Congo Actualité n.215

SOMMAIRE

1. KIVU: SITUATION SÉCURITAIRE ENCORE VOLATILE

a. Les opérations de l’armée contre les groupes armés

b. Redditions

c. Mise en œuvre du plan DDR

d. Amnistie

e. Frontières passoire

2. LA DEUXIÈME CONFÉRENCE NATIONALE SUR LES MINES EN RDCONGO

a. Le contexte

b. Le déroulement de la conférence

3. LA JUSTICE NE PEUT PLUS ATTENDRE

4. RENOUVELLEMENT DU MANDAT DE LA MONUSCO

  1. KIVU: SITUATION SÉCURITAIRE ENCORE VOLATILE

 

Les opérations de neutralisation des groupes armés avancent lentement et de façon ambiguë. D’une part, si l’armée régulière parvient à libérer des zones occupées et en prendre le contrôle, de l’autre, les groupes armés se retirent dans la forêt sans être battus. Cette stratégie leur donne la possibilité de survivre et, à terme, de se réorganiser.

En outre, la mise en œuvre du plan de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des ex-combattants des différents groupes armés suscite de nombreuses doutes, car on risque de réintégrer dans l’armée régulière des anciens miliciens indisciplinés et sans aucune formation militaire.

a. Les opérations de l’armée contre les groupes armés

Contre les rebelles ougandais de l’ADF

Le 9 mars, les FARDC ont pris le contrôle de la localité de Makoyova 3, considérée comme le dernier bastion des rebelles ougandais des ADF à Beni. Les combats ont fait 22 morts dans les rangs des ADF et deux du côté de l’armée. Selon plusieurs sources, les ADF ont pris la direction du Parc national des Virunga et du massif de Ruwenzori.[1]

Le 13 mars, les FARDC et les rebelles ougandais des ADF se sont affrontés au village Saasita-Sa, situé à une soixantaine de kilomètres de Beni. Les militaires ont lancé l’assaut sur cette localité pour finalement se diriger vers le Parc national des Virunga, où se sont réfugiés certains rebelles et leurs chefs, après avoir perdu le contrôle de la localité Makoyova 3.[2]

Le 18 mars, le colonel Olivier Hamuli, porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, a affirmé que, depuis le lancement le 16 janvier dernier de l’opération militaire Sokola 1 contre les ADF dans le territoire de Beni, aucun des environ six cents personnes otages des rebelles ougandais des ADF n’a été retrouvé. Selon le porte-parole militaire au Nord-Kivu, ces otages seraient peut être exécutés ou amenés vers une destination inconnue. Mais, pour l’administrateur du territoire de Beni, l’espoir est encore permis car, selon lui, les ADF en fuite se déplaceraient avec des colonnes des civils. Il indique aussi que certains otages auraient été enrôlés au sein des ADF. Une version corroborée par la coordination de la société civile du Nord-Kivu.[3]

Le 22 mars, 251 réfugiés congolais qui revenaient de l’Ouganda sont morts noyés dans le lac Albert. Les victimes faisaient partie de près de trois cents refugiés congolais qui avaient «acheté des places à bord d’un bateau privé qui ne présentait vraisemblablement pas les garanties de sécurité requises», a précisé jeudi Lambert Mende, porte-parole du gouvernement. Le naufrage pourrait avoir été provoqué par la surcharge des passagers et la vétusté du navire.

Ces réfugiés avaient fui la RDC à la suite des agressions répétées des forces négatives de l’ADF dans la province du Nord-Kivu et avaient été installés dans le site Kingwale, en Ouganda. Ils avaient décidé de quitter ce site de leur propre initiative, à cause de la mauvaise qualité d’accueil qui leur avait été réservé, souligne le communiqué du gouvernement. Des contacts qui impliquent le gouvernements ougandais et congolais, ainsi que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), devront aboutir soit à un rapatriement idoine des réfugiés restés en Ouganda qui le souhaitent, soit à l’amélioration des conditions de vie de ceux qui n’auront pas encore décidé de rentrer à la maison, précise le même texte.[4]

Le 7 avril, répondant à une question d’actualité posée par le sénateur Ernest Hamuli, le ministre de l’Intérieur, Richard Muyej Mangez, a donné un nouveau bilan du naufrage: 109 personnes se sont noyées, 101 sont portées disparues et 41 ont survécu au drame. Selon le ministre de l’Intérieur, ces réfugiés étaient candidats au retour volontaire en RDC, mais ils avaient décidé d’organiser seuls leur retour. Selon plusieurs observateur, il est grave que des réfugiés aient pu organiser eux même  leur retour à l’insu des structures officielles, notamment le HCR, le pays d’accueil et le pays d’origine.[5]

Contre les rebelles rwandais des FDLR

Le 10 mars, Les FARDC ont repris le  contrôle de la localité de Miriki, qui était occupée depuis deux ans par les rebelles rwandais des FDLR, dans le territoire de Lubero à environ 200 km au nord de Goma (Nord-Kivu). Selon des sources administratives, les rebelles rwandais se dirigeraient vers l’ouest.[6]

Le 11 mars, les FARDC ont délogé les rebelles rwandais des FDLR de la localité de Kahumo, à 15 Km au Sud-Ouest de Kanyabayonga (Nord-Kivu). Selon des sources administratives, cette localité était occupée par les rebelles depuis deux ans. Des sources locales indiquent que les FDLR se seraient retranchées vers la localité de Kimaka, située à 15 Km au Sud de Kahumo.[7]

Le 21 mars, la société civile du territoire de Lubero a dénoncé la présence d’une centaine de combattants rwandais des FDLR parmi la population de Kyuto, un village situé à plus de 200 km au nord-ouest de Goma, dans le Nord-Kivu. Selon le président de cette structure citoyenne, Joseph Malikidogo, il s’agit de 5 officiers FDLR et de leurs hommes de troupe. Ils ont quitté le Camp de Mashuta, en Territoire de Walikale, pour fuir les opérations de traque planifiées par les FARDC et la Brigade d’intervention de la Monusco. La journée, ils s’adonnent aux travaux des champs avant de reprendre leurs activités criminelles de nuit. Joseph Malikidogo appelle les autorités à intervenir pour mettre fin à cette situation.[8]

Le 24 mars, la société civile du Nord-Kivu a révélé que, depuis au moins deux mois et à cause de l’absence de l’armée, les FDLR occupent 6 localités du Groupement de Busanza, en Territoire de Rutshuru. Il s’agit des villages de Rugarama, Shinda, Mutabo, Rutezo, Karambi et Kitagoma. Les populations locales ont abandonné ces localités pour éviter les exactions de ces miliciens.[9]

Le 31 mars, pendant la nuit, des miliciens des FDLR ont pillé le village de Rugarama, en territoire de Rutshuru. Les assaillants ont procédé par le porte à porte, pillant de fond à comble les habitations de civils, les boutiques, les officines pharmaceutiques et emportant à leur passage argent, vivres, matelas, petits bétails, médicaments et autres objets de valeur.[10]

Annoncée depuis plusieurs mois, l’offensive contre la rébellion rwandaise des FDLR patine. La brigade d’intervention de l’ONU et l’armée congolaise sont bien déployées dans les zones contrôlées par les FDLR, mais aucune nouvelle attaque contre ces rebelles n’a été menée. Officiellement, la Monusco avance la complexité de la situation. Les rebelles hutus sont depuis plus de 20 ans au Congo, ils vivent au milieu de la population civile, dans la forêt, rendant toute attaque particulièrement compliquée. De nombreuses sources évoquent également de possibles échanges d’informations entre l’armée congolaise et les FDLR. Dans le passé, ces rebelles ont à plusieurs reprises prêté main-forte à l’armée congolaise contre d’autres groupes armés. Ce qui pourrait expliquer ce «renvoi d’ascenseur».[11]

Contre l’APCLS

Le 4 mars, les FARDC ont délogé les miliciens de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) de Lwibo, dans le territoire de Masisi (Nord-Kivu). En début février dernier, ces miliciens avaient été délogés de localités de Kibarizo, Muhanga et Butare.

L’APCLS a été créée début 2008, est guidée par Janvier Kalahiri et compterait autour de 500 combattants issus principalement de l’ethnie hunde. Elle lutte, pour des raisons liées à des conflits fonciers, contre la présence des Tutsi au Nord-Kivu.[12]

Le 15 mars, les FARDC ont délogé les miliciens de l’APCLS de la localité de Lukweti dans le territoire de Masisi (Nord-Kivu). Cette localité était considérée comme le quartier général et le dernier bastion de la milice. Les miliciens se sont enfuis avant l’arrivée des FARDC, abandonnant des armes et munitions et ils se seraient dirigés vers la forêt de Mutongo, à environ 18 km de Lukweti. La reprise de Lukweti intervient après une semaine de violents combats autour de la colline Sinaï. Les militaires congolais ont finalement pris le contrôle de la colline le jeudi 13 mars. Au cours de ces affrontements, dix miliciens ont été tués.[13]

Après sa défaite à Lukweti, l’APCLS tente de se coaliser avec d’autres groupes armés de Walikale. Il s’agit de Nduma Defense Of Congo (NDC) de Ntabo Taberi Cheka et le Raïa Mutomboki, actifs sur l’axe routier Walikalé- Bukavu. Le commandement supérieur de cette coalition serait confié à Ntabo Taberi Cheka de Nduma Défense of Congo, tandis que le commandement des opérations sera dirigé par l’APCLS de Janvier Kalahire, le Raïa Mutomboki s’occupera de la logistique.[14]

b. Redditions

Le 3 mars, à Uvira (Sud-Kivu), le Mouvement du Peuple pour la Défense du Congo (MPDC) a annoncé la fin de ses activités militaires et la poursuite de sa lutte en tant que parti politique.

Le MPDC compterait quelque 1.200 combattants. Emmanuel Ndigaya Ngezi, président du mouvement, a affirmé avoir remis tous les combattants de sa milice au général Delphin Kahimbi, coordonnateur du programme pré-DDR au Kivu.[15]

Plus d’une centaine de miliciens se sont rendus aux Forces armées de la RDC (FARDC) depuis fin janvier en Ituri (Province Orientale). Ils provenaient de la coalition de groupes armés de l’Ituri (Cogai), de la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) et de l’armée de libération du peuple congolais (ALPC). Selon les autorités locales, ces redditions seraient dues à la promulgation de la loi sur l’amnistie. Un notable de Walendu Bindi a affirmé que des combattants se rendent chaque semaine. Parmi les leaders des différentes milices de l’Ituri qui se sont rendus, figurent John Ndjabu, ancien colonel de l’armée qui a combattu dans les rangs de la Cogai, Bebwa, lui aussi ancien colonel des FARDC qui était dans les rangs de la rébellion du M23 ainsi que Ndrobu, ex-capitaine de l’armée régulière qui avait rejoint la milice ALPC, encore active en territoire d’Aru.

Les leaders du FRPI, notamment Mbadu Adirodu et Cobra Matata, trainent encore le pas alors qu’ils avaient déjà manifesté le désir d’intégrer l’armée. D’autres miliciens redoutent encore d’être arrêtés. Ils se sont retranchés en Ouganda et au Soudan du Sud.[16]

c. Mise en œuvre du plan DDR

Le 25 février, deux cent cinquante ex-combattants ont quitté le centre de regroupement de Bweremana au Nord-Kivu pour le centre de formation militaire de Kitona dans le Bas-Congo. Le commandant du centre de Bweremana, le colonel Banza Mufwankolo, indique que ces ex-miliciens proviennent de vingt-trois groupes armés dont les APCLS,Nyatura, Maï-Maï Kifuafua et Raïa Mutomboki. Les habitants de Bweremana ont applaudi le départ de ces anciens miliciens. Plusieurs personnes ne sont pas allées aux champs pour assister à cet événement. Elles ont poussé des cris de joie, affirmant être libérées des violences de ces ex-miliciens. Regroupés depuis quelques mois à Bweremana, ces ex-miliciens se livraient à des vols et extorsions, faute d’une prise en charge correcte. Le colonel Banza Mufwankolo reconnaît les actes d’indiscipline commis par ces ex-combattants. Il affirme que cette opération de transfert va se poursuivre. Ces ex-miliciens doivent être envoyés dans plusieurs centres de formation militaire à travers le pays. Avant le début de cette opération, le centre de regroupement de Bweremana comptait quatre mille ex-combattants.

Toutefois, certains d’entre eux, dont des miliciens de l’APCLS et des Maï-Maï Nyatura, avaient déserté ce centre de regroupement, pour investir à nouveau les localités qu’ils occupaient avant de se rendre à l’armée.[17]

Tout porte à croire que leur mutation pour Kitona est le prélude à leur intégration au sein de l’armée nationale, après une formation civique et militaire appropriée. Et, c’est ici que le bât blesse. L’on n’arrive pas à comprendre l’option des décideurs politiques et de la hiérarchie militaire de placer sous le drapeau des criminels, qui n’ont appris qu’un métier dans leur vie: celui de tuer, piller, violer et voler. Au vu de ce scénario, l’on peut douter sérieusement de la volonté des autorités congolaises de doter le Pays d’une nouvelle armée, professionnelle et républicaine. On ne rebâtit pas une armée avec des indisciplinés.[18]

Le 27 février, environ deux mille ex-combattants qui attendent le processus de démobilisation à Bweremana, ont affirmé qu’ils hésitent de rejoindre la base militaire de Kitona, au Bas-Congo, pour entamer le processus de leur réintégration dans l’armée. Ils ont indiqué avoir «peur de leur lendemain». Ils s’interrogent non seulement sur la survie de leurs familles, mais aussi sur leur retour dans leurs villages qui, selon eux, sont occupés par les groupes armés rivaux contre lesquels ils se battaient. De plus, ils craignent d’être abandonnés une fois arrivés à Kitona. C’est pourquoi ils souhaitent que le processus de leur intégration à l’armée se passe au Kivu.[19]

Le 11 mars, une délégation des représentants de la Monusco/ Lubumbashi et de la sixième région militaire a visité le centre de triage à la base militaire de Kamina. Ce centre accueille plus de mille cent ex-combattants, dont 38 femmes. Certains sont issus des différents groupes armés qui ont combattu la rébellion du M23 au Nord–Kivu. Il s’agit notamment de Raïa Mutomboki, APCLS, FPC, FPD et Nyatura Nyiragongo. Leurs âges varient entre 15 et 30 ans.[20]

Selon un diplomate occidental en place à Kinshasa, le plan DDR III présenté fin décembre par le gouvernement congolais en vue du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion des anciens combattants n’offrirait pas aux anciens membres rebelles du M23, « des garanties suffisantes de retour dans leurs foyers », dans le Kivu, dans l’hypothèse où ils ne pourraient être intégrés dans l’armée régulière. Les bénéficiaires du programme devront, en effet, être regroupés dans trois centres de triage à Kitona (Bas-Congo), Kamina (Katanga) et Kotakoli (Équateur), « à des milliers de kilomètres de leurs villages ». Toutefois, selon certains observateurs, leur intégration dans l’armée serait à exclure, pour éviter un nouveau cycle de désertions et rebellions et leur réinsertion dans la vie civile sur place, au Kivu, serait très problématique, car ils se trouveraient côte à côte avec leur victimes, ce qui donnerait lieu à la pérennisation du conflit.[21]

d. Amnistie

En ce qui concerne l’application de la loi sur l’amnistie, il s’agit d’une démarche administrative individuelle et non collective. En d’autres termes, tout bénéficiaire potentiel de la loi d’amnistie doit personnellement adresser sa requête au ministère de Justice qui a qualité de l’examiner en profondeur. Dans la pratique, c’est que les personnes éligibles à l’amnistie n’ont que six mois pour soumettre leurs requières. L’échéance commençait à la date de promulgation de ladite loi. C’est-à-dire le 11 février dernier. Logiquement donc, après le mois d’août prochain, aucune demande d’amnistie ne sera recevable au ministère de Justice.

Chaque candidat à l’amnistie devra remplir un formulaire, avec une photo passeport, auprès d’un magistrat civil ou militaire et, à défaut, auprès d’un inspecteur de police judiciaire ou d’un chef d’établissement pénitentiaire. Une fois établie, la liste définitive des amnistiés sera publiée, par voie d’arrêté, au journal officiel de la République.[22]

Le 11 mars, l’Association Africaine des Droits de l’Homme (Asadho) a dénoncé un monnayage de l’obtention de l’amnistie pour faits insurrectionnels. Au cours d’une conférence de presse tenue au centre Carter à Kinshasa, l’Asadho a parlé de personnes qui passent de prison en prisons pour établir une liste «partiale» de candidats à cette amnistie. Le président de l’Asadho, Jean-Claude Katende, a appelé les autorités congolaises à mettre fin à ce monnayage, dont il ne cite pas les auteurs. Selon lui, certaines personnes profitent de ce genre d’opportunités pour recevoir des pots de vin.[23]

Le 18 mars, la société civile du Nord-Kivu demande à l’envoyée spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les Grands-Lacs, Mary Robinson, de veiller à ce que les rebelles du M23 accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ne bénéficient pas de l’amnistie et soient jugés.

Le président de la société civile du Nord-Kivu, Thomas d’Aquin Mwiti, a indiqué que les noms de ces personnes sont repris sur la liste de rebelles du M23 pour lesquelles le gouvernement avait exclu, pendant les pourparlers de Kampala, toute amnistie et toute réintégration dans l’armée.

Mary Robinson s’est dite préoccupée pour ce dossier et a promis de s’assurer que les criminels présumés ne soient pas amnistiés. «C’est évident que ces gens ne doivent pas bénéficier de l’amnistie», a-t-elle affirmé, réclamant que justice soit faite.[24]

e. Frontières passoire

Le 31 mars, le président de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu, Jules Hakizimwami, a déclaré que des militaires de l’armée ougandaise ont envahi la réserve des gorilles de Sarambwe, à une centaine de kilomètres au nord de Goma, dans le territoire de Rutshuru, depuis le 26 mars dernier.

Jules Hakizumwami a même précisé les positions que les Ougandais occuperaient sur le sol congolais: «Les hommes des troupes de l’UPDF [armée ougandaise] occupent d’importantes collines de villages Karambwe et Kisharo dans le groupement de Binza. Les collines déjà occupées sont notamment Kazingiro, Kabumba, Risura et Kanyabusanane, à plus ou moins 20 kilomètres de la frontière congolo-ougandaise». Sur place, les militaires ougandais déclarent être venus pour «sécuriser leurs compatriotes, qui les ont précédés pour faire des champs à Sarambwe».  «Pourtant, Sarambwe est une partie du territoire congolais», a déploré le président de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu qui a, par ailleurs, demandé l’implication des autorités aux niveaux national, régional et international pour mettre fin à cette présence. Le porte-parole militaire de la Monusco a indiqué, pour sa part, qu’il s’agissait d’une incursion des militaires ougandais, qui n’aurait pas duré longtemps.[25]

2. LA DEUXIÈME CONFÉRENCE NATIONALE SUR LES MINES EN RDCONGO

a. Le contexte

Le 1er mars, à Goma, on a lancé un système de traçabilité des minerais dénommé Initiative de chaine d’approvisionnement (ITSCI). Dès le 3 mars, la cassitérite et le coltan provenant du secteur de Rubaya dans le territoire de Masisi seront étiquetés depuis le site d’extraction, avant leur exportation. Le ministre provincial en charge des mines, Jean Ruyange a déclaré qu’à ce jour, seulement 17 sites miniers du secteur de Rubaya ont été validés par arrêté ministériel. Onze sites miniers dans le territoire de Masisi et des dizaines d’autres sites en territoire de Walikale, dont le site de Bisié, doivent encore être validés. Le ministre provincial des mines a indiqué que ces sites sont encore classés jaunes pour les uns et rouges (interdits d’exploitation) pour d’autres, parce qu’ils sont situés dans des zones occupées par des hommes armés. Ils ne sont donc pas encore éligibles au système de traçabilité.[26]

Le 26 mars, à l’issue d’une mission officielle de recensement des exploitants semi industriels de l’or à Mukenge (60 km au sud de Shabunda), dans le Sud Kivu, le chef de la Direction générale des recettes administratives et domaniales (DGRAD), Eghe Bisimwa, a révélé que des dragues exploitent illégalement de l’or depuis deux mois dans la rivière Ulindi. Selon lui, plus d’une trentaine de ces machines exploitent de l’or dans cette rivière sans aucun document les y autorisant.

La DGRAD Shabunda ne dispose d’aucune statistique sur la production de l’or à Mukenge, bien que les propriétaires des dragues y exploitent l’or jour et nuit. Eghe Bisimwa évalue le manque à gagner à plus de 35 000 dollars américains par trimestre. En outre, avec l’utilisation des dragues, les exploitants artisanaux ne fréquentent plus cette carrière et plusieurs sont réduits au chômage.

C’est pourquoi ils estiment que l’exploitation aurifère dans la région profite seulement aux investisseurs nationaux et internationaux ainsi qu’aux propriétaires des sites miniers.De son côté, le président de la section de la Fédération des entreprises du Congo (Fec) de Shabunda, Kansilembo Musilwa Baraka, regrette aussi que les détenteurs des dragues ne respectent pas la procédure d’identification au niveau des services de l’Etat. Il leur demande de se faire enregistrer à la DGRAD, au Saescam et à la direction provinciale des recettes du Sud-Kivu.[27]

À la veille de la deuxième conférence nationale sur les mines en RDCongo, les habitants du Nord-Kivu disent espérer que ces assises puissent permettre un réel développement du secteur minier dans cette province. Un Gomatracien a fustigé le trafic illicite des minerais entretenu par des sujets étrangers:«C’est une occasion en or que nous venons de trouvée, nous populations du Kivu, de demander à tous les investisseurs étrangers qui viendrons à cette conférence que les Rwandais ne doivent plus être les commissionnaires des nos mines. Nous voulons qu’ils [investisseurs] viennent traiter directement avec nous. L’argent des mines, nous ne voulons plus que ça passe encore par Kigali et l’Ouganda. Ça doit passer directement entre les mains des Congolais».

D’autres habitants de Goma en ont profité pour lancer ce message au chef de l’Etat congolais: «Qu’il [Joseph Kabila] interdise aux autorités militaires et policières et même aux agents de sécurité de se livrer à l’exploitation des gisements des mines».

Selon les coordinations de la société civile provenant des différentes provinces, la gestion des ressources naturelles en RDC pose encore beaucoup des problèmes et ne profite pas du tout à la population. A ce propos, une habitante de Goma a décrié une situation paradoxale: «Nous avons besoins du concret: que les populations locales puissent voir l’impact [de l’exploitation minière] sur terrain. La construction de routes, écoles et centres de santé, la fourniture de l’eau potable et de l’électricité, voilà ce que nous attendons de l’argent qui viendra des mines. La route qui va de Goma à Walikale n’existe plus; alors que c’est de là que viennent plusieurs minerais. C’est contradictoire».

Depuis 2010, le Nord-Kivu a fait les frais des mesures d’interdiction d’exploitation des mines. Par exemple, le 9 septembre 2010, le président Joseph Kabila avait suspendu de six mois l’exploitation minière artisanale. Deux facteurs majeurs expliquaient sa décision: la fraude à outrance constatée dans l’exportation des minerais et l’insécurité liée à cette activité; surtout que les carrés miniers de cette zone attiraient des militaires FARDC et des miliciens qui s’adonnaient à une exploitation illégale. Cependant, «des soldats congolais et des groupes armés ont continué le commerce illicite de minerais dans cette partie du pays, malgré la suspension pendant six mois de l’exploitation minière artisanale», dénonçait l’ONG Global Witness dans son communiqué du 4 mars 2011.

Ensuite, selon le Fédération des entreprise du Congo (Fec), il y a eu «un embargo de fait», à la suite de la loi américaine Dodd Franck contre le trafic de «minerais de sang», c’est-à-dire issus des zones de conflits. Adopté en juillet 2010 pour décourager l’exploitation et le commerce des minerais issus des zones contrôlées par les groupes armés, la loi Dodd-Frank oblige les entreprises américaines à divulguer chaque année la provenance de leurs matières premières. Toutefois, au début de l’application de la loi Dodd-Frank en RDC, il n’existait aucun système de traçabilité dans le pays. Selon certains analystes, aujourd’hui aussi, « seuls 5 % de quelque 800 à 900 sites miniers dans l’est de la RDC sont certifiés. Conséquence: sans le vouloir, la loi Dodd-Frank a entraîné un embargo de fait sur les minerais du Kivu. De nombreux comptoirs ont fermé, beaucoup de creuseurs artisanaux ont perdu leur travail et ont ainsi rejoint les milices locales et la fraude a augmenté.[28]

b. Le déroulement de la conférence

Le 24 mars, la deuxième conférence nationale sur les mines en RDC s’est ouverte à Goma sur le thème: «Gestion durable et transparente des ressources naturelles de la RDC post conflit».

Le Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo a reconnu que les défis dans le domaine des ressources naturelles restent encore majeurs: «Tous les secteurs, miniers, des eaux et forêts, faunes et flore, ressources hydroélectriques et pétrolières, restent encore loin d’être transformées en véritables richesses pour améliorer les conditions de vie des populations».

Il a donc a exprimé la volonté du gouvernement d’améliorer les conditions sociales des populations à travers une bonne gestion des ressources minières. Pour y parvenir, le chef du gouvernement estime qu’il faut renforcer, actualiser et optimiser le cadre institutionnel, légal et réglementaire du secteur minier. Il a également annoncé la révision du code minier et du processus de certification des ressources. Il a souligné que «le gouvernement devra promouvoir la création d’emplois dans le secteur minier, lutter contre la fraude et la criminalité dans les zones minières et promouvoir la valorisation des produits miniers en les transformant localement».[29]

Le chef de la Monusco, Martin Kobler, a annoncé que la Monusco est prête à soutenir l’exploitation, la production et l’exportation des minerais propres. S’adressant au participant, il a affirmé: «Il y a des minerais congolais dans tous vos téléphones, mais ces minerais sont trop souvent mêlés au sang des victimes, aux larmes des enfants, aux cris des femmes violées». Selon lui, «certains groupes armés naissent, se développent, s’enrichissent et se renforcent grâce au revenu de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Les FDLR, FRPI, les Maï-Maï, les ADF sont tous engagés dans le trafic transfrontalier de ressources naturelles». Martin Kobler a estimé qu’il fallait retirer aux groupes armés le contrôle de l’exploitation et de la commercialisation des minerais. Dans ce sens, il a fait savoir que «la dynamique actuelle des FARDC qui sont en train de s’attaquer aux groupes armés est essentielle et positive. La Monusco soutient fermement et décisivement l’armée congolaise pour neutraliser tous les groupes armés». Pour Martin Kobler, «ces ressources qui ont nourri les principales menaces à la sécurité doivent désormais nourrir les actions de stabilisation et de consolidation de la paix, tant au niveau national que régional».[30]

Selon certains observateurs, on aurait souhaité que, à Goma, l’essentiel des discussions se concentre sur la révision du Code minier. Mais à la place, on a préféré se pencher sur un sujet secondaire: la gestion durable des ressources naturelles. Selon ces observateurs, la RDC a besoin d’un Code minier véritablement attractif qui protège les opérateurs du secteur, tout en sauvegardant les intérêts de l’Etat congolais. Mais l’actuel Code minier date de 2002 et il nécessite d’une révision. Décidément, à Goma, on est passé à côté de l’essentiel. Le débat sur l’avenir du secteur minier reste toujours pendant. Il passe inévitablement par un Code minier responsable qui sécurise tous les intervenants, à savoir l’Etat congolais, mais aussi les opérateurs miniers et la Société civile. Le chef de la Monusco, Martin Kobler, a tenté d’effleurer le problème, rappelant le vrai enjeu du secteur. Se référant implicitement aux problèmes de la sur-taxation du secteur minier de la part de l’État et des tracasseries de la part des différents services miniers, il a indiqué qu’une exploitation minière plus équilibrée et transparente allait accroître les revenus de l’Etat «via une taxation claire et honnête».[31]

3. LA JUSTICE NE PEUT PLUS ATTENDRE

Le 1er avril, dans une déclaration conjointe publiée à Kinshasa, 146 organisations congolaises et internationales de défense des droits humains ont affirmé que,  au cours de la session parlementaire qui a débuté le 15 mars dernier, le parlement congolais devrait adopter l’avant-projet de loi relatif à la création de Chambres spécialisées mixtes chargées de juger les responsables d’atteintes graves aux droits humains et voter aussi une proposition de loi visant à incorporer le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) en droit congolais.

Le Président Joseph Kabila et son gouvernement se sont récemment engagés à renforcer la capacité du pays à s’attaquer à l’impunité pour les atrocités perpétrées à l’encontre des civils. Les Chambres spécialisées mixtes qui sont proposées au sein du système judiciaire national se concentreraient sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime de génocide, et elles bénéficieraient au départ de la présence de personnel non congolais jouissant d’une expertise dans ce domaine. La loi de mise en œuvre du Statut de la CPI introduirait dans le droit congolais les définitions de ces crimes en accord avec le Statut de la cour, et réglementerait la coopération avec celle-ci.

«La mise en place de Chambres spécialisées mixtes et l’adoption de la loi de mise en œuvre du Statut de la CPI renforceraient la capacité des tribunaux nationaux à finalement traduire en justice les responsables des indicibles atrocités commises en République démocratique du Congo», a souligné Justine Masika Bihamba, présidente deSynergie des Femmes, un réseau d’organisations congolaises de défense des droits de la femme opérant dans l’est du pays.

La grande majorité des responsables de massacres, de viols, d’actes de torture, de recrutement forcé d’enfants soldats et d’incendie de maisons perpétrés en RD Congo au cours des deux dernières décennies, en particulier dans l’est du pays, demeurent impunis.

Les procès qui ont eu lieu devant les tribunaux militaires congolais se sont heurtés à de multiples défis, notamment sur le plan de la qualité des enquêtes, de la protection des victimes et des témoins, du respect des droits des accusés, et de la possibilité d’engager des poursuites à l’encontre des commandants de haut rang portant la plus lourde responsabilité dans les crimes commis.

La création d’un nouveau mécanisme au sein du système judiciaire congolais chargé spécifiquement de réprimer ces crimes, ainsi que l’adoption de la loi de mise en œuvre du Statut de la CPI dans la législation congolaise, pourraient fortement contribuer à rendre finalement justice aux victimes et à leurs familles.

«Les cycles répétés de violence et l’impunité qui accablent la RD Congo ont infligé d’effroyables souffrances au peuple congolais », a noté Ida Sawyer, chercheuse senior sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Il faut de toute urgence créer un nouveau mécanisme au sein du système judiciaire national pour garantir que les responsables des pires crimes soient enfin traduits en justice – et pour envoyer un avertissement aux autres chefs de guerre et commandants de l’armée, leur faisant comprendre que les crimes graves ne resteront pas impunis».[32]

4. RENOUVELLEMENT DU MANDAT DE LA MONUSCO

Le 28 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2147 renouvelant, pour un an, le mandat de la Monusco, la Mission de l’Onu pour la stabilisation en RDC (Monusco) et de sa brigade d’intervention. Les membres du conseil de sécurité ont autorisé la Monusco à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer notamment la protection des civils, la neutralisation des groupes armés ainsi que la surveillance de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes destinées aux groupes armés. Au sujet des élections, le Conseil de sécurité de l’Onu demande au gouvernement de la RDC d’adopter une feuille de route et le budget des ces élections. Il autorise également la Monusco à fournir un soutien logistique afin de faciliter un processus électoral transparent et crédible. L’ambassadeur itinérant de la RDC, Séraphin Ngwej, qui a pris la parole devant le conseil de sécurité, a annoncé que le gouvernement de la RDC est en train de mettre sur pied une Force de réaction rapide destinée à prendre la relève de la brigade de l’ONU, le moment venu.[33]

Le 2 avril, à Kinshasa, le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu en RDCongo et chef de la Monusco, Martin Kobler, a affirmé que la Mission va partir graduellement du pays. Il a néanmoins prévenu que ce départ, qui nécessite des préalables, prendra du temps. Parmi ces préalables, le chef de la mission a cité la création d’une force de réaction rapide, qui devra remplacer la brigade d’intervention de la Monusco.

La résolution 2147 du Conseil de sécurité de l’Onu invite la Monusco à «préparer une stratégie de retrait» du pays. Selon Martin Kobler, «ça durera un peu mais c’est très important d’avoir une vision et une stratégie. C’est très important de ne pas créer l’impression que nous sommes ici pour l’éternité. C’est le but, l’objectif de cette résolution», a-t-il expliqué.

Pour lui, le futur des Nations unies en RDCongo, c’est l’équipe pays et non la Monusco. L’équipe pays (United Nations Country Team) désigne les agences, Fonds et Programmes des Nations Unies présents en RDC ainsi que les Institutions de Bretton-Woods (Banque Mondiale et FMI).

Martin Kobler a toutefois précise que le départ de la Monusco sera discuté avec le gouvernement congolais, la société civile et les différents partenaires de la mission en RDCongo, mais il a affirmé que «la première tâche, c’est de créer la stabilité et la sécurité, développer la consolidation de l’autorité de l’Etat, avoir un Etat de droit, la reforme du secteur de sécurité et la mise en place d’une force de réaction rapide qui va remplacer la brigade d’intervention de la Monusco».[34]

[1] Cf Radio Okapi, 10.03.’14

[2] Cf Radio Okapi, 13.03.’14

[3] Cf Radio Okapi, 18.03.’14

[4] Cf Radio Okapi, 27.03.’14

[5] Cf Radio Okapi, 08.04.’14

[6] Cf Radio Okapi, 12.03.’14

[7] Cf Radio Okapi, 13.03.’14

[8] Cf Radio Okapi, 21.03.’14

[9] Cf Société Civile du Nord-Kivu – Goma, 24.03.’14

[10] Cf Société Civile du Nord-Kivu, 01.04.’14

[11] Cf RFI, 01.04.’14

[12] Cf Radio Okapi, 05.03.’14

[13] Cf Radio Okapi, 15.04.’14

[14] Cf Radio Okapi, 17.03.’14

[15] Cf Radio Okapi, 04.03.’14

[16] Cf Radio Okapi, 19.03.’14

[17] Cf Radio Okapi, 26.02.’14

[18] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 28.02.’14

[19] Cf Radio Okapi, 28.02.’14

[20] Cf Radio Okapi, 12.03.’14

[21] Cf Jeune Afrique, 25.02.’14

[22] Cf Laurel Kankole – Forum des As – Kinshasa, 01.04.’14; Radio Okapi, 07.03’14

[23] Cf Radio Okapi, 11.03.’14

[24] Cf Radio Okapi, 19.03.’14

[25] Cf Radio Okapi, 01.04.’14

[26] Cf Radio Okapi, 02.03.’14

[27] Cf Radio Okapi, 27.03.’14

[28] Cf Radio Okapi, 23.03.’14;Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 24.03.’14

[29] Cf Radio Okapi, 24.03.’14

[30] Cf Radio Okapi, 24.03.’14

[31] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 26.03.’14

[32] Cf http://www.hrw.org/fr/news/2014/04/01/republique-democratique-du-congo-la-justice-ne-peut-plus-attendre-0

Pour lire la déclaration conjointe, veuillez consulter:www.hrw.org/node/124317

Pour lire une note de Human Rights Watch sur l’initiative de mettre en place des Chambres spécialisées mixtes, veuillez consulter:www.hrw.org/node/124315

[33] Cf Radio Okapi, 28.03.’14

[34] Cf Radio Okapi, 02.04.’14