Congo Actualité n. 433

LA DESTITUTION DU PREMIER MINISTRE ET DE SON GOUVERNEMENT

SOMMAIRE

1. UNE AUTRE BATAILLE GAGNÉE, MAIS PEUT-ÊTRE PAS ENCORE LA GUERRE
2. LA POURSUITE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
a. Adoption de la loi sur l’adhésion à la ZLECAF et déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition
3. LA MOTION DE CENSURE CONTRE LE PREMIER MINISTRE ET SON GOUVERNEMENT
a. Le dépôt de la motion et ses motivations
b. Des députés FCC accusent le Bureau d’âge de violer la Constitution et le Règlement intérieur
c. La Cour Constitutionnelle avait autorisé le contrôle parlementaire sur le Gouvernement même dans le cas du bureau d’âge
d. Le Premier Ministre ne s’est pas présenté, mais il a envoyé une lettre
e. La motion adoptée et le Premier Ministre destitué
f. Les démissions du Premier Ministre

1. UNE AUTRE BATAILLE GAGNÉE, MAIS PEUT-ÊTRE PAS ENCORE LA GUERRE

Sale temps pour la kabilie. Après la défaite d’Emmanuel Ramazany Shadari, le dauphin de Joseph Kabila, à la présidentielle de 2018 et la chute de la présidente de l’Assemblée nationale, c’est au tour du très kabiliste Premier ministre Sylvestre Ilunga de se voir destitué.
D’autre part, le président Tshisekedi se retrouve à la tête d’une nouvelle majorité hétéroclite, mais reste sous la menace des députés pro-Kabila dissidents, majoritaires au sein de sa nouvelle coalition.
On prend les mêmes
La destitution du gouvernement Ilunga constitue une nouvelle étape dans la bataille que mène Félix Tshisekedi pour tenter de récupérer le pouvoir jusque-là confisqué par le camp Kabila. Une nouvelle marche vient d’être franchie vers le «déboulonnage» de la kabilie qu’avait annoncé Félix Tshisekedi au début de son mandat. Mais si l’actuel président vient de remporter plusieurs batailles, ébranlant le système Kabila, il n’a peut-être pas gagné la guerre. En composant une «Union sacrée» pléthorique qui ressemble à deux gouttes d’eau à la coalition CACH-FCC, avec les mêmes acteurs, le président Tshisekedi se retrouve maintenant condamner à devoir satisfaire les exigences de ses propres troupes de l’UDPS, mais aussi celles de ses très nombreux nouveaux partenaires aux intérêts souvent divergents.
Les germes d’une instabilité institutionnelle
Selon le politologue Alphonse Maindo, «dans un premier temps, Félix Tshisekedi va disposer de davantage de marges de manoeuvre. Le président aura les coudées plus franches. Mais gérer plus de personnes, c’est aussi plus de problèmes. On le voit déjà avec les tensions qui éclatent au sein de l’Union sacrée entre l’UDPS, Ensemble, le MLC et les dissidents FCC. Ces tensions portent les germes des problèmes futurs». Félix Tshisekedi va en effet se retrouver à la tête d’une armée mexicaine et la composition du nouveau gouvernement ne sera pas chose facile. Il avait fallu sept mois pour s’accorder avec le FCC, combien de temps faudra-t-il pour satisfaire les multiples familles politiques de l’Union sacrée?
Tshisekedi toujours otage du FCC?
L’Union sacrée, composée au forceps, constitue un pari risqué pour le président Tshisekedi. Le politologue Alphonse Maindo croit également voir dans la stratégie de Joseph Kabila, «la volonté d’infiltrer l’Union sacrée avec ses troupes, afin de la saborder de l’intérieur». Avec des FCC dissidents majoritaires au sein de «l’Union sacrée», le président Tshisekedi reste l’otage des anciens disciples de Joseph Kabila, qui conserve ainsi un excellent moyen de pression sur le chef de l’Etat. Le système Kabila n’est pas encore déboulonné puisque une partie de ce système ce retrouve désormais dans la majorité présidentielle… et Félix Tshisekedi devra composer avec.[1]

2. LA POURSUITE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

a. Adoption de la loi sur l’adhésion à la ZLECAF et déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition

Le 21 janvier, le bureau d’âge de l’Assemblée nationale a convoqué une plénière pour le jour suivant 22 janvier. D’après le communiqué signé par le rapporteur du bureau d’âge, Gaël Bussa, l’ordre du jour prévoit que chaque député déclare son appartenance à l’opposition ou à la nouvelle majorité parlementaire (Union Sacrée de la Nation, USN). Cette opération permettra au bureau d’âge d’identifier la configuration politique actuelle de l’Assemblée nationale. C’est l’étape décisive avant l’élection des membres du bureau définitif de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, il sera également question de l’Examen et approbation du projet de loi autorisant la ratification de l’accord international signé le 21 mars 2018, à Kigali (Rwanda) et  créant la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF).[2]

Le 22 janvier, les députés nationaux membres du Front Commun pour le Congo (FCC) ont décidé de quitter la salle de plénière. Ils dénoncent la violation à répétition du règlement intérieur de l’Assemblée nationale par le bureau d’âge qui, soutiennent-ils, n’est pas habileté ni d’organiser le vote des lois, ni d’exercer le contrôle parlementaire. Pour eux, l’unique matière spécifique qui reste à vider aujourd’hui, c’est le vote du Bureau définitif.
Les autres députés nationaux qui ont poursuivi la plénière, en absence de ceux du FCC, ont adopté la loi portant création de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Sur les 340 élus présents, 330 ont voté « oui » contre 08 « non » et 2 abstentions. La proposition de loi sera envoyée au niveau du Sénat pour seconde lecture. Ce qui oblige désormais le Sénat à convoquer sa session extraordinaire.
C’est à la fin de la séance que le Président du bureau d’âge, Mboso Nkodia, a annoncé aux députés nationaux qu’ils ont jusqu’à ce samedi 23 janvier, pour déposer le formulaire de leur appartenance à l’opposition ou à la majorité au secrétariat du Rapporteur de l’assemblée nationale. Dans cet exercice, les députés nationaux sont appelés à remplir 4 formulaires, dont un à déposer au niveau du parti politique respectif, un autre à déposer au regroupement politique, le troisième  à déposer auprès du secrétariat du Rapporteur de l’assemblée nationale et le quatrième à garder personnellement. Il faut préciser que les partis et regroupements politiques feront leurs déclarations sur base des déclarations des députés.[3]

Le 23 janvier, des députés continuent de signer la fiche de déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition parlementaire. Cette déclaration permettra à avoir une idée claire et précise sur la majorité  et l’opposition parlementaire. Cette précision est nécessaire pour la répartition de 7  postes du bureau définitif de la chambre basse du parlement. Cette répartition tient compte de deux éléments: le poids politique et la représentation géopolitique.
Quelques députés se sont réservés de signer  la déclaration d’appartenance à l’opposition ou à la majorité parlementaire. Ils évoquent  ce qu’ils qualifient de « confusion » entretenue par la dite fiche. Ces élus disent vouloir savoir ce que signifie, dans la contexte actuel « Majorité » ou Opposition » parlementaire. D’une part, la majorité est, selon les  textes, détenue jusqu’à ce jour par le FCC-CACH. D’autre part, on assiste à une nouvelle majorité en gestation sous le label de l’Union Sacrée de la Nation, à laquelle plusieurs députés de la majorité FCC-CACH ont déjà adhéré.[4]

Le 25 janvier, le Front Commun pour le Congo (FCC) a saisi officiellement le président du bureau d’âge, Christophe Mboso, pour lui signifier que les députés membres de ses regroupements ne signeront pas une nouvelle fois la fiche de déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition. Le FCC a indiqué au président du bureau d’âge qu’il s’agit d’une procédure «illégale» en cette période, car elle se fait une seule fois en début de législature et lui a demandé de «ne s’en tenir qu’aux seules déclarations d’appartenance à la majorité ou l’opposition faites au début de la législature». Selon le FCC, «l’invitation du bureau d’âge aux députés nationaux de faire, en cours de législature, une déclaration individuelle d’appartenance à la majorité ou à l’opposition, viole intentionnellement la constitution en ses articles 114, 116 et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale en ses articles 24 alinéa 4 et 54 alinéas 7 et 8».
Le FCC rappelle aussi que l’arrêt n°1438 de la Cour constitutionnelle prorogeant le mandat du Bureau d’âge, ne reconnaît à l’équipe de Christophe Mboso que le seul pouvoir de vider la pétition contre le questeur adjoint du Bureau Mabunda et d’organiser l’élection du Bureau définitif.
Selon le FCC, «le point relatif à l’identification de la majorité parlementaire ne figure ni dans la décision de convocation de la session extraordinaire encore moins évoqué dans l’arrêt ci-haut cité. L’article 13 du Règlement intérieur nous précise qu’aucun débat dont l’objet est étranger à sa mission ne peut avoir lieu sous la présidence du Bureau provisoire».[5]

3. LA MOTION DE CENSURE CONTRE LE PREMIER MINISTRE ET SON GOUVERNEMENT

a. Le dépôt de la motion et ses motivations

Le 22 janvier, le député Chérubin Okende a déposé la motion de censure contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba au bureau de l’Assemblée nationale. La motion a recueilli 301 signatures. Pour Chérubin Okende, élu de la Lukunga, la motion de censure est fondée sur les défaillances de l’action gouvernementale face aux attentes des populations congolaises liées notamment à la paix, la sécurité, l’Etat de droit, la démocratie et la situation sociale.[6]

Dans un document transmis au Bureau d’âge de l’Assemblée nationale, les initiateurs de la motion de censure contre le Gouvernement Ilunga ont exposé les motifs qui les poussent à destituer ce gouvernement.
Dans le volet défense et sécurité, il est indiqué que le gouvernement n’a pas pu pacifier le pays. Des compatriotes sont terrorisés, pillés, massacrés, enlevés chaque jour à Beni, Ituri, Masisi, Fizi et partout à l’est, sans oublier la présence des troupes étrangères, le foisonnement des groupes armés et l’amplification des attaques terroristes. En outre, le document signale l’insécurité alimentée par des bandes de brigands et autres bandits à mains armées à Lubumbashi, Bukavu, Goma et Kinshasa, siège des institutions nationales. Quant à la réconciliation nationale, l’unité nationale a été mise à mal depuis l’entrée en fonction de ce gouvernement.
Le Chef du gouvernement avait promis d’établir une justice équitable à tous les congolais. Malheureusement, constat fait par ces députés, l’exécutif national n’a pas mobilisé les moyens conséquents sur le plan logistique, des infrastructures et le traitement du personnel judiciaire, ce qui a donné lieu au déni de justice et au non-respect de la loi dans le prononcé des jugements et arrêts. On a aussi relevé la persistance des antivaleurs comme la corruption et la concussion.
Sur la gestion administration du pays, les Entités Territoriales Décentralisées (ETD) ne jouissent pas pleinement de leur droit à l’autonomie de leurs ressources. En violation de l’article 174 de la Constitution, le gouvernement n’applique pas la retenue à la source en rapport avec la rétrocession.
Toutefois, certains cadres du FCC disent ne pas comprendre, pour leur part, comment les succès de l’action gouvernementale sont placés à l’actif du Chef de l’Etat et ce qui est à considérer comme échecs au passif du premier ministre.[7]

Le député national André Mbata a signalé que, pour être recevable, cette motion devait être signée par au moins ¼ de députés nationaux, donc le minimum requis était de 125 députés. Selon l’article 146 de la Constitution, l’Assemblée nationale peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ou de défiance. En effet, l’article 146 de la Constitution stipule que «(…) La motion de censure contre le Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l’Assemblée nationale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l’Assemblée nationale. Le débat et le vote ne peuvent avoir lieu que quarante huit heures après le dépôt de la motion. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure ou de défiance qui ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Si la motion de censure ou de défiance est rejetée, ses signataires ne peuvent en proposer une nouvelle au cours de la même session».[8]

Un avocat au barreau de Kinshasa/ Matete, Maître Guylain Motele, a précisé que la motion de censure vaut pour le Premier ministre et, en cas de vote, c’est tout son gouvernement qui tombe. Il a ajouté que la motion de défiance concerne un ministre et, en cas de vote, c’est seul ce ministre qui tombe. L’article 147 de la Constitution stipule que si la motion de censure est adoptée par l’Assemblée nationale, le gouvernement est réputé démissionnaire. Dans ce cas, le Premier Ministre remet la démission du gouvernement au président dans les 24 heures. Après que le Premier ministre soit notifié, la plénière doit être convoquée pour examiner la motion, selon les dispositions des articles 214 et 215 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.[9]

Le 23 janvier, conformément aux dispositions des articles 213 et 214 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, le président du bureau d’âge de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, a transmis au Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba la motion de censure signée contre lui par 301 députés nationaux. À cet effet, il l’a prié de se présenter à la séance plénière du mardi 26 janvier, à 13 heures.[10]

b. Des députés FCC accusent le Bureau d’âge de violer la Constitution et le Règlement intérieur

Un conseiller du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a déclaré que ce dernier ne compte pas répondre à une éventuelle convocation du bureau d’âge de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la motion de censure qui a été déposée à la chambre basse du parlement. Selon lui, «le bureau d’âge n’est pas compétent pour convoquer un Premier ministre qui a été installé par un bureau légitime, dûment constitué et une plénière régulièrement convoquée». A l’Assemblée nationale, les députés FCC insistent sur le fait que le bureau d’âge doit plutôt accélérer le processus d’installation d’un bureau définitif, conformément aux deux récents arrêts de la Cour constitutionnelle qui, selon eux, limitent les compétences du bureau d’âge au traitement des pétitions visant les membres du bureau sortant et à l’organisation des élections du nouveau bureau de la chambre basse du parlement.[11]

Le député national André Tambwe, membre du Front Commun pour le Congo (FCC), a déclaré que le bureau d’âge dirigé par Christophe Mboso N’kodia n’est pas habilité à traiter la question d’un gouvernement investi par un bureau définitif. Selon lui, dans ses arrêts, la Cour constitutionnelle n’a pas donné mandat au bureau d’âge de travailler comme bureau définitif, mais de convoquer une session extraordinaire pour assurer la gestion les affaires courantes, et ces dernières sont celles trouvées sur la table, mais ici il s’agit d’une motion introduite au cours d’une session extraordinaire, ce qui est très délicat pour ce bureau de traiter une question de mise en cause du gouvernement qu’il n’a pas investi.[12]

Du côté du FCC, la position est toujours la même: selon la Constitution, le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale et les Arrêts de la Cour Constitutionnelle sur le Bureau d’âge, la motion de censure contre le Premier Ministre ne peut pas être traitée sous la présidence du bureau d’âge. Pour le camp Kabila, sous la présidence de Mboso N’Kodia, l’examen de toute matière autre que l’examen de la pétition contre le Questeur Adjoint et l’élection des membres du Bureau définitif constitue «une violation flagrante des textes précités, violations que le FCC ne peut aucunement cautionner». Par ailleurs, l’entourage du Premier ministre est unanime: «il a toujours dit qu’il ne déposera sa démission que quand l’autorité morale du FCC va le lui demander».[13]

c. La Cour Constitutionnelle avait autorisé le contrôle parlementaire sur le Gouvernement même dans le cas du bureau d’âge

À propos des objections soulevées par le FCC, dans son arrêt R. Const 1438 du 15 décembre 2020, la Cour Constitutionnelle a affirmé avoir été saisie, le 14 décembre 2020, par le Bureau d’âge de l’Assemblée nationale, «aux fins de solliciter la prorogation de son mandat et l’habilitation à poser des actes de gestion courante (la question des émoluments des députés nationaux et des salaires des agents, les cas de maladies qui nécessitent rapatriement et/ou soins spécifique, les missions à effectuer, le vote du budget de l’État encore en examen à la chambre haute du Parlement) jusqu’à la mise en place du Bureau définitif».
Il faut rappeler que, en date du 10 décembre 2020, les membres du Bureau de l’Assemblée nationale avaient été relevés de leurs fonctions, sauf un membre, tombé malade avant le traitement de la pétition initiée contre lui aussi et que la session parlementaire ordinaire allait se clôturer le 15 décembre.  La Cour constitutionnelle a précisé que «il s’agit d’un cas non prévu par le constituant, le législateur et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En revanche, les disposition des articles 114 et 116 de la constitution applicables au bureau d’âge avant l’installation du bureau définitif en début de législature sont mutatis mutandis d’application au cas d’espèce».
Dans les conditions actuelles où le bureau définitif déchu et dont un membre est encore mis en cause, il ne saurait être question d’expédier les affaires courantes et, dans les limites du temps à impartir, la Cour constitutionnelle a pris acte de la nécessité d’autoriser que «la prorogation sollicitée soit accordée et l’habilitation à gérer les affaires de l’Assemblée nationale soit donnée au bureau d’âge, qui pourra ainsi convoquer une session extraordinaire, non seulement pour vider le seul cas qui lui reste (celui du questeur adjoint du Bureau précédent) et organiser l’élection du nouveau bureau définitif, mais aussi, au vu de l’urgence, exercer le contrôle prévu à l’article 100 de la Constitution. En effet, l’Assemblée nationale ne perd aucune de ses prérogatives constitutionnelles du fait de la déchéance des membres de son bureau».
C’est pourquoi, enfin, «la Cour constitutionnelle autorise la prorogation du mandat du bureau d’âge et l’habilite à gérer les affaires courantes de l’Assemblée nationale et à convoquer celle-ci en session extraordinaire, pour vider la pétition engagée contre le questeur adjoint du bureau définitif déchu et d’organiser les élections des membres du Bureau définitif, le tout dans un délais ne dépassant pas un mois».[14]

Il convient de rappeler que:
L’article 100 de la constitution stipule que le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) contrôle le Gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services publics.
L’article 114 stipule que, au début d’une législature, c’est-à-dire après la proclamation des résultats des élections législatives nationales, le Secrétaire général de chaque Chambre du Parlement (Assemblée nationale et Sénat) convoque une session parlementaire extraordinaire. Cette session extraordinaire des deux Chambres sera respectivement présidée par deux Bureaux provisoires dirigés par le doyen d’âge assisté des deux les moins âgés, jusqu’à l’élection et à l’installation des Bureaux définitifs des deux Chambres du Parlement.
L’article 116 stipule que chaque Chambre du Parlement (Assemblée nationale et Sénat) peut être convoquée en session extraordinaire par son Président sur un ordre du jour déterminé.

Selon certains observateurs, il faut souligner que, s’il est vrai que, dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a autorisé le bureau d’âge à convoquer une session extraordinaire habilitée à contrôler et, par conséquent, à sanctionner le gouvernement, en vertu de l’article 100 de la constitution, toutefois, dans ses toutes dernières dispositions, elle semble n’avoir pas été suffisamment claire à ce propos, pour n’avoir repris, de façon explicite, ce point dans les tâches attribuées à la session extraordinaire convoquée par le Bureau d’âge, après en avoir été habilité.

Selon Maître Guy Mafuta Kabongo, député national, la question est celle de savoir si le Bureau d’âge est habilité à présider une plénière débattant d’une motion de censure à l’encontre du Gouvernement de la République. Il a bien dit: «présider une plénière et non traiter de la motion de censure», car cette précision est de taille. En effet, il a précisé que, selon les dispositions de l’article 214 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, l’examen et le vote de la motion de censure relèvent de la compétence de la plénière et non du Bureau, qui ne fait que transmettre au Gouvernement cette dernière.[15]

Selon Me Grâces Muwawa, il faudrait bien distinguer le bureau d’âge en début de législature et le bureau en cours de législature. Si les deux bureaux sont provisoires, les missions et les compétences compte tenu des temps et des circonstances peuvent permettre de les distinguer. Ainsi, si le bureau provisoire en début de législature a pour mission et compétence strictement et nécessairement celles prévues à l’article 12 du règlement intérieur, à savoir : la validation des pouvoirs des membres de l’Assemblée Nationale, l’élaboration et l’adoption du Règlement intérieur ainsi que l’élection et l’installation du bureau définitif, le bureau d’âge en cours de législature qui n’a pas pour mission l’adoption d’un nouveau Règlement intérieur ni la validation des pouvoirs des membres de l’Assemblée Nationale, a par contre la mission de veiller à la continuité des services publics en exerçant parfois des compétences qui, par leurs natures et leurs caractères, relèvent du Bureau définitif. Le Bureau d’âge est donc bel et bien compétent pour examiner cette motion de censure contre le Premier Ministre et son Gouvernement.[16]

d. Le Premier Ministre ne s’est pas présenté, mais il a envoyé une lettre

Le 24 janvier, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba  s’est rendu à Lubumbashi, chef-lieu de la province du Haut-Katanga, pour rencontrer plusieurs personnalités du Front Commun pour le Congo, qui séjournent depuis quelques semaines dans cette ville. Aussi, devrait-Il, rencontrer Joseph Kabila Kabange, Président honoraire de la RDC et autorité morale du FCC.
En effet, avant son départ, il a déclaré: «Je pars à Lubumbashi pour une réunion avec son Excellence Joseph Kabila Kabange, Autorité morale du Front Commun pour le Congo (FCC). C’est lui qui a proposé mon nom comme candidat Premier Ministre, ce qui a permis ma nomination par Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat».[17]

Le 25 janvier, le Bureau d’âge de l’Assemblée nationale a convoqué une plénière pour le lendemain 26 janvier. Selon un communiqué du rapporteur de la chambre basse du Parlement, le député Gaël Bussa, cette séance sera consacrée à l’examen de la motion de censure contre le premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba.[18]

Dans un message adressé aux chefs des partis et des regroupements politiques membres du FCC, Raymond Tshibanda, Président de la Cellule de crise de cette plateforme politique, appelle les députés du FCC à «se présenter dans la salle de plénière, non pas pour prendre part au débat sur l’examen de cette motion, mais plutôt pour présenter une motion rappelant la position du FCC. Une fois la motion faite, ou en cas de refus de parole au porteur de la motion, quitter tous la salle. Une fois dehors, faire une déclaration à la presse expliquant la position du FCC et le sens de la sortie de ses Députés».[19]

Le 25 janvier, le ministre de relation avec le parlement, Deogratias Nkusu Kunzi Bikawa, a signifié au bureau d’âge que Sylvestre Ilunga Ilunkamba ne sera pas présent le lendemain à l’Assemblée nationale pour l’examen de la motion de censure qui le concerne. Il a même transmis la photocopie de l’ordre de mission établi en faveur du Premier ministre, valable pour trois jours (du 24 au 26 janvier) et signé par Gilbert Kankonde Malamba, vice-premier ministre e ministre de l’intérieur.[20]

Le 26 janvier, l’Assemblée nationale a reporté l’examen de la motion de censure contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga, ce dernier étant toujours à Lubumbashi. Le Président du bureau d’âge, Christophe Mboso a lu, séance tenante, deux documents à savoir, l’ordre de mission du Premier ministre et la lettre de sa transmission au bureau de la chambre. L’examen de la motion est ainsi reprogrammé pour le lendemain, 27 janvier, à 11H00. Les députés nationaux du Front Commun pour le Congo ont encore boycotté la plénière.[21]

Le 27 janvier, le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba ne s’est pas présenté à la plénière convoquée pour examiner la motion de censure contre lui, car il ne reconnaît pas au bureau d’âge la compétence de traiter cette question. Par contre, il a donné ses observations et réponses aux griefs mis à sa charge par les députés qui ont signé la motion de censure contre sa personne, à travers une lettre adressée au bureau d’âge de l’Assemblée nationale. Le Premier ministre épingle notamment le fait que son gouvernement est né 9 mois après l’investiture du président Tshisekedi.
Sur le plan économique, il a rappelé que, «avant que mon gouvernement ne soit investi, nul n’ignore que les finances publiques ont été gérées de manière non orthodoxe. Les dérapages révélés à l’occasion du procès dit « des 100 jours » n’en sont qu’une illustration. J’avais tiré la sonnette d’alarme deux mois avant ma prise de fonctions: les caisses de l’Etat étaient quasiment vides, les réserves de change érodées et le franc congolais battait de l’aile».
Toujours sur le plan économique, il a indiqué que, «depuis plus de 6 mois, l’inflation a été contenue à environ 15%,  tandis que le taux de change a été stabilisé à 2000 FC pour 1 $. Ceci, malgré l’accélération des prix intérieurs entre avril et juillet 2020, induite par les mesures de confinement suite à la Covid-19. Parlant  du climat des affaires, Sylvestre Ilunga s’est félicité du passage du taux de facilitation de 35,2 % à 36,2 %».
Sur le plan politique, le Premier ministre s’est étonné aussi du blocage dans l’exécution du programme du gouvernement. Ilunga Ilunkamba souligne qu’il serait biaisé de vouloir établir le bilan général et de tirer des conclusions au terme de seulement 15 mois de l’exécution d’un programme établi pour une période de cinq ans. Bien plus, il rappelle qu’il n’est pas le seul maître à bord, étant que le programme du gouvernement est défini de concert avec le Président de la République. Il a rappelé que «la quasi-totalité des 52 réunions du conseil des ministres ont été présidées par le président de la République, chef de l’Etat, lequel donnait ses orientations sur bon nombre de dossiers au titre de communications. Ses orientations étaient coulées par la suite sous forme de décisions du conseil des ministres». Sylvestre Ilunga s’étonne enfin que «il y a à peine un mois, l’Assemblée nationale avait voté massivement, avec plus de 380 voix, la loi de Finances pour l’exercice 2021. Par cet acte, nos honorables Députés nationaux apportaient un soutien exceptionnel au gouvernement de la République. Voilà qu’aujourd’hui, certains députés reviennent à la charge pour adresser une motion de censure au même gouvernement… ». Ce qui permet au chef du gouvernement de poursuivre: «la fameuse motion de censure contre mon gouvernement n’est qu’une manoeuvre politicienne sans fondement factuel et au mépris des exigences de l’Etat de droit».
Enfin, Ilunga Ilunkamba a signifié à l’Assemblée nationale que, «en vertu du règlement intérieur de la chambre basse du parlement et à la lumière des arrêts récents rendus par la Cour constitutionnelle, le champ des compétences du bureau d’âge ne peut aucunement excéder le cadre de la gestion des affaires courantes de l’Assemblée nationale … Le bureau d’âge est tenu de faire diligence, en organisant dans les plus brefs délais le scrutin pour l’élection du bureau définitif, seul doté des pouvoirs de plein exercice pour diligenter la procédure et instrumenter les actes afférents à toute motion de censure … Après ça, je me tiens à la disposition du prochain bureau définitif, seul doté des pouvoirs d’examiner une motion de censure contre mon gouvernement».[22]

e. La motion adoptée et le Premier Ministre destitué

Le 27 janvier, dans son allocution lors de la plénière consacrée à l’examen de la motion contre le Premier ministre, le président du bureau d’âge, Christophe Mboso N’kodia, a donné son aval pour que les élus nationaux se prononcent sur ladite  motion, malgré l’absence de Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Au sujet de la controverse sur les compétences du bureau d’âge à statuer sur la motion de censure, Mboso Nkodia répond: «La haute cour avait habilité le bureau à exercer le contrôle parlementaire. Lors de l’ouverture de notre session extraordinaire, l’ordre avait été adopté avec ce point. Le gouvernement ne vient pas répondre au bureau d’âge, mais plutôt à la plénière qui l’avait investi. Il faut arrêter de tromper l’opinion».
Enfin, en l’absence du chef du gouvernement et des députés restés fidèles au Front Commun pour le Congo (FCC), l’Assemblée nationale a enfin voté pour la déchéance du gouvernement Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Sur 382 députés qui ont pris part à la plénière, 377 ont voté la motion: 367 députés ont voté pour, 7 contre et 2 se sont abstenus et 1 nul.
Selon l’article 147 de la Constitution et l’article 215 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale,  lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure, le Gouvernement est réputé démissionnaire et le Premier ministre a 24 heures pour déposer sa démission entre les mains du président de la République.[23]

Le 28 janvier, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a émis le suivant communiqué au sujet de la motion de censure votée par les députés nationaux: «Tout en réaffirmant les observations que j’ai formulées sur la compétence du Bureau d’âge, en tant que républicain, respectueux de la Constitution et des Institutions de la République, je me dois de reconnaitre la compétence de l’Assemblée Nationale à examiner la motion de censure qui m’a été destinée dès lors qu’elle a été signée par 301 Députés nationaux. Etant donné que les Députés qui composent l’Assemblée Nationale ont majoritairement voté le mercredi 27 janvier 2021 la motion de censure dirigée contre mon Gouvernement, j’attends la notification de cette décision pour prendre mes responsabilités conformément à la Constitution».[24]

Le 28 janvier, le député national Christian Mwando, président de l’UNADEF, a salué la destitution du gouvernement dirigé par le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba par l’Assemblée nationale. Il considère cela comme le parachèvement du processus de déboulonnement du système décrié: «la motion de censure contre le premier ministre, c’est la finalisation du processus de déboulonnement du système en place, que le président de la République a décrié. Un système corrompu, un système qui a échoué mais qui bloque le développement du pays. Donc on ne pouvait pas se limiter à renverser le bureau de l’Assemblée nationale, on devrait aller jusqu’au bout, pour renverser aussi le gouvernement pour donner un nouvel élan au pays».[25]

f. Les démissions du Premier Ministre

Le 29 janvier, le bureau d’âge de l’Assemblée nationale a transmis au Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba le courrier lui notifiant sa déchéance ainsi que de tout son gouvernement. Dans la notification, le président du bureau d’âge demande au Premier ministre de déposer auprès du Président de la République la démission de son gouvernement.[26]

Le 29 janvier, le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a déposé la démission de son gouvernement auprès du chef de l’État Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. À la sortie du Palis du Peuple, il à tout simplement déclaré: «J’ai remercié le président de la République, au nom du gouvernement. Je l’ai remercié pour la confiance qu’il nous a témoignée dans le cadre de l’accord de coalition qui a permis de connaitre la première passation pacifique du pouvoir … Je vais également remercier son excellence Joseph Kabila qui m’a proposé comme candidat premier ministre et qui m’a donné cette lourde responsabilité de travailler au quotidien pour le peuple congolais».[27]

[1] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 27.01.’21
[2] Cf Radio Okapi, 21.01.’21; Germain Lobo – Actualité.cd, 21.01.’21
[3] Cf Clément Muamba et Germain Lobo – Actualité.cd, 22.01.’21
[4] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 23.01.’21
[5] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 26.01.’21; Prince Mayiro – 7sur7.cd, 26.01.’21
[6] Cf Siméon Isako – Cas-info.ca, 22.01.’21
[7] Cf JM Mawete – Politico.cd, 23.01.’21
[8] Cf Radio Okapi, 23.01.’21
[9] Cf JM Mawete – Politico.cd, 23.01.’21
[10] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 23.01.’21
[11] Cf Actualité.cd, 23.01.’21
[12] Cf Politico.cd, 23.01.’21
[13] Cf Actualité.cd, 26.01.’21
[14] Cf Texte complet: https://legalrdc.com/2020/12/15/arret-rconst-1438-du-15-decembre-2020/
[15] Cf Cf Actualité.cd, 26.01.’21
[16] Cf Actualité.cd, 26.01.’21
[17] Cf José Mukendi – Actualité.cd, 24.01.’21; Actualité.cd, 25.01.’21
[18] Cf Roberto Tshahe – 7sur7.cd, 25.01.’21;
[19] Cf Japhet Toko – Actualité.cd, 26.01.’21
[20] Cf Actualité.cd, 26.01.’21
[21] Cf Actualité.cd, 26.01.’21
[22] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 27.01.’21 ; Actualité.cd, 27.01.21; Orly-Darel Ngiambukulu – 7sur7.cd, 27.01.’21
[23] Cf Roberto Tshahe – 7sur7.cd, 27.01.’21 ; Clament Muamba – Actualité.cd, 27.01.’21; Berith Yakitenge – Actualité.cd, 27.01.’21
[24] Cf 7sur7.cd, 28.01.’21
[25] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 28.01.’21
[26] Cf Actualité.cd, 29.01.’21
[27] Cf Actualité.cd, 29.01.’21