Congo Actualité n. 358

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: FEU VERT POUR LES ÉLECTIONS, MAIS ATTENTION AU FEU JAUNE

  1. L’AUDIT DU FICHIER ÉLECTORAL PAR L’OIF
  2. RÉVISION DE LA LOI ÉLECTORALE: PAS’ENRÔLEMENT NI DE VOTE POUR LES CONGOLAIS VIVANT À L’ÉTRANGER
  3. STRATÉGIES PRÉÉLECTORALES
  4. LE MEETING DE « ENSEMBLE POUR LE CHANGEMENT »
  5. LA LIBÉRATION PROVISOIRE À JEAN PIERRE BEMBA

 

ÉDITORIAL: FEU VERT POUR LES ÉLECTIONS, MAIS ATTENTION AU FEU JAUNE

 

 

 

 

1. L’AUDIT DU FICHIER ÉLECTORAL PAR L’OIF

 

D’autres radiations de doublons effectuées entre avril et mai 2018 auraient dû faire baisser le nombre d’électeurs enregistrés dans le fichier électoral. Mais au moins quatre provinces, la Tshopo, le Kwilu, le Sud-Ubangi et le Lomami en ont gagné plusieurs dizaines de milliers, si l’on se fie aux chiffres contenus dans la loi sur la répartition des sièges adoptée par le Parlement. Cette variation change le quotient électoral et le nombre de sièges pour au moins deux provinces.

Ce qu’on constate aussi dans cette loi, ce sont d’autres écarts, notamment dans l’évolution de la population électorale depuis 2011. Au niveau national, la progression est de 26% en moyenne. Mais certaines provinces ou circonscriptions, comme le Sankuru ou l’ex-Katanga sont très largement au-dessus. Elles auraient une augmentation du nombre d’électeurs de 35 et 150%. Alors que d’autres circonscriptions ou villes perdent des électeurs depuis 2011 alors que cet enrôlement prévoyait l’enrôlement des mineurs en âge de voter au 31 décembre 2018. Donc tous les jeunes entre 16 et 18 ans. Ces disparités ne sont pas seulement liées au conflit, aux déplacements de population. En effet, les provinces de l’Est, qui connaissent traditionnellement des conflits, restent dans la moyenne nationale et gagnent même des sièges. Les provinces qui perdent des sièges, des électeurs ou voient leur croissance limitée seraient toutes des bastions de l’opposition. L’ex-province de l’Equateur pour le MLC, le Kasaï-Occidental pour l’UDPS. Les villes comme Kinshasa, Goma, Mbuji-Mayi, Mbandaka.[1]

 

À propos de l’audit du fichier électoral par l’OIF, en plus des 6 millions de doublons et mineurs radiés du fichier en avril dernier, il y a eu des problèmes dans l’enregistrement des électeurs, sur les noms, les adresses ou encore les photos, et ce sont près de 17% des électeurs pour lesquels il n’y a pas d’empreintes digitales. «Sur les 46 millions d’électeurs annoncés au départ, plus d’un quart d’entre eux ont été mal enregistrés», déplore un expert. «C’est grave, mais on va devoir faire avec pour ne pas tomber dans le piège d’un nouveau report», précise un autre expert.

Parmi les autres sujets d’inquiétude qui devraient faire l’objet de recommandations, il y a les accroissements hors normes de la population électorale, le risque de voir les membres des forces de sécurité voter puisque la Céni n’a pas eu accès à leurs noms, le risque de voir les millions de cartes distribuées aux doublons, mineurs ou même non distribuées ou utilisées pour frauder. Il faudra enfin éviter, selon les experts, d’autoriser les électeurs à voter hors de leur bureau de vote.[2]

 

Du 6 au 25 mai, à l’invitation de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a dépêché à Kinshasa une mission d’audit du fichier électoral. L’objectif de l’audit a été de procéder à l’analyse qualitative et quantitative des données du fichier électoral en vue d’identifier ses forces et faiblesses et, le cas échéant, formuler des recommandations.

Le groupe des experts de l’OIF était intégré dans un comité d’audit  plus vaste comprenant7 membres désignés par la CENI, 22 observateurs répartis comme suit: 5 délégués de l’opposition, 5 de la Majorité présidentielle, 7 de la société civile, 2 représentantes des organisations féminines et de promotion du genre, 1 représentant de l’UA, 1 de la MONUSCO, et 1 de l’UE.

Le 25 mai, après trois semaines d’intenses activités, l’équipe des experts de l’OIF a présenté les conclusions préliminaires de cet audit, assorties de recommandations à court et moyen terme.

Sur la base des constats et résultats d’analyses, le Comité d’audit a établi que «le fichier électoral est inclusif, exhaustif et actualisé mais perfectible, nécessitant donc des améliorations ayant fait l’objet de recommandations à court et moyen terme en vue, notamment, de son affichage provisoire pour permettre d’aboutir à des listes électorales définitives, conformément à la loi».[3]

 

Selon son rapport, la mission de l’OIF a pris note de la continuité des travaux en cours sur le fichier électoral et a dû, pour cette raison, utiliser une version figée du fichier électoral, pour les besoins de l’audit, au 14 mai 2018. Par conséquent, l’audit du fichier électoral a été réalisé sur une base de données de 40.024.897 électeurs inscrits. Les auditeurs de l’OIF ont également eu accès au fichier brut comprenant l’ensemble des données collectées par la CENI. Sur un total de 46.862.423 électeurs initialement enrôlés, 6.837.526 ont été radiés du fichier national par la CENI dans le cadre d’importantes opérations d’épurement des listes.

Selon le rapport de l’OIF, «l’actualité et la complétude des données est établie à 99,93% pour les dates de naissance ; 99,99% pour la présentation des pièces d’identité ou d’une reconnaissance pour le témoignage ; 99,98% des photographies des demandeurs ; 99,91% des formulaires d’inscription y étant rattachés ; 83,4% des cas au moins une empreinte a été collectée».

– Les pièces présentées à l’appui de l’enrôlement sont réparties comme suit dans le fichier électoral: la carte d’électeur (53,3%), les cartes d’élève, d’étudiant et livrets de pension (26,0%), les actes de naissance et assimilés (11,8%), les preuves de nationalité et assimilées (2,9%), les passeports et permis de conduire (1,1%). Parmi les électeurs qui se sont enregistrés sans pièce d’identité, une grande partie a eu recours au témoignage, dans 4,8% des cas. Pour autant 66 231 électeurs restent enregistrés sans pièce d’identité et sans témoignage, représentant 0,1% des électeurs inscrits.

– Les électeurs dont les dates de naissance sont erronées (deux chiffres au lieu du format à quatre chiffres pour l’année de naissance) représentent 29 755 électeurs soit 0,07% des inscrits.

– Un nombre résiduel d’électeurs (0,02%) subsiste sans photo ou encore sans formulaire d’inscription (0,29%).

– Si 77% des électeurs ont les empreintes de leurs dix doigts enregistrées dans la base de données, 6% ont enregistré des données partielles entre 1 et 9 doigts, et 16,6% (soit environ 6.700.000 personnes) ont été enregistrés sans empreintes. Il s’agirait donc d’un total de presque 23 % des électeurs enrôlés. Et l’audit n’a pas permis d’expliquer ce phénomène, qui toucherait toutes les provinces (certaines plus que d’autres). L’OIF attend de la Céni une explication. Cette situation a été favorisée par la possibilité offerte au président du centre d’inscription de valider l’inscription sans cet élément, sans pour autant avoir suffisamment encadré ce dispositif dérogatoire. Cet état de fait ne remet pas pour autant en cause la validité de la procédure et la qualité des électeurs inscrits, car ce n’est pas illégal en République démocratique du Congo de voter sans avoir fourni d’empreintes à l’enrôlement. Cela veut dire que cette catégorie d’électeurs aura bel et bien droit au vote.

– Un nombre résiduel de potentiels doublons pourrait subsister, représentant approximativement 0,34% des électeurs sur la base nettoyée du fichier électoral.

– 498 345 électeurs atteindront 18 ans entre le 24 et le 31 décembre 2018 et ne pourront donc pas participer au scrutin du 23 décembre 2018.

– Il y a aussi 97,7% de cartes vierges non utilisées qui ont été restituées, mais il manque effectivement 2,3% qui n’ont pas encore été restituées, ce qui représente plus d’un million de cartes dans la nature. Si on les ajoute aux 6 millions de cartes distribuées aux doublons et aux mineurs, cela pourrait faire au moins 7 millions de personnes avec des cartes qui ne devraient pas avoir le droit de voter.

À propos de ces irrégularités, l’OIF explique ne pas être en mesure de vérifier s’il y a des électeurs fictifs, faute d’avoir pu se rendre sur le terrain.

Enfin, l’OIF recommande à la Commission électorale de:

– Publier et afficher, au plus tôt possible, des listes provisoires des électeurs à travers le pays et de préciser les dates de contentieux y afférant. Appeler aussi les partis et la population à vérifier par eux-mêmes les listes provisoires des électeurs, ce qu’on appelle un audit citoyen de leur fichier.

– centraliser les données manquantes, pour réconcilier les dernières informations résiduelles manquantes pour les électeurs ne présentant ni photographie ou formulaire à l’appui de leur inscription en se basant sur les informations biométriques contenues dans les kits;

– poursuivre les investigations portant sur l’absence de motifs pour les électeurs ayant été enregistrés sans empreintes et paramétrer les logiciels de saisie des données biométriques pour garantir l’application d’un motif pour l’inscription sans empreinte, qui doit rester une dérogation exceptionnelle;

– compléter, dans la mesure du possible, les informations manquantes sur le fichier en se basant sur les formulaires d’inscription rattachés aux données des électeurs;

– continuer à radier les doublons résiduels potentiels persistant sur le fichier électoral évalué au maximum à 0,34% ;

– isoler, pour le scrutin du 23 décembre 2018, les électeurs atteignant 18 ans entre le 24 et le 31 décembre 2018 (environs 400.000) pour garantir qu’ils n’y auront pas accès ;

– poursuivre son processus de sanctions, tout en ciblant les centres d’inscription ayant connu principalement des taux élevés d’inscription de mineurs, d’électeurs sans empreintes ou encore de doublons, répartis dans plusieurs provinces mais fortement concentrés dans le Sankuru et Tshuapa ;

– continuer l’inventaire des cartes d’électeur vierges non restituées et de renforcer les sanctions pour les centres d’inscription principalement concernés par des écarts entre matériel livré et restitué;

– prendre les dispositions nécessaires pour empêcher le vote des détenteurs de cartes d’électeurs ne figurant pas sur les listes électorales définitives.

– interdire aux électeurs de voter ailleurs que dans le bureau de vote dans lequel ils sont inscrits.[4]

 

Le 28 mai, dans une déclaration commune, l’opposition politique a relevé la présence de doublons résiduels (255.957); d’enrôlés sans totalité d’empreintes digitales (2.097.486) soit 7,4%; d’enrôlés sans formulaire F01 (116.806); d’enrôlés sans date de naissance (29.755); d’enrôlés sans la totalité de l’état civil (5.957); d’enrôlés sans photo (8.747) et de nouveaux majeurs n’ayant pas droit au vote du 23 décembre 2018 (498.345). Elle a donc exigé la radiation sans délai des 24% d’enrôlés sans empreintes digitales ou avec empreintes incomplètes, soit 9.689.145 personnes. Pour certains opposants, il peut s’agir d’électeurs fictifs et d’un réservoir d’électeur pour la Majorité Présidentielle. L’opposition a aussi exigé le départ de Corneille Nangaa, président de la CENI, et la désignation, toutes affaires cessantes, d’un nouveau président de la CENI par la société civile (composante confessions religieuses) d’ici le 15 juin 2018. La déclaration commune de l’opposition a été signée conjointement par l’UDPS, le MLC, Ensemble Pour le Changement, l’UNC et la Dynamique de l’opposition.[5]

 

Le 28 mai, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Corneille Nangaa, a annoncé le début officiel du travail d’impression, par circonscription électorale et par centre de vote, des listes électorales provisoires, en vue de leur déploiement et affichage au niveau de antennes provinciales. Ainsi, les électeurs pourront, 60 jours avant les scrutins, consulter ces listes, relever des anomalies éventuelles avant la publication de la liste définitive. Et tout cela pour faire en sorte que quinze jours avant le scrutin, nous publions les listes définitives qui seront publiées par circonscription, centre de vote et bureau de vote.[6]

 

 

2. RÉVISION DE LA LOI ÉLECTORALE : PAS D’ENRÔLEMENT NI DE VOTE POUR LES CONGOLAIS VIVANT À L’ÉTRANGER

 

Le 30 mai, au cours d’une réunion interinstitutionnelle, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, a présenté à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), au Conseil nationale de suivi de l’Accord (CNSA) et au gouvernement une nouvelle proposition de loi modifiant l’actuelle loi électorale. Il s’agirait d’une proposition de révision des articles de la loi électorale relatifs au vote des Congolais vivant à l’étranger. En effet, on proposerait de renvoyer à plus tard la participation des Congolais de l’étranger, en insérant dans la loi électorale un amendement, selon lequel ce vote «ne s’applique pas pour le cycle électoral en cours».

Le député Henri-Thomas Lokondo, initiateur de cette propositions de loi, a expliqué que, «pour des raisons à la fois techniques, financières et administratives, il était impossible à la Ceni de remplir sa mission en temps et en heure … sans parler des problèmes liés à la double-nationalité de certains Congolais… On risquait un glissement du scrutin et il fallait prendre ses dispositions pour agir de manière responsable».

Cette proposition de loi vise à écarter les Congolais de la diaspora (près de sept millions d’électeurs)  des élections prévues en décembre prochain. Après avoir été amendée par le Gouvernement, elle devrait être examinée et votée en plénière par l’Assemblée nationale. D’après le calendrier électoral publié par la Ceni, l’enrôlement des Congolais de l’étranger devait débuter le 1er juillet. En effet, la Ceni avait 1.600 kits en stock pour assurer leur enrôlement, mais elle ne les a pas encore envoyés aux ambassades. Reste à savoir pourquoi.[7]

 

Le 3 juin, dans une interview, l’assistant du directeur exécutif de la Diaspora congolaise pour le développement, Ruben Abetemanyi, en affirmant qu’exclure la diaspora congolaise des élections du 23 décembre prochain mettrait en cause la crédibilité du processus électoral, s’est dit contraire au non enrôlement des Congolais de l’Etranger. «Ce sont des violations des dispositions de la constitution. Je cite ici l’article 5 en son dernier alinéa et l’article 13. Ces deux dispositions constitutionnelles nous garantissent la liberté de participe aux élections», a affirmé Ruben Abetemanyi, en invitant le parlement à s’abstenir de voter une loi portant «les germes d’exclusion et de discrimination».[8]

 

Le 8 juin, l’Assemblée nationale a adopté deux propositions de loi modifiant et complétant respectivement la loi électorale et celle portant sur l’identification et l’enrôlement des Congolais de l’étranger. 363 sur 367 députés présents à la plénière ont opté pour que les élections aient lieu le 23 décembre prochain sans la participation des Congolais de l’étranger. Ils ont donc voté en défaveur de l’enrôlement des Congolais de l’étranger pour le cycle électoral actuel. Les deux propositions de loi votées à l’Assemblée nationale doivent être examinées à présent par le Sénat avant d’être transmises au président de la République pour promulgation.

Un député de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), Baudouin Mayo, a estimé que l’essentiel aujourd’hui c’est d’arriver à l’alternance politique en décembre 2018: «Le combat que nous menons est d’imposer la tenue de ces élections au 23 décembre 2018».

Toutefois, selon un autre député de l’opposition, Toussaint Alonga, la modification de la loi électorale en ce qui concerne l’enrôlement des Congolais de l’étranger n’est pas par souci de respecter la date du 23 décembre mais plutôt par celui d’éliminer un électoral acquis à l’opposition politique.[9]

 

 

3. STRATÉGIES PRÉÉLECTORALES

 

Le 30 mai, le président de l’ECIDE (Engagement pour la Citoyenneté et le Développement), Martin Fayulu Madidi, a été désigné candidat à la présidentielle de décembre 2018 par la Dynamique pour l’Unité d’actions de l’Opposition. C’était à l’issue d’une convention de deux jours qui a également transformé ce regroupement politique à une plateforme électorale. Martin Fayulu a été aussi mandaté par les participants à cette convention pour discuter avec ses pairs, dans le but d’avoir une candidature unique de l’opposition. Aussitôt désigné candidat président de la République, Martin Fayulu a, une fois de plus, appelé à une transition sans Joseph Kabila: «À la lumière de tous les signaux négatifs et plus qu’inquiétants que la mouvance kabiliste envoie, la Transition sans Kabila est une urgence. Seule la transition sans Kabila est la voie indiquée pour mettre fin à l’impasse politique inutile actuelle. C’est lui qui constitue l’obstacle au retour à l’ordre constitutionnel».[10]

 

Le 31 mai, le président de l’Union Démocratique Africaine Originelle (UDAO) et également président de l’Alliance des Mouvements du Kongo (AMK), André Claudel Lubaya, a annoncé que sa plateforme présentera la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle prévue au mois de décembre: «Au sein d’Ensemble pour le changement, il y a trois regroupements politiques: l’Alternance pour la République (AR), le G7 et l’AMK. Nous pensons que c’est notre plateforme AMK qui est la mieux placée, pour présenter la candidature de Moïse Katumbi». Claudel Lubaya a réaffirmé le retour annoncé de Moïse Katumbi en RDC pour le mois de juin: «Katumbi va rentrer au mois de juin. Il n’y a aucun doute à ce sujet. L’accord signé le 31 décembre 2016 prévoit son retour au pays, la libération des prisonniers politiques, et d’autres mesures pour permettre des élections inclusives. Toutes les décisions prises par la justice contre Moise Katumbi ont des motivations politiques. Donc, ils n’ont aucun effet». André Claudel Lubaya a déclaré que sa plateforme est en train de travailler pour que Moïse Katumbi remporte les élections prévues le 23 décembre 2018: «Notre plateforme n’a pas été créée pour participer aux élections mais plutôt pour gagner les élections. Au soir du 23 décembre prochain, nous voulons avoir un nouveau président de la République et ça sera sans doute notre candidat, Moïse Katumbi. Nous voulons nous réveiller le 24 décembre avec Moïse Katumbi comme chef d’Etat». Lubaya s’est dit confiant quant à la victoire de l’opposition face au régime de Joseph Kabila.[11]

 

Le 2 juin, l’ancien Premier ministre et membre du Parti Lumumbiste Unifié (Palu), Adolphe Muzito, et le président de l’UDPS et du Rassemblement, Félix Tshisekedi, se sont rencontrés à Bruxelles. Dans un communiqué conjoint, les deux hommes ont réaffirmé leur opposition notamment à un nouveau mandat pour Joseph Kabila: «Nous exigeons la tenue des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales en une seule séquence le 23 décembre 2018, telles que prévues par le calendrier électoral accepté par toutes les parties. Nous réaffirmons le rejet d’un troisième mandat de monsieur Joseph Kabila, conformément aux principes constitutionnels tels que repris dans l’Accord de la Saint-Sylvestre, le rejet de la machine à voter que tente d’imposer la Ceni comme une manœuvre destinée à tricher. Nous exigeons la restructuration de la Ceni, pour la rendre impartiale et au service de la démocratie, afin d’élaguer du fichier électoral tous les cas des électeurs douteux relevés par la mission d’audit. Nous exigeons l’application des mesures de décrispation politique, telles que prévues par l’accord de la Saint Sylvestre; l’implication effective de toutes les parties prenantes au processus électoral, pour assurer sa crédibilité; la sécurisation des acteurs politiques pendant toute la période préélectorale et postélectorale».[12]

 

Le 3 juin, on a assisté à la sortie officielle du regroupement politique Palu et alliés, composé de quinze partis politiques et placé sous l’autorité du secrétaire général du Parti Lumumbiste unifié (PALU), Antoine Gizenga. Le vice-président de la plateforme et président du parti ADR, Elvis Mutiri, a réaffirmé que l’objectif poursuivi par PALU et alliés est de gagner les élections à tous les niveaux. Quelques personnalités font partie de ce regroupement politique dont Bruno Mavungu, ancien secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).[13]

 

Le 3 juin, il a été procédé au lancement officiel à Kinshasa d’un nouveau regroupement politique dénommé « Rassemblement des Démocrates Tshisekedistes » (RDT). Dans son allocution, Sylvain Mutombo, président de cette structure, a expliqué que l’objectif poursuivi est de soutenir et travailler pour la victoire de Félix Tshisekedi à la prochaine présidentielle, en ajoutant que, «si en décembre les élections ne sont pas organisées, nous allons imposer Félix Tshisekedi président de la République». En outre, Sylvain Mutombo s’est totalement inscrit en faux contre l’annulation de l’enrôlement des congolais des étrangers, sollicitée auprès du Parlement par la Commission Électorale. «Toutes les voix de la diaspora appartiennent à Félix Tshisekedi. C’est pourquoi ils ne veulent pas enrôler les congolais de l’étranger. Ils ont compris ça et ils ont peur», a-t-il indiqué.

Cependant, le RDT rejette la machine à voter et invite Corneille Nangaa à faire imprimer les bulletins papiers pour les élections qui pointent à l’horizon. Le RDT est composé de plusieurs mouvements et associations proches de l’UDPS.[14]

 

Le 4 juin, dans une déclaration conjointe publié à Kinshasa, cent soixante-seize ONG, membres de la société civile et des mouvements citoyens, se sont opposées à la modification de la constitution et à un éventuel troisième mandant pour l’actuel président de la République, Joseph Kabila.

Ces organisations ont condamné «la rhétorique et autres appels de cadres de la majorité présidentielle à la candidature de l’actuel chef de l’Etat à l’élection présidentielle du 23 décembre». Leur porte-parole, Georges Kapiamba, a déclaré: «Les appels et les affiches de campagne pour le président Kabila, que nous voyons de plus en plus à travers le pays, étalent la volonté du président Joseph Kabila de faire tout ce qui est possible pour se maintenir au pouvoir, en violation de notre constitution». Pour lui, ces initiatives violent les articles 70 et 220 de la constitution et l’accord de la Saint Sylvestre 2016.[15]

 

L’Alliance des Mouvements du Kongo (AMK), l’un des trois regroupements politiques membres d’Ensemble, plateforme de Moïse Katumbi, pose quatre conditions pour aller aux élections prévues le 23 décembre prochain. Il s’agit de la participation de Moïse Katumbi, la non-participation de Joseph Kabila aux élections, la mise en écart de la machine à voter (machine à tricher), les élections sans le fichier actuel. Selon le président de AMK, Claudel Lubaya, «le fichier actuel devra être nettoyé et débarrassé de tous les doublons résiduels et les autres électeurs fictifs. Nous voulons des élections dont Joseph Kabila sera électeur et non candidat».[16]

 

Le secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Jean Marc Kabund, a énuméré quelques préalables pour que Félix Tshisekedi, candidat déclaré à la présidentielle pour le compte de ce parti, prenne part aux élections. Kabund évoque notamment le remplacement de Jean Pierre Kalamba, délégué de l’UDPS comme rapporteur de la CENI. Il exige aussi la mise à l’écart de la machine à voter et la radiation des fictifs et électeurs sans empreintes de l’actuel fichier électoral. Le secrétaire général de l’UDPS a aussi rappelant que la “transition sans Kabila” reste une option à explorer pour organiser de « bonnes élections« .[17]

 

Le 7 juin, le porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), André-Alain Atundu, a affirmé que cette structure a un candidat à l’élection présidentielle de décembre 2018, mais qu’elle le garde encore secret pour des raisons de stratégie. Il a fait remarquer que cette candidature s’inscrit dans le respect de la constitution: «Le président s’est exprimé et nous relayons cette pensée, à savoir: la constitution sera respectée du premier au dernier point. Cette position n’a pas changé et n’a pas été débattue au sein de la Majorité présidentielle pour qu’on soit amené à penser en toute hypothèse qu’il y aura modification de la constitution. Nous avons les candidats à tous les niveaux. Nous avons notre candidat à l’élection présidentielle. Il est de notre droit de garder le secret. Ça relève de la stratégie de notre regroupement. Or, la stratégie ne se passe ni à la radio ni à la télévision. C’est un domaine de confidentialité pour assurer l’efficacité dans l’atteinte de l’objectif».

La Majorité présidentielle a rejeté par ailleurs les accusations de la plateforme de l’opposition Ensemble l’accusant d’instrumentaliser la justice pour empêcher le retour de Moïse Katumbi: «Nous n’avons peur d’aucun candidat. Mais ceux qui soutiennent Moïse Katumbi soient honnêtes pour reconnaitre que, quelles que soient les qualités de leur candidat, aujourd’hui il n’est pas partant. Parce que les preuves existent qu’il a eu la nationalité italienne, qu’il a renoncé à cette nationalité, mais des preuves n’existent pas qu’il a fait une démarche pour recouvrer la nationalité congolaise, condition essentielle pour se présenter à une élection».[18]

 

Le 7 juin, les partis de l’opposition membres du gouvernement et la Majorité présidentielle (MP) ont annoncé la formation d’une plateforme électorale dénommée “Front Commun pour le Congo (FCC)”. Cette coalition, entre une frange de l’opposition et le pouvoir, est placée sous l’autorité morale du président Joseph Kabila. Selon une source de l’opposition membre du gouvernement, «il s’agit d’un méga-regroupement politique qui fédère la Majorité Présidentielle et toutes les plateformes des opposants membres du gouvernement. L’objectif est de soutenir Joseph Kabila et le candidat qui sera présenté par le pouvoir, dans le perspective d’une candidature unique à l’élection présidentielle». Toutefois, les deux parties ont convenu de garder leur appartenance politique respective (opposition et Majorité). Chaque membre de la coalition garde son identité et son autonomie, tout en restant soumis à la discipline du groupe.[19]

 

Le 14 juin, dans un communiqué, le Comité Laïc de Coordination (CLC) a fait noter que, à 9 jours de la date officielle de la convocation de l’électorat, rien ne rassure que Joseph Kabila est décidé pour conduire le pays aux élections sans lui. Le CLC a exprimé cinq inquiétudes sur le processus électoral en cours: la mise en cause de la fiabilité du fichier électoral, l’absence de consensus sur l’utilisation de la machine à voter, la sélectivité des mesures de décrispation, la problématique de la liste des partis et regroupements politiques et le manque d’un plan de décaissements pour financer les élections. a demandé à Joseph Kabila de «lever, avant le 30 juin, l’équivoque sur son probable troisième mandat à la tête de la RDC». À la Commission électorale, il a demandé de «appliquer les recommandations de l’audit de l’OIF» et au gouvernement de «présenter un plan de décaissements rassurant pour le financement des élections et résoudre toutes les questions liées à la liste des partis et regroupements politiques». Le CLC a enfin déclaré que, «au-delà du 30 juin, le peuple congolais, toujours mobilisé et vigilant, sera dans l’obligation de se prendre courageusement et durablement en charge sur toute l’étendue de la république».[20]

 

 

4. LE MEETING DE « ENSEMBLE POUR LE CHANGEMENT »

 

Le 12 mai, les partis membres de la plateforme “Ensemble” de Moise Katumbi ont annoncé un meeting pour le 2 juin à la place Sainte-Thérèse, dans la commune de N’djili, à Kinshasa. Les partis MLP, PDC, Envol, ADP, UDAO et FCR ont saisi le gouverneur de la ville de Kinshasa à propos de l’organisation dudit meeting prévu à 10 H 00.[21]

 

Le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, a invité “Ensemble”, plateforme électorale de Moïse Katumbi, pour une séance de travail le mercredi 23 mai 2018, en rapport avec le meeting qu’elle prévoit organiser le 2 juin prochain à Sainte-Thérèse dans la commune de N’djili.[22]

 

Le 23 mai, après avoir pris acte de la lettre d’information de “’Ensemble” au sujet de son meeting prévu le 2 juin prochain, le gouvernement provincial de Kinshasa a sollicité un report, à cause de l’organisation, le même jour, des obsèques de Olangi Wosho, évangéliste et cofondateur de la fondation Olangi Wosho. À ce propos, le secrétaire général d’Ensemble, Delly Sesanga, a affirmé que «nous ne trouvons aucun inconvénient à cette proposition de l’Hôtel de Ville. Notre meeting se tiendra le 9 juin et l’Hôtel de Ville en a pris acte. Nous allons tenir notre meeting toujours à la place Sainte-Thérèse à la même heure».[23]

 

Le 9 juin, la plateforme électorale “Ensemble pour le changement” a tenu son premier meeting populaire à la Place Sainte-Thérèse, dans la commune de N’djili. Un seul terrain sur les trois que compte la Place Sainte-Thérèse a été rempli par les près de 10.000 militants des différents partis et regroupements politiques qui composent Ensemble (MLP, ARC, MSR, UDA Originelle, MPCR, Envol, PLD, PND, PDC, UNAFEC, MLP, UNADEF, ADURE, CONADE, SCODE, PDC).

On a remarqué la présence de Pierre Lumbi, Delly Sesanga, Christophe Lutundula, Adam Bombole, José Endundo, Jean Bertrand Ewanga, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, Pierre Pay-Pay, Christian Mwando Nsimba, Claudel Lubaya, Jacky Ndala et Vano Kiboko.

Intervenant par vidéoconférence, Moïse Katumbi a expliqué qu’il est en concertation avec l’UDPS et l’UNC pour présenter un candidat unique de l’opposition à la prochaine élection présidentielle. Il a également rejeté l’usage de la machine à voter et l’éventualité d’un troisième mandat présidentiel pour l’actuel Chef de l’État. Seul intervenant à ce meeting, qui a duré juste une dizaine de minutes, Moïse Katumbi a annoncé son retour pour “bientôt”, pour mettre fin, a-t-il dit, à la misère du peuple: «Je sais que vous souffrez. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, pas de travail. Je vais rentrer pour résoudre tout ça».[24]

 

 

5. LA LIBÉRATION PROVISOIRE À JEAN PIERRE BEMBA

 

Le 8 juin, la Cour Pénale Internationale (CPI) a acquitté l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, condamné en première instance, en 2016, à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Centrafrique entre 2002 et 2003, lorsqu’il était chef d’un groupe rebelle congolais, le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC). La majorité des juges d’appel de la CPI ont décidé d’annuler la décision de la Cour de première instance, après avoir relevé de sérieuses erreurs dans son jugement. En effet, elle n’aurait pas dû prendre en compte des crimes qui n’étaient pas mentionnés dans la notification des charges. La chambre d’appel estime surtout que la responsabilité pénale de Jean-Pierre Bemba n’est pas établie de manière irréfutable et que les juges de première instance auraient dû tenir compte de circonstances atténuantes, comme le fait que l’ancien vice-président congolais ait écrit au Premier ministre centrafricain de l’époque pour lui demander d’agir ou qu’il n’avait pas tous les moyens d’enquête en Centrafrique pour savoir ce qu’il se passait ou même pour punir les responsables. Jean Pierre Bemba avait été arrêté en mai 2008 en Belgique, où il s’était réfugié après la crise post-électorale de 2006-2007 en RDC. Placé en détention provisoire à La Haye, son procès démarrait en 2010.[25]

 

Le 12 juin, la Cour Pénale Internationale (CPI) a accordé la liberté provisoire à Jean-Pierre Bemba. La Chambre de première instance VII a ordonné la remise en liberté provisoire de M. Bemba sous certaines conditions spécifiques, notamment de s’abstenir de faire des déclarations publiques sur cette affaire, de ne pas changer d’adresse sans préavis, de ne contacter aucun témoin dans cette affaire. Dans son arrêt, la Chambre d’appel a indiqué qu’il n’y avait pas lieu de maintenir M. Bemba en détention dans le cadre de l’affaire concernant les crimes allégués en RCA.[26]

 

Le 15 juin, Jean Pierre Bemba est arrivé à son domicile familial dans la banlieue de Rhode-Saint-Genèse, à Bruxelles (Belgique).[27]

[1] Cf RFI, 09.05.’18

[2] Cf RFI, 23.05.’18

[3] Cf OIF / MCN, via mediacongo.net, 30.05.’18; Texte complet: https://www.mediacongo.net/article-actualite-38778_audit_du_fichier_electoral_conclusions_et_recommandations_preliminaires_de_l_oif.html

[4] Cf RFI, 25.05.’18; Patrick Maki – Actualité.cd, 25.05.’18; Actualité.cd, 25.05.’18

[5] Cf Actualité.cd, 30.05.’18; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 30.05.’18

[6] Cf RFI, 28.05.’18

[7] Cf Olivier Liffran et Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 31.05.’18; mediacongo.net, 02.06.’18

[8] Cf Radio Okapi, 04.06.’18

[9] Cf Radio Okapi, 08.06.’18; RFI, 10.06.’18

[10] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 30.05.’18

[11] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 31.05.’18

[12] Cf Actualité.cd, 03.06.’18

[13] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 03.06.’18

[14] Cf Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 03.06.’18

[15] Cf Radio Okapi, 04.06.’18

[16] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 05.06.’18

[17] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 06.06.’18

[18] Cf Radio Okapi, 07.06.’18

[19] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 07.06.’18

[20] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 14.06.’18

[21] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 12.05.’18

[22] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 21.05.’18

[23] Cf Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 23.05.’18

[24] Cf Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 09.06.’18; Stanys Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 09.06.’18

[25] Cf RFI, 08.06.’18

[26] Cf Radio Okapi, 12.06.’18

[27] Cf Politico.cd, 16.06.’18