Congo Actualité n. 446

FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF): LEUR ORGANISATION ET LEUR PART DE RESPONSABILITÉ DANS LES MASSACRES DE BENI

Les différents rapports du Groupe d’Experts de l’ONU pour la RDCongo[1]

SOMMAIRE

1. LES AUTEURS DES MASSACRES DE BENI: LES ADF, MAIS PAS SEULEMENT ELLES
2. QUI SONT LES ADF?
a. Positions des ADF
b. Commandement
c. Recrutement
d. Liens avec l’État Islamique d’Iraq et du Levant (EIIL)
3. LES ATTAQUES DE 2019 CONTRE MAMOVE ET MAVIVI DANS LE TERRITOIRE DE BENI
4. LES OPERATIONS MILITAIRES CONTRE LES ADF
a. La relance d’opérations de grande envergure
b. La « débâcle » des ADF
c. La reconstitution des ADF
d. Annexes

1. LES AUTEURS DES MASSACRES DE BENI: LES ADF, MAIS PAS SEULEMENT ELLES

Rapport S/2016/466 – Mai 2016:
182. Depuis le début des tueries dans le territoire de Beni en septembre 2014, aucun groupe armé n’a revendiqué la responsabilité des centaines de morts parmi les civils.
183. Les témoins des massacres n’ont pas été en mesure d’identifier les groupes armés responsables. Cela peut s’expliquer en partie par la confusion entourant les attaques et notamment par le fait que la plupart des groupes dans la région utilisent l’appellation ADF.
184. Le Groupe d’experts a constaté que plusieurs groupes sont impliqués dans les tueries: diverses factions des Forces Démocratiques Alliés (ADF), un groupe de personnes parlant kinyarwanda venues dans la région à partir de l’Ouganda et du territoire de Rutshuru, ainsi que des milices locales impliquées dans des différends pour le contrôle des terres et l’exercice du pouvoir. Il a également constaté que des officiers des FARDC ont joué un rôle important dans l’appui à certains groupes armés.

Rapport S/2018/531 – Juin 2018:
28. Les auteurs de certaines attaques peuvent être parfois difficiles à identifier, car plusieurs groupes armés actifs dans la région de Beni imitaient parfois les méthodes des ADF.
34. Le Groupe d’experts a estimé que les ADF comptaient 400 à 450 éléments armés, parmi lesquels des femmes et des enfants. Les ADF sont composées d’une majorité d’Ougandais et de quelque 100 à 200 Congolais. Dans les rangs des ADF, il y avait aussi quelques combattants rwandais, burundais et tanzanien.
147. Comme on l’a déjà rapporté précédemment, plusieurs protagonistes armés sont responsables de la mort de centaines de civils dans le territoire de Beni depuis le début d’octobre 2014: milices locales, factions des ADF, différents acteurs armés dont des rwandophones. Certains officiers et soldats des FARDC sont également mis en cause. Comme les années précédentes, aucun groupe armé n’a revendiqué la responsabilité des meurtres récents, même si c’est aux ADF que les attaques sont en général imputées.

Rapport S/2016/466 – Mai 2016:
195. Selon plusieurs sources, les conflits locaux ont joué un rôle important dans les tueries perpétrées dans le territoire de Beni. Les différends liés au contrôle des terres ou à l’exercice du commandement ont conduit à la création de milices locales, et certains dirigeants locaux ont également établi des liens avec différentes factions des ADF pour renforcer leur position. Certains officiers des FARDC ont également joué un rôle dans les meurtres en soutenant les groupes locaux.
196. Par exemple, les autorités locales ont confirmé qu’un chef local, André Mbonguma Kitobi, avait créé sa propre milice suite à un conflit avec l’ICCN. Un cadre des ADF-Mwalika et un général des FARDC ont indiqué que le groupe de M. Mbonguma était étroitement lié aux ADF-Mwalika, ce qui s’expliquait en partie par une relation de longue date entre M. Mbonguma et certains anciens éléments des APC intégrés aux ADF-Mwalika, mais aussi par le fait que le groupe armé opérait dans son territoire à Mayangose.
197. De nombreuses autorités locales et proches de M. Mbonguma ont indiqué au Groupe d’experts que ce dernier avait eu un différend avec un autre chef local, M. Bambiti. Le 15 octobre 2014, 31 civils, dont M. Bambiti, ont été tués dans le village de Ngadi par des hommes armés. De nombreuses sources ont fait savoir au Groupe que la milice de M. Mbonguma était responsable de l’attaque. Les FARDC ont arrêté M. Mbonguma en novembre 2014, mais le Groupe d’experts n’a pu déterminer son rôle exact dans cette opération.
199. Certains officiers des FARDC ont aussi contribué de façon directe à l’insécurité, car ils étaient impliqués dans le soutien aux groupes armés commettant des meurtres.
200. Par exemple, un colonel des FARDC, Katachanzu Hangi, fournissait les ADF en munitions, uniformes et produits alimentaires. Il avait communiqué aux ADF des informations détaillées sur la position des FARDC à Eringeti, afin que les ADF puissent s’emparer des armes des soldats lorsqu’ils ont attaqué la ville le 29 novembre 2015.

Rapport S/2013/433 –  juillet 2013:
62. Il faut rappeler que, en 2012 et 2013, les groupes armés se s’étaient multipliés dans les territoires de Lubero et de Beni, au Nord-Kivu. Ces milices étaient presque exclusivement composées de membres de la communauté Nande. La plus importante d’entre elles était l’Union pour la Réhabilitation de la Démocratie au Congo (URDC), dirigée par le « général » Paluku Kombi Hilaire, un officier des FARDC issu de l’ancienne Armée Patriotique Congolaise (APC), la branche militaire du RCD-K/ML de Mbusa Nyamwisi, et qui avait quitté l’armée congolaise en 2012. L’URDC avait forgé des alliances avec d’autres groupes rebelles, y compris le Mouvement du 23 mars (M23).
63. L’URDC représentait les membres des milieux politique et des affaires locaux, opposés au gouvernement central. À la mi-2012, Mbusa Nyamwisi, une personnalité politique de l’opposition installée en Afrique du Sud, a fait fond sur ce mécontentement, en encourageant les soldats congolais, dont bon nombre avait fait partie du bras armé du groupe rebelle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Kisangani/Mouvement de libération (RCD-K/ML) de Nyanwisi, à changer de camp et à intégrer le groupe d’Hilaire Kombi.
64. Le groupe d’Hilaire Kombi est composé de quelque 300 combattants opérant depuis trois camps différents. Hilaire est à la tête de l’unité principale, basée à Bunyatenge, dans le territoire de Lubero, tandis qu’un « colonel » du nom de Werrason commande la deuxième unité, établie à Mumbiri, dans le territoire de Beni. Le « colonel » Eric Kenzo, un ancien membre de la Coalition des patriotes résistants congolais dirige la troisième unité, basée à Kyavinyonge, dans le parc national des Virunga (territoire de Beni).
L’URDC d’Hilaire Kombi se procure les armes et les munitions auprès des forces de l’armée congolaise présentes sur place (soit en les achetant à des soldats, soit en attaquant et en pillant les positions de l’armée), du M23 et de trafiquants qui les importent de l’Ouganda.
66. D’après certaines autorités locales, le groupe de Kenzo est responsable de certains des 160 enlèvements d’enfants et d’adultes commis sur le territoire de Beni depuis le début de 2013.
67. Le 15 mai 2013, les troupes de Kenzo, parmi lesquelles des enfants soldats, ont engagé les membres d’autres milices locales dans une attaque contre la base de l’armée congolaise située dans la ville de Beni, dans le but de libérer les prisonniers et de s’emparer d’armes.
68. Hilaire Kombi entretient des liens étroits avec le M23 (voir S/2012/843, par. 66). En mai 2013, le M23 a prêté des hommes et des armes à Hilaire Kombi, afin d’établir une présence du M23 dans les territoires de Lubero et de Beni.
71. L’URDC et les autres milices s’autofinancent principalement en exploitant les ressources naturelles, en particulier l’or et l’ivoire, qu’elles vendent à des hommes d’affaires à Beni, Butembo et Kasindi.

2. QUI SONT LES ADF?

Rapport S/2016/466 – Mai 2016:
51. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise , d’inspiration islamiste et actif dans le Territoire de Beni (Nord Kivu) depuis 1995, ont connu de profonds changements depuis que l’opération Sukola I menée depuis 2014 par les FARDC a abouti à la capture de pratiquement toutes leurs bases et provoqué leur éclatement en plusieurs petits groupes, qui se sont éparpillés dans l’est du territoire de Beni et dans le sud de la province d’Ituri. Certains de ces groupes se sont réorganisés, ont regagné la région où se trouvaient leurs anciens bastions et ont établi de nouvelles bases à la fin 2014 et au début 2015. Ils n’ont toutefois pas continué à opérer conjointement.
53. Au début 2016, il n’est donc plus possible de considérer les ADF comme un groupe unifié.

a. Positions des ADF

Rapport S/2019/469 – Juin  2019:
16. Le Groupe d’experts de l’ONU a constaté que les Forces Démocratiques Alliées (ADF) étaient un groupe armé bien organisé dont les éléments étaient répartis entre plusieurs camps dans la région de Beni et Butembo, dans le parc national des Virunga et alentours (Nord Kivu). Il convient de noter que si la position exacte des camps a pu changer au fil du temps, ils n’ont pour la plupart pas changé de nom.
17. Le camp de base des ADF, connu sous le nom de « Madina » (et divisé en deux sections: Madina I et Madina II), est un regroupement de plusieurs camps de moindre taille situés dans la zone dite du « triangle de la mort », située entre Oicha, Eringeti et Kamango, à environ 35 kilomètres au nord de Beni. Les chefs des ADF, dont Seka Baluku, sont installés à Madina II, qui comprend les camps de Kajaju, Bango, Whisper et Richard, espacés les uns des autres d’un kilomètre environ. Selon les estimations du Groupe d’experts, on pouvait dénombrer entre 150 et 200 personnes dans chacun de ces quatre camps.
18. Un autre grand camp des ADF, désigné sous les noms de Mwalika, Irungu et Domaine, se situait à proximité du village de Mwalika, entre Kasindi et Butembo (territoire de Beni), dans le parc national des Virunga. Ce camp était principalement utilisé comme point de regroupement des recrues étrangères. Le camp de Mwalika avait été fréquemment déplacé mais restait généralement installé le long de la rivière Semuliki. La population du camp de Mwalika variait entre 100 et 150 personnes, en fonction des arrivées de nouvelles recrues.
19. Un troisième camp, appelé «Mulalo», du nom de son chef, mais parfois désigné également comme le «camp Lahé», était installé dans la forêt de Mayangose, au nord-est de Beni. On y recensait de 60 à 80 combattants. Sur la route de Mwalika à Madina, Mulalo servait de camp de transit.
20. Un quatrième camp proche de Mapobu servait de plateforme logistique pour le ravitaillement de Madina depuis Beni. On y dénombrait environ 30 combattants accompagnés de leurs proches.

b. Commandement

Rapport S/2019/469 – Juin  2019:
21. Les ADF s’étaient dispersées à la suite des opérations menées contre elles en 2014 par les FARDC, mais elles étaient depuis parvenues à se reconstituer et à rétablir une structure de commandement et de contrôle unifiée. Seka Musa Baluku reste toujours le chef incontesté des ADF. Celui-ci résidait dans le quartier Kajaju du complexe de Madina.
22. Au camp de Madina, le «cheik» Lumisa assure à la fois les fonctions de chef religieux et de responsable des communications externes. Abdulrahman Waswa, alias «PC Sentongo» y est juge, chef de la police et responsable de la discipline et de l’application des peines. Après le départ de Kajaju vers une position indéterminée, le commandement du camp est assuré par Kasadha.
23. Au camp de Mwalika, un certain «Amigo» était le responsable du recrutement et des communications avec le camp de Madina. Le «cheik» Koko assurait la fonction de chef religieux et Kikote assurait le commandement du camp.
24. D’autres chefs militaires, parmi lesquels Kajaju, Kikote, Werrason, Mugisa, Rafiki, Mulalo, Braida et Akeda, étaient présents à tour de rôle dans les différents camps.

Rapport S/2019/974 – 20 décembre 2019:
21. Le Groupe d’experts a constaté qu’aucun changement majeur n’était intervenu au sein du commandement des ADF depuis son rapport final de juin 2019. Seka Musa Baluku s’était maintenu à la tête de l’ensemble du mouvement, dont le commandement militaire était toujours assuré par Lukwago Rashid Swaibu Hood, alias « Mzee Meya Pierro » ou tout simplement « Pierro ».
22. Les positions des ADF sont globalement restées les mêmes. Toutefois, depuis l’annonce du lancement des opérations militaires des FARDC, en septembre 2019, les responsables des ADF avaient commencé à transférer le matériel et les combattants qui se trouvaient dans certains camps, dont Mayangose et Kididiwe, vers les camps de Kajaju, Whisper et Bango dans le complexe de Madina. Certains combattants sont partis vers Mamove, à l’ouest d’Oicha, tandis que les enfants et les personnes âgées ont été transférés au nord du camp de Mwalika.

c. Recrutement

Rapport S/2016/466 – Mai 2016:
56. Des ex-combattants ADF ont déclaré au Groupe d’experts que, au début de 2015, ils avaient reçu des renforts, dont un groupe de 20 à 25 combattants lourdement armés et portant des uniformes militaires. Ces renforts, tenus à l’écart des combattants congolais, étaient appelés les «nouveaux venus», parlaient le kinyarwanda et le swahili mais pas le kiganda.
57. Selon ces ex-combattants des ADF et selon certains officiers des FARDC, les nouveaux combattants auraient été envoyés auprès des ADF par Richard Bisamaza un ancien colonel des FARDC issu du CNDP de Laurent Nkunda et qui avait déserté de Beni en août 2013.
66. Selon d’autres sources, avant le début de l’opération Sukola I, le lieutenant-colonel Birotcho Nzanzu, un officier des FARDC issu de l’ancienne Armée Patriotique Congolaise (APC), la branche militaire du RCD-K/ML de Mbusa Nyamwisi, avait également commencé à envoyer de nouvelles recrues aux ADF, notamment de nombreux éléments parlant le kinyarwanda.

Rapport S/2019/469 – Juin  2019:
25. La majorité des combattants des ADF sont de nationalité ougandaise, mais le mouvement compte également des éléments venus de la République démocratique du Congo, du Burundi, de la République-Unie de Tanzanie, du Rwanda et d’autres pays. Au rang des combattants se trouvaient aussi bien des hommes que des femmes et des enfants.
28. Les ADF ont recruté certaines personnes en Ouganda, en recourant à divers subterfuges. Deux d’entre elles avaient été approchées dans des mosquées ougandaises, deux s’étaient vu promettre un emploi en République démocratique du Congo et deux autres avaient été attirées dans le pays sous des prétextes fallacieux par des membres de leur famille. Pour le recrutement de Congolais, les ADF ont aussi fait recours à la pratique des enlèvements effectués au cours des attaques.
29. Les nouvelles recrues sont entrées en République démocratique du Congo en passant à proximité du point de passage de Kasindi, puis sont passées par le camp de Mwalika, avant d’être transférées au camp de Madina via Mulalo.

d. Liens avec l’État Islamique d’Iraq et du Levant (EIIL)

Rapport S/2019/974 – 20 décembre 2019:
25. Le Groupe d’experts n’a pas pu établir l’existence de liens directs entre les ADF et l’EIIL, en dépit des affirmations de ce dernier. Les revendications de l’EIIL ne correspondaient pas toujours à la réalité des attaques sur le terrain. En effet, Le mode opératoire suivi lors des attaques attribuées aux ADF est resté le même. Cela étant, un drapeau semblable à celui de l’EIIL a été déployé pendant des entraînements, des défilés militaires et des réunions des ADF.

Rapport S/2020/482 – 2 juin 2020:
43. Le Groupe d’experts n’a pas trouvé de liens directs entre l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) et les ADF. Plusieurs ex-combattants des ADF qui avaient été capturés par les FARDC dans les principaux camps de Madina et de Mwalika ont déclaré n’avoir jamais entendu parler de l’EIIL. Cependant, quatre ex-combattants ont reconnu, sur une photo, le drapeau noir et blanc de l’EIIL comparable à celui qu’ils avaient vu dans leurs camps (voir S/2019/974, par. 25).
44. Durant leurs opérations, les FARDC n’ont récupéré aucun document ou élément et n’ont capturé aucun chef de haut rang des ADF, qui aurait pu corroborer un quelconque lien avec l’EIIL. De janvier à avril 2020, l’EIIL a revendiqué deux attaques en territoire de Beni, parmi les nombreuses attaques menées contre des positions des FARDC ou des civils. Le Groupe d’experts a noté des décalages entre les revendications et la réalité sur le terrain.

Rapport S/2020/1283 – 23 décembre 2020:
15. Bien que l’EIIL ait continué de revendiquer la responsabilité de plusieurs attaques commises en République démocratique du Congo, le Groupe d’experts n’a pu confirmer aucun lien ou soutien direct entre l’EIIL et les ADF. Depuis avril 2019, l’EIIL a publié plus de 90 communiqués dans lesquels il a revendiqué, au nom de la Province d’Afrique centrale de l’État islamique (Wilayat Wasat Ifriqiyah), la responsabilité de 75 attaques, dont la plupart ont été commises sur le territoire de Beni. Bien que l’EIIL ait continué de revendiquer la responsabilité de plusieurs attaques, le Groupe d’experts n’a pu confirmer aucun lien ou soutien direct entre l’EIIL et les ADF.
16. De nombreux détails fournis dans ces revendications décrivent de manière inexacte les lieux, les dates ainsi que le nombre et la nature des victimes des attaques. Le Groupe d’experts n’a recensé que 44 revendications correspondant à des attaques avérées, et des divergences ont été constatées dans plusieurs cas entre les revendications et les données recueillies. Alors que l’EIIL continue de revendiquer la responsabilité d’attaques généralement attribuées aux ADF, des informations donnent à penser que certaines d’entre elles pourraient avoir été menées par d’autres acteurs. Ces incohérences montrent que l’EIIL a une connaissance limitée des opérations menées en République démocratique du Congo et qu’il exerce sur celles-ci un contrôle restreint, ou qu’il existe des difficultés de communication entre l’EIIL et les ADF, à supposer qu’une telle communication existe.
17. Le modus operandi et les tactiques des ADF n’ont toutefois pas changé de manière significative depuis que l’EIIL a commencé de revendiquer la responsabilité de certaines attaques.

3. LES ATTAQUES DE 2019 CONTRE MAMOVE ET MAVIVI DANS LE TERRITOIRE DE BENI

Rapport S/2019/469 – Juin  2019:
110. Le Groupe d’experts a centré ses enquêtes sur les attaques menées contre Mamove et ses environs, les 12 et 24 février 2019, et contre Mavivi, le 7 janvier 2019. Le Groupe d’experts a constaté que les ADF avaient perpétré les attaques visant Mamove et ses environs, mais qu’elles n’étaient peut-être pas les responsables, ou du moins pas les seules, de celles qui avaient visé Mavivi le 7 janvier 2019.
111. Le 12 février 2019 a marqué le début d’une série d’attaques contre Mamove, le grenier d’Oicha. Les assaillants de cette première attaque ont visé le centre de santé de Mamove, qu’ils ont pillé, de même que des résidences et des magasins. Dans leur retraite, les assaillants ont enlevé au moins 17 civils entre Mamove et Oicha. Le 24 février 2019, Mamove a été la cible d’une deuxième attaque, durant laquelle trois civils ont été tués, et le centre de santé, des résidences et des magasins pillés puis incendiés. Pendant cette attaque, au moins 24 civils ont été enlevés.
112. Le Groupe d’experts a établi que les ADF étaient les auteurs des attaques lancées contre Mamove et ses environs les 12 et 24 février 2019.
113. Une personne qui avait été enlevée par les ADF lors d’une attaque menée à la fin de 2018 et qui avait été forcée à participer à l’attaque contre Mamove, le 12 février 2019, a raconté que les ADF avaient décidé de prendre Mamove pour cible, parce que leurs stocks de fournitures médicales étaient épuisés, nombre de leurs éléments étant revenus blessés d’une opération menée avant Noël 2018. Cette personne avait donc été forcée à piller les médicaments du centre de santé de Mamove.
115. Les attaques des 12 et 24 février 2019 se sont caractérisées par un enlèvement de masse de personnes, pour la plupart adultes, qui ont été forcées de transporter de la nourriture et des médicaments pillés,
116. Le mode opératoire et le ciblage évident de certaines victimes de l’attaque de Mavivi, le 7 janvier 2019, donnent à penser que les ADF n’en étaient peut-être pas les auteures, ou du moins pas les seules, et que d’autres acteurs armés, profitant de la situation, ont commis cette attaque.
117. Le Groupe d’experts a constaté que 11 civils, dont six enfants, avaient été tués lors de l’attaque de Mavivi le 7 janvier 2019. Toutes les victimes, sauf une, avaient été tuées dans la même maison, qui appartenait à un chef local. Les familles de deux officiers des FARDC basés à Mavivi, qui vivaient dans le voisinage, s’étaient réfugiées dans la maison du chef au début de l’assaut.
118. La maison du chef était la seule à avoir été visée dans le quartier ce jour-là. À l’exception du chef, qui avait été exécuté dans la cour de la résidence, les autres victimes ont été regroupées et abattues par arme à feu dans le salon. Sur les 11 victimes, six étaient des enfants. Les AFD n’ont cependant pas la réputation de tuer des enfants.
119. Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquels ceux-ci pourraient être liés à des luttes de pouvoir dans la région de Mavivi, mais n’a pas pu confirmer la véracité de ces informations de façon indépendante. Le Groupe avait précédemment établi que des milices locales avaient été impliquées dans des massacres perpétrés dans la région de Mayangose, qui jouxte Mavivi (S/2016/466, par. 195 à 197).

4. LES OPERATIONS MILITAIRES CONTRE LES ADF

a. La relance d’opérations de grande envergure

Rapport S/2019/974 – 20 décembre 2019:
26. Le 30 octobre 2019, l’armée congolaise a lancé des opérations militaires de grande envergure dans le cadre de l’opération Sokola I contre les groupes armés de la province du Nord-Kivu. Selon des officiers des FARDC, depuis le début de ces opérations, l’armée aurait pris plusieurs camps des ADF, dont Mayangose, Kididiwe, Vemba, Kadohu, Point 46, Masulukwede, une partie de Mwalika, Mabeto et Karuhamba, et tué au moins 25 éléments ADF.

Rapport S/2020/482 – 2 juin 2020:
32. Le Groupe d’experts a constaté que les opérations de grande envergure lancées par les FARDC le 30 octobre 2019, dan le cadre de l’opération «Sokola I». avaient dispersé les Forces Démocratiques Alliées (ADF) et que plusieurs positions des ADF en territoire de Beni (Nord-Kivu) étaient tombées sous le contrôle des FARDC. Les ADF ont néanmoins maintenu leurs réseaux de recrutement, d’appui et d’approvisionnement international et local, y compris dans les villes de Butembo et de Beni. Les ADF ont continué de mener des attaques contre les civils et les FARDC.
D’après la MONUSCO, en novembre et en décembre 2019 seulement, les ADF ont tué plus de 260 civils, principalement des femmes et des enfants. Du 28 au 30 janvier 2020, au moins 61 civils ont été tués au cours d’une série d’attaques menées par le ADF dans le nord-ouest du territoire de Beni,
33. D’après les officiers et les sources de renseignement militaire des FARDC, en février et en mars 2020, la presque-totalité des anciens camps des ADF, dont Kididiwe, Mapobu, Mwalika et Madina I et II, ont été pris par les FARDC. Certains officiers de haut rang des FARDC ont néanmoins manifesté leurs doutes sur la capacité des FARDC de conserver le contrôle de ces camps.
34. D’après des sources des FARDC, au 24 avril 2020, 88 combattants des ADF avaient été tués, 29 avaient été capturés et 10 s’étaient rendus. Elles ont également indiqué que les FARDC avaient récupéré 35 fusils d’assaut de type AK-47, deux roquettes, 22 bombes de fabrication artisanale, deux caisses de munitions, six morceaux de TNT et une machette des ADF. Le Groupe d’experts a inspecté une partie du matériel récupéré et a constaté que les armes et les munitions avaient des caractéristiques semblables à celles se trouvant dans le stock des FARDC. Des ex-combattants des ADF ont expliqué qu’ils avaient obtenu la majeure partie du matériel lors d’attaques contre les FARDC.

b. La « débâcle » des ADF

Rapport S/2020/1283 – 23 décembre 2020:
9. L’opération des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) lancée en octobre 2019 dans le cadre de Sokola I a eu une incidence sur la répartition géographique et les réseaux d’approvisionnement des Forces Démocratiques Alliées (ADF).
Selon des sources issues des FARDC, du 29 octobre 2019 à la fin d’octobre 2020, plus de 370 combattants des ADF ont été tués et plus de 70 capturés.
10. Les FARDC ont maintenu leur contrôle sur les camps ADF qui avaient été saisis au début de 2020. Les combattants des ADF se sont divisés en au moins trois groupes mobiles, concentrés principalement 1. dans le Ruwenzori, 2. autour de la route reliant Mbau à Kamango, près de la rivière Semuliki, et 3. au nord du territoire de Beni, où ils se déplaçaient continuellement autour de Oicha, Mamove, Eringeti, Kainama (où se trouverait le commandant Seka Baluku) et dans le territoire d’Irumu, au sud de l’Ituri. Cette mobilité et cette fragmentation ont encore accru le caractère imprévisible des déplacements et des attaques des ADF, et ont étendu la zone d’opérations du groupe armé.
11. Les réseaux et les activités d’approvisionnement des ADF ont été fortement perturbés, ce qui a entraîné une augmentation des attaques et des pillages, en particulier de nourriture et de médicaments. Les civils enlevés ont souvent été contraints de transporter des biens pillés. Certaines personnes enlevées ont été libérées au bout de quelques jours ou semaines, parfois contre rançon, tandis que d’autres n’ont pas été relâchées, dont certaines ont été forcées de se battre pour les ADF.

c. La reconstitution des ADF

Rapport S/2020/482 – 2 juin 2020:
41. Les ADF ont continué à renforcer leurs moyens de financement. Deux ex-combattants des ADF ont expliqué que, au début du mois de novembre 2019, Amigo avait reçu de l’argent liquide de sources non identifiées en Ouganda. Sept collaborateurs des ADF ont également expliqué que les chefs des ADF avaient contraint des agriculteurs congolais à verser des taxes mensuelles de 10 à 25 dollars par acre par agriculteur, ou une partie de leur récolte. Par exemple, des agriculteurs autour de Mwalika Kabasewe, ont été forcés de soutenir les ADF en leur remettant une partie de leur production.

Rapport S/2021/560  –  10 juin 2021:
11. Malgré les opérations des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les effort de la MONUSCO, les ADF se sont reconstituées à l’aide d’un recrutement intensifié, d’un système d’appui bien organisé et d’une maîtrise supérieure du terrain.
Sites et direction des Forces Démocratiques Alliées
12. Les ADF ont conservé leur mobilité et se sont dispersées en groupes, à cause des opérations en cours des FARDC. En conservant leur mobilité, les ADF ont cherché à détourner et à perturber les opérations militaires des FARDC. De petits groupes chargés de l’approvisionnement et des opérations offensives des ADF vivent dans des sites provisoires et se déplacent fréquemment. D’autres se sont installés dans des camps semi-permanents qu’ils quittent lorsqu’ils estiment que les FARDC ou la MONUSCO les ont repérés.
13. Bien que Madina, le camp de base des ADF, soit probablement toujours situé à la frontière des territoires de Beni et d’Irumu, entre Bango et Lese, il peut avoir été déplacé au sein de cette zone.
Il existe au moins quatre autres camps semi-permanents: 1. à Mapobu, au nord de la route Mbau-Kamango, 2. à Mamove, à l’ouest de Eringeti, 3. dans la forêt de Mayangose, à l’est de Beni  et 4. à Mwalika, dans une zone appelée Domaine (Annexe 3). Ces sites correspondaient largement aux bastions des ADF avant les opérations des FARDC en 2019, ce qui démontre la résilience des ADF et la difficulté qu’ont eu les FARDC à conserver le contrôle des territoires repris aux ADF.
14. Les chefs des ADF identifiés dans les rapports précédents étaient toujours en vie, ne participant généralement pas aux combats. Baluku reste toujours le principal chef et le commandant des ADF à qui les autres chefs et commandants rendaient des comptes. Baluku et d’autres chefs principaux des ADF se trouveraient toujours à Madina. Toutes les opérations et les principales activités de ravitaillement se sont déroulées sur ordre direct de Baluku ou par l’intermédiaire de son adjoint, Lukwago Hood, dit Pierro.
Recrutement
16. Les opérations des FARDC et l’arrestation de plusieurs collaborateurs et combattants des ADF tout au long de 2020 ont réussi à réduire les effectifs et à restreindre provisoirement les chaînes de réapprovisionnement des ADF, les poussant toutefois à intensifier le recrutement et les attaques. Les ADF ont continué de recourir à trois méthodes principales de recrutement: le recrutement forcé, essentiellement au moyen de la capture de civils lors de leurs attaques, la duperie et le recrutement de plein gré par la propagande, les deux dernières méthodes ayant servi également à recruter des individus hors du territoire de Beni ou des frontières de la République démocratique du Congo (voir annexe 6).
Attaques contre des civils dans le Rwenzori
26. Si les attaques contre les civils se sont poursuivies sur l’ensemble du territoire de Beni et dans le sud de l’Ituri, le Groupe d’experts a noté une augmentation particulière des attaques dans le secteur de Rwenzori depuis la mi-2020, un secteur qui avait été relativement épargné par le passé. Depuis juin 2020, au moins 50 attaques ont été signalées et ont entraîné le décès de plus de 250 civils et le déplacement de milliers d’autres.
27. Le Groupe d’experts a pris en considération deux des attaques perpétrées par les ADF à Nzenga et à Lose Lose (Rwenzori), respectivement les 11 et 28 décembre 2020. Elles montrent la façon dont les ADF ont conduit des attaques à des fins de réapprovisionnement, de représailles contre la population pour avoir éventuellement collaboré avec l’armée et la volonté de dévier les opérations militaires menées contre elles. Elles illustrent également les diverses méthodes et tactiques des ADF, dont l’utilisation d’éclaireurs, les enlèvements, les assassinats et les attaques indiscriminés contre des civils, les destructions et les pillages (voir annexe 18).

d. Annexes

Rapport S/2021/560  –  10 juin 2021:

Annexe 3: Information sur les principaux camps ADF

Comme expliqué au paragraphe 13, il y a au moins cinq principaux camps des ADF. Il s’agit de camps semi-permanents qui peuvent être relocalisés si nécessaire, bien qu’ils restent généralement dans un périmètre limité.  La plupart sont habités par des combattants ainsi que par des femmes et des enfants, Ces camps ont généralement des positions avancées autour d’eux avec cinq à dix combattants, pour les avertir et les protéger en cas d’attaques. Tous les camps ont une mosquée et/ou une grande zone de prière, parfois appelée risala, lieu de rassemblement pour l’enseignement islamique, mais aussi pour d’importantes prédications, informations et punitions publiques. Selon la taille du camp, certains ont également des écoles d’enseignement coranique, ainsi qu’une clinique et une prison.
Madina.
Le principal de ces camps était Madina, qui accueillait plus de 200 personnes début 2021.
Madina, également parfois appelée Madina at Tauheed Wau Mujahedeen (MTM – «La ville du monothéisme et des guerriers saints») par les ADF, désigne le quartier général des ADF, quel que soit l’endroit où il se trouve. En effet, depuis au moins 2008, lorsque les ADF ont établi leur camp de Madina, il a été déplacé au moins cinq fois en raison des opérations des FARDC, mais les ADF ont continué à l’appeler Madina.
Le camp est désormais dénommé Madina 5 et serait situé à la limite des territoires de Beni et du sud d’Irumu, entre Bango et Lese. Madina est subdivisé en quatre camps plus petits, chacun dirigé par un commandant des ADF: Kajaju, Whisper, Bango et «QG» («Quartier Général»). Le QG est situé au milieu des autres camps et est l’endroit où Baluku réside.
Compte tenu du nombre élevé de personnes à nourrir les combattants de Madina sont souvent envoyés vers d’autres camps pour collecter des marchandises, et inversement, des combattants d’autres camps sont régulièrement envoyés à Madina pour y apporter l’approvisionnement collecté lors d’opérations/attaques ou par l’intermédiaire de collaborateurs. La division et la répartition de la nourriture et des biens entre les camps et à l’intérieur de ceux-ci est soigneusement contrôlée au plus haut niveau, grâce à la tenue de registres.
Irungu / Mwalika / Domaine.
Irungu, souvent appelé Mwalika et/ou Domaine,  est l’un des plus anciens camps ADF, qui a également gardé son nom au fil des ans. Il est situé près de Mwalika,  dans une zone appelée Domaine, près d’Issale, dans le Parc nationale des Virunga. Il est également composé de plusieurs camps, y compris des positions avancées. Irungu/Mwalika a été souvent déplacé, généralement au bord de la rivière Semuliki, et même dissout à au moins deux reprises, en 2012 et en 2014. Amigo en est le commandant principal. D’autres commandants importants à Irungu/Mwalika sont Mzee Mubindo et Kikute.
Depuis au moins 2009, Irungu/Mwalika est principalement utilisé comme camp de transit et d’entraînement pour les nouvelles recrues  en provenance d’Ouganda et d’autres pays étrangers, via le poste frontière de Kasindi, ou du Sud Kivu, via Goma et Butembo, avant d’être transférées à Madina. Les principaux formateurs sont Amigo et Muzaya. Le camp de Irungu fournit également une partie importante des approvisionnements alimentaires et agricoles des ADF, étant situé au milieu des champs, où Amigo gérait la distribution des terrains par l’intermédiaire de collaborateurs. Les ADF exigeaient une partie de la récolte des membres de la population agricole en échange d’un accès au parc et d’une protection.
L’autre camp principal d’Irungu/Mwalika est dirigé par Abwakasi, alias Jundi. Situé à environ 30 minutes de marche après le camp d’Amigo, plus profondément dans le parc, est utilisé pour dispenser les formations.
Début 2020, une partie des camps d’Irungu/Mwalika avait été prise par les FARDC. Toutefois, les ADF y sont récemment retournées. Selon un ancien combattant qui a quitté Irungu/Mwalika début 2021, il y a environ 200-300 personnes dans chaque camp, y compris des femmes et des enfants, sans compter les nouvelles recrues.
Mamove.
Camp relativement nouveau, Mamove a été établi pour la première fois en 2014 par Amigo après avoir quitté Irungu et a servi de centre principal de réapprovisionnement logistique. Selon plusieurs ex-combattants, étant donné sa proximité avec de plus grandes villes telles que Oicha et Beni, les collaborateurs peuvent facilement accéder à Mamove, apportant directement de la nourriture et des biens. Certains de ces approvisionnements sont ensuite régulièrement apportés par des combattants à Madina, tandis que des combattants d’autres camps, comme Mapobu, se rendent à Mamove pour récupérer une partie des biens. Toujours pour assurer la continuité des approvisionnements, les combattants de ce camp mènent souvent des attaques contre les villages voisins.
Mayangose.
Les ADF ont opéré à Mayangose depuis au moins 2012, à partir d’où ils ont mené une série d’attaques en 2013 (voir S/2013/433, annexe 41). En 2017, Mulalo a établi son unité mobile près de Lahe (voir S/2019/469, annexe 5) à partir d’où il avait mené des attaques dans la région pour se réapprovisionner ou pour chasser les FARDC et les civils afin de permettre les mouvements des ADF entre les camps de Madina et de Mwalika. Le camp était ainsi un point de transit pour les nouvelles recrues et les personnes enlevées avant de se rendre à Mwalika ou à Madina. Mulalo est resté dans la zone jusqu’à la mi/fin 2020 lorsqu’il s’est relocalisé à Rwenzori. Cependant, selon plusieurs ex-combattants, le camp existait toujours au moment de la rédaction.
Mapobu.
Situé sur la route Mbau-Kamango, le camp est également utilisé comme centre logistique. Mzee Mugonza en est le commandant. Selon des ex-combattants, il est relativement important, avec au moins cinq postes avancés. En 2020, il hébergeait plus de 200 combattants et personnes à charge.

Annexe 6: Recrutement et composition des ADF

Outre l’enlèvement de civils comme principale méthode de recrutement, la tromperie est également largement utilisée pour attirer de nouveaux combattants dans les camps des ADF. Un emploi, des études ou simplement de meilleures conditions de vie leur sont promises par des recruteurs en dehors des camps ainsi que par des combattants qui appellent des membres de leur famille ou des amis, les incitant à venir dans la zone. Certains recruteurs accompagnent les nouvelles recrues à des points de transit, souvent à Goma, Bunia et/ou Butembo, où elles sont reçues par des points focaux, puis transportées, principalement à moto, vers les différents camps voisins. Plusieurs réseaux de recrutement sont actifs à Goma (Nord Kivu) et à Baraka et Fizi (Sud Kivu).
Selon la plupart des ex-combattants et des personnes ayant été enlevées, les ADF sont encore majoritairement composées d’Ougandais, en particulier les commandants. En deuxième position, il y a les Congolais, mais la plupart d’entre eux ont été enrôlés de force. Ils sont suivis par les Tanzaniens, les Burundais et, dans une moindre mesure, les Kenyans et les Rwandais.  Quelques Somaliens, Sud-Africains et Mozambicains font partie du groupe, bien que la plupart d’entre eux avaient déjà rejoint le groupe il y a quelques années. Les combattants congolais et ceux qui ont été recrutés de force ou par tromperie sont souvent maltraités, car considérés comme ayant un risque de fuite plus élevé. Toutes les nouvelles recrues ont été photographiées à leur arrivée et sont menacées d’être traquées dans leurs lieux d’origine en cas de fuite.

Annexe 17: L’augmentation récente des attaques des ADF dans le secteur de Rwenzori  

Le Groupe a identifié plusieurs raisons possibles pouvant expliquer l’augmentation récente des attaques, y compris une éventuelle stratégie de diversion par les ADF pour attirer les FARDC dans une zone où ces derniers étaient moins présents, afin d’ôter la pression imposée par les opérations des FARDC contre les ADF dans d’autres des zones vitales, telles que Kainama où se trouvaient les leaders des ADF. Cette stratégie faisait partie d’un «jeu du chat et de la souris» plus global selon lequel les opérations des FARDC délogent les ADF et perturbent leurs chaînes d’approvisionnement dans certaines zones, ce à quoi les ADF répondent en multipliant les attaques dans d’autres zones, y compris avec une logique de représailles contre la population.
De plus, alors que les opérations des FARDC ont délogé les ADF de certaines de leurs positions où ils avaient des champs et/ou ils avaient un accès facile aux collaborateurs, les ADF ont dû atteindre de «nouvelles» zones pour se réapprovisionner en nourriture et en biens de première nécessité. Le secteur de Rwenzori avec son importante concentration de champs pouvait donc offrir cette possibilité. Cela pourrait notamment expliquer les nombreuses attaques contre les agriculteurs, dont certains ont déclaré avoir entendu les ADF ordonner de libérer les champs.
Enfin, certaines sources ont également évoqué d’éventuels règlements de compte entre les ADF et des collaborateurs de la zone, qui avaient soit cessé de collaborer avec les ADF, soit étaient considérés comme ayant collaboré avec les autorités.

Annexe 18: Attaques de Nzenga et Lose Lose

– Le 11 décembre 2020, un grand groupe de combattants des ADF en provenance du Parc national des Virunga ont lancé une attaque contre Nzenga (à 30 km de la ville de Beni) au cours de laquelle au moins 20 civils ont été tués et 20 autres enlevés, et plusieurs maisons et magasins pillés et détruits.
Dans l’après-midi du 11 décembre, les ADF ont d’abord capturé sept personnes dans leurs champs à proximité de Nzenga, à Mulua, et les ont tués à la machette, à l’exception d’un homme qu’ils ont utilisé comme pisteur pour les guider vers Nzenga, où ils cherchaient un «ami» et des magasins où ils pourraient trouver du sel, du savon, du riz, des bottes en plastique, des bâches et des téléphones portables. Sur le chemin de Nzenga, les ADF ont tué deux civils et en ont blessé un autre, mais ont épargné une femme enceinte. Lorsqu’ils sont arrivés à Nzenga, ils se sont séparés en plusieurs groupes, tuant et enlevant des civils, et pillant et incendiant plusieurs magasins et maisons.
Une femme qui possédait un restaurant a expliqué qu’un petit groupe de combattants ADF, dont un enfant de 13 ans, est entré dans le restaurant et a demandé à tous les clients de remettre leurs téléphones. La propriétaire du restaurant a réussi à s’échapper, mais trois autres clients dans le restaurant, y compris le chef du village, ont été capturés et amenés à un point de rassemblement près de la station-service où ils ont trouvé au moins 20 autres villageois ligotés, y compris le pisteur. De même, une jeune fille de 14 ans a expliqué que quatre combattants des ADF ont fait irruption chez elle et l’ont enlevée avec quatre autres enfants plus jeunes qu’elle, les amenant tout d’abord à un point de rassemblement. Une personne ayant été enlevée a rapporté qu’un commandant des ADF avait demandé aux personnes enlevées de lui montrer les habitations des autorités locales, mais avait décidé de ne pas s’y rendre lorsqu’il avait réalisé qu’elles étaient trop loin.
Des témoins oculaires ont déclaré ne pas avoir observé d’affrontements avec les FARDC qui, selon eux, ont rapidement fui. Ils ont ajouté que les assaillants semblaient attentifs à ne pas attirer l’attention en tirant avec leurs armes et que, pour cela, ils tuaient principalement à la machette. C’est principalement lorsque les ADF ont atteint la savonnerie de Sicovir, gardée par des gardes de l’ICCN, qu’ils se sont affrontés avec eux et que des coups de feu ont été entendus.
D’autres témoins oculaires ont mentionné que le groupe d’assaillants était composé de 100 à 200 combattants, dont des enfants, portant principalement des uniformes militaires et armés de machettes et de fusils de type AK. Selon plusieurs sources, ils parlaient le swahili, le kinyarwanda, le kiganda et l’arabe.
Tous les témoins oculaires ont rapporté que les ADF avaient pillé plusieurs maisons, volé des chèvres et des poules et obligé les personnes enlevées à transporter les biens pillés lors de l’attaque. Certaines personnes enlevées ont réussi à s’échapper et/ou ont été tuées alors que les ADF quittaient Nzenga après l’attaque.
Une personne ayant été enlevée a raconté que les ADF ont tué à la machette une vieille dame juste à la sortie de la ville, puis ont arraché un bébé de trois mois à une personne enlevée ainsi que deux autres petits enfants à leurs mères et les ont déposés sur le corps de la vielle femme, sans toutefois les tuer. Une autre personne ayant été enlevée a expliqué qu’ils avaient ensuite marché toute la nuit pour atteindre un camp temporaire où on leur a demandé de se convertir à l’islam. Le commandant leur a expliqué qu’ils avaient attaqué le village pour répandre l’Islam et que tous les non-musulmans devraient être tués, à moins qu’ils ne se convertissent. Dans le deuxième camp qu’ils ont atteint au bout d’une semaine de marche, près de Makisabo, toutes les femmes et filles, y compris la plus jeune de 12 ans, ont été rapidement données comme épouses aux combattants des ADF.

– Le 28 décembre 2020, au matin, les ADF ont attaqué le village de Lose Lose, approximativement à 35 km de Beni. Selon plusieurs témoins oculaires, des personnes enlevées et un ex-combattant présent à proximité de l’attaque, ils ont d’abord attaqué la position FARDC du 312ème bataillon à l’entrée du village, avec lesquels ils se sont brièvement affrontés jusqu’à ce que ces derniers fuient. Les ADF ont alors commencé à piller des maisons et des magasins du village, ainsi qu’à rassembler tous les civils qu’ils trouvaient. Une personne ayant été enlevée a expliqué qu’ils ont trié les personnes par âge et qu’elle a vu sa mère et trois autres personnes plus âgées être tuées sur place par machette. Les ADF ont également demandé où était le chef du village et l’ont interrogé, lui demandant s’il était un Mai-Mai. Il a par la suite été décapité alors qu’il tentait de s’échapper. Les combattants des ADF ont attaché sa tête sur une pointe qu’ils ont laissée dans le centre de Lose Lose. Deux personnes enlevées ont raconté que les ADF et les personnes capturées se sont rendus dans une autre position des FARDC, à Chamunana à 1-2 km à l’extérieur du village que les ADF ont pillé et brûlé.
Une personnes enlevée a expliqué qu’ils sont ensuite retournés à Lose Lose, où ils ont rencontré un deuxième groupe de combattants ADF. Certains combattants des ADF et le groupe de personnes enlevées (12, dont trois enfants) transportant les biens pillés, sont partis pour un camp des ADF à deux jours de marche de Lose Lose. Au cours de la marche, quatre femmes et un homme plus âgés que les autres ont été mis de côté et probablement tués, selon l’une des personnes enlevées qui ne les a plus jamais revues même après son retour à Lose Lose.
Au cours de l’attaque de Lose Lose, au moins 11 civils ont été tués et 20 autres enlevés.
Un ex-combattant et des sources des FARDC ont confirmé que Lose Lose a été occupé pendant au moins quatre à cinq jours, du 28 décembre 2020 au 1er janvier 2021, date à laquelle les FARDC ont réussi à reprendre le village. Ceci est inhabituel car les ADF ont généralement recours à des attaques éclairs, se retirant rapidement après les attaques.

[1] https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1533/panel-of-experts/expert-reports