Congo Actualité n. 388

LES AFFRONTEMENTS ENTRE GROUPES ARMÉS DANS LES HAUTS PLATEAUX D’ITOMBWE-MINEMBWE (SUD KIVU)

SOMMAIRE

1. LE CONTEXTE GÉNÉRAL
2. LE POINT DE DÉPART
3. LES CAUSES RECENTES
a. La création de la « commune rurale » de Minembwe
b. Le meurtre du chef coutumier banyindu Kawaza Nyakwana
4. MISSIONS DE MÉDIATION ET DÉCLARATIONS
5. QUELQUES RECOMMANDATIONS FINALES

1. LE CONTEXTE GÉNÉRAL

Depuis mars dernier, sur les Hauts plateaux du Sud-Kivu, les affrontements qui ont eu lieu entre différents groupes armés, ont causé quelques dizaines de morts, des centaines de maisons brulées, des milliers de vaches volées et des dizaines de milliers de déplacés.
Ces groupes armés affirment agir pour défendre leurs communautés respectives: les Bafuliro, les Babembe et les Banyindu d’un côté et les Banyamulenge de l’autre, les premier se réclamant autochtones et les derniers traités de « rwandophones », de « non originaires » et, donc, d’envahisseurs.
– Quelles sont les forces en présence?
Il y a d’un coté, les Maī/Maï Yakutumba et autres groupes maï-maï, dont les Ebwela, Aichi, Mulumba et Biloze Bishambuke. Tous ces groupes sont issus des communautés Bafuliro, Babembe et Banyindu. Du côté Banyamulenge, l’on note la présence des milice d’autodéfense, telles que Gumino / Twirwaneho. Tous les deux camps sont appuyés par des forces et des milices étrangères essentiellement du Rwanda et du Burundi.
Les Maï-Maï Yakutumba et leurs alliés sont en coalition avec des rebelles burundais : les Forces Nationales de Libération du Burundi (/FNL), la Résistance pour un État de Droit au Burundi (Red Tabara) et les Forces Républicaines du Burundi (Forebu). C’est grâce à cet appui des forces étrangères qu’ils ont réussi à occuper les villages banyamulenge.
De leur côté, les Gumino / Twirwaneho sont appuyés par les ex miliciens issus du M23 et un autre groupe, le Congrès National Rwandais (RNC), qui se revendique du général rwandais Kayumba Nyamwasa, dissident de Paul Kagame. Les habitants de Minembwe évoquent aussi la présence des FDLR, les rebelles hutus rwandais, mail il s’agirait plutôt d’un de leurs groupes dissidents, le CNRD, qui serait localisé à 45 km de Minembwe.
Le Rwanda et le Burundi usent de leurs différents rebelles, en soutenant telle ou telle communauté au regard des accointances ethniques et des intérêts illicites.
Les initiatives se multiplient pour stopper les affrontements armés dans le Sud-Kivu, notamment sur les hauts plateaux et dans la plaine de Ruzizi, où l’activisme des groupes armés congolais comme étrangers attise les tensions entre communautés.[1]

Parmi les principales causes du conflit actuel, l’on peut mentionner celle liée à l’origine rwandaise des Banyamulenge.
Selon les Banyamulenge, ils se considèrent comme les descendants d’immigrants rwandais arrivés dans les hauts plateaux d’Itombwe vers la fin du XVIIIe siècle. Jusque aux années 1960 et 1970, ils étaient dénommés Banyaruanda, ce qui signifie « ceux du Rwanda ». Plus tard, ils ont eux-mêmes commencé à se dénommer Banyamulenge, c’est-à-dire «ceux de Mulenge», un village situé dans les hauts plateaux d’Itombwe, afin de se différencier des réfugiés tutsis provenant également du Rwanda suite aux troubles provoqués par la rébellion hutu de 1959.
Selon les autochtones, en revanche, les « Banyamulenge » se seraient installés dans les hauts plateaux d’Itombwe après les troubles interethniques survenus au Rwanda à la veille de l’indépendance de leur pays, après la prise du pouvoir par les Hutus en 1962. Selon les autochtones, Mulenge est une localité du regroupement Kigoma, appartenant à la communauté Bafuliro et situé sur le territoire d’Uvira.[2]

2. LE POINT DE DÉPART

Le point de départ de ce cycle de violence s’inscrit dans une longue histoire. Les Banyamulenge sont une communauté d’éleveurs, originaires du Burundi et du Rwanda, et arrivés avec leurs troupeaux de vaches sur les hauts plateaux du Sud-Kivu dès le XIXe siècle. Les colonisateurs belges n’ont toutefois jamais créé de «chefferie» pour ce groupe semi-nomade, à la différence des communautés voisines de cultivateurs babembe, bafuliru et bayindu.
Après l’indépendance, les relations entre les Banyamulenge et ces tribus locales ont été souvent conflictuelles. Après l’indépendance, ils ont été la cible de haine ethnique et de discrimination. Mais certains Banyamulenge ont participé eux aussi à des abus, souvent au nom de l’autodéfense. Le rejet de cette communauté s’est accentué pendant la première et la deuxième Guerre du Congo, lorsque certains de ses membres ont occupé des positions militaires et civiles importantes dans les rébellions de l’AFDL (1996-1997) et du RCD (1998-2003). Après la fin de la guerre, la plupart des rebelles banyamulenge ont rejoint l’armée congolaise, mais plusieurs petits groupes sont restés sur les hauts plateaux, en particulier les Forces républicaines fédéralistes (FRF).[3]

Selon la coutume, chaque ethnie et tribu se caractérise par sa présence sur un territoire spécifique: il n’y a pas de tribu sans territoire, c’est-à-dire sans terre à cultiver. C’est pourquoi, arrivés au Congo en provenance d’un pays étranger, les Banyamulenge se sont retrouvés sans territoire. Malgré le fait que le village de Mulenge et ses environs, où la plupart des Banyamulenge se sont installés en empruntant même son nom, soit une localité de la communauté Bafuliro, une tribu autochtone, les Banyamulenge ont entamé une série de procédures pour obtenir un territoire administré par eux-mêmes. Pour cela, ils se sont appuyés sur la thèse selon laquelle ils seraient arrivés sur les hauts plateaux d’Itombwe / Minembwe non seulement pendant la période de la colonisation, mais encore plus tôt et, par conséquent, ils ont revendiqué le droit d’être considérés comme membres d’une tribu autochtone, comme les autres.

Par l’arrêté départemental n. 001/MJ/DAT/MB/ROUTE/1999, émis par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le Chef de département de l’administration du territoire Joseph Mudumbi a institué, dans le Sud Kivu et à titre provisoire, une entité administrative dénommée Territoire de Minembwe, subdivisé en cinq collectivités: Mulenge, Bijombo, Itombwe, Minembwe et Kamombo.

Selon le Décret no 13/029 du 13 juin 2013 conférant le statut de ville et de commune à certaines
agglomérations de la Province du Sud-Kivu,
– Vu l’avis conforme de l’Assemblée Provinciale du Sud-Kivu se rapportant à la proposition du Gouverneur de la Province du Sud-Kivu du 09 juin 2009 relative à l’érection de certaines agglomérations de la Province du Sud-Kivu en Communes, contenu dans la décision no 09/200/PLENIERE/ASPRO/SK du 07 octobre 2009 ;
– Sur proposition du Ministre de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires Coutumières, Richard Muyej Mangez;
– Le Conseil des Ministres entendu;
– Le Premier Ministre Matata Ponyo Mapon a décrété que:
le statut de Commune est conféré à quinze agglomérations de la Province du Sud-Kivu, parmi lesquelles l’agglomération de Minembwe, donc érigée en Commune de Minembwe (article 8).[4]

Selon les tribus autochtones, la revendication d’un territoire par les Banyamulenge, un groupe ethnique d’origine étrangère, est une provocation. Pour la chercheuse Judith Verweijen, de l’université de Sheffield, le récent cycle de violences est l’aboutissement d’un processus en cours depuis au moins quatre ans: «Cela a commencé avec des disputes sur le pouvoir coutumier dans la zone de Bijombo et la montée en puissance du groupe armé Banyamulenge Ngumino (« restons-ici » en Kinyamulenge), qui s’est mis à taxer brutalement la population locale. Cela a accéléré le recrutement des groupes d’autodéfense de la zone et a abouti à une première vague d’affrontements en 2015 et 2016». Sur ce contexte déjà tendu vont se greffer des tensions régionales croissantes. Après la candidature très contestée du président burundais Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, en 2015, les rébellions burundaises présentes au Congo ont connu un afflux de nouveaux combattants. Parmi elles, notamment, les FNL et la Résistance pour un Etat de Droit au Burundi (RED) – Tabara. Ces derniers sont soutenus par le Rwanda dès 2015, notamment en matière de recrutement et de formation.
Mais cette zone devient bientôt la base d’une autre rébellion, hostile au Rwanda cette fois : le Congrès national rwandais (RNC) du dissident Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud. Selon un autre rapport du groupe d’expert des Nations-Unies sur la RD Congo, il s’installe dans la forêt de Bijabo, au Nord de Minembwe, et noue une alliance avec les combattants Banyamulenge Ngumino. Le Burundi sert de territoire de transit pour certaines de ses recrues.
Dans ce contexte de groupes armés nationaux et étrangers, en mars 2019, une coalition constituée des milices Maï-Maï locales forment une coalition contre les Ngumino, la milice des Cette coalition est appuyée par les rebellions burundaises FNL et Red-Tabara. Selon deux sources locales (une de la société civile et une policière), cette coalition serait appuyée par des membres des forces spéciales rwandaises, notamment au travers de leurs alliés RED-Tabara. Pour Kigali, qui est en conflit avec une partie des leaders banyamulenge depuis de nombreuses années, la participation à cette opération présenterait aussi l’avantage de priver le RNC d’une base arrière.
Les Ngumino semblent aujourd’hui très affaiblis. L’essentiel des groupes armés banyamulenge encore actifs sont les Twiganeho («défendons-nous» en Kinyamulenge), milices «d’autodéfense».[5]

3. LES CAUSES RECENTES

a. La création de la « commune rurale » de Minembwe

Selon l’Honorable Pardonne Kaliba Mulanga, l’un de onze députés nationaux proclamés élus par la Commission Electorale lors des dernières élections législatives nationales du 30 décembre 2018, mais invalidés par la Cour constitutionnelle six mois après, Minembwe a été érigé en commune rurale par la publication du décret du Premier ministre n° 25/CAB/VPM/MINISTERSEC/HMS/075/2018 du 28 novembre 2018, suivi par la lettre  du Gouvernement provincial du Sud Kivu n° 090/CAB/GOUPRO-SK/2019 du 20 février 2019, affectant temporairement les administrateurs de la commune de Minembwe: Mukiza Nzabinesha Gadi, en qualité de Bourgmestre et Isumbeco Sadiki Charles, en qualité de Bourgmestre adjoint. Selon toujours cet élu de Fizi, la commune de Minembwe a été créée malgré que, en 2013, la majorité des députés provinciaux de l’assemblée provinciale du Sud-Kivu s’y était opposée, car les frontières de cette nouvelle entité englobaient des immenses parties de terres amputées de trois autres territoires, à savoir: Fizi, Mwenga et Uvira.[6]

Le 21 février 2019, un Munyamulenge, Gady Mukiza, est investi premier bourgmestre de la commune rurale nouvellement créée de Minembwe. L’identité du ministre de la Décentralisation qui supervise ces réformes, Azarias Ruberwa, lui-même Munyamulenge, a contribué à accroitre la méfiance au sein des membres des communautés voisines. Pour leurs représentants, qui souvent dénient aux Banyamulenge leur nationalité congolaise ainsi que l’exercice de pouvoir local, c’est une provocation. Elle est très vite aggravée par une vague de violences commises par les Ngumino.[7]

La création récente de la commune rurale de Minembwe, au sud-Kivu, a contribué à alimenter des anciennes contestations relatives à l’exercice de l’autorité locale et au contrôle sur le territoire opposant les Banyamulenge à d’autres groupes, qui font valoir que la commune se trouve sur et ampute leurs terres ancestrales.[8]

À Kinshasa, les représentants de la communauté bembe exigent purement et simplement la dissolution de la commune rurale de Minembwe, préalable à la fin de la guerre sur les Hauts plateaux  du Sud Kivu. Pour eux, les Banyamulenge sont d’immigration trop récente pour revendiquer une commune. Ils rappellent que, en 1999, le RCD – rébellion soutenue par le Rwanda et dont la principale figure était  le munyamulenge Azarias Ruberwa, actuel ministre de la Décentralisation, avait déjà créé le territoire de Minembwe, qui fut ensuite supprimé.
Pour les représentants de la communauté banyamulenge, la création de la commune de Minembwe est un prétexte. Celle-ci a été décidée par un décret en 2013, formellement installée juste avant les élections, comme des dizaines d’autres.[9]

b. Le meurtre du chef coutumier banyindu Kawaza Nyakwana

Deux événements documentés par le KST vont contribuer à attiser le cycle de violences qui se met en place. Le 4 mai 2019, les Ngumino assassinent le chef coutumier banyindu Kawaza Nyakwana. Cela provoque une flambée d’exactions, avec notamment des incendies de villages, jusqu’en juin. Puis, le 7 septembre, le chef Ngumino Semahurungure est assassiné dans le village de Tulambo, à plusieurs kilomètres de la ligne de front. Selon les sources locales précédemment citées, ainsi qu’une source militaire congolaise et une source militaire rwandaise, cette opération aurait été organisée avec l’appui, au moins en renseignement, de Kigali. Une source des renseignements de la Monusco interrogée par le KST n’a pas été en mesure de confirmer cette information, mais s’est étonné de cet assassinat «très éloigné des modes opératoires habituels des groupes mai-mai».[10]

Les Hauts Plateaux d’Itombwe-Minembwe sont devenus l’épicentre de nouveaux affrontements entre groupes armés qui détiennent le contrôle sur le territoire, le pouvoir coutumière et la population civile. Les derniers affrontements dans la succession de ce cycle de violences datant de dizaines d’années ont commencé dans la localité de Matanganika, la première semaine du mois de mars 2019.
– A Matanganika et ses environs, le groupe armé dénommé Twirwaneho avait été formé pour protéger les éleveurs contre les tracasseries des Maï-Maï qui prenaient la suprématie sur le rôle des Chefs Coutumiers, au point d’exiger un paiement exorbitant de cet impôt communément appelé «Ituro/Itulo». Les éleveurs payent le « Ituro/Itulo », car exploitant les terres d’autrui. Certains éleveurs, pour de raisons de leur appartenance ethnique, peuvent être exonérés de ce type de paiement. Pour justifier leur existence, les Maï-Maï affirment que les éleveurs ravagent leurs champs et que seules les armes peuvent les contenir. Twirwaneho est initié pour protéger les éleveurs contre ces tracasseries des Maï-Maï.
Voilà l’origine récente des affrontements qui ont eu lieu à Matanganika le 6 mars 2019. Beaucoup de personnes ont péri lors de ces accrochages armés. Les gens sont égorgées en pleine journée, de dizaines villages sont incendiés et de milliers de vaches sont emportées par les hommes en armes. Ces vaches deviennent une source facile pour se procurer ensuite des armes et des munitions.
En l’absence d’un État fort et impartial, les affrontements continueront jusqu’à ce que l’un devient plus fort que l’autre et domine.
– Les violences se sont intensifiées depuis mai dernier, après le meurtre d’un chef coutumier.
Le 4 mai 2019, le Chef de Localité de Kanihura, Kawaza Nyakwana, membre de la tribu des Banyindu, a été brutalement interpellé par les hommes du commandant Semahurungure, appartenant au groupe armé Gumino, une autre milice d’obéissance Banyamulenge. Semahurungure est l’homme le plus connu et très craint dans les Hauts Plateaux d’Itombwe-Uvira-Fizi. Pendant au moins 6 ans, il a été l’adjoint du Commandant Nyamusaraba, le Chef Gumino.
Kawaza Nyakwana a été arrêté au marché de Mikaratai qui se tient tous les samedi. Ce marché dit «chez Ntayoberwa» est sous contrôle du groupe Gumino qui y taxe presque tout. Kawaza est un chef de localité, mais il est accusé par ses voisins détracteurs d’entretenir des relations avec les Maï Maï d’obéissance Banyindu-Bafuliro.
Il y a quelques années, une confrontation interne entre Banyindu de Kanihura avait opposé Kawaza à Nyerere. Ce dernier avait été victime de tirs et avait été blessé à la main. La cause du conflit entre Nyerere et Kawaza était la volonté de chacun d’entre eux de devenir chef de la localité de Kanihura.
Enfin, Kawaza fut reconnu comme chef de localité, mais le conflit avec Nyerere ne pouvait pas rester sans conséquences.
Durant les derniers mois de 2018, un garde du corps de Semahurungure disparait et il est resté sans traces pour plus de 6 mois. Il disparait alors qu’il aurait traversé les environs de la localité de Kanihura, dont Kawaza était le chef coutumier.
Nyerere aurait probablement comploté avec Semahurungure, dans le cadre d’éliminer son opposant pour la toute dernière fois ou une fois pour toute. Il est le probable accusateur de Kawaza auprès de Semahurungure. Des sources concordantes affirment que Kawaza a été arrêté en plein marché pour complicité de la disparition du garde du corps de Semahurungure. Kawaza est d’ailleurs accusé comme le vrai commanditaire de ce meurtre.
La mort de Kawaza devait marquer une humiliation de toute sa communauté Nyindu. En grand nombre, les Maï-Maï se sont mobilisés de Lulenge, Kipupu et les environs, pour rejoindre Kanihura et venger la mort de leur chef de localité. Le Banyamulenge aussi, à travers Gumino et Twirwaneho, ont dû aussi riposter, pour ne pas payer les bavures de Semahurungure.
En réalité, tout le monde attendait cet incident pour se venger. Donc, la mort de Kawaza était une ‘opportunité’ pour que les armes reviennent sur la scène.
– Ces affrontements entre une coalition Maï-Maï regroupant des membres Banyindu, Bafuliro et Babembe et le groupe Gumino / Twirwaneho regroupant des Banyamulenge doivent interpeller les autorités compétentes. Ces affrontements s’inscriraient dans le cadre de la contestation où les uns sont dits ‘autochtones’ et les autres ‘nouveaux-arrivants’.
La mobilisation qui a suivi l’érection de la commune de Minembwe, en dit beaucoup. La mobilisation sur les réseaux sociaux à Matanganika, Fizi, Bukavu, Goma, Kinshasa, Johannesburg et Bruxelles pour contester une entité décentralisée est révélatrice.
Ces règlements de compte pourront embraser toute la région, car ils ne sont plus dans le cadre de la demande de la justice pour la mort d’un chef coutumier seulement. Bien sûr, cette mort est inopportune et Semahurungure doit répondre de cet acte barbare. Mais l’observateur avisé devrait comprendre que un seul incident de mort n’aurait pas pu mobiliser de milliers de miliciens qui finalement décident d’incendier et de tuer de civils innocents.
L’état Congolais doit dans l’immédiat trouver des solutions durables à cette recrudescence de la violence. La présence des forces de sécurité est primordiale, mais on a besoin d’une armée qui joue un rôle neutre et impartial et qui est à mesure de protéger tout le monde. Les questions de fond et causes premières doivent trouver aussi de solution. L’Etat doit renforcer sa présence au point de répondre même à ces questions sur lesquelles on ne s’exprime pas ouvertement, alors qu’elles sont les moteurs de la mobilisation.[11]

Le 8 septembre, le colonel autoproclamé Semahurungure, leader du groupe armé Gumino a succombé à ses blessures, après de violents combats entre son groupe et les Maï-Maï Ebwela dans le village de Tulambo, groupement de Basimukindji 1, secteur d’Itombwe, territoire de Mwenga (Sud-Kivu). Ce chef rebelle est mort en cours de route, pendant son évacuation à l’hôpital vers Minembwe. Selon des sources locales, sa présence avait été signalée à Tulambo la nuit du 7 septembre. Lors des combats, six autres personnes ont été tuées: deux civils (un homme et son enfant), deux combattants Maï-Maï ainsi que deux membres de la garde rapprochée de Semahurungure. Parmi les six blessés par balle, on dénombre une femme et cinq enfants. sept villages ont été entièrement incendiés et complètement désertés par leurs habitants. Il s’agit des villages Tulambo, Marunde, Kivogorwe, Bukunji, Katenga, Kibundi et Kigazura. Ces attaques revendiquées par plusieurs factions Maï-Maï fontt suite à une tentative d’assassinat, le 3 septembre, d’un chef de localité de Kitavi, Nabigiri Moninga, issu de la communauté Banyindu. Des sources locales affirment que l’épouse du chef Kitavi avait été blessée, alors qu’elle fuyait avec son mari une incursion des miliciens Gumino.[12]

4. MISSIONS DE MÉDIATION ET DÉCLARATIONS

Le 20 mai, le général major Akili Muhindo dit Mundos, commandant de la 33eme région militaire, s’est rendu à Minembwe pour s’entretenir avec les leaders, les députés et les notables de Fizi. Il a dévoilé les 5 causes majeures de tensions à Minembwe: «Les vraies causes qui déstabilisent Minembwe sont entre autres: le tribalisme, la détention illégale d’armes (presque tout le monde a une arme et cela cause la multiplication des groupes armés), l’absence de l’autorité de l’État qui donne naissance à l’impunité, la gestion de l’administration de l’État par une seule ethnie ou un seul groupe, et le problème de leadership». Les membres de la délégation mixte dépêchée  à Minembwe ont ajouté que «la population de Minembwe en tant que telle n’a pas de problèmes … Ce sont certains politiciens et certains leaders communautaires qui tirent les ficelles des actuels affrontements».[13]

Le 6 juillet, le lieutenant-général Gabriel Amisi Kumba, chef d’état-major général adjoint des FARDC chargé des opérations et renseignements, s’est rendu à Minembwe, dans le territoire de Fizi (Sud-Kivu) pour rencontrer les représentants des quatre communautés locales: les Banyamulenge, les Banyindu, les Bafulero et les Babembe.
Le responsable du service de communication de l’armée gouvernementale, Jerigol Panzuna, a affirmé que, après avoir pris la température de la situation sur place à Minembwe, le chef d’état-major général adjoint chargé des opérations a fait un constat amer: «Toutes les communautés disposent chacune d’une milice appelée force d’auto-défense; et ces milices sont toutes alliées à des groupes armés étrangers». Devant ces évidences, le général Gabriel Amisi a décidé de relever de ses fonctions le responsable local de l’armée qui a été immédiatement remplacé et de permuter bientôt les responsables militaires de cette partie du Sud-Kivu.[14]

Le 19 octobre, le député Norbert Basengizi Katintima, qui a joué ces dernières semaines le rôle de modérateur, a remis au Premier ministre Sylvestre Ilunga son rapport, une analyse de quatre pages dans laquelle il fait plusieurs recommandations au gouvernement. L’ancien vice-président de la Commission électorale se dit porte-voix de treize communautés du Sud-Kivu dont il est originaire.
Ses propositions visent à mettre un terme aux violences entre six de ces communautés, dont les Banyamulenges, les Bafulirus, les Banyindus, les Baviras et les Barundis. Car chacune d’entre elles a aujourd’hui son ou ses groupes armés. Il faut donc les convaincre de déposer les armes, et cela passe par la mise en place d’un comité de suivi des opérations de désarmement et de réinsertion. Si ces groupes acceptent, Norbert Basengizi Katintima suggère de les ramener eux aussi à la table d’un nouveau dialogue qui se ferait non plus seulement entre communautés, mais sous l’égide du gouvernement. Il faudrait aussi entamer des contacts diplomatiques avec les pays voisins, notamment le Rwanda et le Burundi, accusés de se faire la guerre dans cette partie de la RDC en instrumentalisant les groupes armés congolais et étrangers. Ces contacts diplomatiques pourraient faciliter le désarmement et le retour des groupes armés étrangers dans leur pays d’origine. Autres suggestions: le retour des déplacés, leur prise en charge et l’engagement dans certains projets de développement identifiés par les communautés. Reste aussi la question de la mise en place de la commune rurale de Minembwe, dont la création a suscité des tensions entre communautés. À noter que plusieurs acteurs de la société civile du Sud-Kivu ont protesté contre le choix de Norbert Basengizi Katintima comme modérateur d’un dialogue entre communautés, rappelant son rôle notamment dans la rébellion du RCD, accusée d’avoir commis des massacres dans cette province.[15]

Le 19 octobre, dans une déclaration faite devant la presse, le député Moïse Nyarugabo a affirmé que «la communauté Banyamulenge dénonce vigoureusement ce plan qui se traduit par les massacres systématiques, l’attaque, l’incendie et la destruction totale des villages habités par les Banyamulenge et le pillage de leurs bétails. Cette barbarie est l’œuvre des groupes notamment Mayi-mayi Yakutumba, Ebwela, Aichi, Mulumba et Bilozebishambuke qui ont coalisé avec les groupes armés étrangers plus particulièrement les Forces nationales de libération du Burundi (FNL), la résistance pour un État de droit au Burundi (Red tabara), les Force Républicaines du Burundi ( Forebu), etc.». Se présentant comme victime, la communauté Banyamulenge dresse un bilan depuis le début des affres en 2017: «on compte des centaines de personnes tuées, plus de 160 villages incendiés et détruits complètement (habitations, écoles, églises et centres de santé) et plus de 35000 vaches volées». Elle a enfin annoncé qu’elle «ne prendra plus part à un quelconque dialogue, tant que ces actes de génocide ne seront pas arrêtés».[16]

Le 23 octobre, les représentants des communautés banyamulenge, babembe, banyindu, bafulero et bavira se sont rencontrés pour réfléchir sur la situation sécuritaire volatile à Minembwe, en territoire de Fizi. Réunis en comité intercommunautaire pour la paix et le développement dans les hauts plateaux d’Itombwe, Fizi et Uvira, ils ont fustigé ce qu’ils qualifient d’implication louche des politiciens dans les conflits qui perturbent ce territoire. Ils ont assuré avoir des preuves que cette insécurité persistante est entretenue par «des politiciens et autres notables en mal de positionnement ou à la recherche des postes de responsabilité dans ce pays ». Ils ont recommandé aux jeunes de s’opposer à toute sorte de manipulation politicienne et de se désolidariser des tous les groupes armés, nationaux et étrangers.[17]

Le 28 octobre, dans une conférence de presse tenue à Goma (Nord-Kivu), le président national de la Nouvelle Dynamique de la Société Civile (NDSCI), Jean-Chrysostome Kijana, a accusé lui aussi certains politiciens de la province du Sud-Kivu, d’être à la base des conflits enregistrés dans les hauts plateaux de Fizi (Minembwe), en instrumentalisant des leaders communautaires pour les monter les uns contre les autres, alors que «il n’existe pas de conflit communautaire dans cette partie de la RDC». Chrysostome Kijana a affirmé, sans citer les noms, qu’il y aurait des personnalités politiques du Sud-Kivu qui tireraient bénéfices de ces conflits à Minembwe: «Actuellement il n’y a aucun conflit entre les communautés au Sud-Kivu. Il y a plutôt des conflits entre certains membres de certaines communautés qui sont instrumentalisés par des leaders politiques. Il y a donc des tireurs des ficelles et ce sont ces acteurs politiques qui manipulent nos jeunes». Selon Kijana, plusieurs forums et dialogues organisés n’ont pas abouti, car «ce sont les mêmes individus, tireurs des ficelles, qui sont appelés comme médiateurs et experts et qui, enfin de compte, ne se disent pas la vérité».[18]

5. QUELQUES RECOMMANDATIONS FINALES

– Libérer la politique et l’administration étatique de toute influence tribale, car elles sont au service de tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique.
– Définir aussi clairement que possible les rôles respectifs de l’administration publique locale et de l’autorité traditionnelle, afin d’éviter toute ingérence.
– Promouvoir des accords diplomatiques avec les Pays voisins, afin de faciliter le rapatriement des membres des groupes armés étrangers encore présents sur le sol congolais.
– Identifier les personnalités politiques, militaires et administratives qui fomentent des divisions et des conflits et engager, à leur encontre, les nécessaires procédures disciplinaires et judiciaires.
– Remplacer les troupes de l’armée (commandants et militaires) présentes sur le territoire depuis de nombreuses années par d’autres provenant d’autres zones militaires, afin d’éviter toute complicité avec des groupes armés, nationaux et étrangers, présents sur le territoire.
– Orienter les opérations militaires vers des objectifs spécifiques, tels que la capture des chefs des divers groupes armés et responsables de nombreuses violations des droits de l’homme.
– Intensifier le financement et la logistique du programme de désarmement et de réinsertion sociale des combattants membres des groupes armés.
– Désigner des personnalités indépendantes, c’est-à-dire n’appartenant à aucune des tribus touchées par le conflit, en tant que membres des missions de médiation entre représentants des différentes tribus locales.
– Organiser les élections locales le plus rapidement possible, de sorte que l’administration locale soit confiée à des personnes élues directement par le peuple et non désignées par les autorités nationales, souvent de manière arbitraire.
– Encourager des projets de développement qui puissent unifier des populations de différentes origines ethniques et offrir aux jeunes un avenir meilleur qui leur permette de quitter les groupes armés.

[1] Cf RFI, 25.10.’19; Thierry Mfundu – Politico.cd, 24.10.’19
[2] Cf Congo Actualité n. 40, 14.10.2004 – Le débat autour du projet de loi sur la nationalité congolaise et le cas des Banyamulenge / https://www.paceperilcongo.it/fr/wp-admin/post.php?post=3783&action=edit&classic-editor
[3] Cf Kivusecurity.org/fr, 25.10.’19   https://blog.kivusecurity.org/fr/exactions-populations-assiegees-tensions-regionales-que-se-passe-t-il-a-minembwe/
[4] Cf Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, 20 juin 2013:
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=60&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjHqZS-ps7lAhUC66QKHXsqDno4KBAWMBN6BAgWEAI&url=http%3A%2F%2Fwww.leganet.cd%2FLegislation%2FJO%2F2013%2FJOS.20.06.2013.pdf&usg=AOvVaw3PkLXahYumNhNTy_R2RhEQ
[5] Cf Kivusecurity.org/fr, 25.10.’19   https://blog.kivusecurity.org/fr/exactions-populations-assiegees-tensions-regionales-que-se-passe-t-il-a-minembwe/
[6] Cf https://www.thepetitionsite.com/it-it/takeaction/957/456/819/
[7] Cf Kivusecurity.org/fr, 25.10.’19   https://blog.kivusecurity.org/fr/exactions-populations-assiegees-tensions-regionales-que-se-passe-t-il-a-minembwe/
[8] Cf Rift Valley Institute – Les rebelles et la ville – septembre 2019
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=41&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjHqZS-ps7lAhUC66QKHXsqDno4KBAWMAB6BAgDEAI&url=http%3A%2F%2Friftvalley.net%2Fdownload%2Ffile%2Ffid%2F5265&usg=AOvVaw3SEBK82Ba53Ff6V85pR-20
[9] Cf RFI, 25.10.’19; Thierry Mfundu – Politico.cd, 24.10.’19
[10] Cf Kivusecurity.org/fr, 25.10.’19   https://blog.kivusecurity.org/fr/exactions-populations-assiegees-tensions-regionales-que-se-passe-t-il-a-minembwe/
[11] Cf Ntanyoma R. Delphin – Easterncongotribune.com, 10.05.’19
https://easterncongotribune.com/2019/05/10/affrontements-dans-les-hauts-plateaux-ditombwe-minembwe-quand-tout-le-monde-a-raison/
[12] Cf Radio Okapi, 09.09.’19; Radio Okapi, 10.09.’19
[13] Cf Justin Mwamba – Actualité.cd, 20.05.’19
[14] Cf Actualité.cd, 06.07.’19; RFI, 07.07.’19
[15] Cf RFI, 20.10.’19
[16] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 20.10.’19
[17] Cf Badibanga poivre D’Arvor – Cas-info.ca, 24.10,’19
[18] Cf Glody Murhabazi – 7sur7.cd, 28.10.’19