Congo Actualité n. 429

APRÈS LA DESTITUTION DU BUREAU DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

SOMMAIRE

1. LES PREMIÈRES ADHÉSIONS À L’UNION SACRÉE DE LA NATION, DONT PLUSIEURS PROVENANT DU FCC
2. LA DÉBÂCLE DU FRONT COMMUN POUR LE CONGO (FCC)
a. Mécontentements, divergences et critiques
b. Création d’une commission de crise
3. VERS UNE AUTRE MAJORITE PLÉTHORIQUE?
4. LA MISE EN QUESTION DE L’ACTUEL GOUVERNEMENT

1. LES PREMIÈRES ADHÉSIONS À L’UNION SACRÉE DE LA NATION, DONT PLUSIEURS PROVENENT DU FRONT COMMUN POUR LE CONGO (FCC)

Depuis la destitution de tous les membres du bureau Mabunda à l’Assemblée nationale, on a constaté plusieurs ralliements à l’Union Sacrée prônée par le Président de la République, Félix Tshisekedi.
Le 12 décembre, le Bloc Uni pour la Renaissance et l’Émergence du Congo (BUREC), parti de l’actuel ministre de l’industrie Julien Paluku e membre du Front Commun pour le Congo (FCC), a adhéré à l’Union sacrée pour la Nation du Président Félix Tshisekedi. Le BUREC compte 10 députés nationaux, dont le questeur adjoint de l’Assemblée nationale, 18 élus provinciaux et 1 sénateur.
Le 13 décembre, les Républicains de Kengo wa Dondo, ex-président du Sénat, se sont transférés  dans le camp tshisekediste.
Le 14 décembre, le regroupement politique Alliance de Démocrates pour le Renouveau et le Progrès (ADRP), membre du FCC, a donné mandat à François Rubota pour contacter formellement l’Union sacrée. L’ADRP de François Rubota compte 23 députés nationaux, 1 Sénateur, 2 ministres dans le gouvernement Ilunkamba, 24 députés provinciaux, 1 Président de l’assemblée provinciale, 1 gouverneur et 2 vice-gouverneur.
Le Regroupement politique Alliance des Forces Démocratiques du Congo et Alliés (AFDC-A), du sénateur Modeste Bahati Lukwebo, avait manifesté son adhésion depuis quelque temps. L’AFDC-A  dispose de 41 députés nationaux, 13 sénateurs et 70 députés provinciaux.[1]

Le 14 décembre, dans une déclaration rendue publique à Goma, 30 des 48 députés provinciaux du Nord-Kivu ont apporté leur soutien à la vision du président Tshisekedi, celle de mettre en place une nouvelle dynamique gouvernementale à travers une Union sacrée. Ils espèrent que cette initiative politique puisse mettre fin à l’insécurité et aux massacres récurrents en province. Contre toute attente, une dizaine d’entre eux, dont le président de l’Assemblée provinciale, Robert Seninga, sont issus du Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila.[2]

Le 21 décembre, dans une correspondance adressée à Joseph Kabila, le ministre du Commerce Extérieur, Jean-Lucien Bussa, a annoncé son départ du Front Commun pour le Congo (FCC).
Pour appuyer sa décision, soutenue par son parti politique la Coalition des Démocrates (CODE), Jean-Lucien Bussa a indiqué qu’il a toujours appelé à des réformes « essentielles » sur le plan politique. Il s’agit notamment «du retour à l’élection présidentielle à deux tours, de la suppression du seuil d’éligibilité imposé aux partis politiques, du retour au paiement de la caution électorale par liste et accessible à tous les congolais, en vertu de l’égalité de chance et d’opportunités, de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine, du changement du mode de désignation des gouverneurs de province et de celui du fonctionnement de la CENI». Dans la foulée, Jean-Lucien Bussa a affirmé que, bien que le FCC n’a pas pris part aux consultations menées par le chef de l’État Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, les conclusions de celles-ci ont mis en exergue une convergence des vues entre le discours du président de la République et la CODE sur les réformes évoquées. De ce qui précède, il a enfin décidé de «prendre ma liberté d’engagement et d’action politiques en vue d’œuvrer, en toute responsabilité, pour l’aboutissement des réformes pré-rappelées au mieux des intérêts du peuple Congolais».[3]

Certains gouverneurs membres du Front Commun pour le Congo (FCC) ont rejoint l’Union sacrée prônée par le chef de l’État, Félix Tshisekedi. Après Carly Kasivita, gouverneur du Nord-Kivu et Auguy Musafiri du Maniema, Sylvain Lubamba Mayombo aussi, gouverneur de la province de Lomami et membre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), s’est aligné derrière la vision du président de la République pour le bien-être de la population. Selon le gouverneur Lubamba, l’Union sacrée n’étant pas un parti politique, mais une idée de se mettre au service du peuple pour le développement du pays, il a décidé de s’inscrire lui aussi dans cette logique pour le décollage de la province de Lomami.[4]

Le 23 décembre, vingt-sept députés provinciaux, sur les quarante-huit que compte l’assemblée provinciale du Kwilu, ont adhéré à l’Union sacrée de la nation. Dans une déclaration faite à la presse, ces députés affirment apporter leur soutien indéfectible au Chef de l’Etat, en vue d’instaurer un climat de paix dans la province du Kwilu et de booster son développement.[5]

Le 26 décembre, à la cité de l’Union africaine, le Chef de l’État Félix Tshisekedi a reçu pendant plus de trois heures le leader de Ensemble pour la république, Moise Katumbi Chapwe et celui du Mouvement de Libération du Congo (MLC), Jean-Pierre Bemba Gombo. Ces deux personnalités avaient déjà pris publiquement position en faveur de l’Union Sacrée de la Nation.
Le Président de la République a aussi reçu plusieurs dizaines de députés venus confirmer leur engagement à l’Union sacrée de la Nation. Il s’agit de députés de l’Alliance des Démocrates pour le Renouveau et le Progrès (ADRP), de l’Action Alternative pour le Bien-être et le Changement (AAB), de la Coalition des Démocrates (Code) de Jean-Lucien Bussa Tongba, mais aussi d’une vingtaine de députés, sénateurs  et personnalités ayant quitté  le Front Commun pour le Congo (FCC) pour adhérer à l’Union Sacrée de la Nation. Il était question d’échanger sur la nouvelle configuration de la mouvance présidentielle, mais aussi et surtout de ce qui peut être la nouvelle majorité parlementaire à l’Assemblée nationale.[6]

Le 27 décembre, dans un communiqué, le gouverneur du Sud-Ubangi, Jean-Claude Mabenze, a annoncé d’avoir adhéré à l’Union sacrée de la nation avec son gouvernement provincial. Jean-Claude Mabenze dit se conformer ainsi à la décision de son regroupement politique, la Coalition des démocrates (CODE), qui a levé l’option d’adhérer à l’Union sacrée de la nation, prônée par le président Félix Tshisekedi. Le gouverneur du Sud Kivu, Theo Nguabidje Kasi, ancien cadre du FCC avait adhéré officiellement à l’Union sacrée pour la nation la semaine dernière.[7]

Le 28 décembre, dans une déclaration, 22 députés provinciaux de Kinshasa, sur un total de 48, ont annoncé leur adhésion à l’Union sacrée de la Nation. Les autres 26 députés provinciaux sont restés fidèles à la plateforme de Joseph Kabila.[8]

2. LA DÉBÂCLE DU FRONT COMMUN POUR LE CONGO (FCC)

a. Mécontentements, divergences et critiques

Un membre de la ligue des jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), Me Geoffrey Mutombo, a lancé une pétition contre Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire permanent du PPRD, pour «incompétence notoire». Il lui a reproché de:
– N’avoir pas conservé l’unité au sein du parti et le pouvoir dans toutes ses dimensions politiques;
– N’avoir aucunement fait preuve d’initiative, afin de faire émerger un air nouveau au sein du parti;
– N’avoir pris aucune précaution, pour éviter la chute de Jeanine Mabunda au perchoir;
– N’avoir pas préservé les échanges démocratiques, en privilégiant la pensée unique;
– Avoir systématiquement refusé de faire participer la jeunesse à la prise des décisions;
– Avoir pratiqué le clientélisme et crée l’opacité dans la gestion des cotisations des membres.
Enfin, dans sa pétition, Geoffrey Mutombo exige «un congrès extraordinaire du parti, en vue de permettre la déchéance de l’équipe SHADARY et de choisir des nouveaux dirigeants».[9]

Le 12 décembre, un groupe de six sénateurs du Front Commun pour le Congo (FCC) ont adressé un mémorandum à leur autorité morale Joseph Kabila. Ils y dénoncent la gestion calamiteuse et chaotique de la part de l’actuelle équipe de coordination, en particulier:
– Concentration de toutes les décisions du FCC dans les mains d’une poignée de personnes, pour leurs avantages personnels et au détriment de l’intérêt général;
– Attributions des postes clés aux membres des familles, amis et proches de ces personnes, au détriment des camarades qui militent réellement au sein du FCC;
– Traitement des autres membres du FCC comme des vassaux;
– Sélections irrationnelles des camarades devant participer aux réunions, pour éviter les autres membres capables d’émettre des idées contraires;
– Favoritisme, autoritarisme, népotisme, mauvaise gestion et clientélisme;
– Manque de stratégies politiques devant répondre aux attentes et aspirations de la population congolaise;
– Conflits récurrents de leadership au sein de la plateforme, occasionnant de dissidences parmi les camarades.
Par conséquent, ils recommandent:
+ la démission de toute la coordination du FCC;
+ la convocation de la conférence des présidents, élargie à d’autres personnalités politiques, parmi lesquelles les parlementaires, dans le but de faire une vraie remise en question, d’évaluer la gestion calamiteuse du FCC par l’actuelle coordination et de tirer toutes les conséquences;
+ la structuration et la mise en place d’une nouvelle équipe à la coordination du FCC.
Comme les sénateurs, plusieurs cadres aussi du parti de Kabila demandent les démissions de l’équipe dirigeante tant du PPRD que du FCC, notamment d’Emmanuel Ramazani Shadary, actuel Secrétaire permanent du PPRD, et de Néhémie Mwilanya, coordonateur du FCC.[10]

Le 19 décembre, dans une déclaration politique, l’Alliance des Nationalistes pour la Démocratie et l’Emergence du Congo (ANADEC) de Aggé Matembo a dit avoir constaté avec amertume «la démobilisation interne au sein du FCC, suite à la trahison, au débauchage et à l’hypocrisie politique de certains camarades, à cause de la prise en otage de cette plateforme politique par un groupe de caciques ayant échoué à assurer sa cohésion et son unité après décembre 2018».
L’ANADEC a dénoncé le comportement de quelques personnalités du FCC, à savoir Néhémie Mwilanya, Aubin Minaku, Emmanuel Shadary, Evariste Boshab et Adolphe Lumanu, toutes accusées d’incompétence notoire dans la coordination du FCC: «Ils naviguent à contre-courant et conduisent le bateau FCC dans un vaste trou noir, au profit de leurs intérêts égoïstes. Leur gestion est caractérisée notamment par le népotisme, le clientélisme, la concussion et l’absence d’un vrai dialogue entre regroupements politiques».
L’ANADEC a  réaffirmé « sa fidélité et sa loyauté » à Joseph Kabila, tout «en écartant de la sphère décisionnelle du FCC» les 5 personnalités citées. Ces dernières «sont simplement reléguées au sein de leurs partis politiques respectifs et sont formellement interdites d’engager le FCC puisque n’ayant plus qualité».
Enfin, l’ANADEC a annoncé «le lancement d’un nouveau courant politique dénommé FCC-Progressiste, courant politique qui vient désormais redonner espoir aux aigris, aux marginalisés et aux délaissés du favoritisme en vue de conserver la majorité sacrée de la famille politique de Joseph Kabila».[11]

Le 20 décembre, le Président du Parti Travailliste (PT), Steve Mbikayi, a affirmé que, au sein du FCC, «il y a un groupe de caciques qui a failli à sa mission et nous a emmené à la débâcle. Nous allons mettre de côté tous ces caciques et nous allons mettre sur pieds une nouvelle coordination provisoire. Et lorsque la crise sera jugulée, nous ferons rapport à l’autorité morale qui pourra voir dans quelle mesure désigner une coordination définitive». Cette nouvelle coordination aura pour mission principale de réconcilier Tshisekedi et Kabila et de ramener au sein du FCC tous ceux qui s’en sont éloignés à cause de la mauvaise gestion de l’ancienne coordination. S’agissant de l’Union sacrée de Félix Tshisekedi, le Président du PT exclut l’idée d’y adhérer. Par contre, il souhaite juste en savoir un peu plus sur sa vision et bien comprendre la dynamique actuelle. Steve Mbikayi s’insurge néanmoins contre « l’opportunisme et l’errance » observées dans le chef de ceux qui adhèrent à l’Union sacrée de Félix Tshisekedi sans en connaître le texte fondateur.[12]

Le 24 décembre, le regroupement Alliance des Démocrates pour le Renouveau et le Progrès (ADRP), membre du Front commun pour le Congo (FCC), a  retiré sa confiance à son président François Rubota Masumboku, en lui reprochant de se réclamer de l’union sacrée, alors qu’il n’avait reçu qu’un mandat de consultation. Selon une déclaration politique de l’ADRP lue par Marcel Ilunga Leu, «le communiqué de 13 Décembre 2020 donnant mandat de consultation au camarade François Rubota Masumbuko de prendre contact avec l’Union sacrée ne constitue pas un acte d’adhésion de l’ADRP à l’union sacrée, comme il s’en prévaut aujourd’hui. Nous membres de la plénière des partis politiques membres de l’ADRP seul organe habilité à engager le regroupement retirons notre confiance à François Rubota Masumboko …  L’ADRP demeure et reste un regroupement du Front Commun pour le Congo (FCC) et réitère sa loyauté à son autorité morale le camarade Joseph Kabila Kabange».
Parallèlement, le secrétaire général du Mouvement Social pour le Renouveau (MSR) et président de l’ADRP, François Rubota, a annoncé son soutien  à l’union sacrée du président Félix Tshisekedi.
Constituée de 17 partis politiques, notamment Congo Espoir, UCP, APDD, M17/Mpaka, MSR, FPDD, PSD, UPPF, PARECO…, l’ADRP compte 23 députés nationaux, 1 sénateur, 2 ministres, 24 députés provinciaux, 1 président d’Assemblée provinciale, 1 gouverneur et 2 vice-gouverneurs.[13]

b. Création d’une commission de crise

Le bureau de Jeanine Mabunda est tombé, contre toute attente. Le Président de la République a annoncé qu’il désignera bientôt un informateur, pour identifier clairement la majorité parlementaire. De nouvelles tendances se manifestent au sein même du FCC: le FCC progressiste en est un. Le leadership de Néhémie Mwilanya est également contesté. D’autres défaites sont également à mettre dans le sac de Kabila: la nomination des juges constitutionnels, le rejet des lois Minaku-Sakata, le départ de Célestin Tunda du gouvernement, le dossier Ronsard Malonda renvoyé par le président de la République, etc. Il reste à savoir jusqu’à quand Kabila va continuer à reculer.[14]

Le Front Commun pour le Congo (FCC) cherche toujours une voie pour faire face à la crise politique en son sein, accentuée par la destitution du bureau Jeanine Mabunda à l’assemblée nationale et au départ en cascade de plusieurs de ses cadres. C’est ainsi que l’ancien président de la république Joseph Kabila et autorité morale de cette plateforme politique, a mis en place, depuis mi décembre, une commission de crise qui devrait, selon certaines sources, assurer l’intérim de l’actuelle coordination décriée.
La commission est composée de 12 personnes, dont quatre membres du bureau de ladite commission: l’ancien ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda (Président), Didi Manara, (Vice-président), Liliane Mpande (Rapporteure), Marie-Ange Mushobekwa, (Questeure). Les autres huit membres sont: Félix Kabange, Didace Pembe, Elysée Minembwe, François Nzekuye, Fidèle Likinda, Patrick Bologna,Jean Ilongo Tokole et Didier Manzenge.
Sous anonymat, un membre de ladite commission a déclaré que «cette commission de crise désignée personnellement par Joseph Kabila est également chargée d’assurer désormais l’intérim de la coordination du FCC jusqu’à la mise en place prochaine d’une coordination définitive après consultation des différents chefs des partis politiques composant le FCC».
Le 21 décembre, une délégation restreinte de ladite commission s’est rendue à Lubumbashi auprès de Joseph Kabila, pour faire le rapport de ses consultations avec les députés nationaux membres du FCC.[15]

Le 23 décembre, Raymond Tshibanda, Marie-Ange Mushobekwa, Félix Kabange Numbi et quelques autres proches de l’ex-président, ont conféré avec ce dernier dans sa ferme privée de Kashamata. Ils sont allés présenter à leur autorité morale les résultats de leurs travaux après avoir entendu des députés nationaux membres du FCC. La cellule a pour mission de diagnostiquer les causes de la crise au sein de la famille politique, formuler des propositions pour sortir de cette crise et organiser des stratégies pour s’assurer que le FCC garde sa suprématie sur les assemblées et les exécutifs provinciaux. Pour l’un de ses membres, la coalition pro-Kabila espère notamment reconquérir le bureau de l’Assemblée nationale à l’issue du vote prévu au cours de la session extraordinaire de janvier prochain. Session durant laquelle il sera question de l’élection et l’installation du nouveau bureau ainsi que de la motion de censure contre le Premier ministre.
Pour sa part, Raymond Tshibanda a fait savoir que la cellule de crise mise en place par Joseph Kabila au sein du FCC ne remplace pas l’actuelle coordination Mwilanya.[16]

Le 24 décembre, le regroupement Alliance des Bâtisseurs pour un Congo Émergent (ABCE) a salué la mise en place, par Joseph Kabila, d’un comité de crise à l’effet de faire une évaluation au sein du Front Commun pour le Congo (FCC). Dans une déclaration politique, ce regroupement dirigé par Athanase Matenda en a profité pour réitérer sa fidélité à l’ancien Chef de l’Etat ainsi que son appartenance au FCC.[17]

3. VERS UNE AUTRE MAJORITE PLÉTHORIQUE?

Le 13 décembre, le député national Guy Mafuta Kabongo, élu sur la liste du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a affirmé que la reconfiguration de la majorité au sein du parlement ne viole pas les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dans son article 54, alinéa 5: «Le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale prévoit une brèche pouvant conduire légalement à une reconfiguration de la majorité parlementaire même au cours du mandat. Ce règlement, faisant suite à l’article 101 de la constitution, donne, à son article 54 alinéa 5, la possibilité au député, dont la vision et les convictions ne cadrent plus avec celle prônée par son regroupement politique, de s’en désolidariser en se soustrayant de son groupe parlementaire et en s’inscrivant comme non-inscrit, tout en demeurant membre effectif de son parti ou regroupement politique qui l’a porté à l’hémicycle À la lumière des résultats du vote qui a consacré la déchéance du bureau Mabunda, il s’est clairement dégagé un déphasage ou divergence d’opinions d’une centaine d’élus nationaux avec l’orientation formulée par leur groupement politique. C’est une dynamique qui, une fois consolidée, s’appuierait sur cette disposition du RI et ne violerait nullement la Constitution quant à la formation de l’Union sacrée». Le député Guy Mafuta avait signé la pétition visant la déchéance du bureau de l’Assemblée nationale.[18]

Le résultat du vote des députés, le 10 décembre 2020, sur la pétition de motion de déchéance de Jeanine Mabunda, est perçue comme un cataclysme politique. En effet ce signal indique une reconfiguration en termes de majorité parlementaire et donc une bonne nouvelle pour le Président de la République, Felix Tshisekedi Tshilombo, en quête de moyens pour faire sa politique gouvernementale. Après l’euphorie de cette victoire politique, il y a lieu de s’interroger sur les véritables raisons de ce revirement à l’Assemblée nationale: sont-elles véritablement politiques ou purement circonstancielles? Seul le temps nous le dira. Néanmoins, ne dit-on pas que les prémisses étant fausses, la suite sera désastreuse?
Le cas Mabunda. Elle n’a pas pu consolider sa position de présidente de l’Assemblée nationale et la grogne contre sa personne et sa gestion, même au sein de son propre camp, remonte à longtemps. En cause: de nombreuses accusations d’abus de pouvoir, une gestion opaque et, surtout, le péché cardinal: la revue à la baisse des salaires parlementaires de 11.000 à 4.000 dollars et – cerise sur le gâteau – les arriérés de salaire encore dus. Partant de là, pouvons-nous sincèrement parler d’une prise de conscience des députés ou simplement d’un vote sanction contre Mme Mabunda pour des raisons bien précises? Après sa chute, les langues se délient. Certains députés reconnaissent avoir perçu en moyenne 7.000 dollars pour leur vote (deux fois leur salaire mensuel), 15.000 dollars pour les plus influents. La RDC reste un pays complètement miné par la corruption. Tout le monde vient en politique pour atteindre le statut de millionnaires. Cette corruption morale n’est-elle indicative d’un parlement nommé? Les allégations de nomination, et non élection, des députés persistent jusqu’à ce jour, car la compilation des résultats du scrutin de 2018 n’a jamais été publiée par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui, par ailleurs, manque de légitimité et redevabilité auprès du peuple. On comprend parfaitement, dès lors, pourquoi la menace d’une dissolution de l’Assemblée fait peur aux députés, puisqu’une partie d’entre eux ne seront tout simplement pas élus dans un scrutin transparent.
La coalition FCC. Les quelque quatre-vingt députés qui ont fait la différence lors du vote de déchéance de Jeanine Mabunda ont néanmoins marqué un point qui mérite d’être salué. Ils ont mis fin à la caporalisation qui règne au sein de la coalition FCC pour recouvrer leur dignité. Le véritable contrat social se tisse auprès de la population et non auprès des individus.
L’Union sacrée. Cette initiative ne date pas d’aujourd’hui et, dans les expériences du passé, elle s’est soldée par un échec. Le paysage s’annonce assez sombre. Il est très difficile de croire en un changement en observant le comportement du politique congolais, connu pour sa versatilité. Comment croire en la sincérité d’un individu qui,  parti du néant, servit la kabilie pendant deux décennies et amassa une fortune illicite, avant de brusquement quitter le navire pour l’Union sacrée? N’est-ce pas seulement une course au poste « juteux »? Une assurance gagne-pain?
Pour que la refondation de la société congolaise ainsi que le bien être de la population congolaise deviennent des priorités dans la vie politique du pays, il faut éviter que l’Union Sacrée de la Nation devienne une nouvelle coalition comprenant des partis et des regroupement politiques à la recherche du partage du pouvoir.[19]

Le 21 décembre, s’exprimant sur la situation de l’heure au sein de sa famille politique, le Front Commun pour le Congo (FCC), Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a affirmé qu’on est encore loin de parler de la “requalification” de la majorité au sein du parlement. Pour M. Kambere, la requalification de la majorité suppose un bon nombre de partis politiques qui se mettent ensemble autour d’un programme commun, ce qui, selon lui, est encore loin d’être le cas pour l’instant.[20]

4. LA MISE EN QUESTION DE L’ACTUEL GOUVERNEMENT

Le 9 décembre, au cours d’une interview, le sénateur Célestin Vunabandi a invité le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba à déposer sa démission car, selon lui, il est fruit de l’accord FCC-CACH, qui n’existe plus: «l’actuel premier ministre est en fonction en vertu d’un accord privé entre le FCC-CACH, qui ne sont même pas des regroupements politiques, mais des simples organisations politiques informelles qui ont signé un accord de coalition. Lorsque l’accord est rompu, c’est dans son intérêt de pouvoir déposer sa démission au chef de l’Etat, pour permettre à celui-ci de poursuivre avec le processus». Pour Célestin Vunabandi, la nomination d’un informateur est tout à fait logique, au vu de la situation actuelle du pays: «avec la nomination d’un informateur il sera possible de dégager une nouvelle coalition majoritaire qui permettra au président d’imprimer sa vision et de réaliser son programme d’action».[21]

Des proches du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba ont rappelé que le Président de la République peut mettre fin aux fonctions du Premier Ministre seulement sur présentation, par celui-ci, de sa démission du Gouvernement et que ce dernier a toujours répété qu’il ne démissionnera que sur demande de sa famille politique. D’autre part, à propos de la nomination d’un informateur, un conseiller à la primature a rappelé que «la majorité et l’absence de la majorité se constatent au début de la législature. Et si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité, en vue d’identifier une coalition. Or, maintenant nous ne sommes pas au début de la législature». Toutefois, selon un membre du cabinet de Félix Tshisekedi, «si le Premier ministre ne démissionne pas, la nouvelle majorité va voter en faveur de sa déchéance». [22]

Initialement, la majorité semblait acquise au camp de Joseph Kabila mais, selon Trésor Kibangula, analyste du Groupe d’Études sur le Congo (GEC), les choses sont en train de changer: «Tout se dessine comme pour confirmer qu’il y a une majorité qui est en train de changer. Cela s’est confirmé avec la chute du bureau de l’Assemblée nationale. Cela pourra se réaffirmer dans les jours à venir, lorsque cette nouvelle majorité, appelée « union sacrée de la nation », ira sans doute exiger ou demander à ce que le Premier ministre tombe». Pour l’analyste du GEC, cela sera vraiment un grand signal qu’une nouvelle majorité parlementaire pourra se constituer autour de Félix Tshisekedi. La Constitution de la République Démocratique du Congo est claire sur le sujet: le Premier ministre dépend de l’Assemblée nationale. Il est d’ailleurs nommé au sein de la majorité parlementaire. Selon Trésor Kibangula, «si la majorité parlementaire change, forcément le Premier ministre n’aura plus la confiance du Parlement. Et avec une nouvelle majorité, il sera obligé soit de présenter volontairement sa démission du gouvernement, soit d’attendre que les députés de cette nouvelle majorité qui se dessine lui demandent de partir par une motion de censure».[23]

Le 12 décembre, le député national André Léon Ntumba, a déclaré que, avec la déchéance du Bureau de l’Assemblée nationale, la majorité parlementaire FCC-CACH est en train de « basculer » en faveur de l’Union sacrée de la nation initiée par Félix Tshisekedi. Il a donc demandé au Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba de déposer sa démission. Dans le cas contraire, André Léon Ntumba a affirmé que l’Assemblée nationale va le destituer par une motion de censure.[24]

Le 18 décembre, dans une déclaration lue en conférence de presse par le député national Delly Sessanga, le Groupe des 13 personnalités signataires de l’appel de l’11 juillet (G13) a affirmé que, en ce qui concerne un éventuel prochain gouvernement, le Chef de l’État devra: «privilégier un format d’austérité réduit à 35 membres au maximum et compatible avec les maigres ressources de nos finances publiques actuelles. Cette équipe se devra d’être un gouvernement de mission, visant à rencontrer les défis énormes du pays sur les réformes électorales, la garantie de la tenue des élections en 2023, les questions sécuritaires, plus particulièrement à l’Est du pays ainsi que l’assainissement des finances publiques et la relance de l’économie nationale». Les membres de G13 ont aussi proposé la réduction du train de vie dans toutes les institutions. Ainsi, disent-ils, il faut «réduire les tailles des cabinets du Président de la République, du Premier ministre et des institutions politiques en général, en amorçant ainsi une politique de réduction du train de vie des Institutions, en faveur de la prise en charge du social des congolais».
Le G13 a ajouté que, «pour être au bénéfice suprême du peuple, l’Union Sacrée de la Nation devra reposer sur les priorités suivantes: 1) les réformes institutionnelles et électorales dans la perspective de la tenue effective des élections de 2023; 2) les réformes urgentes du secteur de la sécurité et de la défense nationale et 3) l’assainissement des finances publiques ainsi qu’une politique de relance économique après COVID-19».[25]

[1] Cf Stéphie Mukinzi – Politico.cd, 14.12.’20
[2] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 15.12.’20
[3] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 22.12.’20; Actualité.cd, 22.12.’20
[4] Cf Carmel Ndeo – Politico.cd, 21.12.’20
[5] Cf Radio Okapi, 24.12.’20
[6] Cf Radio Okapi, 27.12.’20; Actualité.cd, 27.12.’20
[7] Cf Radio Okapi, 28.12.’20
[8] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 28.12.’20
[9] Cf Stéphie Mukinzi – Politico.cd, 14.12.’20
[10] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 16.12.’20; Thierry Mfundu Politico.cd, 16.12.’20
[11] Cf Stéphie Mukinzi – Politico.cd, 20.12.’20
[12] Cf Stéphie Mukinzi – Politico.cd, 20.12.’20
[13] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 24.12.’20; Carmel Ndeo – Politico.cd, 24.12.’20
[14] Cf Actualité.cd, 24.12.’20
[15] Cf Stanis Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 24.12.’20
[16] Cf Kamanda Wa Kamanda Muzembe – RFI, 24.12.’20
[17] Cf Germain Lobo – Actualité.cd, 25.12.’20
[18] Cf Japhet Toko – Actualité.cd, 13.12.’20
[19] Cf Dominique Kabongo – Lalibre.be/afrique, 14.12.’20  https://afrique.lalibre.be/56618/opinion-rdc-vers-une-autre-majorite-plethorique/
[20] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 21.12.’20
[21] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 09.12.’20
[22] Cf Actualité.cd, 09.12.’20
[23] Cf RFI, 12.12.’20
[24] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 12.12.’20
[25] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 18.12.’20; Germain Lobo – Actualité.cd, 18.12.’20