidatures à la présidentielle et aux législatives nationales est fixée du 25 août au 4 septembre. Il s’agit des dépôts et traitement des recours des candidatures.
Après le traitement des recours, la Cour constitutionnelle devra notifier la CENI de ses arrêts entre le 5 et le 11 septembre.
Du 12 au 18 septembre, la Commission électorale devra prendre en compte les décisions de la Cour constitutionnelle et le cas échéant, modifier les listes des candidats.
La publication définitive des listes des candidats est fixée au 19 septembre prochain.[1]

a. La présentation des recours à la Cour Constitutionnelle

Le 27 août, les six candidats pour la présidentielle du 23 décembre, recalés par la Commission Électorale, ont déposé leurs recours devant la Cour constitutionnelle. Il s’agit des trois anciens Premier ministres, Samy Badibanga (des Progressistes), Antoine Gizenga (du PALU), Adolphe Muzito (de l’UREP), mais aussi de Marie Josée Ifoku (de l’ANC), Jean Paul Moka (du Mouvement Bleu) et l’un des principaux candidats de l’opposition, Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement de libération du Congo (MLC).
Jean-Pierre Bemba, ancien chef rebelle et ancien vice-président du pays a vu sa candidature invalidée, en raison d’une condamnation de  la Cour pénale internationale pour subornation de témoin. Son parti a dénoncé une décision politique de la Commission électorale congolaise et a fait, dans son recours, la liste des arguments juridiques contre cette décision.
Premier argument: l’infraction de subornation de témoin ne figure pas dans l’article de la loi électorale qui liste les conditions d’exclusion d’un candidat à la présidentielle.
Autre argument : le procès de Jean-Pierre Bemba pour subornation de témoin est encore en cours. Pour le MLC, tant que la peine en appel n’a pas été prononcée, sa condamnation en première instance ne peut servir d’argument pour l’exclure de la compétition électorale.[2]

Le 29 août, dans un communiqué de presse, la Cour Pénale Internationale (CPI) a annoncé que la Chambre VII de première instance rendra sa décision sur les peines à l’encontre de M. Jean-Pierre Bemba Gombo, M. Aimé Kilolo Musamba et M. Jean-Jacques Mangenda Kabongo le 17 septembre prochain.
Le 19 octobre 2016, la Chambre VII de première instance avait déclaré ces personnes coupables de plusieurs atteintes à l’administration de la justice, en lien avec la subornation de témoins et la sollicitation de faux témoignages de témoins de la Défense dans un autre affaire concernant M. Bemba devant la CPI.
Le 22 mars 2017, la Chambre de première instance VII a rendu sa décision relative aux peines dans cette affaire. Jean Pierre Bemba et ses coaccusés avaient été condamnés à un an de prison et 300.000 euros d’amende pour subornation de témoins.
Le 8 mars 2018, la Chambre d’appel avait confirmé sa culpabilité. Après avoir annulé les peines prononcées à l’encontre de MM. Bemba, Mangenda et Kilolo, elle avait renvoyé cette question à la Chambre de première instance pour une nouvelle décision, en demandant une peine plus lourde. La peine maximale pour subornation de témoins est cinq ans d’emprisonnement.
Le 4 juillet 2018, lors de l’audience devant la chambre de première instance VII de la CPI, Me Kweku Vanderpuye, premier substitut de la procureure Fatou Bensouda, avait affirmé que l’accusé et ses deux complices avaient «mis en œuvre un plan élargi» de subornation de témoins qui a, selon lui, influencé la décision des juges d’appel. Lui même avait requis «cinq ans d’emprisonnement et une amende conséquente» contre Jean-Pierre Bemba et ses coaccusés, pour avoir «suborné 14 témoins». Les avocats de la défense avaient pour leur part demandé à la Cour d’«ordonner la relaxe moyennant une amende raisonnable au profit du fond pour les victimes».[3]

La responsable de la sensibilisation au bureau de la Cour Pénale Internationale (CPI) à Kinshasa, Margot Tedesco,  a expliqué que Jean-Pierre Bemba est déjà condamné de façon définitive et que seule sa peine reste à définir le 17 septembre prochain. «Il a été condamné. La décision du 17 septembre portera seulement sur la peine», a expliqué Margot Tedesco depuis le siège de la CPI à la Haye, où elle séjourne depuis quelques temps de manière provisoire. Cette affirmation est confirmée par le « certificat de détention de Jean-Pierre Bemba », selon lequel, «dans l’affaire Le Procureur / Jean Pierre Bemba, … la peine initialement prononcée a été annulée en appel et la question a été renvoyée à la Chambre de Première Instance, pour une nouvelle décision».[4]

Exclu pour défaut de nationalité congolaise, l’ancien Premier ministre Samy Badibanga assure pourtant avoir obtenu un certificat de nationalité congolaise signé par le ministre congolais de la Justice. «Après avoir acquis une nationalité étrangère, il a voulu retrouver sa nationalité d’origine. Il a suivi la procédure prévue par la loi congolaise. Il a eu tous les documents, dont l’arrêté ministériel et le certificat de nationalité signés par le ministère de la justice. Sur base de tout cela, il est allé en Belgique. Il a fait une renonciation formelle auprès de la commune et un certificat lui a été établi. Des lors qu’il a déjà recouvré sa nationalité d’origine, on ne peut pas dire qu’il n’a qu’une nationalité d’acquisition. C’est en violation de la loi», a dit Maitre George Kapiamba qui défend l’ancien Premier Ministre.[5]

b. Les requêtes du Ministère Public

Le 31 août, la Cour Constitutionnelle a entamé l’examen des recours introduits par les six candidats à la présidentielle du 23 décembre 2018, dont les dossiers ont été déclarées irrecevables par la Commission Électorale Nationale indépendante (CENI).
Le ministère public a demandé aux juges de déclarer recevable sur la forme la requête de Jean-Pierre Bemba mais de la déclarer non fondée sur base du jugement rendu par la Cour pénale internationale (CPI) sur la subornation de témoins. Pour le ministère public, subornation de témoins signifie corruption. Il a rappelé que l’article 10 de la loi électorale frappe d’inéligibilité toute personne condamnée de fait de corruption.
Prenant la parole, le représentant de la commission électorale nationale indépendante, a précisé que la CENI a tenu compte de la condamnation de Jean-Pierre Bemba par la CPI et du caractère irrévocable de la décision de la cour pénale internationale: «La Céni a statué sur foi des actes qui viennent de la Cour pénale internationale qui dit que, en Chambre d’appel, la condamnation a été confirmée, que la décision est irrévocable». Se référant au contenu du communiqué de la cour pénale internationale sur la décision en appel dans le dossier sur la subornation de témoins contre Jean-Pierre Bemba, la CENI a éclairé que la décision condamnant Jean-Pierre Bemba reste irrévocable, mais seule la peine fera objet de la prochaine décision de la chambre de première instance.
Du côté du collectif des avocats de Jean-Pierre Bemba, l’argumentaire a en revanche consisté à démontrer que la subornation de témoins n’est pas reprise dans la «liste limitative» des causes d’inéligibilité. En conséquence, selon la défense de l’opposant, «en procédant à une interprétation par analogie, la Ceni a violé l’article 10 de la loi électorale … car on ne peut pas dire que, dans tous les cas, suborner un témoin, c’est de la corruption». Les avocats de Jean-Pierre Bemba ont également soutenu qu’il n’y aurait pas encore de jugement irrévocable dans l’affaire de subornation de témoins. Selon eux, «on ne peut pas dire que Bemba a été condamné. Il a été condamné à quelle peine? Le droit pénal, c’est le droit de la peine. La décision qui interviendra le 17 sera susceptible d’appel. Elle sera un jugement définitif, mais pas irrévocable car, pour que le jugement, la condamnation de Bemba soit irrévocable, il faut qu’il ait épuisé la voie de la révision qui est une voie de recours extraordinaire». Ils ont aussi rappelé que le casier judiciaire de leur client indique que ce dernier a été «condamné en première instance».
Enfin, malgré les interventions de la défense, le ministère public a demandé le rejet de la requête de Jean-Pierre Bemba. Selon lui, l’ancien vice-président doit être écarté de la liste des candidats à la présidentielle.[6]

Le ministère public a demandé aux juges de la Cour constitutionnelle de déclarer recevables et fondées les requêtes introduites par Samy Badibanga et Marie-José Ifoku et de prononcer la réintégration de leurs candidatures sur la liste des candidats présidents de la République sur base des respectifs certificats de nationalité présentés.
Le ministère public a demandé à la Cour constitutionnelle de déclarer non fondées et de rejeter les requêtes introduites par les candidats Adolphe Muzito, Antoine Gizenga et Jean-Pierre Moka.
Le procureur général près la Cour a sollicité de la Cour constitutionnelle de déclarer la requête du candidat Adolphe Muzitu, non fondée pour conflit d’intérêt avec son parti politique le PALU.
L’organe de la loi s’appuie sur une correspondance contenue dans le dossier et qui atteste que Muzitu avait réitéré sa loyauté à Antoine Gizenga et n’avait pas démissionné du PALU. En outre, poursuit le ministère public, Adolphe Muzito n’a pas démissionné comme député du PALU.
En ce qui concerne Antoine Gizenga, le ministère public a demandé à la Cour de décréter l’irrecevabilité de la requête introduite par le regroupement politique PALU et Alliés, en estimant conformes à la loi les griefs reprochés au dossier de Gizenga par la CENI, à savoir, défaut de qualité du signataire des formulaires de mandat et d’investiture.
L’organe de la loi a demandé à la Cour de rejeter le recours introduit par Jean-Paul Moka, pour n’avoir pas produit des preuves de dépôt de caution.[7]

c. Les décisions des juges de la Cour Constitutionnelle

Le 3 septembre, la Cour Constitutionnelle a déclaré inéligibles à l’élection présidentielle du 23 décembre prochain le sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo et l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito. Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne pouvant donner lieu à un appel, Jean-Pierre Bemba et Adophe Muzito sont définitivement écartés de la course à la présidentielle.
La Cour Constitutionnelle a confirmé l’invalidation de la candidature de Jean-Pierre Bemba écarté par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), à la suite de sa condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) pour subornation de témoins. Les juges de la Cour constitutionnelle ont indiqué que le code pénal en vigueur considère la subornation de témoins comme une circonstance aggravante de la corruption. Ils ont par ailleurs évoqué le caractère « irrévocable » de la décision rendue par la chambre de la CPI sur l’affaire de subornation impliquant Jean-Pierre Bemba, précisant au passage que la prochaine audience sur cette affaire à la CPI ne consistera qu’à fixer une peine contre le sénateur congolais. La Cour a estimé que la subornation des témoins pour laquelle il a été condamné par la CPI est une forme de corruption. La cour a donc confirmé la décision de la CENI relative à l’invalidation de la candidature de Jean Pierre Bemba pour subornation des témoins assimilée à la corruption. «La Cour constitutionnelle (…) confirme l’inéligibilité de M. Jean-Pierre Bemba Gombo pour subornation des témoins en recourant à la corruption», a déclaré le président de la chambre.
La Cour constitutionnelle a par ailleurs rejeté la requête d’Adolphe Muzito, en estimant qu’il existe un conflit entre lui et le Parti Lumumbiste Unifié (PALU) dont il a démissionné, tout en conservant le siège qu’il a obtenu à l’Assemblée nationale sous le label de ce parti. Les juges ont donc confirmé le «conflit d’intérêt» avec le PALU, motif évoqué par la CENI pour écarter la candidature d’Adolphe Muzito à l’élection présidentielle.
Par contre, les dossier de Samy Badibanga et Marie Ifoku Mputa ont été déclarés recevables et fondés. Selon la Cour, les deux candidats ont fourni la preuve de leur nationalité congolaise d’origine, car on ne peut recouvrer que ce qu’on avait perdu, en l’occurrence la nationalité congolaise d’origine. Elle a donc ordonne à la CENI de reprendre leurs noms sur la liste provisoire des candidatures pour la course à la présidentielle du 23 décembre prochain.[8]

Le 4 septembre, la Cour constitutionnelle a définitivement invalidé les candidatures de Antoine Gizenga, secrétaire général du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) , et de Jean-Paul Moka, du Mouvement bleu. La première candidature a été invalidée pour défaut de qualité du signataire des formulaires et la deuxième, pour faute de preuve de paiement de la caution électorale.[9]

d. Les réactions après les jugements de la Cour Constitutionnelle

Le 4 septembre, dans une déclaration politique, le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), le parti de Jean Pierre Bemba, a dénoncé «l’inféodation de la CENI» et «l’instrumentalisation de la Cour Constitutionnelle, qui prend des arrêts par commande politique». Le MLC et ses alliés s’engagent à «évaluer, dans un bref délai, l’ensemble du processus électoral et de communiquer sur la décision de poursuite ou non de leur participation au processus électoral en cours ou sur la nécessité de requalifier le processus et restructurer la CENI». Le MLC annonce la mise sur pied d’un comité de crise en collaboration avec les autres formations pour élaborer un agenda «des actions citoyennes».[10]

Le 6 septembre, dans une interview, le secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), Jean Baudouin Mayo Mambeke, a affirmé que, après l’exclusion de Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito et Moïse Katumbi de la course à la présidence de la République, la question sur la candidature unique de l’opposition ne devrait concerner que ceux qui sont restés en lice, à savoir Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, Martin Fayulu et Freddy Matungulu.[11]

Le 7 septembre, dans une déclaration à la presse, la plateforme Ensemble pour le Changement a insisté sur l’inclusivité et la crédibilité des élections et n’a juré que sur la participation de son leader, Moïse Katumbi, aux élections. Selon cette déclaration, «sans l’inclusivité et la crédibilité, les élections ne seront pas transparentes. La plateforme Ensemble n’acceptera pas des élections sans Moïse Katumbi. Elle poursuivra ce combat jusqu’à la fin».[12]

Le porte-parole d’Ensemble pour le changement, Jean-Bertrand Ewanga,  a affirmé qu’il faut terminer le combat de l’inclusivité des élections avant de se pencher sur la question du candidat unique de l’opposition: «Nous allons poursuivre le combat de l’inclusivité et de la crédibilité du processus électoral. Il faut d’abord terminer le combat de l’inclusivité des élections avant de parler de la candidature commune de l’opposition». Pour lui, Ensemble pour le changement poursuivra ce combat, jusqu’à ce que Moïse Katumbi rentre au pays et dépose sa candidature pour les prochaines élections présidentielles.[13]

Le 7 septembre, le secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Jean Marc Kabund, a également conditionné la participation de son parti à la crédibilité du processus électoral: « Il est clairement établi que la machine à voter et l’actuel fichier électoral représente un problème pour un processus électoral transparent et crédible. Nous, étant un parti qui concourt aux élections avec ambition de les gagner, nous ne pouvons pas nous hasarder à participer à des élections bâclées et non crédibles».
Toutefois, il a préconisé que tous les leaders de l’opposition, même ceux qui ont été invalidés par la Cour constitutionnelle, puissent participer aux discussions sur la candidature commune pour la présidentielle. Mais au-delà de la bataille sur la candidature commune, Jean Marc Kabund a estimé que l’opposition devrait poursuivre le combat pour obtenir la crédibilité des élections avec le retrait de la machine à voter et la fiabilisation du fichier électoral: «La candidature commune maximise les chances à gagner les élections, mais l’opposition devrait mener un double combat: la candidature commune et le combat pour la crédibilité du processus électoral car, sans élections transparentes, crédibles et inclusives, même avec un candidat commun l’opposition va les perdre. Mais avec un processus électoral crédible, le candidat du FCC sera très loin du candidat de l’opposition».[14]

Le 7 septembre, le président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Félix Tshisekedi, a lancé un appel à l’endroit des leaders de l’opposition invalidés (Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito, Antoine Gizenga) par la Cour constitutionnelle: «Nous demandons à nos amis-là [invalidés] de nous faire confiance, car nous allons continuer le combat à leurs noms, parce que demain quand nous gagnerons, nous allons diriger avec eux».  Évoquant une éventuelle alliance lors des élections, Félix Tshisekedi a mis à garde les militants de son parti contre les « querelles » avec les membres d’autres partis de l’opposition: «Nous sommes à la dernière étape, nous sommes proches d’accéder au pouvoir. Je vous demande de cesser de vous quereller avec d’autres amis de l’opposition. Vous devez savoir qu’ils sont nos amis et non nos ennemis. Ils sont de notre famille et, lors des élections, ils vont nous apporter leurs voix. Dès aujourd’hui, cessez les disputes inutiles avec les amis d’autres partis d’opposition. Nous nous sommes convenus avec eux d’aller ensemble aux élections».
Se considérant futur “chef de l’Etat” à l’issue des prochains scrutins, Félix Tshisekedi a donné également de garanties aux membres de l’actuel régime: «Ma mission est de réconcilier le peuple congolais et non de la persécuter. Nos frères kabilistes n’auront pas de problème, ils auront le droit de résider dans ce pays. Ce n’est pas parce que quelqu’un était kabiliste qu’il faudra le tuer ou l’emprisonner. Notre pouvoir prôner la liberté et la démocratie».[15]

2. LA COMMISSION ÉLECTORALE NATIONALE INDEPENDANTE (CENI)

a. Le début de l’affichage des listes provisoires des électeurs

Le 30 août, au cours d’une conférence de presse tenue à Kinshasa, le vice-président de la CENI, Norbert Basengezi, a annoncé que la Commission électorale va afficher dès lundi 3 septembre les listes provisoires des électeurs sur les sites de vote. Selon lui, cette publication mettra fin au débat des présumés électeurs fictifs: «Pour mettre fin à l’intoxication concernant les électeurs dont les empreintes sont illisibles dans le fichier électoral, tout en rappelant que leur présence est autorisée par l’article 22 des mesures d’application de la loi sur l’identification et l’enrôlement des électeurs, la CENI informe qu’elle procède, dès ce lundi 3 septembre 2018, à l’affichage des listes provisoires des électeurs aux sites de vote».[16]

Le 3 septembre, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a entamé l’affichage des listes provisoires des électeurs dans les différents centres de vote prévus pour les prochaines élections. D’après Norbert Basengezi, les 41.023.000 électeurs retenus sur les listes du fichier électoral doivent passer dans les sites de vote pour vérifier leurs noms. Le vice-président de la CENI a par ailleurs invité tous les Congolais à signaler une éventuelle présence, sur ces listes, de personnes qui n’ont pas droit au vote: les mineurs, les condamnés, les étrangers et ceux qui se sont fait enrôler plusieurs fois. Cette publication a aussi pour objectif d’apporter plus d’éclairage sur les 16,6% des électeurs pour lesquels aucune empreinte digitale n’avait été relevée.[17]

Le président de la Dynamique de l’Opposition, Martin Fayulu, a affirmé que l’affichage des listes provisoires des électeurs tel qu’il est organisé ne résoudra en rien le problème de ces millions d’électeurs enrôlés sans empreintes digitales: «Ce que la Céni est en train de faire, c’est une tricherie totale. Elle affiche les noms et dit aux gens d’aller vérifier si Tartempion existe ou n’existe pas. C’est de la poudre aux yeux, parce que personne n’ira là-bas pour savoir si tel ou tel existe réellement. Ce qu’il faut faire, c’est d’enlever les noms de ces millions d’effectifs et puis demander à ces gens, s’ils existent réellement, d’aller voir le bureau de la Céni avec leur carte d’électeur, avec des témoins et avec des PV à l’appui, pour qu’ils soient réinscrits».[18]

b. L’expédition du premier lot de machines à voter

Le 30 août, au cours d’une conférence de presse tenue à Kinshasa, le vice-président de la CENI, Norbert Basengezi, a affirmé que le président de la CENI, Corneille Nangaa, est à Séoul, en Corée du Sud, pour gérer l’expédition de plus de 70.000 machines à voter qui ont été produites.
Le prochain lot de machines à voter devrait arriver en RDC du 9 au 12 septembre selon la Céni. Deux autres livraisons sont prévues du 18 au 23 septembre et le 6 octobre.
Un premier lot des batteries à lithium utilisées pour le fonctionnement de ces machines est déjà arrivé en RDC. La dernière livraison est prévue le 6 octobre.
En ce qui concerne la machine à voter, il a indiqué que, depuis avril 2018, 1.200 machines à voter sont à l’intérieur du pays, dans le cadre de la sensibilisation des électeurs. Pendant ces quatre mois, aucune n’est tombée en panne. Il a souligné en outre que les questions sur l’énergie sont réglées par la batterie à Lithium qui dure 72 heures (3 jours). Il a révélé aussi que la Russie, l’Irak et la Roumanie ont utilisé ces machines, sans que des gros problèmes ne se posent. «Le problème est donc ailleurs et pas avec ces machines à voter», a-t-il  affirmé.[19]

c. La question de la logistique

Le 30 août, au cours d’une conférence de presse tenue à Kinshasa, le vice-président de la CENI, Norbert Basengezi, a révélé que, sur le plan logistique, la CENI a déjà acquis 247 camionnettes, 50 camions Kamaz, 10 camionnettes militaires, auxquelles s’ajoutent 220 camions, 50 moteurs hors bords et 1.500 Motos et des vélos. Il a ajouté qu’en plus de ces engins, le gouvernement a acheté 8 hélicoptères et 5 avions gros porteurs, en dehors de deux existants.[20]

La question de la logistique des élections est au centre de toutes les inquiétudes.
Parmi les sujets d’inquiétudes, il y a le décalage entre les annonces de la Commission électorale et la réalité. La livraison du premier lot de 35.000 machines à voter (sur un total de 110.000) était prévue pour fin juillet. Aujourd’hui, il y a plus d’un mois de retard. La Commission électorale nationale indépendante ( Céni ) a promis l’arrivée du premier lot du 9 au 12 septembre, mais elle n’a fourni aucune explication sur les raisons de ce retard. Un manque de transparence qui alimente les suspicions.
L’autre inquiétude: dans un pays où plus de 80% de la population est rurale et ne sait pas se servir ne serait-ce que d’un téléphone à écran tactile, apprendre à se servir de la machine à voter est crucial. Or, pour l’heure, les formations ont essentiellement eu lieu dans des centres urbains et peu dans les zones plus reculées.
Reste ensuite à configurer et acheminer ces machines dans les 18.500 centres de vote du pays. La commission électorale dit avoir 14 aéronefs pour le faire. Mais pour déployer les machines sur 50% du territoire seulement, la mission de l’ONU au Congo avait prévu deux fois plus d’aéronefs.
Enfin, il y a toutes les questions sur la fiabilité de cet appareil, car il n’y a pas eu d’audit indépendant sur son fonctionnement.[21]

d. L’entretien avec le Forum des Commissions Électorales des Pays de la SADC

Le 7 septembre, au terme d’un travail de deux jours avec la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), le Forum des Commissions Électorales des pays de la communauté de développement de l’Afrique australe (ECF-SADC) a évalué le déroulement du processus électoral congolais. Selon un communiqué final, cet organe «déplore l’absence des témoins des partis politiques lors des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs autant qu’à l’étape d’inscription et traitement des candidatures. Il encourage les différents acteurs et parties prenantes à pallier à cette lacune pour la suite du processus». Il a donc invité tous les acteurs et partis prenantes à déployer leurs témoins durant les prochaines opérations notamment lors des scrutins du 23 décembre prochain pour combler les lacunes observées dans les passées.
Le forum s’est montré favorable à l’utilisation de la machine à voter. Sa délégation a suggéré davantage de communication autour de cet outil qui sera utilisé pour les élections du 23 décembre.
Enfin, l’ECF-SADC a pris acte du financement seul du gouvernement congolais des élections.[22]

e. Comment utiliser la machine à voter

Le 6 septembre, des reporters du Journal du citoyen se sont rendus au siège de la CENI pour expérimenter la machine à voter. Voici leur récit:
Une dame tend une feuille rectangulaire sur laquelle est écrit en bleu, en jaune et en rouge sur un fond blanc « Bulletin de vote unique  » au recto et au verso. On place le bulletin dans la machine. Et du coup apparaissent deux mots: « Élection présidentielle ». Ils disparaissent tout de suite et cèdent la place aux photos des candidats à la présidentielle. C’est le moment de faire le choix! Deux possibilités: on peut soit appuyer sur le numéro du candidat visualisé en bas de l’écran, soit appuyer sur sa photo. On exécute. La photo apparaît avec deux inscriptions en légende. L’une sur un fond vert (Confirmer), l’autre sur un fond rouge (Annuler). La machine propose également la possibilité de voter blanc. Si on appuie sur annuler, la machine va revenir sur la liste et propose de refaire le choix. Si on confirme le choix, on passe automatiquement à la phase suivante: « Élections législatives nationales ». Et là, on retrouve une deuxième liste de candidats. Pour voter, la procédure est la même qu’on a suivi pour l’élection présidentielle. On passe ensuite au troisième vote, celui des députés provinciaux, en suivant toujours la même procédure.
Les trois photos s’affichent: mon candidat président, mon député national et mon député provincial. Une fois à ce niveau, la machine ne fait plus marche arrière et il n’y a plus de possibilité d’annuler les votes. Ensuite, le bulletin de vote sort de la machine. Cette fois, elle a imprimé les photos des trois candidats au verso en noir et blanc. J’ai mon bulletin à main et je le place dans l’urne.
Pour une personne habituée aux écrans tactiles et avec une assistance, l’ensemble de l’opération peut durer de trois à cinq minutes au total. Reste à savoir ce qu’il en sera dans les zones reculées avec des personnes qui n’ont été confronté à cette technologie.
Sur la table, il y a trois autres bulletins tout aussi rectangulaires, mais ils ont une couleur unique. L’un est vert et porte les inscriptions « Carte d’ouverture des votes » les autres sont de couleur rouge. Sur l’un est écrit « Fiche des résultats » et sur l’autre « Carte de clôture des votes » La carte d’ouverture des votes sert à redémarrer la machine pour le prochain électeur. La carte de clôture des votes sert à mettre fin aux votes. La fiche des résultats imprime le nombre des bulletins utilisés et le nombre des votes pour chaque élection et leurs candidats. Si les résultats que la machine donne sont différents de ceux de l’urne, on va considérer ceux des urnes.[23]

3. LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE NATIONALE DU CONGO (CENCO)

a. En vidéoconférence avec le Conseil de Sécurité de l’ONU

Le 27 août, intervenant par vidéoconférence au Conseil de sécurité réuni pour parler de la situation de la RDC, le président de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO), Mgr Marcel Utembi, a affirmé que des élections biaisées maintiendront le pays dans la crise. Il a reconnu que certains progrès ont été réalisés jusqu’ici dans la préparation des élections, mais que «la joie présente aura été éphémère et illusoire si le processus électoral en cours n’aboutit pas à l’organisation des élections transparentes, crédibles, inclusives et apaisées».
Parmi les progrès réalisés, Mgr Marcel Utembi a notamment cité le dépôt des candidatures aux différents scrutins, la décision du chef de l’Etat de ne pas se représenter et la désignation du candidat du FCC à l’élection présidentielle.
Pour éviter que la crise ne s’installe, la CENCO a recommandé aux autorités congolaises et à la CENI «la publication, le plus tôt possible, des listes provisoires des personnes enrôlées, afin de rassurer le peuple congolais de l’effectivité des personnes enrôlées sans empreintes digitales; la recherche d’un consensus sur l’utilisation ou non de la machine à voter, en favorisant les concertations tripartites entre la CENI, la Majorité et l’opposition autour des experts; le parachèvement de la mise en œuvre de l’Accord de la Saint-Sylvestre, notamment en appliquant le reste des mesures de décrispation».
La CENCO a recommandé aussi au gouvernement de «éviter de forcer l’interprétation des lois et de manipuler la justice, dans le but d’exclure de façon arbitraire certains candidats de la compétition électorale». Enfin, la CENCO a annoncé qu’elle participera activement au processus électoral, en déployant 1.026 observateurs en long terme et 40.000 observateurs à cours terme.[24]

b. L’entretien avec le président de la Troïka de la SADC sur la Politique, la Sécurité et la Défense

Le 7 septembre, dans un communiqué publié à l’issu d’une rencontre avec Edgar Lungu, Président de la Zambie et Chairman de la Troïka de la SADC sur la Politique, la Sécurité et la Défense, les Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), se sont dits préoccupés par l’état actuel du processus électoral congolais.
«Convaincus que seules des élections crédibles, transparentes, inclusives et apaisées constituent la solution et l’unique voie de sortie pacifique de la crise socio-politique que traverse le pays depuis 2016, les Évêques ont remarqué les points positifs suivants:
– l’existence d’un fichier électoral audité;
– le respect des dates clé du calendrier électoral ;
– la publication des listes provisoires des candidats à l’élection des députés provinciaux ;
– la publication des listes provisoires des candidats à l’élection des députés nationaux ;
– la publication des listes provisoires des candidats à l’élection présidentielle ;
– la désignation du candidat du Front Commun pour le Congo (FCC), plateforme électorale du Président de la République en fonction;
– le financement progressif du processus électoral par le Gouvernement congolais et
– le début d’affichage des listes électorales provisoires.
Ils ont manifesté les inquiétudes suivantes:
– l’existence d’environ 6 millions d’électeurs enregistrés dans le fichier électoral sans empreintes digitales, ledit enregistrement étant biométrique;
– la détermination de la CENI à utiliser la machine à voter, malgré l’absence d’un consensus des parties prenantes;
– la faible mise en œuvre des mesures de décrispation de l’espace politique (cas emblématiques: prisonniers et exilés politiques);
– la manipulation de la CENI et des Cours et Tribunaux par le pouvoir en place;
– l’exclusion, du processus électoral, des quelques acteurs majeurs de l’opposition;
– les interdictions, les dispersions, les répressions des marches et manifestations publiques organisées par les partis et regroupements politiques de l’opposition et les mouvements citoyens;
– la confiscation des médias publics au profit du pouvoir en place;
– le retard d’inviter les missions internationales d’observation électorale;
– la persistance de l’insécurité, notamment à l’Est du Pays.
La CENCO recommande à la SADC d’accompagner le Peuple congolais et le processus électoral, particulièrement sur les points suivants:
– parachever la mise en œuvre des mesures de décrispation politique, selon l’Accord de la Saint-Sylvestre et en vue d’élections inclusives et apaisées;
– impliquer les parties prenantes à trouver un consensus sur la machine à voter ou à recourir aux bulletins papiers, le cas échéant, comme c’est prévu dans les lignes 38, 39 et 40 du calendrier électoral;
– appeler la CENI à la clarification des cas des personnes enregistrées dans le fichier électoral sans empreintes digitales;
– appuyer l’accréditation des Observateurs électoraux tant nationaux qu’internationaux: du 08 novembre 2018 au 10 décembre 2018 (ligne 42 du calendrier électoral);
– appeler la CENI à présenter à la MONUSCO et aux partenaires de la RD Congo les besoins logistiques pour contribuer au déploiement des kits électoraux sur terrain.
Si les questions soulevées ne trouvent pas des bonnes réponses, on risque soit de ne pas avoir les élections le 23 décembre 2018, soit avoir des élections biaisées. Dans l’un ou l’autre cas, faute d’élections crédibles, inclusives et apaisées, la RD Congo risque de basculer dans la violence, voire dans le chaos».[25]

[1] Cf Radio Okapi, 27.08.’18
[2] Cf RFI, 27.08.’18
[3] Cf Radio Okapi, 29.08.’18; Jeune Afrique, 04.07.’18 et 29.08.’18; AFP / La Libre – Afrique, 30.08.’18;
[4] Cf Fiston Mahamba – Politico.cd, 30.08.’18 https://www.politico.cd/actualite/la-une/2018/08/30/jp-bemba-a-deja-ete-condamne-pour-subornation-de-temoins-seule-sa-peine-reste-a-definir-margot-tedesco.html
[5] Cf Actualité.cd, 27.08.’18
[6] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 31.08.’18; Fiston Mahamba – Politique.cd, 31.08.’18; Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 31.08.’18; RFI, 01.09.’18
[7] Cf Radio Okapi, 01.09.’18
[8] Cf Radio Okapi, 03.09.’18; 7sur7.cd, 03.09.’18 ; Actualité.cd, 03.09.’18
[9] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 04.09.’18
[10] Cf Actualité.cd, 04.09.’18
[11] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 06.09.’18
[12] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 07.09.’18
[13] Cf Chris Elongo – Cas-info.ca, 07.09.’18
[14] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 07.09.’18
[15] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 07.09.’18
[16] Cf Radio Okapi, 31.08.’18
[17] Cf Radio Okapi, 03.09.’18
[18] Cf RFI, 11.09.’18
[19] Cf Radio Okapi, 31.08.’18; RFI, 01.09.’18
[20] Cf Radio Okapi, 31.08.’18
[21] Cf RFI, 03.09.’18
[22] Cf Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 07 et 08.09.’18
[23] Cf Prisca Lokale (Ifasic) – Actualité.cd, 06.09.’18 https://actualite.cd/2018/09/07/rdc-5-minutes-avec-laide-dune-assistante-mon-experience-avec-la-machine-voter
Thérèse Ntumba (Ifasic) – Actualité.cd, 06.09.’18 https://actualite.cd/2018/09/07/rdc-la-ceni-preconise-le-nom-de-la-machine-imprimer-au-lieu-de-la-machine-voter
[24] Cf Radio Okapi, 28.08.’18
[25] Cf http://cenco.org/plaidoyer-de-la-cenco-aupres-de-son-excellence-monsieur-edgar-lungu-president-de-la-zambie/