Congo Actualité n. 404

POUR L’ARMÉE, AVEC L’ARMÉE ET COMME L’ARMÉE

La remarquable ascension de Guidon Shimiray et du NDC–R (2)

Groupe d’Étude sur le Congo (GEC)
13 mai 2020
(2ème partie)[1]

SOMMAIRE

5. GUERRE PAR PROCURATION, GOUVERNANCE EXPÉRIMENTALE ET AUTORITÉ EXTRACTIVE
5.1. Guerre par procuration et alliances : transactions, cooptation et opérations parallèles
5.2. Le NDC-Rénové comme mandataire de l’armée congolaise
5.3. Gouvernance, légitimité et idéologie au sein du NDC–Rénové
5.4. Affaires, fiscalité et monopoles: “À chaque repas, on exige la sauce de la poule”
5.4.1. Jetons, efforts de guerre et rations militaires
5.4.2. L’or et les autres opérations minières
5.4.3. Monopoles locaux de commerce de détail
5.4.4. Taxes et recettes diverses
6. CONCLUSION

5. GUERRE PAR PROCURATION, GOUVERNANCE EXPÉRIMENTALE ET AUTORITÉ EXTRACTIVE

Après cinq ans d’existence, le NDC-R est devenu l’un des groupes armés les plus redoutables de l’est du Congo. Trois facteurs peuvent expliquer son expansion et son succès spectaculaire : la sous-traitance de la contre-insurrection par les FARDC, une organisation relativement sophistiquée et multiethnique et sa capacité à exploiter à la fois revendications et ressources locales.

5.1. Guerre par procuration et alliances: transactions, cooptation et opérations parallèles

Depuis que Kinshasa a décidé d’attaquer sérieusement les FDLR en 2015, l’armée a utilisé différentes alliances et mené des offensives par procuration. Cependant, aucune n’a été aussi organisée et réussie que sa collaboration avec le NDC-R. Celle-ci était visible lors des opérations du NDC-R dans le sud du Lubero et est devenue plus évidente à mesure que Guidon Shimiray progressait dans le nord du Masisi. Une telle stratégie n’est pas inhabituelle pour l’armée congolaise. Au cours des 25 dernières années de conflit dans l’est du Congo, les principaux belligérants ont tous cherché à étendre leur pouvoir par le biais d’alliances et de procurations. Bien qu’entre 1996 et 2013, les pays de la région ont joué un rôle crucial, les FARDC sont devenues depuis la plus importante source de soutien aux groupes armés.
Ce soutien a été essentiel pour l’évolution du NDC-R, même si les officiers des FARDC ont souvent nié toute collaboration. Certains officiers des FARDC l’ont toutefois admis en privé – en particulier sous la forme d’appui en munitions pour armes légères. Un ancien haut responsable du renseignement militaire l’a formulé de façon diplomatique: «Ce ne sont pas des opérations conjointes, ce sont des opérations parallèles». Du côté du NDC-R, la prudence est moins grande. Le témoignage suivant d’un combattant du NDC-R l’illustre: «Nous n’avons pas eu de conflit avec les FARDC, car « biko wazazi yetu » (ce sont nos parents). Parfois, nous avions des « remise-reprises » (changement de garde) avec des unités de l’armée sur certaines positions. Nous avons aussi des accords sur qui prend quelle position. Lorsque nous rencontrons des unités des FARDC, nous traînons avec aise et prenons des verres ensemble. Nous pouvons passer les zones FARDC avec nos armes. Lorsque nous avons combattu le CMC/FDLR et que nous manquions de munitions, les FARDC nous aidaient. Pareil lors de nos opérations contre le CNRD».
Le groupe de Guidon a bénéficié de fournitures et d’un soutien matériel, d’un pacte de non-agression et de complicités dans divers rackets de taxation, dont certains sont des «co-entreprises» avec des commandants FARDC.
À quelques rares exceptions près, comme les affrontements de Kagheri et Kasugho en août 2018 – déclenchés par la conviction du NDC-R que les troupes des FARDC incitaient la population locale à résister à ses taxes jetons, les deux forces étant également en concurrence pour les mines d’or de la zone – aucun affrontement n’a été signalé entre l’armée et les troupes de Guidon.
Cette collaboration repose souvent sur des relations personnelles entre les officiers de l’armée et les commandants du NDC (devenu NDC-R), qui impliquent souvent des rackets conjoints. Au cours de la phase initiale autour de 2011, le NDC s’est appuyé sur des réseaux d’anciens officiers intégrés du CNDP autour de Bosco Ntaganda, notamment les colonels Bahame et Kijenga, qui ont fourni des soutiens via la milice d’Erasto Ntibaturana dans le nord du Masisi. En outre, le NDC avait des liens avec des officiers de Walikale, tels que Kasikila, Bindu et d’autres, mais aussi possiblement avec des commandants de haut niveau de l’armée, même si le GEC n’a pas pu obtenir de preuve définitive.
Lorsque Guidon s’est séparé de Sheka, un certain nombre d’officiers des FARDC basés à Walikale ont soutenu la création du NDC-R, tout comme des officiers des FARDC ont contribué à susciter une dissidence au sein de l’APCLS par la suite.
Pourquoi les FARDC soutiennent-elles le NDC-R, malgré les risques qui y sont associés? Il semble y avoir plusieurs raisons. Paradoxalement, les mandataires armés peuvent être plus faciles à contrôler que les unités des FARDC elles-mêmes, ce qui permet aux officiers des FARDC d’envoyer des forces dans des zones difficiles d’accès. Les FARDC actuelles sont un amalgame d’anciens belligérants qui ont participé à la transition de 2003 à 2006, ainsi que des groupes qui ont depuis été intégrés en son sein. Il en résulte un mélange de différentes chaînes de commandement et de loyauté. En outre, l’armée congolaise dispose de ressources limitées. Elle est la troisième plus grande armée d’Afrique subsaharienne, mais se classe au 38e rang en termes de dépenses militaires.
Le manque de moyens est accentué par la corruption et la désorganisation. Les bataillons sont souvent en sous-effectif par rapport aux listes officielles, les salaires arrivent rarement à temps sur le front, et les commandants sur le terrain se plaignent fréquemment de détournements des fonds opérationnels. De plus, les commandants des FARDC se méfient souvent de leurs propres unités, à moins qu’elles ne fassent partie de leurs chaînes de commandement parallèles respectives.
Au niveau des troupes, la qualité du leadership militaire varie selon les commandants, et le moral est compromis par des problèmes logistiques – en particulier pour les unités déployées loin des centres urbains. Ceci est au moins en partie intentionnel de la part du gouvernement et des hauts gradés militaires, car une armée plus forte peut mettre en danger leur survie. Une armée fragmentée est plus facile à contrôler. Le recours à la guerre par procuration est également une source de revenus pour les officiers de l’armée, qui peuvent tirer des profits substantiels du commerce illégal de minerais et d’autres biens.
L’utilisation d’un tel système de procuration permet donc d’accroître l’efficacité et de réduire les coûts. Cependant, si cette stratégie a réussi à infliger une série de défaites aux FDLR, elle a eu des effets secondaires dangereux, exacerbant les violences à caractère ethnique. D’un côté du champ de bataille se trouvait une série de milices dominées par les Nyanga, les Nande et les Kobo, qui affrontaient les FDLR et leurs milices satellites, toutes enracinées dans la communauté hutu congolaise. Cette situation a engendré un cycle de violence brutale qui a entraîné la mort de centaines de civils. Cette approche a également érodé la légitimité du gouvernement. Le manque de présence et d’action des FARDC dans ces zones a progressivement sapé l’autorité de l’État.
De plus, comme d’autres forces supplétives, le NDC-R a commencé à développer ses propres intérêts et ambitions qui pourraient ne pas rester alignés sur ceux des dirigeants des FARDC à long terme. Cela pourrait finalement contraindre les FARDC à affronter un ancien allié, avec le risque de subir des pertes engendrées par ses propres munitions, ou à chercher un autre supplétif pour contrer ses anciens partenaires.
Les allégations de collaboration entre le gouvernement rwandais et le NDC-R ont été plus difficiles à confirmer. Jusqu’à récemment, le porte-parole du NDC-R vivait à Gisenyi et a déclaré qu’il n’avait jamais eu de difficultés à communiquer avec les dirigeants du mouvement sur le terrain. Comme d’autres personnalités du NDC-R, il s’est également vanté d’effectuer des voyages réguliers à Kinshasa et d’organiser des réunions du NDC-R au Rwanda.
Bien qu’on n’ait pas pu vérifier cette affirmation, trois sources ont spécifiquement affirmé que le Rwanda aurait aussi fourni un soutien matériel au NDC-R via les FARDC. Comme de nombreuses autres sources ont fourni des descriptions d’un soutien des FARDC au NDC-R acheminé par des unités dirigées par des officiers parlant le kinyarwanda, il n’est pas certain que Guidon ait reçu un quelconque soutien étranger direct. Un commandant supérieur du NDC-R a décrit les relations avec le Rwanda comme suit: «Aujourd’hui, nous avons un soutien matériel (armes et munitions) des FARDC et nous collaborons bien avec les Rwandais – en fait, notre porte-parole vit au Rwanda pour sa sécurité. Les FARDC nous utilisent dans le cadre de leurs opérations. Nous ne recevons pas d’argent, mais plutôt un soutien logistique par le biais du régiment FARDC de Kitchanga. Nous sommes des alliés».
Le Rwanda a une longue histoire de soutien aux groupes armés dans l’est du Congo. Si ses efforts se sont généralement concentrés sur les groupes ayant des racines dans la communauté rwandophone, ils ont également eu des contacts périodiques avec d’autres groupes pour tenter de maintenir leur influence dans la région, de recueillir des renseignements et de mener des frappes ciblées – en particulier contre les FDLR.

5.2. Le NDC-Rénové comme mandataire de l’armée congolaise

Après son implantation dans de grandes parties du sud du Lubero, fin 2018 le NDC-R a commencé à étendre sa portée dans le nord du Masisi, soutenu par les FARDC. Les combattants du NDC-R se déplacent librement dans les zones des FARDC et, lors des défilés, portent différents types d’uniformes de l’armée régulière. En divers endroits, les deux forces se sont pacifiquement cédé des positions et ont effectué des patrouilles conjointes. Les FARDC accordent le libre passage aux NDC-R, leur permettant de passer par des points de contrôle officiels avec des armes et en uniforme. Les officiers du NDC-R rencontrent leurs homologues des FARDC pour planifier conjointement les opérations ou discuter d’autres questions.  Les FARDC ont transporté des combattants du NDC-R et leurs biens dans leurs véhicules.
L’un des principaux commandants du NDC-R a déclaré: «Les FARDC sont des alliés du NDC-R, elles nous offrent un soutien total. Le 6 janvier 2019, elles ont fourni une cargaison d’armes et de munitions pour attaquer le quartier général des FDLR [CNRD] à Faringa […]. Nous recevons du matériel et des instructions des FARDC. Le régiment de Kitchanga du colonel Yves Kijenga collabore avec nous, il envoie régulièrement des délégations pour nous rencontrer et discuter. Son officier logistique apporte des fournitures par véhicule. Le régiment de Nyanzale a également reçu l’ordre de la 34ème région militaire de collaborer avec nous. Leur hiérarchie à Kinshasa nous connaît et notre coordinateur se déplace régulièrement pour les rencontrer sur place».
Une autre source locale à Masisi a rapporté : «Près de Kitchanga, il y a un poste de contrôle des FARDC où les éléments de l’armée et du NDC-R se rencontrent souvent pour boire un verre. Ils ont également préparé des opérations conjointes à l’hôtel Nyarusumba à Kitchanga. J’ai moi-même vu comment les uniformes des FARDC y étaient distribués. Mapenzi, Poyo, et d’autres étaient dans les parages. Il y a plusieurs façons de faire la différence entre le NDC-R et les FARDC: les combattants du NDC-R parlent le swahili avec un accent kinyanga et beaucoup d’entre eux utilisent des produits cosmétiques pour blanchir leur peau et ont les cheveux tressés. À Kalembe, les gens [doivent] acheter des jetons du NDC-R malgré la présence des FARDC dans la ville. En mars 2019, les FARDC ont mené des opérations contre l’APCLS à Ngingwe, mais plus tard, le NDC-R a repris les positions conquises».
Un commandant du NDC-R explique ainsi leur relation avec l’armée: «Le NDC-R n’est pas contre le gouvernement, nous sommes des révolutionnaires qui visent l’intégration dans l’armée nationale.
Nous ne pouvons pas considérer l’armée comme notre ennemi – seulement les FDLR, qui sont un ennemi commun, d’où notre bonne collaboration avec les FARDC. Les autorités savent où nous sommes, elles nous rendent visite lorsque nous collaborons aux opérations anti-FDLR. Leur soutien est important, et nous pouvons aller partout où il y a des opérations contre les ennemis de l’État».
Le NDC-R a également bénéficié de défections d’autres groupes armés qu’il combattait, dont certains issus de la communauté hutu, comme le CNRD et certains Nyatura.

5.3. Gouvernance, légitimité et idéologie au sein du NDC-Rénové

Comme pour l’armée congolaise elle-même, il serait erroné de considérer le NDC-R comme une entreprise purement militaire. Les objectifs des groupes armés, leurs alliances et leurs relations avec les communautés locales sont profondément façonnés par la dynamique sociale et économique des zones où ils émergent et opèrent. Dans l’est du Congo, la résistance armée a tendance à être façonnée en tant que résistance contre les «gens de l’extérieur», qui peuvent être le gouvernement central ou un groupe armé rival, les membres de la communauté rwandophone étant souvent appelés à jouer ce rôle. Néanmoins, les groupes armés rejettent rarement l’idée d’une gouvernance de type étatique ou la légitimité globale d’un État congolais. Cela les conduit à imiter les pratiques de l’État, telles que celles relatives à la fiscalité et à la taxation.
Par rapport à la plupart des autres groupes armés dans l’est du Congo, le NDC-R a réussi à mettre en place des structures de gouvernance locale, ce qui lui a permis de gagner en légitimité (au moins aux yeux d’une partie de la population) et de mieux communiquer ses objectifs. Le pilier de cette gouvernance a été sa cohésion militaire, qui – malgré les tensions décrites ci-dessus – est restée remarquablement intacte malgré son expansion territoriale et l’absorption d’autres groupes armés d’origines diverses. Au fur et à mesure de sa croissance, il a élaboré un ensemble de documents de gouvernance, dont un cahier des charges, décrivant son orientation politique sur les questions clés.
Une grande partie de l’identité du groupe est enveloppée dans des récits d’autodéfense au nom des communautés indigènes contre les FDLR. Alors que dans ses interactions avec ses troupes, Guidon a justifié la scission et la création de son mouvement par les échecs de Sheka, la légitimité externe du NDC-R était basée sur sa campagne contre les FDLR. L’utilisation des sentiments anti-rwandais est typique de nombreux groupes armés congolais, mais le NDC-R est – à l’exception des groupes Raia Mutomboki, beaucoup moins structurés – l’un des rares acteurs à avoir su faire correspondre sa rhétorique à une action.
On peut donc observer différents types de justification: à Walikale, le groupe met l’accent sur ses racines indigènes au sein de la communauté nyanga, tandis qu’en dehors de son territoire, le sentiment anti-rwandais domine. Cette citation d’un combattant résume parfaitement l’idéologie du NDC-R: «L’idéologie consiste à combattre les FDLR et leurs alliés qui violent les membres des communautés du Nord-Kivu, et à protéger nos communautés. En outre, nous nous battons pour que Walikale soit entendu aux niveaux provincial et national. Les richesses de Walikale devraient aider Walikale à se développer».
Malgré cette noble rhétorique, le groupe fait preuve d’autoritarisme envers les populations locales, en particulier lors des phases de conquête où un nouvel ordre doit être établi. Les membres dirigeants du NDC-R ont tenté d’expliquer cette violence en déclarant qu’au début de leur expansion dans le Lubero, un code de conduite n’avait pas encore été finalisé, l’un d’entre eux avouant que «le pillage était la base de nos revenus». Par la suite, la mise en place du système de taxation à travers les jetons et des monopoles autour des zones minières a créé des sources de revenus plus stables et moins violentes. Ce système a permis au NDC-R de déplacer son centre opérationnel de Lubero à Masisi, sans perdre son emprise dans les zones où l’autorité était déjà établie.
Dans la plupart des régions où le NDC-R opère, des institutions de l’État restent présentes. Souvent, l’autorité locale se négocie entre rebelles et chefs locaux, fonctionnaires et d’autres institutions de l’État. Par exemple, à l’approche des élections de 2018, le NDC-R a arrêté un agent de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) à Walikale, car le NDC-R et les autorités locales n’étaient pas d’accord sur le lieu où les électeurs devaient s’inscrire.
Dans les cas où la loi congolaise est violée, le NDC-R peut envoyer les contrevenants aux acteurs gouvernementaux. Il s’agit notamment des FARDC ou de la PNC dans les zones limitrophes du territoire du NDC-R, ou des tribunaux coutumiers et des tribunaux étatiques locaux connus sous le nom de «tribunaux de paix». Mais le NDC-R s’occupe lui-même des autres affaires. Dans le sud du Lubero, il gère la plupart des centres de détention, qui sont souvent des structures improvisées.
Le NDC-R a une approche tout aussi nuancée dans sa propre organisation interne. Il maintient un degré de différenciation relativement élevé, avec des hiérarchies et des responsabilités militaires claires. Cela a rendu le groupe plus efficace, lui a permis d’acquérir un territoire beaucoup plus vaste que d’autres milices et a produit un certain degré de soutien populaire, étant donné sa capacité à contrôler et sécuriser efficacement des zones, bien que les méconduites disciplinaires de certains de ses membres soient courantes.
Le partage des revenus est essentiel à sa cohésion interne. Le NDC-R centralise la plupart des recettes avant d’envoyer les salaires et les fonds opérationnels à ses unités. En cas d’urgence, les commandants peuvent demander la permission d’utiliser directement les revenus – par exemple pour acheter des munitions aux commandants des FARDC. Avant que Sheka et Guidon ne se séparent, les officiers supérieurs recevaient 150 000 FC par mois (environ 90 $) et étaient autorisés à exercer un monopole du commerce de détail de certaines marchandises. Le NDC-R a temporairement doublé les salaires des officiers supérieurs, mais les a ensuite réduits à 120 000 FC (75 USD), auxquels s’ajoutent des avantages tels que le contrôle de secteurs spécifiques du commerce local. Les membres de la base reçoivent entre 10 000 FC et 40 000 FC (6 à 25 USD) chaque mois. Bien que certaines sources affirment que ces salaires sont souvent versés en retard, leur existence est inhabituelle pour les groupes armés dans l’est du Congo.
Le système de revenus et de salaires du NDC-R repose sur une branche administrative distincte au sein du groupe. En collaboration avec le chef de l’administration générale du mouvement, le colonel Mwissa Hangi, et avec l’autorisation finale de Guidon Shimiray, les agents fiscaux des «brigades» et des «secteurs» organisent la collecte et la redistribution des impôts par l’intermédiaire des commandants de bas niveau du NDC-R et des autorités locales cooptées. Le coordinateur financier global reçoit toutes les recettes et, après approbation de Guidon, répartit les dépenses de chaque brigade. Ces administrateurs gèrent également le système des jetons.
Le caractère multiethnique du NDC-R le distingue des groupes armés congolais, qui recrutent généralement au sein d’une seule communauté ethnique. Bien qu’il ait commencé comme un groupe essentiellement nyanga, sa composition interne a changé au fur et à mesure de sa croissance, intégrant des officiers hutu tels que Batachoka, Kobo comme Tondeuze, et hunde comme Mapenzi ou Poyo. Cela est dû en partie à sa popularité reposant sur la lutte contre les FDLR et le rétablissement d’une autorité locale «autochtone», en plus de sa politique d’intégration d’autres groupes armés. Ces deux facteurs ont contribué à attirer les combattants hunde et nande, en particulier les troupes de l’APCLS sous Mapenzi et de l’UPDI. Lors de sa dernière expansion dans le nord du Masisi, le NDC-R a également réussi à recruter parmi plusieurs groupes Nyatura, grâce à un mélange de motivations financières et de pression militaire.

5.4. Affaires, fiscalité et monopoles

Le NDC-R taxe la plupart des activités économiques dans la zone qu’il contrôle et a encouragé l’émergence de monopoles commerciaux pour faciliter la collecte des recettes. Dans plusieurs de ces entreprises, le groupe s’associe à d’autres acteurs – notamment les autorités locales, d’autres groupes armés et des unités de l’armée nationale. Guidon (lui-même ancien officier des FARDC) et certains de ses principaux collaborateurs ont établi et maintenu des liens étroits avec des commandants de l’armée et certains de ces liens semblent être ancrés dans des intérêts économiques. Ces arrangements sont loin d’être inédits. Avant Sukola II, les FARDC utilisaient par exemple les FDLR de la même manière – notamment dans le commerce lucratif du charbon de bois autour de Goma.

5.4.1. Jetons, efforts de guerre et rations militaires

Sur l’ensemble du territoire qu’il contrôle, le NDC-R s’est détaché d’une entreprise économique purement axée sur les ressources: il a mis en place un racket fiscal sophistiqué en professionnalisant le système bien connu de taxation par le jeton appliqué par de nombreux groupes armés. Les civils âgés de 15 à 59 ans doivent acheter un jeton – un reçu fiscal – pour 1000 francs congolais (0,6 USD) chaque mois, puis conserver ce petit reçu pour prouver qu’ils ont payé. Les véhicules (30 000 francs congolais, 19 USD) et les transporteurs de marchandises telles que la viande, doivent payer davantage. En cas de non-paiement, des amendes de 10 000 FC (6 USD) ou plus s’appliquent, ainsi que des détentions et des châtiments corporels. Le NDC-R recueille ces taxes dans la plupart des zones sous son contrôle.
Les combattants vérifient la présence de jetons – dans certains endroits appelés «carte mémoire» – soit de manière aléatoire, soit aux barrages routiers. Chaque jeton n’est valable que pour une zone et une période spécifique. Les commerçants doivent s’enregistrer auprès du NDC-R et payer une partie de leurs bénéfices ou des taxes fixes pour pouvoir opérer. Les jetons sont produits de manière centralisée sous la supervision de Guidon, mais ils sont ensuite distribués et collectés de manière décentralisée. La collecte des recettes est organisée au niveau des commandants locaux à la fin du mois, qui émettent et reprennent souvent les jetons par le biais de chefs locaux. Comme chez d’autres groupes armés de l’est du Congo, chaque jeton porte une date et un timbre. Jusqu’en juillet 2019, le NDC-R a exempté les enseignants, les élèves et les employés de l’État, mais il est depuis revenu sur cette exemption. La perception des impôts entraîne parfois des abus et des violations des droits de l’homme. Par exemple, en juillet 2019, un enseignant a été tué à Muhanga alors qu’il refusait de payer. En représailles, le combattant du NDC-R responsable a été brûlé vif par la population.
Avant et après les opérations militaires, le NDC-R collecte des contributions pour motiver les combattants ou acheter des munitions. Les populations locales doivent livrer des denrées alimentaires aux unités du NDC-R basées dans leur voisinage. Les grandes fermes ou ranchs, peu nombreux dans leur zone de contrôle, paient des taxes forfaitaires afin de pouvoir opérer sans embuscades ni intimidations. De temps en temps, les rebelles imposent une taxe de « fonds de guerre » (appelée mukongoro, « collecte »), qui peut aller de 3.000 à 6.000 FC (1,8-3,6 USD). Cette taxe – et le jeton qui l’accompagne – ne remplace pas la taxe mensuelle ordinaire. Chaque famille du territoire du NDC-R est invitée à verser une ration hebdomadaire de denrées alimentaires (telles que la farine de maïs et de manioc) au nyumbakumi, la plus petite unité administrative de chaque village. Les chefs coutumiers collectent également des marchandises telles que de l’huile, du savon ou du sel auprès des commerçants locaux et les livrent ensuite au commandant local du NDC-R. Les mineurs artisanaux paient une taxe de 7 000 FC (4,30 USD) par mois.
Cette collecte des revenus des jetons et des mukongoro a permis au NDC-R de payer régulièrement les combattants, faisant du groupe un employeur plus attractif que d’autres milices, où les salaires sont souvent versés rarement et irrégulièrement, ce qui favorise les pillages et abus commis par certains combattants.

5.4.2. L’or et les autres opérations minières

Le NDC-R a récupéré la plupart de précédentes exploitations minières de Sheka à Walikale, et son expansion dans le sud du Lubero lui a permis d’accéder aux nombreuses mines d’or artisanales de la zone de Kasugho et Kagheri. De plus, il contrôle et taxe l’approvisionnement en nourriture et en biens ménagers de nombreux travailleurs et creuseurs de la région. Avant l’arrivée du NDC-R en 2015 et l’émergence de Mazembe, la région de Kasugho a été contrôlée par les FDLR et les FARDC pendant plus d’une décennie.
Dans ces zones minières, les institutions de l’État sont souvent présentes, mais trop faibles pour résister aux groupes armés tels que le NDC-R. Des documents confidentiels des Nations unies suggèrent également que dans d’autres endroits, comme Vuyinga et Makokwando, le contrôle minier est partagé entre le NDC-R et les FARDC.
Selon une source de la société civile, le groupe contrôle plus d’une centaine de sites miniers dans la seule région de Walikale. Les mineurs artisanaux des zones contrôlées par le NDC-R paient des impôts en fonction de leur production et de leurs revenus. Dans la mine de Musigha (Lubero), par exemple, un chef local doit payer 5 grammes d’or par mois, alors que les mineurs paient l’équivalent d’environ 10 000 FC (6 USD) en or. Le non-paiement des taxes peut entraîner des amendes allant de 5 à 15 grammes d’or. Dans d’autres mines, il existe également des taxes mensuelles, souvent désignées par des euphémismes tels que «ration» ou «sabuni» (le savon). En général, ces taxes sont perçues vers la fin du mois. Elles s’élèvent à 1,5 tiges, une unité de mesure locale qui vaut environ 10 000 FC (6 USD).
Le NDC-R impose également d’autres paiements ou restrictions. Les mineurs et les commerçants locaux doivent s’enregistrer par le biais d’un système qui ressemble à celui mis en place par les agences gouvernementales, et obtenir des permis d’exploitation et de commerce. En outre, le NDC-R contrôle les intermédiaires qui rachètent la production d’or aux mineurs. Le groupe exige aussi des «permis de commerce» pour les autres entrepreneurs de la région, tels que les commerçants de denrées alimentaires et d’autres marchandises.
Les mines d’or dans la zone contrôlée par le NDC-R comprennent Kitowa, Fatua, Oninga, Yama, Kanaana et Makokwando – certaines étant situées à plusieurs jours de marche de la route principale. Des milliers de mineurs sont impliqués dans l’exploitation alluviale et artisanale, principalement le long des rivières Tayna et Lubero. Les visites des différentes zones minières peuvent révéler des endroits reculés où la violence est monnaie courante et les profits parfois extrêmement élevés.
À Musigha, par exemple, 32 kg d’or sont produits chaque mois, représentant environ 15 000 USD sur le marché local (contre 48 000 USD pour un kilogramme d’or raffiné sur le marché international).
À Yama, autre site minier, il n’y a pas de monnaie, tout est payé en or. Les mineurs paient également la nourriture et l’entretien des combattants pour une valeur de jusqu’à 14 000 FC par mois (8 USD). En retour, le village a été reconstruit par le NDC-R après les raids des FDLR.
Depuis ces régions minières éloignées, une grande partie de l’or est acheminée à Kasugho, une ville animée accessible en voiture depuis la route principale Goma-Butembo.
Par le biais d’intermédiaires locaux à Kasugho, la majeure partie de l’or est transportée vers les grandes villes de l’est du Congo. Parfois, les négociants sont arrêtés en chemin faute de licence de commerce, ce qui leur vaut des amendes pouvant aller jusqu’à 400 USD. Une grande partie de l’or arrive à Butembo, où il est acheté par différentes maisons de commerce – Congocom/Kisoni, Comiba, Glory Minerals -, tandis qu’une partie est également transportée à Goma, où elle est vendue à Comialo, Comadeco, ou à Comiski ou Comung à Bukavu.

5.4.3. Monopoles locaux de commerce de détail

Une autre source de revenus importante pour le NDC-R provient des monopoles dans le commerce de détail local, en particulier pour les cigarettes, les piles, la bière et d’autres articles très recherchés sur les sites miniers. Cette pratique vient de l’époque du NDC, à laquelle Guidon avait déjà organisé un monopole du tabac à Walikale. Entre-temps, cette technique a été décentralisée, en associant d’autres commandants.
Les monopoles sont structurés comme suit : personne ne peut vendre de produits du tabac sur le territoire contrôlé par le NDC-R sans une autorisation spéciale, qui coûte souvent environ 50 USD par mois, bien qu’il n’existe pas de prix fixe.
Très peu d’autorisations sont accordées à des personnes qui ne sont pas membres ou proches du NDC-R. Le tabac produit localement est interdit, les contrevenants risquant une amende de 5 à 15 grammes d’or. Il existe un monopole similaire pour la vente d’alcool. Les deux monopoles s’appliquent sur la zone d’influence du NDC-R, à l’exception des grands centres urbains où cela pourrait déclencher un désaveu public important. Alors que Guidon et des officiers supérieurs clés supervisent le monopole du tabac, celui de l’alcool est décentralisé au niveau des commandants de bataillons. Souvent, les épouses des combattants s’occupent de la vente au détail de l’alcool dans les zones minières et sont exonérées d’impôts.
Tondeuze Masita, actuellement commandant de secteur, gère les monopoles autour du sciage et du commerce du bois. Il a commencé à le faire à Bukumbirwa, puis il a mis en place un système similaire dans la région de Muhanga/Bunyatenge, proche de Musigha, où il construit un hôtel, et plus récemment dans le nord du Masisi, en utilisant le travail forcé pour transporter le bois.

5.4.4. Taxes et recettes diverses

Enfin, il existe un certain nombre d’autres taxes dans la zone de contrôle du NDC-R. Dans les régions éloignées qui ne disposent pas d’un réseau de téléphonie mobile, les commerçants locaux ou les églises utilisent souvent des radios à haute fréquence (HF). Le NDC-R exige des autorisations pour ce type de communication, qui doivent être achetées contre paiement. Bien que cela procure des revenus supplémentaires, cela sert également de moyen de discipline et de contrôle – les radios sont souvent considérées comme du matériel militaire. En outre, le NDC-R perçoit une redevance pour l’enregistrement des fusils de chasse, qu’ils soient fabriqués de façon artisanale ou achetés. En outre, le groupe prélève des taxes sur la propriété des tronçonneuses. Alors qu’il était basé à Lubero, Tondeuze a supervisé cette taxe en collaboration avec deux grands négociants en bois de Kirumba, contrôlant une grande partie de ce commerce vers Muhanga et Bingi. Des revenus occasionnels proviennent de rançons imposées aux civils qui ne s’engagent pas dans le salongo (un type de «travail volontaire coercitif»), principalement pour la réparation et l’entretien des routes, et aux familles de déserteurs. Dans certaines régions, comme le nord du Masisi, le NDC-R prélève également des taxes de barrage routier de 200 FC, en plus des jetons mensuels.

6. CONCLUSION

Il y a dix ans, Guidon Shimiray était un personnage totalement inconnu. Aujourd’hui, il dirige l’un des plus importants groupes armés de l’est du Congo. L’histoire de cette réussite est en partie le fruit du hasard et des dynamiques structurelles du conflit, mais elle s’explique aussi par la personnalité de Guidon. C’est un orateur charismatique qui sait naviguer habilement dans la politique armée au Nord-Kivu. Il a mis en place une structure de gouvernance nettement plus sophistiquée que celle d’autres groupes armés dans l’est du Congo. Il utilise intelligemment les médias sociaux et la propagande pour diffuser les récits de ses exploits, tels que ces formations en droit international humanitaire dispensées à ses troupes.
Pour traverser son territoire, de Walikale à Lubero, plus d’une semaine de marche est nécessaire. Pourtant, ses commandants locaux continuent à lui envoyer au moins une partie de leurs revenus et à obéir à ses ordres. Il a utilisé les demandes locales pour plus de protection et de dignité, tout en jouant sur la crainte démesurée d’une invasion rwandaise et de la «balkanisation» du Congo.
Mais il serait erroné de se focaliser sur l’image médiatico-compatible de ce personnage qui est, de fait, un chef rebelle brutal. Son ascension spectaculaire met en évidence des problèmes systémiques qui vont bien au-delà du NDC-R, qu’il n’est qu’un groupe armé parmi plus d’une centaine dans l’est du Congo.
Le protagoniste le plus important de cette histoire, bien que souvent peu visible, est l’État congolais et son armée, qui ont traité Guidon avec un mélange de soutien ouvert et de tolérance. Même le mandat d’arrêt que le gouvernement a émis contre lui en juin 2019 l’illustre: alors que certains procureurs militaires semblent déterminés à mettre Guidon derrière les barreaux, d’autres réseaux de l’armée l’ont protégé et continuent de collaborer avec lui.
Si l’exemple de Guidon Shimiray représente un cas flagrant de complicité gouvernementale, de nombreux autres groupes armés bénéficient des largesses d’une armée qui a des difficultés à motiver et discipliner ses propres troupes. Les soldats ont un maigre salaire, peu de soins de santé et des conditions de vie misérables, pour eux comme pour leur famille. Les élites politiques hésitent à sévir contre les réseaux de clientélisme qui gangrènent les services de sécurité, encourageant leurs unités à se livrer à des activités criminelles et sapant un budget militaire déjà modeste. Le résultat est double. Premièrement, l’armée est relativement passive, voire complaisante: malgré des offensives militaires sporadiques, les commandants ont rarement les ressources ou le moral nécessaire pour lancer des opérations de contre-insurrection à haut risque. Au contraire, la guerre par procuration devient un modus operandi crucial: elle est moins coûteuse, plus efficace et souvent plus lucrative que les opérations militaires.
Le résultat est une sorte d’«État de franchise» dans lequel des groupes armés comme le NDC-R opèrent avec l’armée, en son nom, tout en imitant de plus en plus les FARDC et l’État – de leurs uniformes à la collecte des impôts, en passant par la fourniture de services de base.
Cette collaboration présente une série de risques tant pour l’autorité de l’État que pour la sécurité humaine.
Comme elle est menée en dehors des canaux officiels, elle échappe à l’examen du public et à la transparence, tout en sapant l’autorité de l’armée et son acceptation populaire. En outre, en soutenant les milices locales qui recrutent en grande partie sur des bases ethniques, les FARDC se sont rendues complices de violentes querelles ethniques qui ont fait des centaines de morts et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes.
Enfin, le cas du NDC-R offre un récit édifiant pour ceux qui sont engagés dans la restauration de l’autorité de l’État. Lorsqu’un gouvernement est si profondément enchevêtré avec des groupes armés, il participe plus à l’insécurité qu’à la monopolisation de la violence légitime. La souveraineté elle-même devient ainsi un objet de négociation constante entre les courtiers en pouvoir, et ainsi un concept de plus en plus fluide qui ne ressemble qu’en partie aux notions classiques de la relation entre l’État, territoire et contrôle des populations.
Comme le montre cette étude, il n’est pas toujours évident de savoir qui contrôle – le mouvement rebelle, son parrain étatique, ou l’un des nombreux autres belligérants de la région. Il s’agit donc d’une situation de «souverainetés partielles et horizontales» qui existent à des degrés divers.
Pour démanteler ces réseaux de parrainage et «restaurer l’autorité de l’État» – un objectif central de la mission des Nations unies au Congo et de l’engagement international en général – il faudra une réforme globale de l’État congolais, qui comprend une plus grande redevabilité, un nouveau contrat social entre le peuple et ses dirigeants, ainsi que davantage de ressources et de formation. Ceci n’est pas un défi essentiellement technocratique; il est intensément politique, car il exige une reconfiguration complète des intérêts des élites politiques et militaires, ainsi que de leur culture politique. Comme le nouveau président Félix Tshisekedi l’a rapidement découvert, «déboulonner» les responsables de la violence sera probablement une bataille générationnelle.

[1] Cf http://congoresearchgroup.org/rapport-pour-larmee-avec-larmee-comme-larmee/?lang=fr