Congo Actualitè n. 173

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: Soyons sérieux!

1. LES POURPARLERS DE KAMPALA

a. L’ordre du jour des pourparlers

b. Le cahier des charges du M23

c. La réponse du Gouvernement

2. LA POLITIQUE FACE À KAMPALA

 

 

ÉDITORIAL: Soyons sérieux!

 

 

1. LES POURPARLERS DE KAMPALA

 

Le 14 janvier, la réunion plénière prévue entre la délégation du gouvernement et celle du M23 n’a pas eu lieu. La raison officielle de cette énième annulation n’a pas été communiquée. Mais, des sources proches des deux parties laissent entendre que des divergences persistent sur les points à inscrire à l’ordre du jour de ces pourparlers. D’autres sources proches de ces délégations ayant requis l’anonymat indiquent cependant que le président Yoweri Museveni aurait estimé que tous les problèmes de la RDC ne se résoudraient pas à Kampala et qu’il aurait réduit de vingt-et-un à neuf, les revendications du M23. Il s’agit de neuf points qui devraient faire l’objet de discussions. Le facilitateur aurait déjà communiqué cette exigence du président ougandais aux deux parties.

Selon les mêmes sources, le M23 aurait sollicité une dérogation pour étudier en profondeur la question. Deux points récents alimentent une certaine méfiance de la part du M23. Sur la révision de l’accord du 23 mars par exemple, le médiateur aurait émis l’idée que Kinshasa puisse choisir elle-même qui serait et qui ne serait pas réintégré dans l’armée. Sur les questions politiques également, certains au M23 pressentent que l’on risque de les reléguer en marge des discussions.[1]

 

Selon la délégation du M23, la facilitation aurait manifesté un parti pris, à cause de la latitude laissée au gouvernement congolais et à l’état-major des FARDC d’opérer un tri sur la liste des combattants du M23 candidats à l’intégration au sein de l’armée nationale. De l’avis des délégués du M23, le pouvoir discrétionnaire reconnu aux dirigeants congolais dans les opérations futures de brassage ou mixage serait fort préjudiciable à leurs officiers et soldats. D’où, ils ont décidé de ne plus se présenter à la table des négociations tant qu’ils n’auront pas reçu la garantie de l’intégration automatique de leurs combattants au sein des FARDC. Ils ont laissé entendre, à partir de leur quartier général, qu’en cas de non satisfaction de leur revendication, ils disposent de la puissance de feu requise pour faire plier le gouvernement de Kinshasa sur les fronts militaires. Et si la divergence persiste, ils se verraient dans l’obligation de rompre le cessez-le-feu, qu’ils ont pourtant unilatéralement décrété la semaine dernière.

Les observateurs voient dans cette nouvelle impasse non seulement le spectre de la reprise de la guerre au Nord-Kivu mais surtout une stratégie concoctée par le M23 pour déverser, dans les rangs des FARDC, une nouvelle vague de soldats rwandais, comme ce fut le cas lors de l’intégration des combattants du RCD (2003) et du CNDP (2009) au sein de l’armée nationale. L’on soupçonne le Rwanda et l’Ouganda de pousser le M23 au boycott des négociations de Kampala, car très inquiets de la mauvaise posture dans laquelle se trouvent leurs protégés après les sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU ainsi que les décisions relatives au déploiement des drones et d’une Force Internationale Neutre sous le label de la Monusco à l’Est de la RDCongo.[2]

 

Le 15 janvier, le porte-parole du M23, Bertrand Bissimwa, a révélé que les deux délégations ont accepté de commun accord que le médiateur des pourparlers en cours est le président ougandais Joweri Museveni, le facilitateur est le ministre ougandais de la défense Cryspus Kiyonga et le lieu choisi est la capitale ougandaise, Kampala. Selon lui, tout changement devra faire suite à un accord entre les deux parties.[3]

 

a. L’ordre du jour des pourparlers

 

Le 16 janvier, le gouvernement de la RDC et les rebelles du M23 ont adopté l’ordre du jour des pourparlers qui va porter sur quatre points:

I. La revue de l’accord du 23 mars 2009: son évaluation et les mécanismes pour sa mise en œuvre ainsi que les questions connexes.

II. Les questions sécuritaires: la problématique de l’insécurité en RDC, la libre circulation des personnes et des biens, les questions relatives à au fonctionnement des services de sécurité et de défense, et de celles liées à l’ordre public, la restitution des biens publics et privés pillés dans le territoire occupé sous contrôle du M23, ainsi que la réparation des dommages du fait de la guerre.

III. Les questions sociales, politiques et économiques: la violation de la constitution notamment par la Cour suprême de Justice, la violation des droits de l’homme, l’application effective de la loi sur la nationalité et sa mise en œuvre sur le terrain, la gestion économique, sociale et politique du pays, le déséquilibre géopolitique dans le développement de la RDC, la libération des détenus politiques et des prisonniers de guerre, l’amnistie générale des faits de guerre et des faits insurrectionnels. Et, enfin, le scrutin du 28 novembre 2011 et la Ceni.

IV. Le plan de mise en œuvre prévoit un mécanisme de suivi et d’évaluation de l’accord qui sera signé à Kampala.[4]

 

Le 16 janvier, la Société civile du Nord-Kivu a reproché à la délégation du gouvernement congolais et au mouvement rebelle du M23, en discussion à Kampala (Ouganda), d’outrepasser le cadre fixé aux négociations. Dans un communiqué signé par son porte-parole, Omar Kavota, la Société civile affirme que «les parties sont allées au-delà de ce qui devait se faire: l’évaluation de l’Accord du 23 mars 2009», en ajoutant que «ceux qui sont à Kampala n’ont pas été mandatés par les Congolais pour parler de la situation socio-économique et politique de notre pays».

Jean Marie Runiga, responsable politique du M23, a affirmé que tant que les sujets socio-économiques proposés par le M23 ne seraient pas traités, «la RDC sera toujours dans une situation de guerre». Selon lui, la Société civile du Nord-Kivu est «déconnectée de la vraie réalité et manipulée par Kinshasa». Ces atermoiements se déroulent alors que le M23, qui aurait du s’écarter de Goma de 20 kilomètres, continue à occuper des positions juste à la sortie de la ville, faisant craindre une nouvelle occupation malgré la présence de forces de Nations unies.[5]

 

b. Le cahier des charges du M23

 

Le 16 janvier, le M23 a présenté son cahier des charges.

Disposé à dialoguer dans un climat apaisé et en qualité de partenaire à la restauration de la paix, le M23 demande ce qui suit:

I. La Revue de l’Accord du 23 Mars 2009.

Le M23 considère que le Gouvernement n’a pas respecté l’Accord du 23 mars 2009.

Le M23 recommande la mise en œuvre actualisée de tous les points de l’accord du 23 mars 2009.

II. Les questions sécuritaires.

Le M23 considère que les points suivants doivent être réglés:

1. La Problématique de l’insécurité en RDC;

2. La libre circulation des personnes et des biens et l’ouverture de la frontière de Bunagana;

3. L’amnistie générale pour faits de guerre et faits insurrectionnels;

4. La Libération des détenus politiques et d’opinion ainsi que des prisonniers de guerre;

5. Les Questions relatives au fonctionnement des Services de Sécurité, de Défense et celles liées à l’ordre public;

6. La Réparation des dommages causés sur les populations civiles pendant la guerre.

Au regard de ce qui précède, le M23 recommande:

1. L’Opérationnalisation du service spécialisé de prise en charge des blessés de guerre, des veuves et des orphelins;

2. L’éradication et le rapatriement des FDLR, ADF-NALU, FNL se trouvant au sein des FARDC et de ceux qui opèrent à partir du territoire congolais;

3. L’éradication des groupes armés congolais dont la plupart ont été créés par le Gouvernement congolais dans sa stratégie de gestion du conflit dans l’Est de la RDC;

4. La création de la Police de proximité;

5. La réforme des services spécialisés de sécurité et de renseignements (civils et militaires);

6. La réforme de l’Armée Nationale et la reconnaissance formelle des grades actualisés des militaires du M23. A cet effet, un mécanisme de fidélisation des troupes de l’Armée Révolutionnaire Congolaise, ARC en sigle, dans le processus d’intégration au sein de l’Armée nationale devra être mis en place;

7. La prise en charge par le Gouvernement de l’actif et du passif comptable du M23;

8. La mise sur pied d’une commission mixte d’enquête sur les biens mal acquis par les officiers militaires et policiers ainsi que les responsables politiques;

III. Les questions politiques.

Selon le M23, celles-ci s’illustrent par deux faits majeurs, à savoir:

1. La violation de la Constitution.

Le M23 considère que la Constitution a été violée dans les cas suivants:

a. Le non respect de la retenue à la source de 40 % aux profits des provinces (art 175, al 2);

b. La forclusion des mandats des Assemblées Provinciales, des Gouverneurs, des Vices Gouverneurs et du Sénat ;

c. La volonté délibérée du régime de Kinshasa de ne pas organiser les élections aux niveaux local et municipal durant les deux mandats;

d. Le non-éclatement de la Cour Suprême de Justice en trois juridictions : la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d’État;

e. La non-effectivité de la décentralisation;

f. Le déséquilibre criant dans l’affectation des ressources humaines pour la gestion du pays ;

g. La violation des droits de l’homme;

h. La xénophobie et la discrimination ethnique ;

i. Les déséquilibres géopolitiques dans le développement de la RDC et la marginalisation de certaines provinces.

2. Les fraudes massives lors des élections du 28 novembre 2011.

2.1. La CENI.

Elle n’a jamais été indépendante. C’est un instrument du pouvoir créé pour les besoins de la cause. Elle s’est illustrée par une incapacité d’organiser les élections libres, démocratiques, transparentes et crédibles. Les élections ont été entachées de graves irrégularités et de fraudes massives.

2.2. De la Cour Suprême de Justice.

La corruption et le clientélisme ont amené une parodie de justice dans la publication des résultats et le traitement des recours en violation de la loi Electorale.

Concernant les points relatifs à la violation de la constitution et les élections du 28 Novembre 2011, le M23 recommande:

1. L’annulation des résultats des élections du 28 novembre 2011 après vérification de la vérité des urnes;

2. La dissolution du Sénat;

3. La dissolution des Assemblées Provinciales, entrainant ipso facto la démission des Gouverneurs et des Vices Gouverneurs;

4. La mise en place du Conseil National de Transition Congolais (CNTC) qui aura pour mission de diriger le pays pendant la période transitoire. Le CNTC aura notamment pour mission de:

a) Réviser la Constitution; b) Former un gouvernement de transition; c) Mettre en place les autres institutions de la République; d) Restructurer la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI); e) Organiser les élections générales en commençant par les locales et en finissant avec les présidentielles.

5. L’installation effective du nouvel ordre juridictionnel prévu par la constitution à savoir: la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat;

6. La mise en place d’un système fédéral;

IV. La gestion économique et sociale de la RDC.

Il sied de souligner:

1. Le Gouvernement de Kinshasa s’illustre par les signatures des contrats léonins dans les domaines miniers, forestiers et des blocs pétroliers accompagnés des pots de vin, perçus sous forme des commissions. Cette pratique éhontée et instituée en mode de gouvernance au sommet de l’Etat est à la base du bradage des richesses du pays et l’enrichissement sans cause des gouvernants et de leurs familles politiques et / ou biologiques.

2. L’ordonnance-loi interdisant l’exploitation artisanale et l’exportation des minerais dans les provinces du Nord Kivu, du Sud Kivu et du Maniema, est porteuse des germes d’une grande ségrégation flagrante en vue d’étouffer l’essor économique de la population de l’Est du Congo…….

10. La précarité des conditions de vie des militaires, policiers, fonctionnaires, enseignants et la détérioration du social des Congolais en général.

Au regard de tout ce qui précède, le M23 recommande:

1. La réactualisation et la mise en œuvre du Programme STAREC, et ce sous la gestion du gouvernement, du M23 et des partenaires internationaux;

2. La création d’une commission mixte pour évaluer tous les contrats (miniers, forestiers et pétroliers) et le cas échéant les revisiter;

3. L’annulation de l’ordonnance-loi interdisant l’exploitation et l’exportation de matières précieuses à l’Est de la RDC; ………..

8. La rémunération régulière et décente des militaires, policiers et agents de l’État;

9. La création d’une Commission spéciale mixte pour faire aboutir rapidement le processus d’intégration de la RDC à la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ;

10. Accélération du processus de rapatriement des refugiés et la réinstallation des déplacés internes.

11. La mise en œuvre du Pacte sur la paix, la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands Lacs.

12. La Réparation des dommages causés sur les populations civiles pendant la guerre.

V. Le mécanisme de la mise en œuvre, le Suivi et l’évaluation de l’Accord de Kampala.

Le M23 estime que l’accord global qui devra sortir de ces négociations définira un mécanisme de sa mise en œuvre qui comprendra :

1. un Comité national mixte de suivi de l’Accord de Kampala, avec obligation de résultats;

2. un Comité régional et international de suivi de l’Accord de Kampala, sous les auspices de la CIRGL et de la communauté internationale.

Compte tenu de l’importance des matières inscrites à l’ordre du jour visant le traitement approfondi de la crise congolaise, le M23 réitère encore une fois son vœux ardent de voir participer à ce dialogue de Kampala toutes les forces vives du pays, notamment l’opposition politique, la société civile et la diaspora Congolaise.[6]

 

c. La réponse du Gouvernement

 

Le 17 janvier, dans une déclaration de réponse au M23, la délégation di gouvernement congolais réaffirme sa détermination de voir ce dialogue aboutir à la fin définitive des hostilités, à la restauration de l’autorité de l’Etat et au rétablissement de l’intégrité territoriale.

Cela dit, la déclaration s’est articulée autour des points ci-après:

– Le dialogue: cadre, objet et parties;

– L’accord du 23 mars 2009;

– Les questions sécuritaires;

– Les questions politiques, sociales et économiques;

– Le mécanisme de suivi.

1. Le dialogue: cadre, objet et parties.

Le présent dialogue s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale arrêtée par les chefs d’Etat et de gouvernement de la CIRGL, lors des rencontres du 21 et 24 novembre 2012. Elle a été approuvée et soutenue par l’Union Africaine et les Nations Unies, en vue de mettre définitivement fin à l’existence des forces négatives, aux conflits armés et à l’instabilité dans la région des Grands Lacs.

Dans leur communiqué conjoint, les Chefs d’Etat affirment que, au regard de la détérioration de la situation humanitaire et sécuritaire du fait de la guerre, «même si le groupe des mutins appelés M23 avait des griefs légitimes, ils ne peuvent pas accepter l’expansion géographique de cette guerre, ni tolérer l’idée de renverser le gouvernement légitime de la RDC ou de miner son autorité. Le groupe rebelle M23 doit donc immédiatement arrêter son offensive et se retirer de Goma».

Quant au retrait du M23 de la ville de Goma, le M23 n’a nullement respecté la décision pertinente du Sommet du 24 novembre, telle que formulée par les Chefs d’Etat, à savoir qu’il devait se retirer à au moins 20 kms au Nord de Goma, ce qu’il n’a toujours pas fait.

S’agissant des parties au dialogue, selon la volonté des Chefs d’Etat, elles sont au nombre de deux : les représentants de la légalité constitutionnelle et de la légitimité populaire, dénommé le Gouvernement de la République Démocratique du Congo d’une part et, d’autre part, la rébellion armée dénommée M23. Pour cette raison, mais aussi parce que cette question a été largement débattue, et définitivement résolue lors de l’examen du Règlement Intérieur du dialogue, y revenir relève du dilatoire.

Quant à l’objet du dialogue, les décisions du 24 novembre stipulent que: «le gouvernement de la RDC va écouter le M23, évaluer et résoudre les doléances légitimes de ce dernier en tenant compte du travail déjà accompli par la CIRGL». Ce dialogue ne peut donc pas se transformer en une Conférence Nationale Souveraine ou en un Dialogue Inter-congolais bis. Il ne peut pas non plus aspirer à devenir un forum pour aborder et résoudre tous les problèmes du pays, pour lesquels des cadres appropriés de gestion existent ou ont été annoncés. Kampala n’est pas et ne sera pas Sun City! Notre préoccupation principale au cours de ce dialogue devrait consister à cerner les raisons pour lesquelles le M23 a pris les armes, violant de manière flagrante la Constitution de la République et quelles sont les pistes pour mettre fin à cette rébellion et instaurer une paix durable dans le Nord Kivu.

Cela étant, et au vu des grandes décisions de Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CIRGL, les assisses actuelles ne peuvent en aucun cas aboutir à la mise en place, comme suggéré par le M23, d’un Conseil National de la Transition, ni à une quelconque remise en cause de l’ordre constitutionnel et institutionnel de la RDC.

Dans l’Etat de droit, qu’est la RDCongo d’aujourd’hui, et que le M23 prétend appeler de ses vœux, la modification, y compris de la Constitution est possible, sous réserve du respect des règles et procédures fixées par la même Constitution, expression par excellence de la volonté du peuple souverain, puisqu’ayant été adoptée par référendum populaire. En cette matière, aucun raccourci n’est donc viable.

Pour terminer sur ce chapitre et pour cerner la nature réelle des parties en présence, il n’est pas sans intérêt de rappeler que le M23 est considéré comme une force négative par la CIRGL, l’UA et l’ONU. L’on peut mentionner, par exemple, les propos de Mme Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme qui, au terme de sa tournée en RDC, avait affirmé ce qui suit : «les dirigeants du M23 figurent parmi les auteurs des pires violations des droits de l’homme en RDC et dans le monde. Beaucoup d’entre eux ont un passé consternant comprenant des allégations de participation à des viols de masse, la responsabilité des massacres, et le recrutement et l’utilisation d’enfants». Ce qui justifie les sanctions qui frappent aujourd’hui ce mouvement et certains de ses dirigeants politiques et militaires.

2. L’accord du 23 mars 2009.

En ce qui concerne le Gouvernement, cet accord à été mis en œuvre de manière largement satisfaisante. La plupart des engagements souscrits par le Gouvernement ont été tenus. Ceux dont la mise en œuvre exige des réformes structurelles ou est, de par les règles usuelles, assujettie au respect d’une procédure comportant des étapes et des délais contraignants sont en train de l’être.

L’accusation du M23 est pour le moins téméraire et vexatoire, car les violations flagrantes de l’Accord du 23 mars 2009 sont plutôt l’œuvre de certains de ses membres ex-CNDP les plus influents. A titre d’exemples, l’on ne relèverait que la violation des dispositions suivantes:

– Le caractère irréversible de la décision du CNDP de mettre fin à son existence comme mouvement politico-militaire;

– L’engagement du CNDP à poursuivre dorénavant la quête de solutions à ses préoccupations par des voies strictement politiques et dans le respect de l’ordre institutionnel et des lois de la République (Art 1 de l’Accord);

– Le maintien des administrations parallèles dans le territoire de Masisi et de commandements parallèles dans l’armée.

3. Les questions sécuritaires.

Les problèmes sécuritaires soulevés par le M23 ne sont pas nouveaux et avaient déjà été discuté en 2009. Et c’est pour le moins cynique que, sur ce chapitre, le M23 veuille jouer au Procureur. A dire vrai, sa place devrait plutôt être dans le box des accusés.

En effet, alors que le gouvernement était attelé à apporter des solutions durables à ces divers problèmes, le lancement de la rébellion du M23 est venu ralentir ses efforts, voire annihiler les progrès déjà enregistrés, et ce de la manière suivante :

En empêchant la poursuite de la traque des FDLR, les FARDC ayant dû être redéployées pour défendre la patrie ;

En instrumentalisant les démobilisés et les éléments résiduels des ex groupes armés, qui avaient pratiquement cessé d’exister, et en les réorganisant en milices, appendices du M23;

En exacerbant la criminalité transfrontalière à des fins de pillage des ressources naturelles ;

En favorisant l’indiscipline et la mutinerie au sein de l’armée, notamment par sa politisation et la constitution d’un groupe important de militaires à vocation locale et affairistes.

L’insinuation d’une éventuelle collaboration entre les FARDC et des forces négatives relève de l’amalgame et d’une confusion délibérément entretenus pour des buts inavoués, mais faciles à deviner par tous. Tout le monde sait dans la région des Grands Lacs, que le Gouvernement de la RDC, assisté par les Nations Unies, a déployé beaucoup d’efforts pour la traque et l’éradication des FDLR, allant jusqu’à accepter des opérations conjointes avec le Rwanda. Personne n’ignore non plus que c’est, une fois de plus, la guerre provoquée par le M23 qui ralentit aujourd’hui ces opérations qui avaient abouti à la réduction sensible des effectifs et de la capacité de nuisance des FDLR, ainsi qu’au rapatriement de plusieurs milliers d’entre eux et de leurs dépendants.

Par contre, des informations documentées font état de présence dans les rangs de M23 non seulement des éléments FDLR pourtant démobilisés et régulièrement rapatriés au Rwanda, mais aussi des combattants actifs des FDLR de l’aile Mandefu, comme cela a été constaté dans le territoire de Rushuru lorsqu’un groupe des membres étrangers du M23 avaient décidé de se rendre à la MONUSCO.

En ce qui concerne la demande d’Amnistie générale, il convient de noter que, par essence, l’amnistie est un acte exceptionnel. Elle a pour vocation de faciliter non pas l’impunité, mais plutôt la réinsertion sociale de ceux à qui la société a décidé de pardonner leurs transgressions de la Loi, en contrepartie de la reconnaissance par eux des tords causés à la société et de leur engagement à ne pas retomber dans les mêmes travers. Une des questions qui se posent dès lors est celle de savoir s’il serait approprié d’accorder l’amnistie à des récidivistes, surtout que pour certains au sein du M23, ce serait la deuxième ou la troisième fois que l’amnistie leur serait accordée. Le faire serait comme une incitation à la récidive, avec pour conséquence un cercle vicieux des faits et forfaits anticonstitutionnels répétitifs.

Par ailleurs, si le gouvernement décidait de considérer positivement cette option, l’on se trouverait devant une difficulté de taille pour sa matérialisation, vues les propositions du M23.

En effet, l’amnistié est généralement accordée en vertu d’une loi votée par l’Assemblée Nationale et le Sénat et promulguée par le Chef de l’Etat. L’on ne pourra pas faire aboutir la procédure d’octroi de l’amnistie si, comme le demande le M23, l’on invalide le Chef de l’Etat et l’on dissout le Parlement.

S’agissant de l’intégration des milices dans l’armée avec des grades actualisés, elle a montré ses limites, ainsi que son caractère immoral et déstructurant. Elle ne pourrait être la recette pour une mise en place d’une armée nationale, professionnelle et républicaine. Dans une telle armée, les grades sont octroyés dans le cadre d’un ordre général au profit de tous les militaires, suivant des critères objectifs bien déterminés. Il en est de même pour le recrutement qui lui aussi doit se faire selon des critères définis par la loi. On ne peut vouloir une chose et son contraire et le M23 ne peut donc en appeler à une réforme de l’armée et demander en même temps que lui soient appliquées des mesures exceptionnelles à l’efficacité à tous égards douteuses.

En ce qui concerne la Police de proximité, le processus de son opérationnalisation est déjà engagé avec l’appui des partenaires internationaux.

Dans le cadre de la réforme de l’Armée et de la Police nationale, des avancées significatives ont été enregistrées avec l’adoption par les deux Chambres du Parlement et la promulgation des lois ci-après:

– loi organique n°11/012 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement des forces armées;

– loi organique n°11/013 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement de la Police nationale;

– loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la défense.

En outre, les deux Chambres ont également adopté les projets de loi portant respectivement statut du militaire et celui du personnel de la Police Nationale, dont le processus de promulgation est en cours.

4. Les questions politiques, sociales et économiques.

Les questions électorales:

Puisque les scrutins n’ont pas été annulés, aucune dissolution des institutions nationales ou provinciales n’est envisageable.

Puisque les dysfonctionnements dénoncés appelaient des réformes électorales, il sied de noter que le processus de restructuration de la CENI est en cours de réalisation et va s’accélérer étant donné que la loi y afférente a été votée par le Parlement.

La réforme judiciaire:

La réforme judiciaire en cours découle des exigences de la Constitution qui a institué trois ordres de juridictions, à savoir les juridictions de l’ordre judiciaire (comprenant les Cours et tribunaux civils et militaires) placées sous le contrôle de la Cour de cassation, les juridictions de l’ordre administratif (comprenant les Cours et tribunaux administratifs) placées sous le contrôle du Conseil d’Etat, et la Cour constitutionnelle.

L’éclatement de la Cour suprême de justice en trois ordres de juridictions ci-dessus a entrainé l’adoption par les deux Chambres du Parlement des projets et proposition de lois organiques ci-après:

1) projet de loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire;

2) projet de loi organique portant procédure devant la Cour de cassation;

3) proposition de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.

Puisqu’il s’agit des lois organiques, elles ne pourront être promulguées par le Président de la République qu’après avoir été déclarées conformes à la Constitution par la Cour suprême de justice, faisant fonction de Cour constitutionnelle, comme le prévoit l’article 124 de la Constitution.

Actuellement, l’Assemblée nationale est saisie d’une proposition de loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre administratif, qui concerne la mise en place du Conseil d’Etat. Enfin, les deux Chambres ont adopté en décembre 2012 le projet de loi organique modifiant et complétant la loi organique portant statut des magistrats en vue de la mettre en harmonie avec les dispositions de la Constitution du 18 février 2006, telle que révisée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011.

L’instrumentalisation des questions identitaires:

Il est surprenant d’entendre le M23 revenir à la question de la xénophobie et de la discrimination ethnique. Sa stratégie consiste en réalité à réveiller les vieux démons de la division et de la haine interethnique que le Peuple congolais a laborieusement enterrés et à s’en servir par la suite.

L’on rappelle ici les 14 projets pilotes de mise en place par le Gouvernement, avec l’appui des partenaires internationaux, des comités locaux permanents de conciliation dans les territoires de Masisi et de Rutshuru.

La question des réfugiés et des déplacés internes:

Il est tout aussi surprenant qu’un mouvement politico-militaire qui est à la base d’une catastrophe humanitaire sans précédent, notamment plus de 400.000 déplacés internes et environ 25.000 nouveaux réfugiés, puisse affirmer que le sort de ces compatriotes est sa préoccupation majeure.

En revanche, depuis l’accord du 23 mars 2009, le Gouvernement congolais a procédé à la signature des Accords tripartites avec le HCR et respectivement avec le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et la République du Congo. Le HCR travaille sans ménager aucun effort avec tous les pays concernés pour organiser les retours, qui auraient pu s’accélérer si l’insécurité au Nord-Kivu et au Sud-Kivu du fait de la présence des forces négatives comme le M23 n’empêchait pas la sécurisation et la viabilisation des zones de retour. À ce sujet, toutes les personnes avisées sont au courant de la manipulation et de l’instrumentalisation des réfugiés et des déplacés internes par le M23, leurs camps étant devenus un réservoir de recrutement, comme c’est le cas pour certains camps de réfugiés au Rwanda et le camp de déplacés de Kanyaruchinya.

5. Le mécanisme de suivi.

Pour éviter que les parties au dialogue soient demain juges et parties dans la mise en œuvre des conclusions de Kampala, la Délégation de la RDC propose qu’un mécanisme approprié de suivi soit mise en place au niveau de la CIRGL. Les parties au dialogue seraient cependant invitées à designer chacune des points focaux, interlocuteurs de ce comité de suivi de la CIRGL.[7]

 

 

2. LA POLITIQUE FACE À KAMPALA

 

Le 12 janvier, à Kinshasa, le président du groupe parlementaire du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) et alliés, Jean Lucien Busa, a déclaré que les quatre groupes parlementaires de l’opposition réclament la participation de l’opposition politique aux pourparlers de Kampala en tant que composante, sans oublier la participation de la société civile et de la diaspora congolaise, ainsi que la désignation par les Nations unies et l’Union africaine d’un médiateur international neutre. Ces groupes parlementaires demandent aussi que l’ordre du jour des négociations de Kampala soit élargi au-delà de l’évaluation des accords du 23 mars 2009. Ils estiment que les pourparlers ne prennent pas en compte toute la problématique de l’insécurité dans l’Est de la RDC ainsi que les questions liées à la gouvernance du pays, à la démocratie et aux droits de l’homme. Jean-Lucien Busa estime que «le M23 et le gouvernement partagent la responsabilité de ce qui se passe dans l’Est. C’est une compromission. D’où l’intérêt d’avoir une opposition politique qui a des propositions alternatives qui peuvent les mettre face à face pour que, dans l’intérêt des Congolais, on sorte de ces pourparlers avec des réponses qui sont en adéquation avec les aspirations profondes des Congolais». Les groupes parlementaires de l’opposition sont au nombre de quatre: le Mouvement pour la libération du Congo (MLC), l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) avec les Forces Acquises au Changement (Fac), l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) avec alliés et les libéraux démocrates.[8]

 

Le13 janvier, le porte-parole du gouvernement, le ministre Lambert Mende, a estimé que la participation de l’opposition aux pourparlers de Kampala en tant que composante risque de dédouaner le M23 de ses crimes. Le porte-parole du gouvernement affirme qu’il ne faut pas confondre les pourparlers entre le gouvernement et le M23 avec les échanges que le chef de l’Etat a décidé d’initier en vue de conforter la cohésion nationale en RDC.

«Nous avons, à Kampala, une rencontre qui implique les institutions de la République avec une association criminelle dénommée le M23. Et de l’autre part, le président de la République qui a décidé d’initier des échanges, pour conforter la cohésion nationale face aux groupes criminels qui soutiennent l’agression à l’intérieur du pays», a-t-il expliqué. Selon le porte parole du gouvernement, considérant que l’M23 s’est approprié de nombreuses revendications de l’opposition, la participation de cette dernière comme composante à part entière ne ferait que renforcer les positions du même M23.[9]

 

L’opposition congolaise ne pourra pas se rendre à Kampala en tant que composante invitée par la médiation ougandaise. L’Ouganda respecte strictement la feuille de route tracée par la conférence des pays des Grands Lacs: il s’agit d’une discussion entre le gouvernement de Kinshasa et le M23. Donc pour participer, il ne reste plus à l’opposition que le choix d’intégrer la délégation gouvernementale ou bien celle du M23. Difficile pour elle de se ranger aux côtés du gouvernement. Elle a déjà dit non à une première invitation et elle conteste la légitimité du pouvoir. Mais se ranger avec le M23, c’est également très compliqué. Il s’agit d’un mouvement armé, qui a été qualifié de force négative et qui est accusé d’être au service du Rwanda. Mais si l’opposition ne participe pas, elle sera à l’écart d’un processus peut-être important. Voilà donc le dilemme. Le président Joseph Kabila a proposé une autre solution: l’ouverture prochaine d’un grand débat national à Kinshasa.[10]

 

Le 13 janvier, dans un communiqué signé à Paris, le Rassemblement pour le Développement et la Paix au Congo (RDPC) approuve la décision des présidents des quatre groupes parlementaires de l’opposition, car le patriotisme oblige tout citoyen congolais à faire échouer le projet de déstabilisation de la région du Kivu. Néanmoins, le RDPC estime que les Congolais doivent participer aux pourparlers de Kampala dans l’unité, toutes les composantes politiques et civiles devant faire partie intégrante de la délégation officielle représentée par le ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda. Selon le RDPC, les pourparlers de Kampala concernent l’ensemble des Congolais soucieux de sauver d’abord la patrie, en faisant échouer le projet des agresseurs qui se servent du M23 comme bras armés. Il est donc question de l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale. La capitale ougandaise ne doit en aucun cas servir de lieu où les Congolais régleraient leurs comptes, au risque d’avantager le M23. En conséquence, le RDPC rappelle la nécessité de laver le linge sale en famille dans le cadre du dialogue inclusif républicain qui devra se tenir à Kinshasa, en présence d’observateurs internationaux, et non à Kampala.[11]

 

Une nouvelle plateforme politique regroupe pour la première fois l’opposition extra-parlementaire et la société civile. L’Action pour une autre voie (AV) rassemble une vingtaine de partis politiques et des associations des droits de l’homme comme l’Asadho, les Toges Noires, la Ligue des Electeurs, le Codhod et l’Acaj. Elle se propose de rassembler politiques et société civile autour de «la cohésion nationale et du retour du dialogue politique». Le Coordonnateur de la plateforme, Auguste Mampuya, rappelle que «depuis les élections (entachées de nombreuses irrégularités, ndlr), c’est une évidence incontestable que notre pays et l’Etat connaissent une sorte d’impasse politique (…) exacerbée par l’insécurité et la guerre qui nous sont imposées par le Rwanda et l’Ouganda et leurs complices». Il dénonce «le climat politique et sécuritaire qui aboutit à une véritable impasse politique : panne de débat, panne d’initiatives, panne de gouvernance, panne des institutions…». L’objectif affiché : «sortir l’Etat du blocage actuel» dans un esprit citoyen et non partisan. L’AV propose au président Kabila «la convocation d’un dialogue politique franc et ouvert entre tous: pouvoir, opposition parlementaire, opposition extra-parlementaire, groupes armés, société civile et diaspora…», afin de «s’accorder sur une vision indérogeable de la maison commune Congo».[12]



[1] Cf RFI, 14.01.’13; Radio Okapi, 15.01.’13

[2] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 15.01.’13

[3] RFI, 15.01.’13

[4] Cf Radio Okapi, 17.01.’13

[5] Cf AFP – Goma, 16.01.’13

[8] Cf Radio Okapi, 13.01.’13

[9] Cf Radio Okapi, 14.01.’13

[10] Cf RFI, 15.01.’13

[11] Cf Communiqué de presse n° 20130113/038 relatif aux pourparlers de Kampala sur la guerre en RD Congo

[12] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 13.01.’13