Congo Actualité n. 344

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: LOI ÉLECTORALE → UNE RÉVISION TRÈS CONTROVERSÉE

  1. AU PARLEMENT
    1. Adoption de la loi électorale
    2. Adoption de la loi des finances pour l’exercice 2018
    3. Adoption de la loi sur le Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA)
  2. LES MANIFESTATIONS DU 30 NOVEMBRE
    1. Avant la manifestation
    2. Une énième manifestation de rue muée en journée « villes mortes »
    3. L’annonce d’une prochaine manifestation prévue pour le 19 décembre
  3. UNE DÉCLARATION DE L’UNION EUROPÉENNE

 

ÉDITORIAL: LOI ÉLECTORALE → UNE RÉVISION TRÈS CONTROVERSÉE

 

 

 

 

1. AU PARLEMENT

 

a. Adoption de la loi électorale

 

Le 4 décembre, l’Assemblée nationale a adopté le projet de révision de la loi électorale, mais  sans un véritable consensus entre l’opposition et la majorité. Députés de l’opposition et ceux de la Majorité présidentielle ne se sont pas accordés sur trois principaux sujets: le seuil de représentativité, le cautionnement et la machine à voter. Le texte adopté a été transmis pour seconde lecture au Sénat.[1]

 

Le 12 décembre, le Sénat a déclaré recevable le projet de loi électorale, déjà adopté à l’Assemblée nationale.[2]

 

Le 12 décembre, dans sa réplique au Sénat, le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur Ramazani Shadary a assuré que le projet de loi électorale déposé par le gouvernement à l’assemblée nationale n’a jamais prévu de seuil de représentativité au niveau national. Selon lui, la commission gouvernementale avait décidé d’un seuil de 3% au niveau de la circonscription électorale et non au niveau national: «C’est l’Assemblée nationale qui a tranché, en ramenant le seuil à 1% mais au niveau national pour les législatives nationales, à 3% aux provinciales et à 10% aux locales et municipales». Concernant le cautionnement, il a déclaré que le gouvernement avait proposé un montant que l’Assemblée nationale a revu à la hausse. Selon le Vice-premier ministre Shadary, le gouvernement avait proposé la somme de 500.000 FC pour un seul siège à pourvoir, tandis que les députés nationaux ont ramené ce taux à 1.600.000 FC.[3]

 

Le 12 décembre, après la réplique du vice-premier ministre de l’Intérieur, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, a envoyé, pour toilettage, à la commission Politique, Administrative et Juridique (PAJ), le projet de loi révisant la loi électorale sans l’avoir soumis au vote de la plénière.

Le président du sénat a omis de poser la question aux sénateurs si le texte était déclaré recevable ou pas. Il a tout simplement clos les débats et envoyé le texte à la commission PAJ à qui il a donné deux jours pour terminer le travail de toilettage. Selon un sénateur qui a requis l’anonymat, c’est la plénière qui est censée confier la loi à la commission, «mais, ici, c’est le président du bureau qui a immédiatement envoyé la loi à la commission PAJ».[4]

 

Le 14 décembre, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, a affirmé que la fixation du seuil d’éligibilité dans la loi électorale est une réforme importante et qu’elle devrait «obtenir un consensus politique avant son adoption». Il a proposé que la disposition du seuil soit renvoyée au prochain processus électoral ou que le seuil soit ramené à un pourcentage raisonnable mais au niveau de la circonscription. À propos de la caution, le président du Senat a proposé qu’elle soit « progressive ».[5]

 

Le 15 décembre, le Sénat a voté le projet de loi électorale en des termes différents de l’Assemblée nationale. Sur les 108 membres que composent le Sénat, 77 ont participé au vote:  61 sénateurs ont voté pour ce texte, 11 autres – tous de l’opposition – ont voté contre et 5 se sont abstenus.

Contrairement à l’Assemblée nationale, qui avait opté pour un seuil national de représentativité d’1% , le Sénat l’a ramené au niveau de la circonscription électorale. Selon la version du Sénat, les partis politiques n’ont plus obligation de réaliser 400.000 voix sur 40 millions de votants au niveau national pour prétendre bénéficier un siège à l’Assemblée nationale. Il leur suffira donc, par exemple, de réaliser seulement 10.000 voix sur 1 million de votants d’une circonscription. Les sénateurs de l’opposition ont protesté contre le maintien du seuil de représentativité, bien que ramené à la circonscription.

Cependant, à propos de la caution à verser par les candidats, le Sénat a retenu 1.000 dollars américains par siège, tel qu’arrêtée au niveau de la Chambre basse, mais elle sera progressive. Cela n’a pas enchanté du tout certains sénateurs de l’opposition.

Les sénateurs n’ont pas statué sur la machine à voter, puisque cette question a été élaguée du texte de loi provenant de l’Assemblée Nationale.

Par conséquence, une commission paritaire des deux Chambres parlementaires a été mise en place, pour harmoniser les divergences entre l’Assemblée et le Sénat, principalement sur la question du seuil de représentativité, qui divise jusqu’ici les deux chambres. Faute de compromis, la version de l’Assemblée nationale primera sur celle du Sénat, conformément à la Constitution.[6]

 

Le 15 décembre, dans la commission paritaire Assemblée Nationale – Sénat, les membres des commissions Politique administrative et juridique (PAJ) des deux chambre ne se sont pas mis d’accord sur le seul d’éligibilité. «Les deux délégations ne sont pas tombées d’accord. La délégation de l’Assemblée nationale a considéré que le seuil de 1% au niveau de la circonscription électorale n’était pas significatif et qu’au niveau de la circonscription électorale, le seuil c’est le quotient électoral. On a estimé que ce seuil était dérisoire», a argumenté François Bokona Wipa Bonzali, président de la PAJ de l’Assemblée nationale.

Les deux délégations parlementaires ont, par contre, réintroduit l’article 237 Ter de la loi de 2015 qui interdisait l’utilisation du vote électronique lors des prochains scrutins.

Problème: Corneille Nangaa, président de la CENI ne considère pas l’utilisation de la machine à voter comme «un vote électronique». Est-elle interdite ou pas? Non, réponde la CENI. «C’est la machine à voter qui nous a aidés à réduire le délais de 504 jours. Sans la machine, il nous sera difficile de garder la date du 23.12.2018», a affirmé la cellule de communication de la CENI. Pour la commission électorale, la machine à voter n’est pas le vote électronique interdit par la loi électorale. «C’est un support à la place des bulletins à plus de 53 pages qui coûtent énormément chers», explique la CENI.  Cependant, le sujet de la machine à voter reste vague. Le texte voté n’en fait aucunement mention.

Pressé par le temps, puisqu’il fallait clôturer la session avant minuit, conformément à la constitution, Aubin Minaku est passé au vote dans la version de l’Assemblée nationale. «Etant donné qu’il y a divergence entre les deux chambres, nous allons appliquer l’article 135, alinéa 4 de la constitution, le quel permet à l’Assemblée nationale de statuer. C’est le point de vue de la plénière souveraine qui est d’application», a rappelé Aubin Minaku. Cette disposition stipule que, « si la commission mixte paritaire de deux chambres du Parlement ne parvient pas à l’adoption d’un texte unique … l’Assemblée nationale statue définitivement ». La chambre basse du parlement est alors passée au vote de la loi. 357 députés ont voté oui, 8 ont voté non et 2 se sont abstenus. [7]

 

Le 15 décembre, lors du discours de clôture de la session parlementaire du mois de septembre, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dongo a annoncé qu’une session parlementaire extraordinaire a été convoquée le mardi 2 janvier 2018, sur demande du Président de la République, Joseph Kabila. Les matières à traiter au cours de cette session feront l’objet d’un calendrier qui n’est pas encore disponible. Cependant, plusieurs sources évoquent notamment l’examen du code minier.

Selon d’autres, devant l’importance de la révision de la loi électorale, une matière qui requiert tout de même un consensus, et face à la tension provoquée par certaines dispositions adoptées dans le contexte de cette loi, il est possible que, dans le contexte de cette session extraordinaire, les deux chambres du Parlement soient appelées à trouver un consensus sur les divergences qui persistent autour de cette loi électorale, avant sa promulgation par le Chef de l’État.[8]

 

b. Adoption de la loi des finances pour l’exercice 2018

 

Le 6 décembre, l’Assemblée Nationale a adopté la loi des finances pour l’exercice 2018. Le budget de l’Etat pour l’exercice 2018 est estimé à un peu plus de cinq milliards des dollars américains. Sur les 293 députés nationaux présents à cette séance plénière, 275 ont voté «oui» et les autres ont voté «non» ou se sont abstenus. Le texte adopté a été transmis pour seconde lecture au Sénat, avant sa promulgation par le Président de la République.[9]

 

Le 7 décembre, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a présenté le budget électoral « détaillé et rationalisé » de 432 millions de dollars américains relatifs aux trois scrutins de décembre 2018 (hormis le reliquat relatif aux opérations d’enrôlement). C’était au cours de la réunion du Comité Technique réunissant les experts de la CENI et les partenaires nationaux et internationaux.

Corneille Nangaa en a profité pour rappeler les contraintes liées au respect de ce calendrier. S’il a loué les efforts du gouvernement dans le financement de l’opération d’enrôlement, il a aussi insisté sur le respect des délais. «Si le financement n’est pas rendu disponible au moment où il est requis conformément au rythme des opérations techniques, particulièrement les plus urgentes, le processus en subira certainement un coup», a-t-il martelé.[10]

 

Le 14 décembre, le Sénat a voté la loi des finances pour l’exercice 2018 en des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Le budget 2018 est donc évalué à un peu plus de 5 milliards de dollars américains, dont 4 milliards seront mobilisés sur le plan national et le reste viendra de l’extérieur.

Pour le président de la commission Economique, financière et bonne gouvernance, Mabi Mulumba, ce budget ne reflète pas les potentialités du pays et la population continue à «croupir dans la misère». D’où la nécessité d’améliorer la gouvernance publique.

«Le PIB de la RDC représente à l’heure actuelle 43 milliards de dollars. Ce qu’on amène en termes d’impôts, c’est un pourcentage de ce PIB. Si jamais on prenait 10% comme pression fiscale, on devrait en fait mobiliser au moins 4 milliards. Ce pays a tant de potentialités. Alors pourquoi les gens sont dans cette situation de pauvreté? Ceci signifie que les gens ne profitent pas des ressources de leur pays. Ce que nous retirons du secteur minier ne représente qu’1/7e de ce qu’on devrait faire», analyse le sénateur Mabi Mulumba.[11]

 

c. Adoption de la loi sur le Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA)

 

Le 21 novembre, l’Assemblée Nationale a approuvé à l’unanimité le rapport de la Commission politique, administrative et juridique (PAJ) relatif à l’examen de la proposition de loi organique portant institution, organisation et fonctionnement du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA).
Pour sa part, le bureau de la chambre basse du Parlement a accordé à la commission PAJ 48 heures pour apporter des amendements formulés par les députés.

Cette proposition de loi sera ensuite adoptée à la chambre basse du Parlement, avant d’être envoyé au Senat pour une seconde lecture.

Le CNSA a notamment pour missions d’assurer le suivi de la mise en œuvre de ce l’accord du 31 décembre et de surveiller et évaluer le processus électoral.[12]

 

Le 12 décembre, le Sénat a adopté la loi organique sur le Conseil National de Suivi de l’Accord de la Saint Sylvestre (CNSA). Sur 69 votants, 63 sénateurs ont voté oui et 6 se sont abstenus.[13]

 

 

2. LES MANIFESTATIONS DU 30 NOVEMBRE

 

a. Avant la manifestation

 

Au lendemain de la publication, le 5 novembre, du calendrier électoral, le Rassemblement de l’Opposition / aile Limete avait annoncé que, le 28 novembre suivant, il manifesterait contre ce calendrier électoral jugé impraticable et pour réclamer le départ de Joseph Kabila au 31 décembre 2017.

Ensuite, deux contre-manifestations kabilistes ont été annoncées pour le même jour.

La première a été annoncée par la Majorité présidentielle qui, le 13 novembre, a informé (comme le requiert la loi congolaise, qui n’exige pas d’autorisation) le gouverneur de la ville-province de Kinshasa qu’elle prévoyait d’organiser, le 28 novembre, une manifestation en faveur du calendrier électoral.

La seconde contre marche a été annoncée, pour le même jour, par le Front pour le Référendum, organisation kabiliste, qui en a informé le gouverneur de la ville-province de Kinshasa le 17 novembre.

Au Rassemblement, on crie à une stratégie visant à faire mourir l’oeuf dans sa coquille. Il s’agit pour la MP de donner une raison au gouverneur Kimbuta d’annuler purement et simplement toutes les activités prévues en cette date, évoquant un risque de confrontation. Sur son compte Twitter, le président du Rassemblement a dénoncé cette manœuvre  et a assuré que, quoiqu’il arrive, la marche prévue par l’opposition aura bien lieu. Il a appelé la population à se mobiliser.[14]

 

Le Rassemblement de l’Opposition / aile Limete a ensuite changé la date de sa marche, initialement prévue pour le mardi 28 novembre, au jeudi 30 novembre 2017. C’est ce que révèle la lettre adressée au gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, par le parti de l’opposition ECIDE (Engagement pour la citoyenneté et le développement), en collaboration avec tous les partis et plateformes qui composent ce regroupement politique. “Conformément à l’article 26 de la constitution, nous vous informons que notre parti politique, en collaboration avec les partis membres du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, organise une marche pacifique le jeudi 30 novembre 2017 prochain dans la ville de Kinshasa”, dit la lettre.[15]

 

La Ligue des jeunes de la Convention des Congolais Unis (CCU), une branche de la formation politique de Lambert Mende, dirigée par Jean-Thierry Monsenepwo, a elle aussi saisi le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, pour l’informer d’une marche pacifique de soutien au calendrier électoral, le jeudi 30 novembre. Dans ce cas aussi, l’opinion a compris qu’il s’agit purement et simplement d’une provocation vis-à-vis de l’opposition.[16]

 

Le 24 novembre, à l’issue d’un conseil des ministres du gouvernement provincial de Kinshasa, élargi aux membres du comité provincial de sécurité, la porte-parole de l’Exécutif provincial, Thérèse Olenga, a affirmé que «le gouvernement de la ville a levé l’option de ne pas prendre acte de toutes ces manifestations sur l’étendue de la ville».

Et comme argument pour justifier ce refus, le gouvernement Kimbuta a brandi le fait que «ces manifestations, programmées quasiment aux même dates, retiennent des itinéraires multiples partant de plusieurs endroits de différentes Communes avec des points de chute qui s’entrecroisent, rendant ainsi difficile l’encadrement efficace de la police». André Kimbuta a motivé sa décision par le souci de contenir tout débordement qui résulterait de ces manifestations: «Tout en réaffirmant le droit légitime de manifestation à tout individu, le gouvernement provincial estime qu’il existe malheureusement des risques réels de confrontation sur terrain et tient donc à prévenir toute transformation desdites manifestations pacifiques en bataille rangée susceptible de compromettre l’ordre public». [17]

 

Le 25 novembre, Félix Tshisekedi, président du Rassemblement de l’Opposition / aile Limete, a rejeté l’interdiction des manifestations du 28 et 30 novembre décidée par le gouverneur de la ville de Kinshasa. Selon lui, personne ne peut empêcher aux Congolais d’exercer les droits inscrits dans la constitution: «le 30 novembre, nous exercerons notre droit de manifester. Personne dans ce pays ne peut nous l’interdire. Pour nous, cette histoire d’interdiction des marches n’existe pas. Le 30 novembre, nous serons donc dans les rues de Kinshasa». Pour Félix Tshisekedi, la mesure du gouverneur est sans objet. C’est pour cela qu’il a maintenu la marche à la date annoncée et a appelé les Congolais à y participer massivement.[18]

 

Le 29 novembre, au cours d’une conférence de presse, le Président du Rassemblement de l’Opposition / aile Limete, Félix Tshisekedi, a réitéré son appel à une journée de manifestation intense jeudi 30 novembre à travers toutes les villes du pays, pour rejeter le calendrier électoral et le pouvoir du président Joseph Kabila qualifié de « illégitime ».

Félix Tshisekedi a rappelé que la marche prévue vise aussi à «dire non au régime actuel, dont le sursis d’une année expire le 31 décembre prochain et à la nouvelle loi électorale actuellement sous examen au Parlement». Ce projet de loi électorale contient de nouveaux critères d’éligibilité contraignants que l’opposition juge « liberticides ». «Au regard de la gravité des faits et du danger que court le processus électoral et la nation, le Rassemblement se fait le devoir de dire à la population congolaise de rejeter la loi électorale du PPRD [le parti présidentiel, NDLR] qui en sortira», a lancé Félix Tshisekedi devant la presse.

Le Rassemblement «recommande aux parents de garder leurs enfants à la maison et de ne pas les envoyer à l’école, aux personnes de troisième âge de ne pas quitter leur maison, aux opérateurs économiques de fermer leurs boutiques et magasins, aux étudiants et aux mamans d’occuper massivement les rues du pays ce jeudi 30 novembre, pour « défendre la démocratie et dire non à toute forme de dictature »».

Réagissant aux propos de Félix Tshisekedi appelant à la manifestation du 30 novembre, le porte-parole de la police nationale congolaise, le colonel Pierrot Mwanamputu, a rappelé que l’autorité urbaine n’a pas pris acte de cette manifestation. Il a par ailleurs précisé que «la police va décourager tous ceux qui empêcheraient les autres de vaquer librement à leurs occupations».[19]

 

b. Une énième manifestation de rue muée en journée « villes mortes »

 

Le 30 novembre, la marche programmée par le Rassemblement de l’Opposition sur toute l’étendue du pays a été empêchée par la police dans plusieurs villes. Quelques arrestations ont été rapportées parmi les manifestants.

À Kinshasa, aucune marche n’a été  signalée, même si ça et là quelques Kinois essaient de se regrouper pour marcher, mais sans grand succès, à cause de la vigilance des forces de sécurité. La circulation a été timide dans plusieurs points de la ville. Aucun incident majeur n’a été signalé, sauf du côté du campus de l’Université de Kinshasa (Unikin), où des coups de feu ont été entendus aux alentours de 7 heures-8 heures. L’appel à manifester à Kinshasa s’est plutôt transformé en une journée ville morte. Le dispositif sécuritaire de la police déployé depuis la nuit à plusieurs endroits de la ville a dissuadé plusieurs personnes à descendre dans les rues. Les écoles, les entreprises, banques commerciales et les commerces sont restés fermés.

Plusieurs dizaines de jeunes amassés devant le résidence du président du Rassemblement, Félix Tshisekedi, ont été dispersés à coup de gaz lacrymogène par les éléments de la police.

L’attaché de presse de Félix Tshisekedi, a précisé: «Nous sommes encore à la maison, quasiment séquestrés par la police. On ne sait pas bouger. C’est un marquage à domicile. La police est stationnée devant la résidence. Il y a eu des coups de gaz lacrymogène pour disperser les militants qui étaient venus nous accompagner. Là, je ne sais pas dire si ça pourra être possible de sortir pour le moment parce que la police est devant le portail».

Le Secrétaire général de l’UDPS Jean-Marc Kabund, le Président de l’Ecidé Martin Fayulu et le président du FPR, Jean-Bertrand Ewanga, ont été interpellés en début d’après-midi par les forces de l’ordre alors qu’ils étaient descendus dans la rue pour débuter la marche du Rassemblement.

À Kinshasa, les activités étaient certes paralysées suite à l’appel à l’opération « occupation des rues » décrété par Félix Tshisekedi, président du Rassemblement de l’Opposition. Mais au lieu d' »occuper les rues », les Kinois ont préféré rester à domicile. Du coup, l’opération s’est muée en une ville morte. «La situation est très calme. C’est comme si c’était une journée fériée», soutient Trésor M, habitant la commune de Masina. Cadre dans une banque de la place, Trésor ne s’est pas rendu au lieu du travail, préférant observer la situation à partir de chez soi. Sam, cambiste, est bel et bien dans son lieu de travail, au croisement de l’avenue de Libération et le boulevard du 30 Juin. «Tout est calme ici, il n’y a pas eu de désordre, ni de marche. Mais seulement, les routes sont presque vides. Des bus Transco circulent sans passagers», lâche-t-il.[20]

 

À Goma (Nord Kivu), la manifestation de l’opposition prévue n’a pas eu lieu. Le dispositif policier déployé dans presque tous les quartiers chauds de la ville aurait dissuadé les organisateurs de cette manifestation. Tout l’avant midi la ville a ressemblé à une journée «ville morte». La police a tiré plusieurs balles vers 7 heures locales dans le quartier Majengo, pour disperser des personnes qui s’attroupaient à la suite de l’appel à manifester lancé par le Rassemblement de l’Opposition. La situation est en revanche relativement calme dans la partie sud et ouest de la ville. Un déploiement important de la police est aussi observé dans tous les points stratégiques de la ville. La plupart de parents n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école, redoutant d’éventuelles violences. Toutes les activités ont tourné au ralenti. Le marché central de Virunga par exemple a été quasi désert. A Birere, au centre commercial de Goma, seuls quelques vendeurs se trouvaient devant leurs magasins et boutiques fermés.

À Beni (Nord-Kivu), cinq militants du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA) ont été arrêtés alors qu’ils tentaient d’entamer la marche que les forces de l’ordre ont immédiatement étouffée. Dans la ville, les activités étaient à l’arrêt dans l’avant-midi.

À Kasindi, la police a dispersé les manifestants qui sont descendus dans la rue. Treize parmi eux ont été arrêtés.

À Butembo, la ville a été également quadrillée par les forces de défense et de sécurité et toutes les activités commerciales ont été paralysées. Les organisateurs de la marche ont dit avoir renoncé à leur manifestation à la suite d’une menace d’attaque des Maï-Maï sur Butembo.

À Bukavu (Sud Kivu), la marche d’une dizaine des femmes des partis politiques et des mouvements citoyens de la province a été dispersée par des grenades lacrymogènes. Ces femmes arboraient des messages sur lesquels on pouvait lire « Nous exigeons les élections dans un bref délai et le départ de Kabila au plus tard le 31 décembre 2017 ».

À Kalemie (Tanganyika), la police nationale congolaise (PNC) a interpellé six membres du Rassemblement de l’opposition alors qu’elles participaient à la manifestation. «Le Rassemblement /Tanganyika exige l’instauration d’une transition sans Monsieur Kabila, afin de confier le pays à des personnalités neutres qui auront pour tâche d’amener le pays vers l’alternance politique par la tenue effective des élections tant attendues par le peuple congolais», a expliqué le porte-parole du RASSOP\Tanganyika, Alexis Katempa.

À Mbuji-Mayi (Kasaï-Oriental), l’opposition a signalé l’arrestation de Denis Kalombo, coordonnateur du Rassemblement et secrétaire fédéral de l’UDPS au Kasaï-Oriental et de quatre membres de la LUCHA.

À Matadi (Kongo-Central), près d’une vingtaine de membres de l’UDPS de Matadi accompagnés d’une foule importante, ont été bloqués par les éléments de la police au niveau du rond-point Mvuadu. Ils n’ont pas pu organiser leur manifestation.

À Kananga (Kasaï-Central), la Police nationale congolaise (PNC) a dispersé les manifestants entre la paroisse Notre Dame et le stade des jeunes, dans la commune de Ndesha. D’autres qui manifestaient devant le quartier général de la MONUSCO ont aussi été dispersés par la police.

Un important dispositif policier a été par ailleurs déployé sur tous les carrefours de la ville. Les écoles et les commerces étaient également fermés.[21]

 

Les manifestations de l’Opposition se suivent et se ressemblent. Et à chaque fois le scénario est le même: déploiement massif des forces de l’ordre, faible mobilisation et la population contrainte de rester à la maison. Ce 30 novembre, Félix Tshisekedi a de nouveau appelé les Congolais à «occuper massivement les rues pour dire non à la dictature». S’il y a eu un peu partout une présence massive, il ne s’agissait pas de celle que le Rassemblement espérait. Plutôt, celle des hommes en bleu, les forces de l’ordre fortement déployées, dans la capitale comme en provinces.[22]

 

Le 1er décembre, le Bureau Conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH) a affirmé que, lors des manifestations du 30 novembre, au moins 186 personnes ont été arrêtées, 18 blessées et une tuée. 94 personnes auraient été remises en liberté. Pour sa part, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) a dressé un bilan de 78 personnes blessées, 235 arrêtées, dont 82 personnes ont été libérées.[23]

 

Le 5 décembre, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) a confirmé la libération, de soixante-trois militants du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (Lucha) arrêtés le 30 novembre dernier pendant la marche organisée par le Rassemblement.

Selon Georges Kapiamba, coordonateur de l’ACAJ, «Ils ont été libérés il y a quarante-huit heures. A Mbandaka ils étaient à trente-deux et ils ont tous été libérés. A Butembo ils étaient à sept. On avait libéré trois, et les quatre qui restaient viennent également d’être libérés. Et à Beni ils sont au nombre de 15 à avoir été libérés. Ils nous ont fait part des traitements inhumains qu’ils ont subi pendant leur détention». Le coordinateur de l’ACAJ dit avoir saisi le commissaire général de la police pour une enquête, afin de sanctionner les responsables de ces menaces dont la plupart des militants seraient victimes pendant leur détention. Quinze autres militants du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA) arrêtés le 30 novembre dernier lors des manifestations de l’opposition à Kasindi, dans le territoire de Beni, ont été libérés lundi 4 décembre.[24]

 

c. L’annonce d’une prochaine manifestation prévue pour le 19 décembre

 

Le 2 décembre, le Rassemblement de l’Opposition / aile Limete a annoncé une autre manifestation en date du 19 décembre, toujours dans le cadre de son combat visant à obtenir le départ du président Joseph Kabila. Dans une déclaration lue par Docteur Bwasa, rapporteur de la principale plateforme de l’opposition, Félix Tshisekedi a annoncé: «Le Rassemblement est déterminé à continuer la mobilisation du peuple jusqu’à ce que Joseph Kabila partira. A ce sujet, nous déclenchons une marche de sommation qui aura lieu le 19 décembre prochain. Parce que le 19 décembre c’est une date magique. C’est le jour où le feu président Étienne Tshisekedi avait lancé l’opération carton rouge contre le président Kabila».[25]

 

Le 3 décembre, le président du comité des sages du Rassemblement de l’Opposition / aile Limete, Pierre Lumbi, a affirmé que le Rassemblement ne va pas baisser la garde: «Le 30 novembre, nous avions un double plan. Dans notre plan B, si Kimbuta n’autorisait pas la marche, il était attendu que nous paralysions tout le pays. C’est un plan qui a porté ses fruits, parce que 16 villes à travers le pays ont vécu la paralysie des activités… Nous avons donc le devoir de lutter et de lutter toujours … Une lutte est une succession de batailles. Nous ne serons pas 10 mille ou 100 mille. Nous serons 2 millions de Congolais dans la rue. Mais avant d’y arriver, il y a le 19 décembre. Le mot d’ordre est lancé par le président Félix Tshisekedi. Si Kimbuta nous interdit la marche projetée, soyons prêts. Cette fois-ci, ils devront subir la paralysie des villes pour trois, quatre, cinq ou six jours d’affilé».[26]

 

 

3. UNE DÉCLARATION DE L’UNION EUROPÉENNE

 

Le 11 décembre, le Conseil pour les affaires étrangères de l’Union Européenne a adopté des conclusions sur la République Démocratique du Congo à la suite de l’annonce, le 5 novembre, d’un calendrier électoral. Les conclusions soulignent qu’il est fondamental, en particulier pour la légitimité des institutions chargées de la transition, de garantir que la date de l’élection, fixée maintenant au 23 décembre 2018, soit respectée.

«1. La tenue d’élections crédibles, transparentes, inclusives et pacifiques doit permettre de sortir de la crise politique en permettant une alternance démocratique en République Démocratique du Congo (RDC), conformément à sa Constitution qui limite le nombre des mandats présidentiels, à l’accord politique de la Saint Sylvestre, aux dispositions de la résolution 2348 (2017) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ainsi qu’à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

  1. À la suite de l’annonce, le 5 novembre, du calendrier électoral, l’UE souligne la responsabilité première du gouvernement et des institutions en charge de l’organisation des élections, en particulier la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), dans la mise en œuvre effective et sans délai des mesures et actions à même de garantir le respect de ce calendrier, à travers un processus crédibilisé, légitime, consensuel et inclusif, dans le respect de l’accord politique de la Saint Sylvestre. Rappelant que le Conseil de sécurité des Nations Unies a, de concert avec l’Union africaine, demandé à plusieurs reprises la publication rapide d’un calendrier électoral crédible et consensuel, l’UE estime qu’il est déterminant, notamment pour la légitimité des institutions chargées de la transition, de garantir que la date des élections désormais fixée du 23 décembre 2018 soit respectée.
  2. L’UE condamne vivement les violations des droits de l’Homme ainsi que les actes de harcèlement à l’encontre d’acteurs politiques de l’opposition, de représentants des médias et de la société civile, ainsi qu’à l’encontre de défenseurs des droits de l’Homme. Ils sont incompatibles avec les principes démocratiques et le respect des libertés fondamentales consacrées par le droit international public. L’UE souligne la nécessité de respecter la Constitution et l’urgence de la mise en œuvre intégrale par le gouvernement de l’ensemble des mesures de décrispation politique prévues par l’accord de la Saint Sylvestre, nécessaires pour réunir les conditions d’élections crédibles et inclusives, rétablir la confiance entre les acteurs concernés et apaiser les tensions politiques, notamment la libération de tous les prisonniers politiques, la fin des poursuites judiciaires injustifiées, la fin de la duplication des partis politiques, la liberté de la presse et la réouverture des médias fermés. L’UE appelle aussi au respect de la liberté de réunion et de manifestation pacifique.
  3. Dans ce contexte, l’UE réaffirme sa volonté d’appuyer des élections crédibles et inclusives, en collaboration avec l’ensemble des acteurs congolais et leurs partenaires, en particulier les Nations Unies, l’Union africaine, la SADC, la CIRGL et l’OIF. Dans la mise en œuvre de son appui technique et financier, l’UE évaluera la mise en œuvre des mesures mentionnées aux paragraphes ci-dessus concernant l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre sur lequel se fonde la légitimité de la transition, mais aussi le respect des droits de l’Homme et la réouverture de l’espace politique, ainsi que les mesures nécessaires pour garantir un processus électoral transparent et inclusif, l’application scrupuleuse du nouveau calendrier électoral, la publication d’un budget crédible et un plan de décaissement réaliste, l’adoption de la législation électorale requise et la fiabilisation du fichier électoral. L’UE travaillera aux côtés de ses partenaires internationaux, en particulier dans le cadre de l’équipe conjointe d’experts électoraux, qui devra avoir accès aux informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission de suivi de la mise en œuvre du processus électoral.
  4. L’UE appelle l’ensemble des acteurs congolais, et en premier lieu les autorités et les institutions congolaises, à jouer un rôle constructif dans le processus électoral. Elle rappelle aussi l’importance du rôle de la société civile et des femmes en particulier. Une sortie de crise pacifique et respectueuse de l’esprit de consensus de l’accord politique de la Saint Sylvestre et de l’aspiration du peuple congolais à élire ses représentants, sera déterminante pour la définition des relations entre la RDC et l’UE».[27]

[1] Cf Actualité.cd, 07.12.’17

[2] Cf Radio Okapi, 12.12.’17

[3] Cf Alphonse Muderhwa 7sur7.cd, 12.12.’17

[4] Cf Willy Akonda Lomanga – Actualité.cd, 12.12.’17; Alphonse Muderhwa – 7sur7.cd, 12.12.’17

[5] Cf Radio Okapi, 14.12.’17

[6] Cf Radio Okapi, 15.12.’17; Politico.cd, 15.12.’17

[7] Cf Radio Okapi, 16.12.’17;  Politico.cd, 16.12.’17

[8] Cf Actualité.cd, 16.12.’17; Marcel Tshishiku – La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 18.12.’17

[9] Cf Radio Okapi, 07.12.’17; Politico.cd, 06.12.’17

[10] Cf Actualité.cd, 12.12.’17

[11] Cf Radio Okapi, 15.12.’17

[12] Cf Radio Okapi, 22.11.’17

[13] Cf Radio Okapi, 12.12.’17

[14] Cf Actualité.cd, 17.11.’17; Marie-France Cros – La Libre / Afrique, 20.11.’17  https://afrique.lalibre.be/11214/rdc-manifs-kinshasa-essaie-de-manipuler-la-communaute-internationale/

[15] Cf Actualité.cd, 21.11.’17; 7sur7.cd, 21.11.’17 https://7sur7.cd/new/2017/11/la-marche-du-rassop-repoussee-au-30-novembre-kimbuta-officiellement-saisi/

[16] Cf mediacongo.net, 24.11.’17  http://www.mediacongo.net/article-actualite-32771.html

[17] Cf Élysée Odia – 7sur7.cd, 25.11.’17; Radio Okapi, 27.11.’17; AFP – Jeune Afrique, 26.11.’17

[18] Cf Radio Okapi, 27.11.’17

[19] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 29.11.’17; Radio Okapi, 29.11.’17

[20] Cf Radio Okapi, 30.11.’17; Actualité.cd, 30.11.’17; Mediacongo.net, 30.11.’17

[21] Cf Radio Okapi, 30.11.’17

[22] Cf Cas-info.ca, 30.11.’17

[23] Cf Actualité.cd, 01.12.’17; RFI, 02.12.’17

[24] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 05.12.’17; Radio Okapi, 05.12.’17

[25] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 02.12.’17

[26] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 04.12.’17

[27] Cf texte complet: http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/12/11/republique-democratique-du-congo-le-conseil-adopte-des-conclusions/