Congo Actualité n. 397

SOMMAIRE

1. LES MASSACRES DE BENI (NORD KIVU): DES ADF/NALU AUX ADF/MTM
a. Comment expliquer des massacres attribuées en 2019 à des ADF censées avoir été défaites en 2014?
b. Qui sont réellement les ADF originelles?
c. Des ADF-Nalu aux «ADF/MTM»: changement de mode opératoire depuis le décès du général Lucien Bahuma
d. La fallacieuse thèse du jihad islamique pour brouiller les pistes sur l’identité des tueurs de Beni
e. Le général Mundos, recruteur de « faux ADF »
f. Le général Delphin Kahimbi, recruteur de prétendus « ADF/MTM »
g. Conclusion et recommandations
2. L’ARMÉE RWANDAISE À BENI POUR RÉOCCUPER L’EST DE LA RDCONGO?
a. Une mystérieuse reddition des maï-maï Uhuru
b. La capture de présumés ADF parlant « kinyabwisha »
c. Un massacre perpétré près d’une position de la brigade « Ninja »
d. Les FARDC mènent principalement des opérations au Sud de Beni laissant les massacres se commettre au Nord
e. Le déploiement de plusieurs bataillons rwandais près de la frontière ougandaise
f. Conclusion: Kigali aux côtés des FARDC pour détruire les Nande et récupérer le contrôle économique sur l’Est de la RD Congo

1. LES MASSACRES DE BENI (NORD KIVU): DES ADF/NALU AUX ADF/MTM

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu – Desc-Wondo, 26.12.’19[1]

a. Comment expliquer des massacres attribuées en 2019 à des ADF censées avoir été défaites en 2014?

La région de Beni (Nord Kivu) est confrontée à une série de massacres à répétition et d’une extrême violence depuis octobre 2014. Ces massacres sont attribués à la rébellion ougandaise ADF (Allied Democratic Forces ou Forces démocratiques alliées). Pourtant, après le lancement de l’opération militaire Sokola 1 dans la partie nord du Nord-Kivu, en janvier 2014, cette rébellion a pratiquement été décapitée.
Son chef, Jamil Mukulu, avait fui Beni dès février 2014 et se cachait à Kigoma en Tanzanie où il a été arrêté et extradé en Ouganda en juillet 2015. Il est, depuis, incarcéré. Ses commandants ont été tués l’un après l’autre et le peu de ce qui reste du mouvement se trouve en cavale. En janvier 2015, les experts de l’ONU disaient, dans leur rapport, qu’il ne reste des ADF qu’« une trentaine de soldats, 30 à 40 commandants (qui ne participent pas aux combats), plus des femmes et des enfants. Les soldats n’auraient ni armes ni munitions et seraient privés de sources de ravitaillement et d’équipement ».
Lors de la visite des Chefs d’états-majors généraux des FARDC et de l’UPDF, l’Armée ougandaise, à Madina, l’un des quartiers généraux des ADF repris à l’époque par le Général Bahuma, entre avril et septembre 2014, les FARDC avaient déclaré que les ADF avaient été défaits. Il ne restait qu’environ trois cents combattants isolés, éparpillés et en errance.
Comment donc expliquer les massacres qui sont attribués aux ADF après le décès du Général Bahuma et le changement de mode opératoire? Qui sont les nouveaux tueurs de Beni baptisés ADF/MTM?

b. Qui sont réellement les ADF originelles?

Les ADF, autrefois appelées ADF-Nalu (Forces démocratiques alliées – Armée de libération de l’Ouganda), sont une rébellion ougandaise qui sévissait dans la région du « Grand Nord », partie septentrionale de la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda, entre le lac Albert et le lac Edouard, fief de l’ethnie Nande.
Les ADF sont apparues au début des années 1990 (1992 pour plusieurs sources), de la fusion de deux groupes armés opposés au président ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986. La composante Nalu (Armée nationale pour la libération de l’Ouganda), qui menait une guerre de renversement du régime de Museveni, a depuis lors disparu. Mais le mouvement a cependant conservé l’appellation ADF en recentrant ses bastions et ses activités principalement à l’intérieur de la RDC, dans la région de Beni, en se congolisant en quelque sorte.
Un moment soutenu par le Soudan, les ADF étaient à l’origine composés majoritairement de combattants musulmans du Tabliqh, une secte missionnaire musulmane. Les ADF ont été dirigées entre 2007 et 2014 par Jamil Mukulu, un chrétien converti à l’islam.
– Selon une source des renseignements militaires des FARDC : « L’ADF est à la base une rébellion ougandaise des Yira de l’Ouganda installée en territoire de Beni depuis 1992 à l’époque de Mobutu, d’où elle menait ses attaques contre le régime de Museveni. A l’origine, la majorité des troupes des ADF/NALU étaient des Nande de l’Ouganda convertis à l’islam. Progressivement, cette rébellion s’est enracinée en RDC en tissant de solides liens et des affinités avec leurs frères Nande de Beni : mariage, business, obsèques etc. » Ces affinités avec certains Congolais ont également été confirmées par les experts de l’ONU qui ont affirmé dans un rapport daté du 20 juin 2012 que « deux anciens combattants des ADF et les services de renseignement ougandais affirment que l’ADF a reçu des virements en provenance de Londres, du Kenya et de l’Ouganda, rassemblés par des intermédiaires congolais à Beni et Butembo, au Nord-Kivu». Les mêmes sources citées par les experts onusiens soutiennent que les ADF se finançaient aussi par un réseau de taxis opérant dans la zone frontalière et tirait profit de l’or et de l’exportation de bois en Ouganda.
– Selon Jacques Siwako, un ancien combattant de l’Armée Populaire Congolaise (APC), la branche armée de l’ex-rébellion RCD-ML, dirigée par Mbusa Nyamwisi et soutenue par l’Ouganda, et intégrée par la suite aux FARDC après 2003, « L’ADF-Nalu est un groupe armé constitué à majorité de musulmans venus de l’Ouganda appuyés par le gouvernement de Mobutu avec un colonel qui était à l’époque basé à Beni, le colonel Mayala. Pour élargir sa base, le groupe a recruté des jeunes Nande à Beni. Ces jeunes n’étaient pas nécessairement musulmans à la base. Après la chute de Mobutu, Mzee (Laurent-Désiré) Kabila les a repris pour son compte et a installé leur état-major à Nairobi (dans un coin qu’on appelle communément Livingston pour ceux qui connaissent Nairobi) où leur officier de liaison n’était autre que l’actuel général FARDC Mundos Akili Muhindo, communément appelé Mundos. Ce dernier coordonnait les opérations avec Jamil Mukulu, l’ancien chef des ADF. Nous avons tenté en vain de les arrêter à plusieurs reprises. Nos services des renseignements étaient informés que ceux-ci continuaient à recruter dans des églises musulmanes de Beni, Butembo, Goma etc. L’ancien gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku fait également partie de cette religion, son vrai nom Ali Kahongya. Ainsi, ce dernier, en complicité avec son allié politique Kabila, avait envoyé son petit frère bien connu sous le sobriquet de KAPLIKO (un musulman radical et chef DGRNK OICHA) à Oicha pour que celui-ci soit en liaison avec Jamil Mukulu pour réceptionner les transferts des ADF ».
– Selon un officier supérieur de la Démiap, Mukulu entretenait de bonnes relations avec Joseph Kabila et résidait parfois à Kinshasa aux frais de l’Etat. Les relations entre les deux hommes se sont détériorées pour une question de non règlement d’engagement financier de Kabila auprès de Mukulu. C’est alors que Mukulu va reprendre son maquis à Mayikosa, près d’Erengeti et que Kabila, via le général Delphin Kahimbi, va infiltrer l’ADF en achetant les proches collaborateurs de Mukulu, pour affaiblir ses bases à Beni et pousser Mukulu à l’exil en Tanzanie.

c. Des ADF-Nalu aux «ADF/MTM»: changement de mode opératoire depuis le décès du général Lucien Bahuma

Les analyses des modes d’action des rébellions africaines montrent clairement qu’une rébellion s’appuie toujours sur un pays voisin qui lui sert de base de repli et d’approvisionnement logistique. Si les ADF originelles obtenaient le soutien de la RDC pour s’attaquer à l’Ouganda, force est de constater que depuis août 2014, l’Ouganda a cessé d’être la cible des «ADF » new-look. C’est plutôt vers les populations civiles Nande congolaises, musulmans y comprises, que ces « présumés ADF » orientent principalement leurs attaques suivant un mode opératoire différent des celui utilisé par les ADF originelles.
Dans un document de plan de manœuvre des opérations FARDC diffusé avant le lancement de l’opération Sokola 1 à Beni en janvier 2014, on peut lire ceci:
FORCE: Les ADF sont Estimés à Environ 650 combattants, dont 40% des Congolais. Leurs dépendants sont estimés aussi à 750 personnes, parmi lesquels les femmes et les enfants sont entrainés pour faire la guérilla. Dans les rangs des ADF, on trouve des Ougandais, Burundais, Rwandais et Ethiopiens.
MODE D’ACTION: Ils opèrent en petits groupes, en tendant des embuscades vers les positions des FARDC, dans le but de leur infliger le maximum de pertes et se avitailler en armes et munitions.
Ils procèdent à des kidnappings de toute catégorie, jeunes, vieux, hommes et femmes parmi la population civile. En cas de rapport des forces défavorables, ils se dispersent tout simplement dans la forêt et éviter toutes confrontations.
Sous le commandement du feu Général Bahuma, les ADF étaient affaiblies et s’étaient retranchées dans les forêts, se contentant d’enlever des civils. Curieusement, depuis le décès de Bahuma et son remplacement par « Mundos », ces présumés rebelles semblaient avoir intensifié leurs attaques et curieusement, ils ne s’adonnaient plus aux prises d’otages, leur mode opératoire classique, mais bien à des tueries des populations civiles (même les bébés) et des attaques à l’arme lourde lorsqu’ils affrontaient l’armée régulière ou les forces de la MONUSCO.

d. La fallacieuse thèse du jihad islamique pour brouiller les pistes sur l’identité des tueurs de Beni

Depuis la vague de massacres perpétrés dans la région de Beni, on constate un changement de rhétorique dans la dénomination des tueurs de Beni. On constate surtout un changement tactique dans les modes opératoires entre les ADF originelles qui étaient dirigées par Jamil Mukulu avant sa fuite en Tanzanie en février 2014 et les actuels « présumés ADF/MTM (Madina à Tauheed Wau Mujahedeen) » à qui d’aucuns attribuent une allégeance à l’Etat islamique.
Les analystes constatent que les massacres qui endeuillent la région de Béni depuis octobre 2014 marquent une rupture complète avec les intentions déclarées et les pratiques habituelles de l’ADF, davantage orientée vers les enlèvements et les assassinats ciblés de personnes impliquées dans leurs activités commerciales, leurs trafics, et contre les FARDC. Ce sont des massacres à l’arme blanche des populations civiles et des confrontations violentes avec les forces armées congolaises et de la MONUSCO qui constituent le nouveau mode opératoire des « présumés ADF/MTM ».
Les autorités congolaises attribuent quasi systématiquement les attaques des présumés ADF à l’internationale du terrorisme islamiste sans en avoir apporté aucune preuve tangible.
Dans son étude sur la menace islamique en Afrique des Grands-Lacs, Myrto Hatzigeorgopoulos arrive au constat selon lequel, si l’ADF fut créée par un noyau dur de musulmans radicaux, membres de la secte Tabligh, et si la majorité des combattants qui la composent sont de confession musulmane, le groupe ne semble pas être dans une logique d’expansion idéologique d’un islam radical, et encore moins dans une démarche de recrutement de candidats au djihad. Bien que les activités de l’ADF présentent un facteur d’insécurité majeur pour les populations de l’est du pays, l’ADF ne se situe pas dans la mouvance du terrorisme islamiste et ne participe pas à la «djihadosphère». En effet, les liens des ADF avec l’Etat islamique n’ont pas été confirmés dans le rapport des experts des Nations Unies publié le 19 décembre 2019
Il est plus que probable que la mouvance dite « ADF/MTM » ait invoqué le nom d’État islamique comme stratégie de recrutement des combattants ou que ce changement de nom ait été effectué pour attirer l’attention et les soutiens financiers conséquents de l’État islamique ou des pays musulmans comme le Soudan.

e. Le général Mundos, recruteur de « faux ADF »

Charles Akili Muhindo, dit Mundos, est un Hunde du Nord- Kivu. Tout comme une grande partie de militaires congolais, Akili Mundos n’est pas un militaire de formation à la base. Avant d’être intégré aux FARDC, il était un chef de milice d’autodéfense des Mai-Mai Hunde qui étaient alliés à Laurent-Désiré Kabila. L’adversaire principal des Kabila à l’époque était l’homme politique et chef rebelle Nande, Antipas Mbusa Nyamwisi qui dirigeait le RCD/K-ML soutenu par l’Ouganda.
En avril 1998, Laurent-Désiré Kabila l’envoie en compagnie de Joseph Kabila en Chine pour y suivre une formation militaire. C’est là que les deux hommes se sont davantage rapprochés. La formation fut interrompue en août 1998 car ils seront rappelés au pays par Laurent-Désiré Kabila lorsque la rébellion du RCD-Goma commença ses attaques.
Mundos et une petite partie de sa force Maï-Maï ont finalement été intégrés dans les FARDC en 2005, tout en gardant le contrôle sur l’autre partie de sa milice qui était restée en brousse. Après son intégration aux FARDC, Mundos a suivi une formation aux Etats-Unis.
Successivement, il a fait partie des éléments formés par les Nord-Coréens au Katanga pour constituer le bataillon Simba, spécialisé dans le terrorisme d’Etat. Il en sera le commandant. Il sera ensuite envoyé en Israël pour suivre une autre formation de six mois. A son retour, en 2008, il sera nommé commandant de l’Opération Rudia visant à traquer les rebelles ougandais de la LRA de Joseph Kony dans l’ex-Province Orientale.
De septembre 2014 à juin 2015, le général Mundos a été le commandant de l’opération Sukola1 à Beni, menée contre les Forces Démocratiques Alliées (ADF), une milice d’origine ougandaise. Curieusement, c’est la période où les massacres à Beni ont repris de façon spectaculaire, après la destruction des bases  des ADF par le général Lucien Bauma.
Le rapport S/2016/466 du Groupe d’experts des Nations unies du 23 mai 2016 a nommément mis en cause le général Mundos et des officiers des FARDC accusés de fournir armes et munitions aux ADF.
Le Groupe d’experts sait que « huit personnes ont été contactées en 2014 par le général Mundos pour participer aux tueries. Trois membres des ADF-Mwalika lui ont fait savoir que des mois avant le début des tueries en septembre 2014, le général Mundos avait persuadé certains éléments de leur groupe de fusionner avec d’autres recrues. Selon eux, le général a financé et équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC. Il est venu à plusieurs reprises dans leur camp, parfois revêtu d’un uniforme des FARDC et parfois en civil. (…) Un ancien combattant maï-maï a également déclaré au Groupe d’experts qu’il avait été recruté par le général Mundos. Il a indiqué que le général l’avait rencontré et lui avait expliqué qu’un camp de formation était en cours de constitution à Mayangose et serait opérationnel dans les semaines à venir».
Par ailleurs, selon certains opérateurs économiques de Beni, le général Mundos est impliqué dans les trafics d’or, de coltan, de cassitérite, ainsi que dans les ventes de voitures à partir de Dubaï via Beni et du bois précieux exporté au Golfe persique. Il est aussi devenu un fournisseur de cacao à Beni.

f. Le général Delphin Kahimbi, recruteur de prétendus « ADF/MTM »

Ancien chef d’état-major des renseignements militaires (Ex-Démiap), le général major Delphin Kahimbi, est actuellement Sous-chef d’état-major général chargé des renseignements. Cet ancien combattant de l’AFDL, de l’ethnie havu de Kalehe dans le Sud-Kivu, est né en 1969. Il reste un des fidèles lieutenants de Joseph Kabila. Delphin Kahimbi a connu une ascension militaire fulgurante au sein des FARDC. Formé en transmissions au sein de l’Armée patriotique rwandaise, Kahimbi entretient jusqu’à ce jour d’excellents rapports avec la haute hiérarchie militaire rwandaise et les soldats rwandophones évoluant dans les FARDC. Il fut officier des transmissions de James Kabarebe entre 1997 et 1998 lorsque ce dernier était le chef d’état-major général des FAC. Il devient ensuite directeur des transmissions militaires à l’état-major de la force terrestre dirigée à l’époque par Joseph Kabila.
De ce fait, le général Kahimbi dispose d’une forte influence au sein des FARDC pour avoir tissé des contacts avec plusieurs commandants des troupes opérationnelles dont il assurait les liaisons radios lors des opérations militaires. Kahimbi joue en quelque sorte le rôle d’officier de liaison entre Joseph Kabila et Kagame.
Un officier des renseignements militaires congolais identifie le général Kahimbi comme étant le responsable des recrutements et des financements des « présumés ADF » qui tuent à Beni.
Kahimbi a mis en place un réseau parallèle au sein de l’armée qui travaille avec des anciens lieutenants de Jamil Mukulu retournés puis intégrés au sein des FARDC. Ces recrutements se font principalement dans les milieux d’anciens combattants ADF et au sein des milices locales, comme les maï-maï Uhuru et des tueurs rwandophones identifiés comme étant des «Banyabwisha» , comme étant le noyau des « présumés ADF/MTM ».
Selon cet officier, quelques semaines avant le lancement des opérations d’envergure annoncées par le président Tshisekedi, Kahimbi a séjourné à Beni. Sur place, il a tenu une réunion militaire. Le même jour, il a rencontré vers 21 heures, à Albertine Hotel de Beni, les responsables des branches « des présumés ADF » à qui il a livré des informations sur le lancement des opérations et sur les sites militaires à éviter. Notre informateur parle aussi d’un réseau d’approvisionnement et de financement des activités des massacreurs de Beni avec de l’argent liquide qui quitte Kinshasa vers Beni, transporté par des militaires et des intermédiaires civils connectés à Kahimbi et Joseph Kabila.

g. Conclusion et recommandations

Ayant débuté sous-forme d’une rébellion ougandaise contre le régime de Museveni, l’ADF a fini par se congoliser pour ne s’attaquer qu’exclusivement aux populations Nande du Nord-Kivu. Un peuple qui dérange souvent les intentions géoéconomiques et hégémoniques rwandaises en RDC.
Dans cette transformation stratégique des ADF originelles devenues « ADF/MTM », les généraux Mundos et Kahimbi, anciens collaborateurs militaires de Joseph Kabila à l’est du pays, restent des acteurs majeurs de l’orchestration de cette terreur à Beni. Aucune étude scientifique sérieuse ni rapport d’experts pertinent ne tend à prouver le caractère jihadiste radical des tueurs de Beni. Ces derniers, sont en toute vraisemblance, soit des militaires FARDC proches du Rwanda et agissant sous les ordres de Kahimbi, soit des milices locales entretenues par Kahimbi et Mundos ou des combattants rwandophones et rwandais agissant pour le compte de l’expansion des populations rwandaises à Beni.
Selon l’analyste Boniface Musavuli, l’ennemi officiellement désigné n’est ni «rebelle», ni «islamiste», ni «ougandais», ni même «ADF».
Tant que le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, sera incapable de se faire une analyse neutre et objective de cette situation et qu’il continuera à s’appuyer sur des généraux lui imposés par Kabila, comme John Numbi et Kahimbi, avec l’appui de l’armée rwandaise, les massacres de Beni ne cesseront jamais.
Alors qu’il avait déclaré avoir permuté les unités et leurs chefs d’unité au Nord-Kivu, la réalité est que les unités mises en cause continuent de sévir à Beni. Les nouveaux commandants envoyés à Beni, comme le général Jacques Changoliza Nduru et d’autres anciens rebelles rwandophones, sont ceux-là même qui se sont compromis dans les tueries dans la région.
La sécurisation de l’Est de la RDC passe d’abord par une bonne analyse de la menace pour identifier l’ennemi. Elle passe ensuite par un véritable éloignement de plusieurs commandants d’unité, au passé rebelle pro-rwandais ainsi que des unités ex-rebelles pro-rwandaises dans la région. Nous recommandons en outre au président Tshisekedi d’opérer progressivement un réel changement à la tête des FARDC, en se débarrassant des généraux criminels comme John Numbi, Gabriel Amisi Tango Four, le numéro deux de l’armée, Delphin Kahimbi, Akili Muhindo Mundos… Ces derniers sont tous sous sanctions internationales qu’il faut maintenir, voire alourdir en les élargissant à la personne de Joseph Kabila. Enfin, la sécurisation de la RDC ne saurait être effective sans une profonde réforme des FARDC qui leur permettrait de devenir une armée républicaine, performante et modernisée, et non une armée des milices.

2. L’ARMÉE RWANDAISE À BENI POUR RÉOCCUPER L’EST DE LA RDCONGO?

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu – Desc-Wondo, 16.12.’19[2]

L’une des promesses du président congolais Félix Tshisekedi faite au président Rwandais Paul Kagame, lors de son séjour à Kigali en fin mars 2019, était d’agir ensemble pour mettre fin aux groupes armés qui écument l’Est de la RDC, notamment via des opérations militaires conjointes en RDC.
Après l’échec de la création d’un «état-major intégré» des armées de la région (Burundi, RDC, Rwanda, Ouganda, Tanzanie) en vue de permettre aux troupes de ces pays de prendre part aux opérations militaires contre les groupes armés dans l’Est de la RDC, les FARDC, l’armée congolaise, ont lancé officiellement seules une offensive contre les groupes armés au Nord-Kivu. Cependant, plusieurs informations concordantes reçues des sources militaires congolaises et ougandaises, ainsi que de la société civile font état d’une présence de plusieurs bataillons rwandais en appui aux FARDC, l’armée congolaise.
La forte présence des unités spéciales des RDF, l’armée rwandaise, en RDC aux côtés des militaires congolais ne vise apparemment pas les mêmes objectifs que ceux poursuivis par l’armée congolaise. L’envoi de troupes rwandaises vise notamment à conforter une présence militaire rwandaise à l’Est de la RDC, où le Rwanda tirent des dividendes économiques stratégiques pour son économie.

a. Une mystérieuse reddition des maï-maï Uhuru

Le 4 décembre 2019, 707 miliciens maï-maï se sont rendus aux FARDC à Chani-Chani, dans le territoire de Beni. Il s’agit en majorité des combattants du groupe rebelle Uhuru. D’après le général autoproclamé de cette milice, l’objectif est de fédérer les efforts afin de combattre définitivement les ADF à Beni. Chose curieuse, au lieu de démobiliser ces maï-maï qui ne devraient pas avoir leur place dans l’armée, le Colonel Mukulu, envoyé du chef d’état-major dans la région, a déclaré que «ces combattants vont subir une petite formation militaire avant d’appuyer les forces loyalistes, engagées dans la traque des ADF». Les maï-maï rendus ont été regroupés dans un centre de transit à Mayimoya.
Or, par le passé, le groupe rebelle Uhuru sévissait dans la localité de Samboko, à l’est de la commune rurale de Oicha, chef-lieu du territoire de Beni. Curieusement, c’est dans cette même zone que l’on attribuait les massacres de civils aux présumés ADF, dont celui du 23 mai 2019.
Actuellement, la région de Samboko-chani-chani est presque inhabitée, ses habitants ont abandonné le village pour se réfugier soit à Oicha, Eringeti pour certains, soit de l’autre côté de la rivière Samboko dont le village porte le nom, en Ituri voisine.

b. La capture de présumés ADF parlant « kinyabwisha »

Le 29 octobre 2018, un officier congolais déployé à Beni identifiait plutôt des rwandophones comme assaillants ADF. Il avait fait part de la capture d’une dizaine de présumés ADF dans une parcelle d’un particulier dans le quartier populaire de la ville de BENI appelé Matonge. Selon cet officier, «au cours de leur interrogatoire, les assaillants ont avoué appartenir au groupe ADF en provenance de Kirumba et ils voulaient atteindre la localité de Boga dans la province de l’Ituri. Ils parlaient kinyabwisha, une langue qui est proche de Kinyarwanda, particulièrement parlée par la population de vers Saké dans les territoires de Rutshuru et de Masisi».
Selon Boniface Musavuli, le « kinyabwisha » n’existe pas. C’est du kinyarwanda. Les populations d’origine rwandaise implantées de longue date dans le territoire de Rutshuru se font appeler Banyabwisha tout comme les Banyamulenge au Sud-Kivu pour se démarquer de l’identité « banyarwanda » devenue trop salie. D’où le « kinyabwisha ». Par ailleurs, il indique que les ADF n’ont jamais eu une présence ni à Kirumba (Sud-Lubero), ni en territoire de Rutshuru (Nord Kivu). Enfin, ces personnes ne peuvent pas être originaires de Kirumba où les habitant perlent kinande et non kinyarwanda.

c. Un massacre perpétré près d’une position de la brigade « Ninja »

Un massacre d’une dizaine de civils a été perpétré le 12 décembre 2019 dans la chefferie de Watalinga, située à environ 100 kilomètres au nord-est de la ville de Beni à proximité d’une position tenues par les commandos formés par la Chine. Après les massacres, les habitants ont pourchassé les assaillants avec des flèches et en ont tué deux. Il s’agit des deux commandos de la brigade dite Ninja faisant partie de la 4ème promotion du Centre d’entraînement de Kamina formé par les instructeurs commandos chinois.
L’unité est commandée par le colonel Dunia, l’homme des sales besognes de Kabila selon des sources militaires, et déployée au front centre dans axe Mayengose-Watalinga où dans la nuit du 15 au 16 décembre 2019, au moins 11 civils et 5 blessés ont été massacrés dans le quartier de Majengo Mapya.

d. Les FARDC mènent principalement des opérations au Sud de Beni laissant les massacres se commettre au Nord

Depuis le lancement des opérations, presque tous les massacres ont été dans la zone nord-ouest de Beni. Cet axe Nord des opérations Sokola 1 Nord comprend les localités de Kamango, Mbau, Mangurejipa, Oicha, la vallée de la rivière Semuliki. Son quartier-général est situé à. Selon des informations recueillies auprès des sources militaires au Nord-Kivu, les principales bases des massacreurs « présumés ADF » ainsi que leurs zones d’opérations sont situées dans cette aire géographique de l’axe Nord de Sokola 1, c’est-à-dire les zones comprises entre la rivière Semuliki, située au nord du territoire de Beni, frontalière de la province de l’Ituri, et la localité de Mavivi, situé à 10 km de la ville de Beni. C’est là que se commettent la grande majorité des massacres.
Par ailleurs, officiellement il y a environ 21.000 soldats FARDC dans ces opérations, mais les troupes sont reparties en bataillons et unités qui ne sont pas en contact les uns des autres. L’appui aérien aux opérations de terrain fait défaut. Les trois avions sukhoi-25 basés à Kisangani sont pratiquement non opérationnels. Ils ne peuvent faire des rotations en autonomie Kisangani – Beni – Kisangani dans un rayon de 800 kilomètres. Les deux hélicoptères MI-24 capables de fixer l’ennemi en mouvement et d’appuyer efficacement les troupes au sol sont défectueux.

e. Le déploiement de plusieurs bataillons rwandais près de la frontière ougandaise

Outre la désorganisation des troupes et des opérations et la complexification du commandement des opérations depuis l’envoi du Général John Numbi, il y a un déploiement de plusieurs bataillons rwandais dans la région pour contourner la frontière ougandaise côté congolais, en vue de tenir en respect une éventuelle entrée des troupes ougandaises. « Ce sont les égorgeurs à la solde de Kabila et de Kagame entretenus par les généraux Kahimbi et Gabriel Amisi Tango Four … Il y a une complicité entre les autorités militaires congolaises et rwandaises qui induisent le président Tshisekedi en erreur», dit un officier de renseignements militaires congolais, qui cite le nom du colonel Bernard Ngozi Kashumba, des forces spéciales rwandaises, pour co-piloter avec le général Numbi les opérations rwandaises et congolaises au Nord-Kivu.

f. Conclusion: Kigali aux côtés des FARDC pour détruire les Nande et récupérer le contrôle économique sur l’Est de la RD Congo

Les massacres contre les populations Nande du Nord-Kivu ne seraient, selon moi, pas motivés par une certaine idéologie religieuse islamiste d’autant que les cibles visées ne concernent pas directement les symboles de l’Etat. Ce qui est clair, c’est que les Nande représentent l’ethnie majoritaire au Nord-Kivu, qui a toujours dominé l’économie de la région, en s’opposant notamment à l’hégémonie régionale des populations rwandophones. Les Nande, qui contrôlent l’essentiel des leviers économiques, dérangent sans doute certains leaders de la région, dont l’ancien président Joseph Kabila qui est détesté par les Nande depuis son divorce politique avec Antipas Mbusa Nyamwisi en 2011. En soutenant massivement Martin Fayulu aux élections de 2018, les Nande ont amplifié leur aversion à Kabila et sanctionné son dauphin Emmanuel Shadary.
C’est ainsi que les massacres de Beni représentent, selon notre conviction, sur base de nos analyses, un moyen pour Kabila et pour Kagame, dans une conjonction d’intérêts politiques et géopolitiques respectifs, de soutenir un faux groupe armé extrémiste. L’objectif est de soustraire le contrôle économique et politique de la région aux Nande en y semant le désordre par le biais des « présumés ADF » qu’ils ont créés et que les deux présidents entretiennent par leurs hommes de main locaux. Les attaques répétées contre les convois des marchandises et les assassinats répétés des commerçants nande sur les routes Butembo-Beni-Kasindi-Ouganda, Butembo-Beni-Bunia (Ituri) et Butembo-Goma visent clairement à étouffer économiquement les deux principales zones de prospérité économique nande (Beni, Butembo et Oicha), ce qui, à terme, faciliterait leur soumission aux ambitions hégémoniques du Rwanda de Kagame.
Kagame a une fixation hégémonique géopolitique pathologique sur l’Est de la RDC qui lui sert de cave minière pour exporter à moindre coûts (suppression des barrières douanières) les produits tirés de la contrebande minière en RDC et rentabiliser davantage ses profits économiques. En effet, l’exploitation des richesses minières à l’Est de la RDC est cruciale pour l’équilibre budgétaire de l’État rwandais, ainsi que pour l’enrichissement personnel de son élite politico-militaire. Lors de toutes les guerres directes ou par procuration menées par le Rwanda en RDC à partir de 1996-1997, plusieurs auteurs ont démontré, au-delà des motivations sécuritaires, que leur mobile primordial était géoéconomique.
L’autre motivation géostratégique du Rwanda est de réinvestir l’espace oriental de la RDC où son influence ne cessait de diminuer. En réalité, la perte d’influence du Rwanda en RDC a commencé progressivement en 1998. C’est depuis cette année que, malgré les différentes rébellions qu’il a soutenues en RDC, le Rwanda perd du terrain. En effet, avec l’AFDL, le Rwanda contrôlait toute la RDC. James Kabarebe, l’actuel Conseiller militaire de Kagame et ancien ministre de la Défense du Rwanda, fut d’ailleurs chef d’état-major général des forces armées congolaises, les FAC. La création du RCD a permis au Rwanda d’occuper les deux Kivu, le Maniema, une partie de la Province Orientale et du Katanga, soit un tiers du territoire congolais. On peut constater que cet espace a rétréci. Entre 2006 et 2009, le CNDP s’est contenté de Rutshuru et de Masisi. Par ailleurs, avant d’être chassé de la RDC, le M23 n’a régné que sur la moitié du territoire que le CNDP contrôlait. Depuis la défaite du M23, le Rwanda a vu son influence militaire territoriale, malgré des éléments infiltrés dans l’armée et dont plusieurs sont morts ou ont vieilli, se réduire drastiquement. Ainsi, les massacres de Beni et les opérations en cours sont des moyens pour renforcer la présence militaire rwandaise et investir les territoires riches en terres arables et en ressources minières.

[1] Cf Texte complet: http://desc-wondo.org/apres-mundos-le-general-delphin-kahimbi-devient-il-le-nouveau-patron-des-presumes-adf-mtm-jj-wondo/
[2] Cf Texte complet: http://desc-wondo.org/larmee-rwandaise-en-cours-de-reoccupation-de-lest-de-la-rdc-jean-jacques-wondo/