Congo Actualité n. 408

LE PROCÈS VITAL KAMERHE (3)

(3ème Partie)

SOMMAIRE

1. CINQUIÈME AUDIENCE: LES PLAIDOIRIES
2. SIXIÈME AUDIENCE: LE VERDICT
3. UN GOÛT D’INACHEVÉ

1. CINQUIÈME AUDIENCE: LES PLAIDOIRIES

Le 11 juin, la 5e audience du procès dans l’affaire opposant le ministère public et la partie civile République Démocratique du Congo et les prévenus Vital Kamerhe, Sammih Jammal et Muhima Ndoole a lieu à la prison Makala et a été consacrée à la plaidoirie des différentes parties.
Vital Kamerhe, directeur du Cabinet de la Présidence, Jammal Samih, entrepreneur libanais à la tête de deux sociétés commerciales (Samibo e Husmal) et Jeannot Muhima, chargé du service Import-Export de la Présidence de la République, sont poursuivis pour détournement présumé des deniers publics, corruption et blanchiment des capitaux.
Vital Kamerhe et Jammal Samih sont prévenus de détournement de la somme de plus de 48 millions USD sortie du trésor public et remise à la société Samibo Sarl pour l’achat et l’érection de 1.500 maisons préfabriquées dans le cadre du projet des logements sociaux pour 5 provinces de la RDC.
Ce projet est inscrit au programme de 100 jours initié par le président de la République.
Il leur est également reproché en solidarité le détournement de plus de 2 millions USD remis à une autre société de Jamal, Husmal Sarl, pour l’achat et l’érection de 3.000 maisons préfabriquées pour les policiers et militaires de la ville de Kinshasa.
Jeannot Muhima et Vital Kamerhe sont solidairement prévenus de détournement de 1.100.000 USD remis à Muhima pour le dédouanement et le transport des maisons préfabriquées.
Une autre prévention concerne l’acceptation indirecte, par l’intermédiaire de Soraya Mpiana, de l’achat à son profit d’une concession mesurant 70 m sur 100 à Ngaliema, afin que Kamerhe abuse de son influence réelle en tant que directeur de cabinet du président de la République, pour faire gagner aux deux sociétés de Djammal les marchés publics par voie de gré à gré, en violation de la procédure d’appel d’offre fixée par la législation en matière de passation de marché.[1]

Pendant le procès, l’ancien ministre du Développement rural, Justin Bitakwira, a démenti avoir fait signer un avenant au contrat de la société Samibo de Jammal Samih.
Le directeur général de la Direction de contrôle des marchés publics (DGCMP), Michel Ngongo, a également démenti avoir accordé un avis de non-objection à cet avenant, que Vital Kamerhe et ses avocats affirmaient être légal. Par conséquent, il n’a pas reconnu la régularité du marché conclu avec la société SAMIBO dans le cadre des logements sociaux.
L’ancien ministre du Budget, Pierre Kangundia, a affirmé que le décaissement des fonds n’avait pas suivi la procédure normale, car opéré sous le mode d’urgence.
Son ancien collègue des Finances, Henri Yav, a affirmé que Vital Kamerhe avait ordonné le paiement de 57,6 millions à travers une lettre qu’il lui avait adressé. Il a indiqué que ce fonds avait été versé à la société SAMIBO en plusieurs tranches, avant même la mise en œuvre du projet.
Le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogratias Mutombo, a abondé dans le même sens.
La partie civile a argué que Vital Kamerhe avait bénéficié d’un don de biens immobiliers de la part de l’homme d’affaires libanais Jammal Samih, à travers sa belle-fille Soraya Mpiana et son cousin Daniel Shangalume Kingi, alias Massaro. Cependant, pendant les auditions, Daniel « Massaro » a affirmé que c’est lui qui avait intentionnellement mentionné le nom de Soraya Mpiana, la belle-fille de Vital Kamerhe, sans que cette dernière ne le sache. En outre, il a déclaré que lui-même, Daniel « Massaro », avait bel et bien acheté une parcelle auprès de Jammal Samih, avant que ce dernier ne lui offre une autre. Néanmoins, la partie civile a réussi à obtenir des documents d’achats immobiliers étranges du cousin de Vital Kamerhe durant la même période que les décaissements ont été faits à l’égard de Jammal Samih.[2]

Le Ministère Public, en ce qui concerne l’accusation de détournement des deniers publics, a affirmé que la violation de la loi sur la passation des marchés publics qu’il impute à Kamerhe, en est une preuve suffisante: «La volonté du prévenu Kamerhe de violer la procédure des marchés publics…est parmi les preuves suffisantes de son intention frauduleuse de détourner les frais de l’État». Il a donc requis 20 ans de servitude pénale pour Vital Kamerhe, pour détournement de denier publique et blanchiment de capitaux, en plus de la confiscation de ses biens supposés acquis grâce à l’argent détourné du projet des maisons préfabriquées. Il a cité notamment des biens immobiliers acquis par l’épouse de Vital Kamerhe, Amida Shatur Kamerhe, ou sous les noms de Soraya Mpiana, belle-fille, et de Daniel Shangalume, cousin de Kamerhe. Il a aussi requis 15 ans de prison ferme pour corruption. Il a demandé que Vital Kamerhe soit privé du droit de vote et d’exercice des fonctions publiques pendant 10 et 5 ans respectivement.
Il a aussi requis 20 ans de servitude pénale pour le Libanais, Jammal Samih ; tout comme Jeannot Muhima, qui doit être arrêté immédiatement. En outre, Jammal Samih devrait être refoulé dans son pays d’origine et interdit de regagner la RDC à après avoir purgé sa peine.[3]

La partie civile, représentant la République Démocratique du Congo, a révélé que «le couple Kamerhe a plus de 10 millions USD dans un compte commun à Paris», où il a aussi acquis un hôtel particulier 3 étages. Le couple a sollicité Bertrand Prestige pour la rénovation du bâtiment.
Le prix des travaux de rénovation, dont le contrat a été signé le 10 juillet 2019, est évalué à plus d’un million d’euros, selon la partie Civile.
Face à ces faits, la partie civile sollicite la condamnation des prévenus au maximum des peines prévues pour détournement, blanchiment des capitaux et corruption. Elle demande également la condamnation in solidum de Vital Kamerhe et Samih Jamaal  au remboursement des 47 millions de dollars détournés et le payement de 100 millions de dollars à titre de dédommages-intérêts. La partie civile sollicite également la condamnation in solidum de Vital Kamerhe et Jeannot Muhima au remboursement de 1.154.800 dollars et au payement de 50 millions de dollars à titre de dédommage.[4]

Vital Kamerhe a affirmé que les avocats de la République et le ministère public n’ont pas su démontrer les faits de détournement mis à sa charge: «On n’est pas en train de faire le droit ici. On est en train de faire de la politique. Ce procès est politique. On n’a pas pu démontrer ici par une pièce irréfutable le détournement de monsieur Vital Kamerhe. On ne doit pas supposer. On doit présenter des preuves». Il a fait remarquer qu’il n’a pas détourné avec M. Muhima l’argent destiné au dédouanement des maisons préfabriquées, car ce dernier a remis toutes les pièces justificatives au comptable de la présidence. Il a fait comprendre au ministère public qu’il a pris des raccourcis pour lui imputer des choses fausses. «J’ai entendu des choses qui n’ont rien à voir avec le procès. Comment peut-on affirmer des choses qu’on ne maîtrise pas. J’ai amené toutes les preuves du compte commun que j’ai avec ma femme. J’ai pris un crédit. Ma femme a un immeuble évalué à plus de 4 millions USD. Elle a un autre immeuble à plus d’1 million enregistré sous le nom des enfants», a affirmé Vital Kamerhe répondant aux avocats de la République qui ont annoncé au tribunal l’acquisition d’un immeuble par son épouse en France. Il a poursuivi: «Je ne vois pas comment venir expliquer des choses qui n’ont rien avoir avec le procès. J’ai financé la campagne de tous les députés de mon parti. J’ai vendu mes maisons à Kinshasa et à l’intérieur du pays. Je n’ai négocié aucun contrat dans les 57 millions mis en cause ici».[5]

Samih Jammal a clamé son innocence et a demandé d’être acquitté: «Même si je suis condamné, je vais continuer le travail pour le président de la République. Je suis innocent. Je ne suis pas politicien. Je suis commerçant. Mes enfants sont nés ici. Je peux même m’endetter pour continuer le travail».
Jeannot Muhima, le responsable du service import-export à la présidence de la République, a clamé son innocence et a demandé d’être acquitté.
La date du prononcé du jugement dans l’affaire Kamerhe et consorts est fixée au 20 juin 2020 au tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe.[6]

Selon Africa Intelligence, Vital Kamerhe est soupçonné d’avoir acquis en 2019 trois résidences à Maule, Orgeval et Poissy, dans le département des Yvelines (à proximité de Paris). Selon cette source, «d’après un contrat signé le 6 juillet 2019, Vital Kamerhe et son épouse ont déboursé 1 249 668 euros pour faire équiper et rénover par l’entreprise de décoration d’intérieure Bertrand Prestige une maison de 300 m2 à Maule, où ils résident».
Dans une interview accordée à la Radio Top Congo, l’avocat français de Vital Kamerhe, Me Pierre-Olivier Sur, a démenti les allégations de la partie civile, affirmant qu’il aurait acheté un hôtel particulier à Paris durant l’année 2019: «Il n’y a aucun Hôtel particulier en France. Il y a deux maisons de campagne ou trois. Une a été acquise par l’épouse de Vital Kamerhe avant leur mariage, et l’autre qui a été acquise par lui-même, mais par le biais d’un crédit immobilier; ce qui prouve bien qu’il n’était pas détenteur d’un fond important pour acheter un bien immobilier en France. Il a eu recours à un emprunt immobilier». Dans un tweet, l’opérateur économique Didi Kinuani aussi, ex-mari d’Amida Shatur, actuelle épouse de Vital Kamerhe, a démenti que la propriété d’Orgeval ait été achetée par le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi: «Cet immeuble a été acheté depuis 2012 … donc bien avant son mariage de 2019»[7]

2. SIXIÈME AUDIENCE: LE VERDICT

Le 20 juin, au début de la sixième audition publique, le juge Pierrot Bankenge, président du tribunal, a expliqué que la jurisprudence renseigne qu’il n’est pas obligatoire de retrouver l’argent dans les comptes de l’accusé pour que le détournement soit constaté.
Pour lui, le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi a délibérément violé les dispositions de la loi et les règles, en matière de passation de marché et de décaissement des fonds publics et cela constitue la preuve qu’il y a bien eu détournement d’argent.
Le tribunal a constaté que, sur les 57 millions dollars décaissés en faveur de Samibo SARL, seule la somme de 8.600.000 dollars a été effectivement envoyée au fournisseur des maisons préfabriquées se trouvant en Turquie et que Samih Jammal, principal co-accusé de Vital Kamerhe, n’a pas été en mesure «de préciser la destination de 48 millions de dollars issus du Trésor Public».
Le tribunal a insisté sur le fait que l’intention criminelle est évidente au sujet de Vital Kamerhe et de Samih Jammal. Pour lui, la collusion et la complicité entre les deux accusés est «sans équivoque». Le tribunal a également qualifié la cession à la belle fille de Vital Kamerhe d’une partie d’une concession appartenant à Samih Jamal d’ «acte de corruption». Les juges relèvent que les prévenus et leurs proches se sont illicitement enrichis avec ces marchés.[8]

Le Tribunal de Kinshasa Gombe a reconnu Vital Kamerhe et Samih Jammal coupables de détournement de 48.831.148 $ et les a condamnés chacun à 20 ans de travaux forcés.
Pour Vital Kamerhe, le Tribunal a prononcé aussi l’interdiction, pour 10 ans après exécution de la peine, du droit de vote, du droit d’éligibilité et d’accès aux fonctions publiques.
Pour Samih Jammal, le Tribunal a décidé son expulsion définitive du territoire de la République, après l’exécution de la peine.
Le Tribunal a reconnu Vital Kamerhe et Samih Jammal coupables de détournement de 2.137.500 $ et les a condamnés chacun à 10 ans de travaux forcés.
Pour Vital Kamerhe, le Tribunal a prononcé aussi l’interdiction, pour 5 ans après exécution de la peine, du droit de vote, du droit d’éligibilité et d’accès aux fonctions publiques.
Pour Samih Jammal, le Tribunal a décidé son expulsion définitive du territoire de la République, après l’exécution de la peine.
Le Tribunal a reconnu Vital Kamerhe et Jeannot Muhima coupables de détournement de 1.154.800 $ et les a condamnés chacun à 2 ans de travaux forcés et à l’interdiction, pour 5 ans après exécution de la peine, du droit de vote, du droit d’éligibilité et d’accès aux fonctions publiques.
Le Tribunal a reconnu Samih Jammal coupable de deux opérations de blanchiment de capitaux et l’a condamné, pour la première, à une amende de 20.000.000 $ et pour la seconde, à 10 ans de Servitude Pénale Principale (SPP) et à une amende de 20.000.000 $.
Le Tribunal a reconnu Samih Jammal et Vital Kamerhe coupables de corruption et les a condamnés chacun à une SPP de 15 ans et une amende de 1.000.000 FC constants ou une servitude pénale subsidiaire de 6 mois.
Puisque les deux infractions de blanchiment de capitaux commises par Samih Jammal le sont en concours idéal (plusieurs qualifications différentes pour un même fait), le Tribunal a prononcé une peine unique, la plus forte, soit 10 ans de SPP et une amende de 20.000.000 $.
En ce qui concerne les autres infractions commises par les prévenus Vital Kamerhe et Samih Jammal, elles le sont en concours matériel (plusieurs faits matériels successifs, dont chacun constitue une infraction). Partant, le Tribunal cumule les peines et prononce, à l’encontre de chacun d’entre eux, la peine de 20 ans de travaux forcés, peine maximale consentie par la loi, ainsi que les peines accessoires ci-après:
– L’interdiction, pour 10 ans après l’exécution de la peine, des droits de vote, d’éligibilité et d’accès aux fonctions publiques et paraétatiques, en ce qui concerne le prévenu Vital Kamerhe.
– L’expulsion définitive du territoire de la République, après l’exécution de la peine à charge du prévenu Samih Jammal.
En outre, le Tribunal ordonne la confiscation des fonds contenus dans les comptes de Amida Chatur, Soraya Mpiana et Nshangalume Nkingi Daniel (Alias Massaro), ainsi que des propriétés immobilières acquises avec les fonds détournés et qui sont couvertes par les titres ci-après établis aux noms des personnes suivantes:
– Le contrat de location n° 1348/2019 AD 44988, commune de Ngaliema au nom de NSHANGALUME Daniel;
– Le certificat d’enregistrement AKN 11 Folio 46 AD 193, commune de Kasa-vubu au nom de MPIANA DAIDA ;
– Le certificat d’enregistrement AGL 547 Folio 171 AD 5082, commune de la Gombe au nom de NSHANGALUME Daniel ;
– Le certificat d’enregistrement A/ML 01 Folio 179 AD, commune de Maluku au nom de MAYUTU NAMWISI Dieudonné ;
– Le certificat d’enregistrement NN 45 Folio 33 AD 71860, commune de la N’sele au nom de HAMIDA CHATUR KAMERHE ;
– Le certificat d’enregistrement AGL 547 Folio 56 AD 5807, commune de Lingwala au nom de NSHANGALUME NKINGI Daniel ;
– Le contrat de cession entre JAMMAL SAMIH et SORAYA MPIANA, AD 44196, commune de Ngaliema.
Le Tribunal ordonne l’arrestation immédiate du prévenu Jeannot Muhima Ndoole.
Enfin, le Tribunal condamne les prévenus in solidum à payer à la partie civile la somme de l’équivalent en FC de 150.000.000 $, à titre de dommages-intérêts.[9]

3. UN GOÛT D’INACHEVÉ

Le journaliste Christophe Rigaud affirme que le procès des 100 jours laisse comme un goût d’inachevé. Les audiences ont été souvent décousues, les procédures expéditives, l’accusation approximative et la défense laborieuse.
Pour le président du réseau panafricain de lutte contre la corruption, Unis, Jean-Jacques Lumumba,  «les déficiences dans le ficelage du dossier laissent transparaître des investigations incomplètes et bâclées». Il estime également que d’autres acteurs clés de l’affaire doivent être poursuivis et s’étonne que la banque privée qui a autorisé «des décaissements colossaux en liquides au mépris de la législation en vigueur», ne soit pas inquiétée davantage.
La Conférence Épiscopale Nationale du Congo estime qu’il est «trop tôt pour dire si c’est du sérieux », et qu’il faut attendre encore pour voir si, «c’est quelque chose qui a été fait pour régler des comptes politiques ou si c’est une nouvelle dynamique».
Figure emblématique de la vie politique congolaise depuis une vingtaine d’années, il a été directeur de campagne de Joseph Kabila en 2006, président de l’Assemblée nationale jusqu’à 2009, lors de sa rupture avec le président congolais et la création de l’Union pour la nation congolaise (UNC), son propre parti d’opposition. Arrivé en troisième position (après Joseph Kabila et Etienne Tshisekedi) lors des élections très contestées de 2011, il avait retiré sa candidature à faveur de Félix Tshisekedi lors des élection présidentielles de 2018. Vital Kamerhe n’a jamais cessé de rebondir entre ces plusieurs traversées du désert. Et dire que le verdict du tribunal de grande instance de Kinshasa est sévère est un euphémisme pour ce poids lourds de la politique congolaise.
La lourde condamnation et la perte des droits civiques signent l’arrêt de la vie politique de Vital Kamerhe, qui comptait bien se présenter à la prochaine présidentielle en tête de liste de la coalition CACH, fort de l’accord conclu à Nairobi avec Félix Tshisekedi, qui devait lui laisser la place de candidat en 2023. Avec cette peine d’inéligibilité, même allégée en appel, Vital Kamerhe voit s’échapper la possibilité de briguer la magistrature suprême, et rend l’accord avec Tshisekedi caduc. Ce qui fait dire, à de nombreux observateurs, que Félix Tshisekedi est le grand gagnant du procès des 100 jours, voyant Vital Kamerhe hors-jeu, lui laissant ainsi la place libre pour briguer un second mandat.
Mais la neutralisation de Vital Kamerhe prive aussi le président d’un précieux soutien dans le Sud-Kivu, où Vital Kamerhe est encore populaire. Et l’arme judiciaire est à double tranchant pour Félix Tshisekedi, qui n’est pas à l’abri d’être touché de près ou de loin pour l’opération «mains propres».
D’autant plus que les avocats de Vital Kamerhe, dénonçant un simulacre de procès et affirmant que «sa condamnation ne se fonde sur aucune pièce (instructions écrites données ou flux bancaires exécutés) et se contredit en soutenant qu’il aurait pu détourner de l’argent public, alors qu’il n’était ni ordonnateur ni comptable de la dépense publique», assurent qu’ils exerceront «toutes les voies de recours possibles: en République démocratique du Congo, devant les cours régionales africaines et devant les Nations Unies». En effet, Vital Kamerhe a 10 jours pour faire appel à Kinshasa.[10]

Selon Human Right Watch, le procès a marqué une étape importante dans la lutte contre la corruption.
Kamerhe, directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, l’une des figures politiques les plus puissantes de l’histoire récente de la RD Congo et ex-allié de l’ancien président Joseph Kabila, a été reconnu coupable de détournement de fonds et de corruption aggravée. Il est ainsi devenu l’homme politique le plus important de la RD Congo à avoir été poursuivi par la justice congolaise.
Tout au long de la procédure, les Congolais n’ont cessé de dénoncer sur les réseaux sociaux un système rongé depuis des décennies par une corruption rampante, rappelant aux autorités que le détournement de fonds publics n’est pas l’affaire d’une seule figure politique. D’autres personnalités impliquées dans des affaires de corruption ces dernières années devraient également faire l’objet d’enquêtes et de poursuites adaptées dans le cadre de procès équitables, quelle que soit leur position ou leur appartenance politique. Si aucune autre enquête n’est lancée, l’ «affaire Kamerhe» risque de rester dans les mémoires comme un simple règlement de comptes entre rivaux politiques.
Le procès a démontré combien l’enquête a laissé bon nombre de questions sans réponses et que plusieurs témoins importants, eux aussi impliqués dans des infractions, ont pu s’en tirer sans être inquiétés.
En RD Congo, le désir d’état de droit est manifeste. Pour y parvenir, les Congolais auront besoin d’être rassurés sur le fait que cette affaire n’était pas un procès purement politique. De nombreuses victimes et familles attendent également que justice soit rendue pour des crimes et des violations des droits commis par des responsables de l’administration précédente, dont certains sont encore en fonction. Personne ne devrait pouvoir se sentir intouchable.[11]

Le parti de Vital Kamerhe, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) a relevé 3 irrégularités qui ont caractérisé le jugement condamnant Vital Kamerhe:
– Le tribunal a été dans l’incapacité d’établir la culpabilité de l’Honorable Vital Kamerhe et s’est contenté de reprendre largement le réquisitoire du ministère public tant dans sa motivation que dans son dispositif.
– Il est largement basé sur des suppositions et pourtant il est d’un principe général de Droit pénal que les dispositions du code pénal sont de stricte interprétation et n’admettent pas, par conséquent, ni analogie, ni supposition, ni déduction, ni allusion.
– Les circonstances et les conditions de son arrestation, le refus systématique de lui accorde la liberté provisoire, le rejet en bloc des exceptions, même d’ordre public, soulevées par ses avocats, laissent croire que le plan de sa condamnation était déjà concocté.
L’Union pour la Nation congolaise considère que le fait d’infliger à une personne – qui n’a jamais fait l’objet d’une condamnation judiciaire auparavant, et qui a rendu des loyaux services à la nation pendant plus de trois décennies – la peine la plus sévère, met en exergue l’intention malveillante de nuire à sa carrière politique.
En ce qui concerne la décision des juges de saisir les biens privés des proches de Vital Kamerhe, «l’UNC évoque la violation manifeste du principe de relativité des décisions judiciaires, en ce qu’elles ne peuvent être opposables qu’aux personnes qui ont fait partie au procès. Dans le cas d’espèce, grand a été l’étonnement de l’UNC de constater la violation de ce principe dans le dispositif de la décision atteignant ainsi les patrimoines des témoins qui sont, au regard du Droit de la procédure pénale, étrangers au procès».[12]

Dans une interview, Nazaire Nkongolo a déclaré que la rapidité du procès et le manque de pièces pourraient induire à penser que c’est un procès politique. Toutefois, il y a beaucoup d’éléments qui peuvent l’exclure.
– L’absence d’un gouvernement de plein exercice et la précipitation avec laquelle le projet de 100 jours a été mis sur pied arrangeaient bien certains acteurs, d’autant plus que le président sortant n’avait pas laissé les caisses de l’État complètement vides.
– La passation du marché et le choix des prestataires n’ont pas été faits à la régulière.
– Il y a eu des décaissements sur les réserves de l’État… pour l’exécution de travaux surfacturés.
– Les sommes décaissées non seulement ne vont pas sur le compte que le ministère des finances a indiqué (Ecobank) mais sur un compte dans une autre banque (Rawbank).
Il n’y a rien de politique dans ce qui précède. Mais par contre, on peut être tenté d’utiliser ce procès à des fins politiques.
S’il est vrai que, tout au long du procès, le ministère public et la partie civile n’ont pas brandi des preuves (pièces ndlr) qui attestent la culpabilité de Vital Kamerhe, toutefois les éléments cités dessus, présumés existants et supposés vrais, porteraient à croire que les anomalies relevées et la précipitation dans les décaissements des fonds, indiqueraient que les donneurs d’ordre, quels qu’ils soient, ont des responsabilités indéniables.[13]

[1] Cf Radio Okapi, 11.06.’20; Politico.cd, 11.06.’20
[2] Cf Radio Okapi, 11.06.’20; Politico.cd, 11.06.’20
[3] Cf 7sur7.cd, 11.06.’20; Radio Okapi, 11.06.’20
[4] Cf Thierry Mfundu – Politico.cd, 11.06.’20; Blaise BAÏSE – Actualité.cd, 11.06.’20
[5] Cf Radio Okapi, 11.06.’20
[6] Cf Actualité.cd, 11.06.’20
[7] Cf Politico.cd, 17 et 18.06.’20
[8] Cf Patient Ligodi – RFI, 20.06.’20
[9] Cf Politico.cd, 20.06.’20  https://www.politico.cd/la-rdc-a-la-une/2020/06/20/rdc-vital-kamerhe-lourdement-condamne-voici-lintegralite-du-jugement-du-tribunal.html/63245/
[10] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 21.06.’20
[11] Cf Human Right Watch, 23.06.’20
[12] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 22.06.’20
[13] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 18.06.’20