La Radioscopie de la RDC à l’Heure des Elections de 2011

Me Babi KUNDU, Avocat, Kinshasa –RDC

La RDC renégocie un tournant une fois de plus décisif de sa jeune démocratie. Il s’agit pour ce géant au cœur de l’Afrique d’organiser pour la seconde fois des élections pluralistes à tous les niveaux, après celles organisées en 2006, et qui ont vu porter Joseph Kabila à la magistrature suprême, et que d’aucuns ont qualifié de moyennement démocratiques. Un satisfecit qui a redonné confiance à la fois à la population, mais aussi et surtout aux partenaires tant de la société civile que gouvernementaux, acteurs nationaux qu’internationaux, qui ont repris timidement le chemin de l’aéroport international de N’djili-Kinshasa.

Des élections qui ont nettement dessiné une cartographie à la fois régionale que participative, notamment en dégageant deux forces politiques en présence, l’une au pouvoir, la majorité (regroupée au sein de l’AMP, Alliance pour la Majorité Présidentielle)[1], et l’autre à l’opposition dont la force politique majeure demeure le MLC[2]. Deux forces autour desquelles se façonne l’histoire politique actuelle de la RDC, sans préjudice de l’action de la société civile et des organisations non gouvernementales. Deux forces politiques qui jouent au cache-cache, au chat et à la souris, se haïssant tous les jours, s’accordant quelque fois, et dont les agendas sont diamétralement opposés sur bien de points. Deux forces dont la marche politique est rythmée des coups bas, des complots, débauchages, passages en force, affutage, et dont le consensus est une denrée politique rare. Deux forces dont la majeure partie des membres ont été tour à tour dans les institutions de la 1ère, deuxième, et finalement 3ème république, rendant mal le renouvellement du personnel politique congolais, et dont les habitudes et reflexes longtemps décriés n’ont pas été entièrement absouts.

Deux forces dont la lutte pour le positionnement est on ne peut plus le seul leitmotiv, prêtes à se « rentrer dedans » chaque fois que leurs intérêts respectifs sont en jeu, à l’inverse des intérêts de la population. Enfin, deux forces qui se réclament toutes de la population, laquelle pourtant leur est hostile, l’ayant démontré à maintes reprises, surtout à l’égard du pouvoir en perte de vitesse dans les sondages et aux abois pour une réélection coûte que coûte de l’actuel locataire du Palais de la Nation !

Il s’en suit que le processus électoral est lui aussi rythmé par les gesticulations de deux forces en présence, qui viennent d’ailleurs de « se partager » la Commission Electorale Nationale Indépendante, CENI, assemblant et réunissant 4 membres pour la majorité, 3 pour l’opposition, après le décès de la tristement célèbre Commission Electorale Indépendante, CEI, autrefois dirigée par un prélat catholique aux ambitions visiblement démesurées et dont l’impartialité a été fréquemment mise en mal, égratignant même sa bergerie, l’église catholique du Congo.

L’aberration pour la nouvelle institution est justement sa composition par un personnel politique bien rodé aux intrigues et calculs politiciens, glanés dans les deux forces en présence, et dont la mission impossible est finalement d’être indépendant. Drôle d’institution, qui en réalité renferme en son sein et dans sa genèse même les germes de conflit et de sabordage, dont, cela est prévisible, certains membres du bureau ne signeront pas certains PV électoraux après le dépouillement, comme cela s’était produit en 2006, l’histoire étant un éternel recommencement, surtout que dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisant les mêmes effets !

Sur ce point précis en tout cas, la classe politique congolaise n’a pas tiré les leçons des élections passées, et c’est fort dommage. A l’aune donc des élections à venir, tentons d’extirper quelques sillons caractériels de celles- ci, de par le profil des candidats, leurs programmes, les attentes du peuple, et les possibles rebondissements, car tel que le décor politique est planté, des rebondissements il y en aura bien.

L’entracte

C’est la période qui précède les élections. Celle-ci est caractérisée par un climat délétère et lourd en suspicion, dont les nuages n’arrêtent de s’amonceler à l’horizon, rendant le climat à la fois pesant que chaud ! Les forces en présence sont toutes rangées en peloton de bataille, se lançant dans la campagne alors que le go, le gong n’a pas encore été lancé par la CENI, qui elle-même se tortille à se mettre en place, ayant à peine déposé son règlement d’ordre intérieur à la Cour Suprême de justice[3].

Cette période est dominée par les positionnements, repositionnements, redéfinitions des acteurs, car il convient de mieux se constituer pour se retrouver dans l’un ou l’autre camp politique. Les hommes et les femmes éligibles sont en ordre rangé, s’épiant, en attendant de se décider définitivement sur les couleurs à engoncer ou les programmes à adopter. Période de reniement et de renouement, elle se caractérise aussi par la constitution des alliances préélectorales, en attendant les grandes décisions.

Période de croissante insécurité à la fois physique, juridique qu’institutionnelle, dont notamment la recrudescence des troubles et tensions sociales[4], ainsi que l’instabilité dans certaines provinces du pays en proie aux conflits internes et externes.

Mais le coup le plus fumant de cet entracte est sans nul doute celui opéré par la majorité au pouvoir. Celle-ci a, contre toute attente, changé brusquement les règles du jeu, notamment en modifiant huit articles de la constitution, dont le fameux article 73 qui réduit désormais les deux tours à l’élection présidentielle à un unique tour. Emoi dans la population et tollé chez les opposants, qui n’ont pu empêcher ce passage en force, la majorité numérique au parlement ayant parlé. Ceci est d’autant plus suspicieux qu’il y a à peine 5 ou 6 mois, cette même majorité clamait tout haut que son candidat allait remporter les élections dès le premier tour. Et en dépit des motifs avancés par celle-ci, notamment le manque des moyens financiers (700 millions de dollar au moins pour les 2 tours), le risque d’affrontement militaire, la guerre civile, etc., personne n’a été convaincu, sauf elle-même. Car comment comprendre ce brusque revirement d’un président candidat à sa propre succession qui clamait tout haut qu’il allait gagner au premier tour sans difficultés ?

Secret de polichinelle, car on le sait maintenant avec précision, ce passage en force a été motivé par deux faits majeurs : primo, le retour en force au pays de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, accueilli par une foule monstre, qui n’a pas tardé à se proclamer candidat aux présidentielles. L’accueil délirant lui réservé par le peuple, ainsi que le mythe qui l’accompagne depuis des lustres a vite fait de bousculer les calculs de la majorité. Tshisekedi, en l’absence de Jean Pierre Bemba, est un client très sérieux.

Secundo, la défection de l’enfant terrible de l’AMP, l’ancien speaker du parlement, Vital Kamhere, véritable machine à propagande, qui a été le maître-orchestre de l’élection de Joseph Kabila en 2006, surtout dans son fief de l’est de la RDC. Après une discordance de fond au sein de sa famille politique, le député de Walungu a claqué bruyamment la porte et rejoint l’opposition, en lorgnant immédiatement au fauteuil présidentiel. Or ce dernier, non seulement qu’il a été artisan de l’élection du président actuel à l’est, mais en plus il est lui-même de l’est où il est adulé et a obtenu un score fleuve aux législatives. Il fallait donc pour la majorité imposer le tour unique, priant pour la division de l’opposition qui serait incapable de proposer un candidat unique. Malin, non !

Les programmes électoraux

Comme partout ailleurs, les programmes se ressemblent et se contredisent à la fois. Le seul point commun est la recherche du bien-être de la population par tous les acteurs principaux, en attendant la désignation et la mise en branle desdits programmes.

Celui de la majorité au pouvoir, consigné dans un projet dit « Cinq Chantiers » est déjà à l’œuvre, bien que peinant à se matérialiser au grand jour. Il sied de souligner que ce programme partenarial avec des banques et entrepreneurs chinois a connu des difficultés pour démarrer, car combattu de l’intérieur (par les opposants) et de l’extérieur (par les partenaires occidentaux traditionnels, ainsi que les institutions de Brettons Wood). A ce jour, sur 5 secteurs principaux de ce programme, seul celui des infrastructures (notamment la construction et modernisation des routes, hôpitaux, ponts et bacs) est réellement en branle. Les autres axes sommeillent profondément, à tel point que le changement tant attendu n’est pas au rendez-vous du citoyen moyen. Une fois de plus, les mêmes maux gangrènent l’exécution des travaux, la gabegie, la surfacturation du coût des travaux, la mauvaise priorisation, le clientélisme dans l’octroi des marchés, etc.

Les programmes électoraux rencontrent difficilement les attentes de la population, qui peut- être en attend trop, ou ne concordent pas tout simplement auxdites attentes. Le bilan de Cinq Chantier est mitigé, mais tout de même largement défaillant. La réduction de la pauvreté n’a pas connu un début d’exécution, la population s’appauvrissant de jour en jour. Le chômage, les conditions précaires de santé publique, la défaillance en fourniture en énergie (eau et électricité) sont des véritables maux en RDC, dans tous les milieux. La gratuité de l’enseignement, pourtant consacrée par la constitution n’a pas été effective.

Du côté de l’opposition, aucun programme n’est encore dévoilé à ce jour, celle-ci étant plus préoccupée actuellement à harmoniser les vues et présenter un candidat unique pour tenter de battre Kabila. La guerre des programmes n’est pas encore d’actualité, c’est celle des personnalités qui prédomine. L’on ne peut donc pas apprécier quel plat programmatique l’opposition servira aux électeurs, quand bien même son discours est complètement antagoniste de celui du pouvoir.

Ce qui est certain, la campagne électorale sera plus une campagne d’idées, de persuasion que de simple propagande à tue-tête. Le peuple congolais a acquis une certaine maturité politique que personne des politiciens le manipulera à sa guise. Suffit pour s’en convaincre de constater combien et comment ce peuple participe au débat public, notamment au travers des émissions interactives radiotélévisées, ou dans plusieurs manifestations. Sur Facebook et autres réseaux sociaux, le congolais prend position et n’est plus le mouton de Panurge d’hier.

Les éventuels principaux acteurs

1. Joseph Kabila

Avantages :

Chef de l’Etat sortant, il concentre tous les avantages du système entre ses mains, l’armée, la police, les services de renseignements et de sécurité, les finances et les influences diplomatiques. Il est l’autorité morale de la plus grande force politique actuelle, avec une majorité au parlement et architecte principal de l’appareil politico-administratif actuel. Il jouit d’une certaine sympathie dans certains milieux nationaux, principalement dans sa région natale le Katanga, une bonne partie du Kivu et dans les fiefs de ses alliés le Palu et le MSR, ainsi qu’internationaux notamment les pays asiatiques, la Chine en tête. D’une grande capacité d’écoute, il se pose en rassembleur après avoir rappelé auprès de lui tous ceux qui le voulaient, même les adversaires politiques d’hier ou les fameux Mobutistes. Ces atouts peuvent l’aider à conserver son fauteuil. Il est en outre très jeune.

Désavantages :

Nationalité douteuse, médiocre stratège, indolent et lent à communiquer, il est entouré d’une meute des courtisans de tous bords, qui ne l’aident pas toujours à prendre opportunément la bonne décision. Aventurier politique, ses nominations au sein des forces armées et de la police, ainsi que d’autres services étatiques sont empreintes de tribalisme à outrance ; d’où l’amateurisme au sommet de l’Etat. Avec un programme gouvernemental indéfini, les Cinq Chantiers sont un méli–mélo dont la programmation est hasardeuse, au gré de la campagne médiatique. Gestion financière douteuse caractérisée par des scandales financiers énormes durant cette législature et possible collision avec les pays agresseurs de la RDC, en particulier le Rwanda.

 

2. Etienne Tshisekedi

Avantages:

Vieux routier de la scène politique congolaise, il incarne un espoir jusque-là intact pour avoir longtemps combattu la dictature de Mobutu et suscité un changement au sortir de la conférence nationale souveraine. Méthodique, rigoureux, radical, il connait parfaitement le microcosme politique congolais pour avoir traversé les trois républiques, et avoir été un acteur important de ces différentes périodes. Très introduit dans les milieux diplomatiques occidentaux (belges principalement) et africains, son parti politique l’UDPS – Union pour le Démocratie et le Progrès Social – étant membre de l’International socialiste. Très respecté par toute la classe politique congolaise, il inspire une sorte de crainte à cause de sa rigueur dans la gestion de la chose publique et son combat contre les antivaleurs. Parti implanté à travers quasiment toute l’étendue de la république, avec de vraies bases. Il se présente en antithèse du pouvoir actuel.

Désavantages :

Vieux d’âge, tribaliste, malade depuis une décennie, quelque fois intolérant, il dirige son parti comme sa chose et ne sait plus fédérer toutes les forces vives, l’UDPS étant déchirée de l’intérieur, avec le coup de gueule de plusieurs cadres importants. Incapacité notoire de saisir les opportunités politiques pouvant le hisser au pouvoir, notamment au sortir de la conférence nationale et du dialogue inter-congolais, d’où sa longévité à l’opposition. Passé mobutiste caractérisé. Déconnecté de certaines réalités du pays pour avoir séjourné longtemps à l’extérieur du pays ce dernier temps.

3. Vital Kamhere

Avantages :

Jeune, Dynamique, fin communicateur et manipulateur, tribun de haut vol, il connaît tous les rouages d’une bonne campagne électorale pour avoir été artisan de l’élection de Joseph Kabila. Universitaire reconnu, il manie l’art et la science avec brio. Polyglotte, il parle en outre aisément les quatre langues nationales, ce qui est un véritable instrument de communication. Originaire de la même province que le chef de l’Etat sortant, il jouit d’une réelle popularité dans le vivier électoral de ce dernier où il peut le mettre en ballotage défavorable. Implanté dans certains milieux diplomatiques étrangers, particulièrement le Canada et la RSA.

Désavantages :

Ancien membre influent de la famille politique du président sortant, ancien speaker du parlement, il est soupçonné d’avoir participé à la dérive dictatoriale du régime actuel dont il a été l’un des architectes. En tant que tel, on lui reproche d’avoir couvert certaines malversations financières et noyé des rapports d’audit et de contrôle. Parti jeune et non implanté, à part dans sa province d’origine, il ne compte que ses frères autour de lui. Nationalité douteuse.

4. Jean- Pierre Bemba

Avantages :

Challenger du président Kabila au second tour de l’élection présidentielle ayant brassé 42 % de suffrages. Parti bien implanté, il représente la seconde force politique du parlement et la première force de l’opposition. Orateur de conviction, il connaît le pays tout entier et représentait jusqu’il ya peu la seule alternative au pouvoir actuel.

Désavantages :

Détenu à la Haye à la CPI.

Voilà un tour d’horizon de quelques candidats tels que répertoriés par notre monitoring. D’ici là, bien d’autres se prononceront également, à moins que l’opposition accorde ses violons et ne présente un candidat unique, les tractations se menant actuellement autour de la personne de Tshisekedi. Evidemment, l’hypothèse de deux candidats est encore inenvisageable, d’autant plus qu’il n’est pas à exclure des candidats indépendants.

 

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[1] L’AMP, une alliance pour la majorité présidentielle très hétéroclite, rassemblant plusieurs forces dont la caractéristique est justement un manque d’idéologie commune, car on y trouve à la fois des lumumbistes, des libéraux, des socialistes, des socio- démocrates, des radicaux, des extrémistes de gauche et de droite, des marxistes, des démocrates chrétiens, des communistes, et même des sans positions, quand bien même l’alliance s’est consolidée autour de 3 forces majeures, le PPRD (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, parti de Joseph Kabila), le PALU (Parti Lumumbiste Unifié, du vieux leader dernier collaborateur du héros Lumumba, Antoine Gizenga Funzi) et l’UDEMO (Union des Démocrates Mobutistes, obscur parti du fils- conseiller de Mobutu, François Nzanga Mobutu arrivé miraculeusement en 4èmeposition aux élections présidentielles précédentes).

[2] Mouvement pour la Libération du Congo, anciennement mouvement politico- militaire devenu parti politique à la faveur du dialogue inter congolais de Sun City, et dont le leader, Jean Pierre BEMBA GOMBO a été le challenger du président Kabila au second tour des présidentielles en 2006 avec un score de 42 pour 100, et qui croupit actuellement dans les cellules de la CPI à la suite d’une escapade militaire en république centrafricaine au temps de la rébellion, et dont l’issue du procès est très redoutable, tandis que l’avenir politique fortement compromis.

[3] Tristement célèbre celle-là aussi, après avoir notamment invalidé en 2006 quelques candidats, mais alors déjà élus du parlement, sans avoir suivi les recommandations de la CEI, qui entre-autres avait préconisé le recomptage des voix des candidats contestés par ceux de la même liste ou circonscription. Cette arrogante haute cour s’en était passé et avait pris la lourde décision de proclamer d’autres députés dont la popularité et l’élection sont clairement douteuses. Ce sont ceux qu’on appelle aujourd’hui dans le microcosme politique congolais « les députés de la Cour suprême de justice », qui pourtant siègent, pince sans rire. Bizarrement, la plupart avaient à cette époque des accointances avec l’opposition politique !

[4] Les grèves des médecins, infirmiers, enseignants et autres pans de la fonction publique sont légion, l’insécurité sur le campus de Kinshasa après le meurtre de 2 étudiants il y a peu, l’assassinat du célèbre activiste des droits de l’homme de l’ONG VSV-Voix de Sans Voix-, Floribert Chebeya en juin 2010 et dans lequel la haute nomenklatura de la police congolaise est soupçonnée, les arrestations des leaders et hommes politiques, les bruits de botte avec des mouvements militaires en résurrection ou d’autres en gestation tel que celui qualifié de rébellion du général Faustin Munene, ancien chancelier des ordres nationaux aujourd’hui traqué avec les audacieux militants de Bundu Dia Kongo BDK, et tout récemment la tentative du coup d’Etat contre le président de la république le dimanche 27 février 2011, à l’aube même des élections !