Congo Actualité n. 403

POUR L’ARMÉE, AVEC L’ARMÉE ET COMME L’ARMÉE

La remarquable ascension de Guidon Shimiray et du NDC–R (1)

Groupe d’Étude sur le Congo (GEC)
13 mai 2020
(1ère partie)[1]

SOMMAIRE

RÉSUMÉ
1. LES GROUPES ARMÉS AU CONGO: LE CAS DU NDC-RÉNOVÉ
2. CONTEXTE: LA STRATÉGIE DE LA VIOLENCE AU NORD-KIVU
2.1. Walikale et Masisi: les berceaux de la rébellion dans l’Est
2.2. Lubero: terre, politique ethnique et couches de mobilisation armée
3. DU NDC DE SHEKA NTABERI AU NDC/R DE GUIDON
3.1. Le parcours de Sheka: du commerce au commandement (2002-2007)
3.2. La création du NDC: violence, indigénéité et exploitation minière (2008-2013)
3.3. Le «comportement déviant» de Sheka et la création du NDC-Rénové en 2014
4. L’EXPANSION DU NDC-R DE LUBERO À MASISI: LES OPÉRATIONS MILITAIRES ET LA MONTÉE DES CONFLITS
4.1. Les opérations Sukola II et le sort des FDLR
4.2. L’expansion du NDC-Rénové dans le sud de Lubero
4.3. Les Maï-Maï Mazembe et la fragmentation de la politique armée à Lubero
4.3.1. L’Union Patriotique pour la Défense des Innocents (UPDI)
4.3.2. Les Maï-Maï Mazembe
4.3.3. Le Front Patriotique pour la Paix-Armée du Peuple (FPP/AP)
4.4. Le NDC-Rénové à Masisi

RÉSUMÉ

Le Nduma Defence of Congo (NDC), avec sa faction dissidente, le NDC-Rénové (NDC-R), font partie des groupes armés les plus anciens et les plus importants de l’est du Congo. Basé dans la province du Nord-Kivu, le NDC-R s’est développé à partir de 2008, passant du statut de milice rurale et disparate à celui de groupe armé contrôlant un vaste territoire de la province du Nord Kivu.
Dans ce rapport, le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) offre le premier compte rendu approfondi des origines du NDC-R, de sa dynamique interne et de ses sources de soutien.
Cette étude apporte aussi des connaissances essentielles sur la dynamique des conflits armés dans l’est du Congo et, en particulier, sur la relation entre l’État et les groupes armés. On souligne trois points:
– Tout d’abord, l’armée congolaise s’appuie en partie sur des forces supplétives pour atteindre ses objectifs. Le NDC-R est devenu un partenaire essentiel pour le gouvernement de Kinshasa – et indirectement pour celui du Rwanda aussi – dans ses opérations contre les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), l’un des plus anciens et des plus importants groupes armés étrangers dans l’est du Congo. Dans un contexte plus large d’opérations militaires contre des groupes armés, la violence est utilisée comme un instrument de gouvernance et fait souvent l’objet de négociations entre l’armée et les groupes rebelles qui agissent pour son compte et mènent l’essentiel des combats sur la ligne de front. Cette externalisation de la sécurité, bien qu’elle permette souvent de vaincre des ennemis, a des effets pervers: elle exacerbe les tensions communautaires, génère des exactions et sape la légitimité de l’État.
– Ensuite, le NDC-R a réussi, dans une certaine mesure, à mettre en place des structures de gouvernance, afin de contrôler les populations locales et d’en gagner «les cœurs et les esprits». Ces systèmes hybrides ne sont plus des brèches temporaires dans la souveraineté de l’État: des centaines de milliers de Congolais vivent sous de tels arrangements depuis maintenant des décennies. Cette forme de gouvernance militaire externalisée affecte leur vie politique et sociale.
– Enfin, lancé pour défendre l’accès de la population aux revenus miniers, le NDC-R s’est ensuite diversifié et investit désormais dans de nombreux secteurs économiques. Ces rackets, qui impliquent des chefs locaux, des hommes d’affaires et des officiers de l’armée congolaise, montrent à quel point l’économie de la région est devenue militarisée, compliquant considérablement les efforts extérieurs pour stimuler le développement.
Le groupe de Guidon n’est qu’un groupe armé de l’est du Congo parmi plus d’une centaine d’autres et, dans les territoires de Lubero, Walikale et Masisi, il collabore étroitement avec les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC).  Cette coopération de l’armée congolaise avec le NDC-R et son incapacité à démanteler les nombreux groupes armés montre que le problème est lié à une armée faible et divisée autant qu’à des conflits localisés. Le président de la République, Félix Tshisekedi, devra faire plus que de mener des opérations militaires contre ces  différents groupes, s’il veut parvenir à stabiliser le pays. La transformation de la gouvernance sécuritaire au Congo nécessitera donc des changements profonds pour «déboulonner» les commandants corrompus et éradiquer des réseaux de népotisme bien établis.

1. LES GROUPES ARMÉS AU CONGO: LE CAS DU NDC-RÉNOVÉ

Début octobre 2019, Guidon Shimiray est nommé nouveau commandant de la 114ème brigade du Nduma Defence of Congo-Rénové (NDC-R). En éclipsant les images de commandants désordonnés avec des amulettes magiques, Guidon Shimiray incarne un nouvel hybride: homme d’État, homme d’affaires et rebelle en costume, recevant des honneurs militaires et le respect de la population locale. Pourtant, il fait face à un mandat d’arrêt émis en juin 2019 par la justice militaire congolaise et a été sanctionné par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2018.
La façon dont il en est arrivé là est une histoire qui implique des sociétés minières internationales, la politique de l’identité et de la terre, la complicité du gouvernement congolais, des intrigues entre chefs rebelles et une violence brutale.
Ce rapport retrace la trajectoire du NDC (-R), ses racines historiques et son expansion spectaculaire. En examinant l’évolution de ce groupe, ce rapport met en lumière la manière dont les dynamiques conflictuelles bien ancrées, tournant autour de la terre, de la politique ethnique et des conflits régionaux plus larges, sont reconfigurées: l’expansion du NDC-R a brisé la domination des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui ont été pendant une longue durée, l’acteur armé le plus important dans les territoires du sud Lubero et du nord Masisi. Ce rapport couvre environ trois décennies, depuis les précurseurs du NDC jusqu’à janvier 2020.

2. CONTEXTE: LA STRATÉGIE DE LA VIOLENCE AU NORD-KIVU

Dans les entretiens, les combattants du NDC-R décrivent souvent leur combat comme une lutte d’autodéfense communautaire contre des «gens de l’extérieur». Il s’agit d’une référence aux vieux conflits entre les populations dites indigènes et non indigènes et qui remontent en grande partie à la période coloniale, lorsque l’administration coloniale belge força des centaines de milliers de personnes à quitter l’actuel Rwanda pour s’installer dans l’est du Congo. Ces antagonismes ont joué un rôle crucial dans l’explosion de violence des années 1960, connue sous le nom de la «guerre Kanyarwanda», puis à nouveau lors de récentes guerres du Congo qui ont débuté en 1993.
Depuis lors, la région du Kivu a connu des mobilisations armées presque ininterrompues. Au Nord-Kivu, trois territoires ont été les plus touchés par la violence: Walikale, où se trouvent les origines du NDC, Masisi et Lubero, dans lesquels le NDC-R a connu une vaste expansion entre 2015 et 2019.
Cette section présente les principales dynamiques de mobilisation armée dans ces trois territoires, en analysant l’histoire récente de la mobilisation de l’identité ethnique dans le Kivu, et comment les conflits autour des droits fonciers et du pouvoir local ont été mêlés aux conflits politiques nationaux et régionaux.
Les tensions dans les deux Kivu ont souvent été créées et attisées par des forces extérieures.
En 1994, l’arrivée de l’armée et de milices rwandaises qui venaient de perpétrer un génocide, camouflées parmi plus d’un million de réfugiés, a remodelé l’équilibre ethnique et militaire en faveur de la communauté hutu et a aggravé les tensions communautaires déjà existantes entre populations « autochtones » et « rwandophones ».
Lorsque la coalition de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) – soutenue par le Rwanda et l’Ouganda – a envahi les camps des réfugiés afin de les démanteler, en 1996, le vent a tourné une fois de plus: certains Maï-Maï ont rejoint l’AFDL et de nombreux Hutu rwandais – anciens génocidaires mais aussi des milliers de civils – ont été tués ou ont fui.
Après avoir renversé Mobutu en 1997, le leader de l’AFDL et nouveau président, Laurent-Désiré Kabila, s’est brouillé avec ses alliés rwandais et ougandais, ce qui a déclenché de nouvelles rébellions en 1998. Le Nord-Kivu a finalement été divisé entre le Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Goma (RCD-Goma), soutenu par le Rwanda, et le RCD/ Kisangani-Mouvement de libération, soutenu par l’Ouganda. En réponse à cette nouvelle agression, Laurent-Désiré Kabila a conclu une alliance avec les milices hutu et Maï-Maï, actives dans les deux Kivu. Réalisant qu’il serait impossible de contrôler la partie sud du Nord-Kivu, Kigali a coopté les milices locales et a aidé à placer le gouverneur hutu Eugène Serufuli au pouvoir. Cela a remodelé les alliances ethniques et a ravivé la violence à caractère ethnique entre les communautés parlant le kinyarwanda et les peuples dits indigènes: Hunde, Nande, Nyanga, Kano, Kumu, Kobo et Tembo.
Un processus de paix lancé en 1999 – après une série d’accords – a conduit à une transition démocratique qui, en 2004, a unifié le pays et, en 2006, a produit les premières élections libres et multipartites depuis plus de quarante ans.
Cependant, de nouvelles rébellions menées par des déserteurs du RCD – le Congrès National pour la Défense du peuple (CNDP) entre 2006 et 2009 et le Mouvement du 23 mars (M23) en 2012-2013 – ont ancré la rhétorique de l’appartenance, opposant les locuteurs du kinyarwanda aux communautés «indigènes». Alors que les locuteurs du kinyarwanda dominent le Petit Nord (Walikale, Masisi, Nyiragongo, Rutshuru et Goma), depuis la guerre de l’AFDL, une majorité nande prévaut dans le Grand Nord (Beni, Lubero et Butembo).
La transition a donné aux Nande la majorité démographique dans l’ensemble de la province; depuis 2006, le gouverneur est toujours un Nande et le président de l’assemblée provinciale un Hutu. Les politiciens rivaux des deux côtés ont souvent utilisé le populisme ethnique pour renforcer leurs soutiens, parfois en encourageant ou en soutenant des groupes armés qui prétendent défendre leurs communautés ethniques.

2.1. Walikale et Masisi: les berceaux de la rébellion dans l’Est

Dans le Petit Nord, des tensions existent entre les Banyarwanda (Hutu et Tutsi) et d’autres communautés depuis la période coloniale. Comme ailleurs, ces antagonismes ont tourné à la violence en 1993. Au départ, la mobilisation armée sous-jacente tournait principalement autour des milices hutu, s’opposant aux groupes «autochtones».
Du coté hutu, il y avait les Kibarizo et les Mai-Mai Mongol. Ces groupes se sont mobilisés principalement à travers la mutualité MAGRIVI et ont été influencés par des leaders Hutu de Masisi. Du coté des autres communautés, les groupes principaux étaient les Batiri, les Katuko et les Kasindiens. Ces groupes ont recruté principalement dans les communautés Tembo, Nyanga et Kano.
Avec l’invasion de l’AFDL en 1996, des groupes armés mieux organisés sont apparus, souvent soutenus par des pays étrangers de la région, intensifiant la violence – en particulier dans le Masisi.
De nombreux groupes d’autodéfense locaux se sont transformés en groupes Maï-Maï plus structurés vers l’an 2000. Les groupes hutu ont également poursuivi leur activité.
Beaucoup de ces groupes ont pris part aux différentes phases de la guerre par procuration que se sont menés les gouvernements congolais et rwandais entre 2003 et 2013, date à laquelle le M23 a finalement été battu.
Depuis lors, le paysage des groupes armés s’est fragmenté. Une nouvelle génération de groupes armés ancrés dans la communauté hutu – les Nyatura («frapper fort») – a fait son apparition, tandis que des groupes d’autodéfense Raia Mutomboki («citoyens en colère») ont émergé dans les communautés tembo et rega. Entretemps, le commandant hunde Janvier Karairi a créé l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS).
C’est à cette période qu’a émergé le NDC de Sheka à Walikale.

2.2. Lubero: terre, politique ethnique et couches de mobilisation armée

Une grande partie du conflit dans le Lubero s’appuie sur des tensions similaires. Le sud du Lubero – en particulier les chefferies de Batangi et de Bamate – était autrefois un lieu de mélange ethnique, avec un grand nombre de «rwandophones» qui y ont été déplacés par l’administration coloniale belge ou venus des territoires de Masisi ou de Rutshuru à une date ultérieure. C’est après la Conférence Nationale Souveraine de 1992 que les premiers groupes armés sont apparus, lorsque les Maï-Maï Bangilima ont émergé autour de la vallée de la Semuliki, près de l’Ouganda. Un autre groupe clé était les Maï-Maï Kasindiens. Recrutant au sein de la communauté nande, ces groupes ont projeté leur hostilité envers les personnes parlant le kinyarwanda, mêlant une rhétorique de résistance populaire à des revendications d’appartenance territoriale.
Ces affrontements étaient essentiellement liés à la terre. Comme pour les autres communautés, la pensée traditionnelle nande considère la terre comme une propriété collective, gérée par les chefs coutumiers au nom de la communauté. Entre les années 1960 et 1990, la plupart des Hutu du sud du Lubero ont dû passer par les chefs nande pour y accéder. Si les tensions ont persisté, elles se sont considérablement atténuées après la période tumultueuse de l’indépendance, comme en témoigne en partie le fait que des parents hutu vivant à Lubero ont donné des noms nande à leurs enfants. Cependant, pendant les violences de 1993, les Nande ont chassé de nombreux Hutu de Lubero (Grand Nord du Nord Kivu) vers le Petit Nord du Nord Kivu. Les bouleversements qui ont suivi les deux guerres du Congo ont provoqué des nouveaux déplacements.
Après des années de déplacement, et seulement vers 2011, de nombreux paysans hutu sont retournés dans le sud du Lubero. Cependant, ils étaient accompagnés de familles hutu inconnues des chefs locaux. En plus, les opérations menées par les Raia Mutomboki entre 2011 et 2013 à Kalehe, Shabunda, Walikale et Masisi ont poussé la quasi-totalité des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) à quitter ces territoires et à se diriger vers le Lubero. Leurs familles, ainsi que les civils hutu congolais, dépendaient des troupes des FDLR et d’autres milices hutu pour leur sécurité et pour l’accès aux terres agricoles. Ces nouveaux arrivants ont déclenché la méfiance et la peur chez les Nande, ce qui a conduit les jeunes à se mobiliser et à former leurs groupes armés respectifs.

3. DU NDC DE SHEKA NTABERI AU NDC/R DE GUIDON

Comme son nom composé le suggère, le NDC-Rénové est apparu comme une faction dissidente du NDC en 2014. Cette section analyse le contexte dans lequel le NDC a été constitué en 2008 et retrace l’origine des tensions qui ont fini par diviser le groupe – le NDC-R émergeant finalement comme l’aile dominante. Elle décrit comment les tensions au sein du NDC sur le partage des revenus et autour du leadership ont conduit Guidon à se séparer et à former son propre groupe, un exploit qu’il a pu réaliser, en partie, grâce à la faiblesse et à l’impopularité de Sheka ainsi que grâce à ses propres contacts dans divers réseaux politiques et militaires.

3.1. Le parcours de Sheka: du commerce au commandement (2002-2007)

C’est dans la zone peu peuplée de Bisie, à Walikale (Nord Kivu), que le Nduma Defence of Congo (NDC) trouve son origine. Cette zone est connue pour sa forêt et ses grandes mines d’étain.
Entre 2005 et 2009, cette zone était contrôlée par la 85ème brigade de l’armée congolaise, sous le commandement du colonel Samy Matumo, un ancien commandant Maï-Maï local. Cette brigade était «non-intégrée», ce qui signifie qu’elle était composée d’anciens Maï-Maï qui avaient été incorporés dans l’armée nationale en 2003, sans qu’ils aient été mélangés à d’autres unités.
Bisie était en grande partie une zone périphérique, avec peu de groupes armés et à laquelle les politiciens provinciaux accordaient peu d’attention.
La situation a changé avec la découverte d’un important gisement d’étain par des mineurs artisanaux locaux en 2002. En 2004, Walikale était devenu le centre d’une compétition militaire et politique, alors que les prix mondiaux de l’étain augmentaient de façon spectaculaire, jusqu’à tripler de valeur en 2008. Une tonne d’étain coûtait 6.485 USD en janvier 2004 et 23.139 USD en juillet 2008. Pendant cette période, la 85ème brigade s’est imposée comme l’acteur le plus influent autour de Bisie, contrôlant l’accès à la mine et cohabitant avec les groupes armés.
Né en 1976 à Binyampuri, dans le secteur Wanianga de Walikale, titulaire d’un diplôme d’études secondaires en pédagogie de l’Institut Wema de la ville de Walikale, Sheka Ntaberi a commencé sa carrière comme négociant en minerais autour de Bisie, en fondant une association professionnelle, le Groupe Minier Bangandula (GMB) au milieu des années 2000. Lorsque Sheka est venu s’installer autour de Bisie, il a établi une relation avec le colonel Samy Matumo, lui aussi originaire de Walikale, qui taxait les mineurs locaux, mais manquait de contacts pour vendre le minerais au-delà de la région. Matumo assurait la protection, tandis que Sheka apportait ses relations avec les mineurs locaux et les négociants régionaux.
Le GMB a travaillé à Bisie, achetant des minerais grâce à des accords de préfinancement avec des hommes d’affaires de Goma. Sheka a aussi contribué à la création de la Coopérative Minière de Mpama/Bisie (COMIMPA). Alors que le GMB était composée de commerçants locaux, la COMIMPA était une coopérative de mineurs artisanaux opérant sur les mêmes sites.
Après que le GMB a reçu l’autorisation de prospecter des mines à Bisie en mai 2006, Sheka a quitté la coopérative, pour se concentrer sur le GMB. Quatre mois plus tard, Mining and Processing Congo (MPC), une entreprise commerciale internationale avec des ambitions industrielles, recevait un permis d’exploration pour la zone autour de Bisie. Entre-temps, la COMIMPA obtenait son enregistrement officiel en fin 2006 et demandait à Sheka de revenir, pour servir de médiateur dans la contestation des permis d’exploitation minière. Malgré un accord entre toutes les parties prenantes, le MPC commençait à empiéter sur les mines et les marchés locaux, bénéficiant du soutien des commerçants de Goma avec lesquels Sheka avait des dettes.
Cette lutte pour le contrôle des mines d’étain, ainsi qu’une dette de 40.000 dollars américains, poussèrent Sheka à la rébellion. S’appuyant sur ses liens avec les combattants Maï-Maï de la région, il constitua son mouvement avec comme objectif celui d’une opposition à l’empiètement du MPC sur les mines et les marchés locaux et des Banyarwanda sur le territoire. Il s’empara d’une rumeur selon laquelle des familles tutsi allaient être réinstallées à Walikale et, en avril 2007, se rendit dans la forêt d’Obaye et,  avec seulement quelques armes et une douzaine de collaborateurs, créa le Mouvement contre les 45.000 familles tutsi (MC45).
Le moment clé de son ascension fut la Conférence de paix de Goma en 2008, qui a conduit les autorités coutumières et politiques de la région à appuyer le MC45.
Le colonel Samy Matumo a collaboré avec Sheka et lui a fourni des conseils jusqu’au départ de sa brigade de la région en 2009. Les politiciens et les chefs coutumiers ont également soutenu «le fils du pays», craignant que le MPC ne les prive des bénéfices des mines d’étain. Le slogan de Sheka à l’époque était «les minerais de Walikale doivent d’abord servir Walikale, avant de servir ailleurs». Sheka a pu rallier des combattants démobilisés à cette cause.

3.2. La création du NDC: violence, indigénéité et exploitation minière (2008-2013)

À partir d’une poignée de combattants, Sheka a pu constituer un groupe armé impressionnant qui a fini par dominer une grande partie du territoire de Walikale. Sa capacité à tirer un profit substantiel des mines locales et son soutien par les dirigeants politiques et militaires locaux et provinciaux ont été cruciaux pour la constitution de ses forces.
Dès ses premières années, et comme la 85ème brigade avant lui, le NDC a imposé des taxes aux personnes impliquées dans l’économie minière locale. Cela constituait sa principale source de revenus, en plus des monopoles locaux sur les biens de consommation. Pour imposer ces taxes, le NDC a principalement forcé les mineurs à payer des jetons (sorte de reçu papier pour les impôts payés) pour garantir leur protection.
Entre 2008 et 2013, les intermédiaires locaux du NDC ont transporté des minerais par voie aérienne et terrestre à des négociants régionaux, dont la plupart étaient basés à Goma. De même, les armes et munitions achetées hors de Walikale ont été réacheminées par ces intermédiaires, tandis que le NDC faisait également des raids pour récupérer des armes et munitions d’autres groupes armés. Néanmoins, le NDC avait des sources de revenus diverses: Sheka organisait une taxe sur les ventes d’alcool, tandis que son adjoint, Guidon, était chargé de taxer les cigarettes. Le NDC avait même un compte bancaire à Goma dans la coopérative d’épargne et de crédit Imara, aujourd’hui en faillite.
Malgré les abus et la taxation illégale, le NDC a conservé une certaine popularité. Les chefs coutumiers et les notables étaient une source de sa légitimité, car ils étaient consultés pour toute «décision importante». Le NDC a également travaillé à la réparation et à l’entretien des routes et des centres de santé dans sa zone d’influence.
Le plus important est peut-être le fait que le NDC a formulé sa lutte en termes populaires, en déclarant se battre pour Walikale contre les «gens de l’extérieur», en particulier contre ce qui était perçu comme un empiètement par les «rwandophones». Toutefois, malgré cette diatribe anti-rwandophones, le NDC a conclu une alliance avec les FDLR, un groupe presque exclusivement hutu et, plus tard, même avec des réseaux ex-CNDP dirigés par des Tutsi, révélant ainsi une flexibilité idéologique typique de nombreux groupes armés congolais.
Entre 2009 et 2011, les unités du NDC et des FDLR ont coordonné des opérations contre les positions des FARDC ou du CNDP, ce qui leur a souvent permis de saisir des équipements militaires.
En juillet et août 2010, une force conjointe du NDC et des FDLR a mené des attaques contre les FARDC autour de Kibua et Luvungi, le long de la route principale Masisi-Walikale, au cours desquelles leurs membres ont violé et tué des dizaines de civils. Ces abus, que le NDC a imputés aux FDLR, ont provoqué des dissensions entre le NDC et les FDLR. Ces atrocités ont terni la réputation du NDC et renforcé l’hostilité des populations locales contre les FDLR, accusées d’avoir déraciné l’ordre coutumier à Walikale.
Sheka a alors commencé à se tourner vers des hommes d’affaires de Goma avec lesquels il entretenait des relations. Ces derniers l’ont mis en contact avec des réseaux autour du général Bosco Ntaganda, ancien chef d’état-major du CNDP devenu commandant adjoint des opérations des FARDC dans les deux Kivu. En novembre 2011, Sheka a mené une embuscade contre les FDLR en collaboration avec ses nouveaux alliés, tuant l’influent commandant Colonel Sadiki Soleil. À partir de ce moment, le mouvement a conçu sa lutte comme étant dirigée contre les FDLR. Au cours des années suivantes, Sheka s’est montré extrêmement pragmatique et opportuniste dans ses alliances.
Lorsque les milices Raia Mutomboki, motivées par leur opposition aux «rwandophones», ont commencé à balayer la région, il a travaillé avec certains de leurs commandants (Shebitembe et Ngowa notamment), ainsi qu’avec les Maï-Maï Simba de Mando Mazeri et le Mouvement Acquis au Changement (MAC). En même temps, Sheka a poursuivi sa collaboration avec des anciens officiers du CNDP et des groupes proches d’eux, tels que les Forces de Défense du Congo (FDC) de Butu Luanda.

3.3. Le «comportement déviant» de Sheka et la création du NDC-Rénové (2014)

Des désaccords internes sur le partage des revenus et sur le leadership au sein du groupe ont conduit à une scission décisive du NDC. Les associés de Sheka ont commencé à s’irriter de la répartition inégale des fonds et de sa prétendue tendance à s’attribuer le mérite de leurs exploits. Sans le vouloir, Sheka avait encore affaibli sa position en ne payant pas les salaires de base, ce qui a permis à son adjoint Guidon Shimiray de se séparer de lui. La scission reflétait également les clivages internes aux Nyanga entre le clan Munyambe de Sheka et une mutualité Kobo appelée Bindundani, proche de Guidon, qui était soutenue par plusieurs chefs coutumiers. Le fait que Sheka, candidat malheureux aux élections législatives de 2011, ait été inculpé par un tribunal militaire congolais et sanctionné par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour son rôle dans les viols de Luvungi en 2010 ne l’a pas aidé.
Certains officiers des FARDC, qui avaient joué un rôle essentiel dans la création du NDC, ont contribué à sa scission. Désabusé par Sheka, Guidon a demandé conseil aux commandants locaux des FARDC, notamment à des colonels nyanga, tembo et hunde, comme César Nkoyo, Dodet Kamanda, Damiano Mbaenda et Akilimali Shemondo. Les relations entre Guidon et les FARDC, qui étaient discrètes jusque-là, sont alors devenues «plus concrètes».
En même temps, Guidon a également obtenu le soutien des entrepreneurs miniers de la coopérative Cemika active à Walikale et des hommes politiques locaux qui craignaient de plus en plus que le mandat d’arrêt contre Sheka ne deviennent une entrave à la défense des intérêts de Walikale.
Fin 2014, Guidon se sépare de Sheka et crée une faction rivale appelée NDC-Rénové (souvent aussi appelée NDC-Guidon, Maï-Maï Guidon ou Ndime-Ndime) avec d’autres commandants du NDC, en particulier le chef des services de renseignement du mouvement, Gilbert Bwira Chuo, qui devient son adjoint. Guidon commence ensuite à attaquer les positions de Sheka autour de Misau, recevant le soutien d’officiers des FARDC des régiments 802 et 804, basés respectivement à Pinga et à Walikale-centre.
Fin juillet 2014, Guidon organise une réunion dans le village de Twamakuru, où il annonce publiquement son nouveau mouvement.
En septembre 2014, il officialise sa structure et la baptise NDC-Rénové. Il réussit à convaincre une majorité de combattants de le suivre, s’appropriant ainsi l’essentiel des stocks d’armes et de munitions du NDC.
Fin 2014, le NDC-R prend le contrôle du groupement Ihana, le bastion historique de Sheka, et du groupement Kisimba II au nord-est de Walikale.
S’en suit une série de batailles acharnées qui renforcent Guidon et qui – bien plus tard, après une répression importante du NDC par les FARDC – déclenchent finalement é la reddition de Sheka à la Monusco en juillet 2017. Depuis lors, la branche initiale du NDC est dirigée par Mandaima, mais continue à subir la pression militaire du NDC-R.
Nyanga (bien que sa mère soit kumu du clan Batiri), Guidon Shimiray Mwissa est né en 1980 à Kigoma, près de Mpofi à Walikale. Après avoir participé au groupe Maï-Maï dirigé par She Kasikila dans les années 1990, il a été intégré avec le grade de capitaine dans la 14ème brigade des FARDC déployée dans l’ancienne Province Orientale. Il a fait défection en 2007, pour rejoindre le groupe Maï-Maï de Mando Mazeri opérant entre l’ouest de Walikale et la province de la Tshopo. Il a rejoint le NDC de Sheka environ un an plus tard en tant que commandant en second. En 2014, il a lancé une dissidence contre Sheka, devenant le commandant du NDC-R. Guidon se dit musulman.
Il a défini une série de priorités, notamment la lutte contre les FDLR, la garantie que la population autochtone puisse contrôler ses terres et ses ressources et la représentation accrue des Nyanga au sein du gouvernement et de l’armée congolaise.

4. L’EXPANSION DU NDC-R DE LUBERO À MASISI: LES OPÉRATIONS MILITAIRES ET LA MONTÉE DES CONFLITS

Alors que le NDC se désagrégeait, le gouvernement congolais a lancé une nouvelle vague d’opérations contre les FDLR fin 2015. Baptisées Sukola II, ces opérations sont devenues cruciales pour la trajectoire du NDC-R et sa spectaculaire expansion car, suite à sa collaboration, le groupe a reçu un soutien important de l’armée nationale.
Ce chapitre décrit les dynamiques sécuritaires, politiques et économiques de 2015 à 2019.
Ces dynamiques se sont produites en parallèle et se sont mutuellement influencées. Cependant, pour plus de clarté, elles seront abordées en cinq parties: les opérations Sukola II, l’expansion du NDC-R dans le Lubero, la milice Mazembe dans le Lubero, l’enracinement de la collaboration FARDC/NDC-R et l’avancée de Guidon dans le Masisi et le Rutshuru.

4.1. Les opérations Sukola II et le sort des FDLR

Au cours des deux dernières décennies, les FDLR ont été le pivot de la politique armée dans une grande partie des territoires de Lubero, Rutshuru, Masisi et Walikale. Leurs unités ont conservé une importante présence autour des mines d’or et des routes principales de la région. Elles ont tissé un réseau d’alliances avec d’autres groupes armés – le RUD-Urunana, les différents groupes Nyatura et les Maï-Maï dirigés par Kakule Sikuli «Lafontaine» – qui ont consolidé leur domination dans la région. Leur alliance sporadique avec les unités des FARDC, ancrée dans leur lutte commune contre le CNDP entre 2004 et 2009 et le M23 entre 2012 et 2013, a également renforcé les FDLR.
Cependant, depuis les opérations Umoja wetu (Notre unité) menées par les FARDC et l’armée rwandaise en 2009, l’emprise des FDLR sur de grandes parties du Nord-Kivu a été brisée. Les revers causés par Umoja wetu ont été aggravés par l’émergence d’un nouveau type de groupes armés, les Raia Mutomboki. Ces derniers ont ciblé les FDLR tout au long de 2012 et de 2013, les obligeant à quitter les territoires de Walikale et Shabunda, pour se concentrer dans le nord du Masisi et l’ouest du Rutshuru. Poussées par la pression internationale sur le gouvernement congolais, vers la fin de 2015, les FARDC ont entamé une nouvelle série d’opérations militaires baptisées Sukola II, visant à capturer les positions et les dirigeants clés des FDLR dans cette zone.
Travaillant en tandem avec le NDC-R, les opérations Sukola II ont poussé les FDLR, les réfugiés hutu rwandais et les civils hutu congolais plus loin, dans le sud du Lubero. Cela a aggravé les tensions existantes entre les populations hutu et nande dans cette région et déclenché la mobilisation d’une milice locale, appelée Maï-Maï Mazembe. Bien que l’intensité et la provenance de ces mouvements de population Hutu soient mal connues, le GEC a constaté que, contrairement aux périodes précédentes, les Hutu arrivés dans le sud du Lubero ont préféré s’installer en dehors des communautés locales, ce qui a créé des frictions avec les agriculteurs locaux.
Les FDLR étant soumises à une pression croissante, le groupe s’est scindé à la mi-2016, lorsqu’une aile dissidente emmenée par Wilson Irategeka «Lumbago» a créé le Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD). Ce groupe a ensuite également soutenu les FARDC dans leur offensive contre les FDLR tout au long du second semestre 2016.

4.2. L’expansion du NDC-Rénové dans le sud de Lubero

Le NDC-R de Guidon est devenu un autre partenaire clé dans la série de récentes campagnes contre-insurrectionnelles des FARDC. Ses relations au sein des FARDC, tant avec les officiers nyanga qu’avec les réseaux des ex-CNDP, ont été déterminantes pour lui permettre de se séparer de Sheka en 2014. Les opérations Sukola II ont davantage renforcé son influence et sa stature.
Lorsque ces opérations ont été lancées en 2015, le NDC-R a largement collaboré avec l’armée nationale, se déplaçant vers le nord et l’ouest de sa zone d’opérations traditionnelle, jusqu’à atteindre le sud du Lubero. En effet, en novembre 2015, alors que les Maï-Maï Mazembe ont attaqué les FDLR à Buleusa, le NDC-R a repris le contrôle sur leurs positions dans le village de Bukumbirwa. Ces deux partenaires ont uni leurs forces: Marungu Muliru, l’ancien commandant des Maï-Maï Mazembe, a envoyé une délégation au quartier général du NDC-R à Irameso, proposant un effort commun contre les FDLR. Au final, ces négociations ont abouti à l’intégration de Marungu et de la plupart de ses hommes dans les rangs du NDC-R. Le NDC-R, qui à l’époque était dirigé principalement par des Nyanga, a déplacé un grand nombre de ses officiers supérieurs – et le quartier général de Guidon – dans des zones principalement habitées par les communautés kobo et nande du Lubero. D’abord bien accueillis par ces communautés, en raison de leur succès contre les FDLR, les NDC-R ont imposé un régime de gouvernance et de taxation sévère, ce qui a fini par les faire apparaître comme une force d’occupation de plus aux yeux des communautés locales. Malgré cela, Guidon a progressé vers le nord dans le territoire de Lubero, en restant à l’ouest de la route Kanyabayonga-Butembo et en allant jusqu’à Mangurejipa.
La migration du NDC-R vers le nord a créé des frictions avec les groupes armés qui étaient basés dans la région depuis de nombreuses années, en particulier l’Union des Patriotes Congolais pour la Paix (UPCP), dirigée par le vétéran rebelle Kakule Sikuli «Lafontaine». Pendant une dizaine d’années, les unités de Lafontaine ont contrôlé les collines riches en or entourant Bunyatenge et Pitakongo et ont été un allié des FDLR. Après avoir pu compter sur le parrainage de certains dirigeants politiques et religieux de Butembo pendant des années, Lafontaine a perdu une partie de ces soutiens suite à l’émergence des milices de Mazembe et à son flirt éphémère avec le M23 en 2012 et 2013, la plupart des élites politiques et militaires nande s’opposant au M23.
Certains des lieutenants de Lafontaine, déçus pour sa gestion de mines d’or telles que Musigha, ont fait défection et deviendront, plus tard, des dirigeants clés de Mazembe. Entre-temps, l’UPCP a continué de se désintégrer et ses combattants ont rejoint plusieurs groupes armés nouvellement créés dans les territoires de Beni et de Lubero, tandis que Lafontaine lui-même a disparu de la scène publique.
En 2017, le NDC-R a commencé à se concentrer sur la reprise des mines d’or et des rackets précédemment gérés par Lafontaine et les FDLR. Finalement, le NDC-R a pris le contrôle des zones d’extraction d’or les plus lucratives du sud du Lubero, bien qu’au prix de lourdes pertes.

4.3. Les Maï-Maï Mazembe et la fragmentation de la politique armée à Lubero

Cette section décrit comment un mouvement armé assez peu structuré a commencé en tant que force d’autodéfense, puis a été absorbé par le NDC-R, pour se scinder à nouveau et se fragmenter en un ensemble de milices nande.
Mazembe – ou Maï-Maï Mazembe – est un terme générique pour désigner un groupe de milices décentralisées qui a émergé au sein des communautés nande et kobo du Lubero. Leur nom a été emprunté au Tout Puissant Mazembe, l’équipe de football la plus populaire du Congo, de la ville de Lubumbashi dans le sud du pays.
Il existe actuellement deux factions principales: l’Union des Patriotes pour la Défense des Innocents (UPDI) et le Front Patriotique pour la Paix-Armée du Peuple (FPP-AP).
La mobilisation a été rendue possible par deux facteurs.
Premièrement, ces nouveaux groupes armés se sont appuyés sur un sentiment anti-FDLR et anti-Hutu, après des années de présence des FDLR dans cette zone. Ces mécontentements ont souvent été instrumentalisés par des politiciens et des association ayant l’intention de se mêler à la mobilisation armée, comme le feu député Vénant Tshipasa, certaines branches de l’association Kyaghanda Yira et – dans une moindre mesure – des groupes de jeunes urbains à Butembo, comme Veranda Mutsanga et le Parlement debout de Furu.
Deuxièmement, les revenus lucratifs tirés de l’exploitation des mines, du bois et de la taxation illicite ont fortement incité les jeunes chômeurs et les anciens combattants Maï-Maï à rejoindre les rangs de cette nouvelle milice.

4.3.1. L’Union Patriotique pour la Défense des Innocents (UPDI)

La milice de Mazembe a fait son apparition mi-2015, lorsque les jeunes Nande se sont mobilisés contre les FDLR qui fuyaient l’avancée des groupes Raia Mutomboki à Masisi et Walikale. Au départ, ces jeunes ont utilisé l’étiquette de Kyaghanda Yira, une association culturelle nande. Ils se sont ensuite regroupés au sein de l’UPDI en août 2015, sous la direction de Marungu Muliro. Avec le NDC-R, l’UPDI s’est engagé dans une série de combats contre les FDLR et leurs alliés.
Basée à Katundula, une colline près de Miriki, la mobilisation initiale de l’UPDI trouve ses racines dans les tensions entre Hutu et Nande dans le sud du Lubero.
En juin 2015, en réponse aux fréquentes attaques des FDLR, Marungu Muliro et quelques anciens combattants ont commencé à organiser des embuscades à petite échelle contre des unités FDLR et des civils hutu, ce qui a rapidement fait l’objet de représailles de la part des FDLR et du RUD-Urunana.
Initialement composé de sept hommes, outre Marungu Muliro, ce groupe comprenait aussi David Kasereka Kasayi «Mbisi» (un ancien officier de Lafontaine), Albert Kasheke et Kitete Bushu.
Dans une interview, Kitete Bushu a souligné que l’UPDI n’a pas de programme xénophobe contre les Hutu, tant qu’il s’agit de ceux qui «ont toujours été là». L’objectif de l’UPDI serait plutôt celui d’expulser les FDLR.
À ses débuts, l’UPDI a reçu des contributions de politiciens nande ainsi que de villageois, de commerçants et de certains membres de Kyaghanda Yira.
L’UPDI s’est ensuite repliée vers l’ouest et, début 2016, a rejoint le NDC-R, à l’exception des troupes de Albert Kasheke qui ont continué à travailler comme guides locaux pour aider les FARDC à trouver des positions FDLR. Enfin, en mai 2019, David Kasereka « Mbisi » a été arrêté, revenant de Goma, avec 2000 cartouches de munitions achetées à un officier des FARDC.

4.3.2. Les Maï-Maï Mazembe

Lorsque Marungu Muliro a rejoint le NDC-R, une nouvelle branche est apparue début 2016 sous le nom de Maï-Maï Kyaghanda Yira, dirigée par Albert Kasheke et Kitete Bushu. Après une série d’attaques brutales contre les FDLR, l’association culturelle Kyaghanda Yira s’est ouvertement dissociée du groupe et a dénoncé l’utilisation de son nom. Après ces attaques, qui avaient réussi à repousser les FDLR hors de la région, le groupe de Albert Kasheke s’est donné le nom de Mazembe, car cet équipe de football éponyme a la réputation de perdre rarement.
Les Mazembe ont tenté de consolider leurs forces lors d’une rencontre à Kyambuli en avril 2016. Kitete Bushu a été élu commandant, avec Albert Kasheke et Alpha Katoto comme adjoints. Peu de temps après, les Mazembe ont intensifié leurs opérations contre les FDLR.
Successivement, deux anciens commandants de Lafontaine – Buligho Jacques «Safari» et Kasereka Kasyano « Kabidon» – ont rejoint le mouvement Mazembe, répondant à l’appel des chefs locaux de Kateku à exercer des représailles contre le NDC-R, dont la gouvernance était de plus en plus marquée par une approche musclée envers les civils. En novembre 2016, muni d’armes que des chefs locaux auraient achetées à des officiers de la justice militaire des FARDC à Kanyabayonga, Kasereka Kasyano « Kabidon » a lancé ses premières opérations contre le NDC-R. Peu de temps après, il a contacté Lafontaine pour obtenir son soutien. Ce dernier a chargé son ancien assistant David Kasereka Kasayi « Mbisi », qui avait lui-même quitté le groupe de Lafontaine en 2015 pour rejoindre le groupe Mazembe de Kitete, d’aider et d’organiser l’approvisionnement. Cette collaboration est devenue le fondement d’une fusion entre les groupes de « Kabidon » et de Kitete Bushu. Cependant, le mouvement manquait de cohésion et était éparpillé sur une large zone.

4.3.3. Le Front Patriotique pour la Paix-Armée du Peuple (FPP/AP)

Kitete Bushu est resté à la tête de Mazembe jusqu’à la mi-2018, lorsque les tensions sont devenues plus aiguës, en raison d’objectifs militaires divergents. Alors que l’objectif de Kitete était de déplacer les FDLR une fois pour toutes hors du sud du Lubero, Kabidon ciblait le NDC-R.
En août 2018, les tensions étaient devenues visibles et Kabidon, Safari et Kasayi ont quitté l’UPDI pour créer le FPP-AP peu de temps après. Ils ont établi leur zone d’influence autour de Mbughavinywa, Kanyatsi et Pitakongo. Pendant ce temps, l’UPDI a maintenu sa base à l’est, vers Bingi, avec son siège à Kimaka.  L’UPDI se distinguait ainsi du FPP-AP, ce dernier étant considéré comme proche du groupe de Lafontaine.
Le FPP-AP et l’UPDI organisent tous deux des réunions régulières avec les autorités locales, comprenant parfois de petites unités des FARDC positionnées dans leur zone d’influence, afin de s’assurer un certain contrôle sur le territoire. Alors que l’UPDI semble être en train de rétablir une alliance avec le NDC-R, le FPP-AP a subi une grande vague de reddition en janvier 2020.

4.4. Le NDC-Rénové à Masisi

Après son expansion dans le sud du Lubero, le NDC-R a commencé à s’étendre dans le Masisi fin 2018. Ici, Guidon a profité d’une scission au sein de l’APCLS, un groupe armé dirigé par Janvier Karairi. Collaborant avec une faction dissidente,  l’APLCS-Rénové, ou Lola Hale («voir loin», en kihunde) – les forces de Guidon ont avancé dans le nord du Masisi.
Basée principalement sur le territoire de l’ouest de Masisi, l’APCLS recrute dans la communauté hunde. Depuis 2015, les tensions se sont accrues au sein du groupe: Mapenzi Likuhe et d’autres commandants étaient mécontents du refus de Janvier d’utiliser leur influence militaire pour négocier des postes au sein des FARDC. À la mi-2018, Mapenzi a fait défection avec Buuma Poyo, le chef de la police de l’APCLS et beau-frère de Janvier
À la fin de 2018, avec la médiation de certains officiers des FARDC, la milice Lola Hale de Mapenzi et le NDC-R ont conclu une alliance, faisant de Mapenzi le numéro trois du NDC-R et son commandant des opérations, tandis que Poyo prenait le commandement d’une brigade, renforçant ainsi les effectifs du NDC-R dans le nord du Masisi.
Tout au long de l’année 2019, le NDC-R a poursuivi une stratégie d’avancée vers l’est, en direction des bastions des FDLR dans le sud de Bwito, tout en incorporant des transfuges d’autres groupes armés (Nyatura et CNRD). Néanmoins, cette croissance a également présenté des défis. Son expansion rapide et l’absorption de groupes armés issus de différentes communautés ethniques ont érodé une partie de sa cohésion interne.
Le rôle du NDC-R en tant que force supplétive des FARDC a coïncidé avec un effort plus important pour démanteler les FDLR et leurs groupes dissidents, tels que le CNRD et le RUD-Urunana. Alors que le NDC-R a mené l’essentiel des combats contre les alliés des FDLR, l’armée congolaise a lancé une série d’opérations ciblées dans le Nord et le Sud-Kivu – impliquant de petits détachements rotatifs des forces spéciales rwandaises. De caractère intermittent, ces opérations ont commencé depuis début 2019.
Au Sud-Kivu, les opérations ont conduit à la dispersion et à la capture de combattants, d’officiers et de dépendants civils du CNRD, et à la disparition du chef du CNRD, Laurent Ndagijimana, alias Wilson Irategeka ou Lumbago, dont le sort n’est toujours pas clair.
Au Nord-Kivu, des exemples notables incluent la pression militaire menant à la mort de Sylvestre Mudacumura, commandant suprême des FDLR, en septembre 2019, et à l’assassinat de Juvénal Musabyimana, alias Jean-Michel Africa, ancien commandant du RUD-Urunana, en novembre 2019.
Depuis début décembre 2019, Guidon a rencontré les chefs d’autres groupes armés pour les fédérer autour du NDC-R. On est en possession de vidéos dans lesquelles Guidon annonce sa nouvelle coalition du Réseau des patriotes résistants congolais (RPRC) et confirme l’adhésion de l’UPDI-Mazembe et d’autres groupes armés.

[1] Cf http://congoresearchgroup.org/rapport-pour-larmee-avec-larmee-comme-larmee/?lang=fr