Congo Actualité n. 348

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: RÉP. DÉM. DU CONGO → LE NOUVEAU VISAGE DE LA PROTESTATION POPULAIRE

  1. APRÈS LA MARCHE DES CHRÉTIENS LE 31 DECEMBRE 2017
    1. Les déclarations de la Communauté Internationale
    2. Les relations entre le Gouvernement et l’Église catholique
    3. Une messe en mémoire de victimes de la répression du 31 décembre 2017
    4. L’Eglise protestante et la communauté islamique aussi haussent le ton contre le pouvoir

 

 

ÉDITORIAL: RÉP. DÉM. DU CONGO → LE NOUVEAU VISAGE DE LA PROTESTATION POPULAIRE

 

 

 

 

1. APRÈS LA MARCHE DES CHRÉTIENS LE 31 DECEMBRE 2017

 

a. Les déclarations de la Communauté Internationale

 

Le 3 janvier, dans un communiqué, l’Union Européenne (UE) a déploré les violences qui ont été perpétrées par les forces de sécurité le 31 décembre 2017, dans le cadre de la marche des Catholiques, et qui ont « entraîné la mort de plusieurs manifestants et fait de nombreux blessés ».

L’UE a affirmé que «le recours à la violence par les autorités congolaises, y compris pour interrompre des services religieux, visant à réprimer toute tentative de manifestation pacifique, va à l’encontre de la Constitution congolaise qui garantit le droit de manifestation et la liberté de réunion … Le blocage des médias et réseaux sociaux constitue également une grave atteinte à la liberté d’expression». Le communiqué ajoute également que «les autorités congolaises ont le devoir de protéger leurs citoyens et non de les réprimer. Elles doivent redoubler d’efforts pour mettre pleinement en œuvre la décrispation voulue dans l’Accord de la Saint Sylvestre, permettant ainsi de progresser vers des élections crédibles en 2018».[1]

 

Le 3 janvier, dans un communiqué, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a déploré «les pertes en vies humaines enregistrées lors de la marche du 31 décembre» et a demandé aux autorités congolaises de faire la lumière sur tout excès commis par les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions lors de cette manifestation organisée par des laïcs catholiques. Il a exhorté les acteurs politiques congolais à faire preuve de retenue et à s’abstenir de tous actes ou propos de nature à envenimer la situation. Il les a par ailleurs appelé à œuvrer ensemble pour la tenue des élections prévues en décembre 2018 par la CENI.

A ce sujet, le président de la commission de l’UA a plaidé pour que des mesures de décrispation soient prises conformément à la lettre et à l’esprit de l’accord politique de la Saint Sylvestre, en vue de favoriser un environnement propice au bon déroulement de ces élections.[2]

 

Le 3 janvier, dans un communiqué, un porte-parole du ministère français des Affaires étrangères a déclaré que «la France est préoccupée par les violences» survenues le dimanche 31 décembre. «Le droit de manifestation pacifique est une composante essentielle de la démocratie», a souligné le Quai d’Orsay qui a réitéré son «appel au dialogue et au rejet de tout recours à la violence».

Paris «appelle à la tenue effective des élections conformément au calendrier électoral publié le 5 novembre 2017», qui prévoit l’organisation des élections présidentielle, législatives nationales et législatives provinciales le 23 décembre 2018.[3]

 

Le 5 janvier, au cours d’un point de presse à Genève, la porte-parole du Haut Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme (HCDH), Liz Throssel, s’est dite “alarmée” par la répression des manifestations des chrétiens catholiques le 31 décembre et a déclaré que «selon les dernières informations que nous avons recueillies, au moins cinq personnes ont été tuées et 92 blessées. En outre, quelque 180 personnes ont été arrêtées – la plupart ont maintenant été libérées. Les forces de sécurité auraient tiré à balles réelles, des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes, dans certains cas à bout portant. Cependant, nous pensons que les chiffres des victimes des manifestations du 31 décembre pourraient être plus élevés. Nos collègues sur le terrain se sont vu refuser l’accès aux morgues, aux hôpitaux et aux centres de détention. Ils ont été expulsés de ces sites par les forces de défense et de sécurité, et n’ont donc pas été en mesure de mener à bien leur travail de surveillance des droits de l’homme».

Le HCDH a encouragé les autorités congolaises à dialoguer de manière constructive avec l’opposition: «Nous exhortons encore une fois les autorités à engager un dialogue constructif avec l’opposition et à faire en sorte que le droit de tous les Congolais de participer aux affaires publiques de leur pays soit respecté».

Le HCDH a demande au gouvernement de garantir la liberté de tous les citoyens dans un “environnement public tendu”: «Le gouvernement devrait veiller à ce que tout le monde, y compris les opposants politiques, les journalistes et les représentants de la société civile, puisse exercer pleinement son droit à la liberté d’association, de réunion pacifique, d’opinion et d’expression». Enfin, Le HCDH a exigé «des enquêtes crédibles et indépendantes sur le recours présumé à une force excessive, afin que les responsables de violations des droits de l’homme puissent être traduits en justice».[4]

 

Le 9 janvier, au cours d’une réunion “importante” du Conseil de sécurité, le chef du département des opérations de maintien de la paix à l’ONU, Jean-Pierre Lacroix, a condamné les répressions violentes des manifestations du 31 décembre et a réclamé l’ouverture d’une enquête: «Il est essentiel que les autorités nationales compétentes diligentent les enquêtes pour établir les responsabilités et traduire en justice les auteurs présumés de violations des droits de l’homme».

Il a accusé les forces de sécurité congolaises d’avoir empêché les équipes de la MONUSCO d’effectuer des patrouilles lors de la marche des chrétiens catholiques le 31 décembre en RDC: «Je tiens à déplorer les entraves dont les équipes de la MONUSCO qui patrouillaient le 31 décembre ont fait l’objet de la part des forces de sécurité nationale. Les activités liées à l’observation des activités politiques, sécurité et des droits de l’homme font partie du mandat de la MONUSCO et devraient bénéficier du plein soutien des autorités».

Parmi les raisons de la marche des chrétiens, Lacroix a rappelé notamment la crise de légitimité des institutions de la république et a invite les autorités à éviter les situations de confrontation: «Le retard dans le processus électoral, la crise de légitimité des institutions de la République et le manque de progrès vers la mise en œuvre des mesures de décrispation ont engendré des frustrations, de l’impatience et des tensions et ont conduit aux manifestations et aux violences du 31 décembre dernier. Au vu des enjeux, il est essentiel que tous les secteurs de la classe politique congolaise renoncent à tout acte pouvant conduire à des situations de confrontation et des violences».

Jean-Pierre Lacroix a également appelé les dirigeants politiques à se conformer à la constitution, à l’Accord du 31 décembre et au calendrier électoral publié par la CENI pour aboutir à des élections crédibles et à une alternance pacifique: «Il est essentiel que tous les acteurs politiques jouent un rôle constructif dans la mise en œuvre du calendrier électoral, à savoir le gouvernement, la majorité au pouvoir, l’opposition et la société civile. La CENI doit également s’organiser de manière à avoir les élections en temps voulu».[5]

 

Le 9 janvier, en marge d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU sur la RDC, l’ambassadrice des USA aux Nations Unies, Nikki Haley, a condamné les violences qui ont émaillé la marche pacifique des laïcs catholiques organisée le 31 décembre dernier pour la mise en œuvre intégrale de l’accord politique de la Sait Sylvestre 2016. Par la même occasion, elle a une fois de plus demandé au Président Kabila de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle: «Suivre des rapports de telles brutalités et cruautés contre des civils et des enfants innocents dans le plus sacré des lieux est vraiment  horrifiant. Le président Kabila doit rendre ses forces de sécurité plus responsables, respecter les droits de l’homme de ses citoyens et respecter son engagement de ne pas se représenter à des élections crédibles en décembre 2018, conformément à la constitution de la RDC».[6]

 

Le 9 janvier, dans son rapport présenté au Conseil de sécurité, le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, a affirmé qu’aucun progrès «véritable» n’a été accompli dans la mise en œuvre de la décrispation du climat politique, conformément à l’Accord du 31 décembre 2016: «Une nouvelle fois, j’invite le gouvernement à prendre l’initiative en ce qui concerne l’application des mesures de confiance prévues par l’accord du 31 décembre 2016. Je m’inquiète du fait qu’aucun progrès véritable n’ait été accompli dans ce domaine, 107 prisonniers politiques étant toujours en détention et les acteurs politiques et les personnalités de la société civile continuant d’être harcelés. Aucun processus électoral crédible ne peut se dérouler dans un climat de harcèlement et de répression».

António Guterres a aussi évoqué le risque réel de compromission de la tenue des élections au 23 décembre 2018: «Dans le climat actuel de polarisation de la vie politique, le risque est réel que la tenue de ces élections tant attendues soit une nouvelle fois compromise. Ce risque augmentera de jour en jour si toutes les parties prenantes ne s’engagent pas véritablement à œuvrer à l’organisation d’élections libres, équitables et crédibles. J’exhorte tous les acteurs à collaborer à l’application de l’accord du 31 décembre 2016, qui demeure la seule voie viable pour sortir de l’impasse politique actuelle. L’engagement constructif de l’ensemble des principales parties prenantes est plus que jamais nécessaire pour sauver cet accord».

António Guterres a également interpellé le gouvernement sur le financement de ces élections:

«J’engage le Gouvernement à faire en sorte que la CENI reçoive l’appui financier promis et à jouer un rôle moteur dans les efforts visant à élaborer et à mettre en œuvre un plan de sécurisation des élections».[7]

 

b. Les relations entre le Gouvernement et l’Église catholique

 

Le 2 janvier, le Cardinal Laurent Monsengwo avait condamné la répression violente de la marche des chrétiens catholiques par «des prétendus vaillants hommes en uniforme». Cette manifestation pacifique avait été initiée par le Comité laïc de coordination (CLC) pour revendiquer «l’application réelle» de l’accord du 31 décembre 2016.

Le Cardinal Laurent Monsengwo a condamné et stigmatisé les agissements de ces «prétendus vaillants hommes en uniforme», agissements qui s’apparentent malheureusement à la barbarie: «le fait d’empêcher les fidèles chrétiens d’entrer dans les églises pour participer à la célébration eucharistique dans les différentes paroisses de Kinshasa, le vol d’argent et d’appareils téléphoniques, la poursuite, la fouille systématique des personnes et de leurs biens dans l’église et dans les rues, l’entrée des militaires dans les cures de quelques paroisses sous prétexte de rechercher les semeurs des troubles, les tueries, les tirs à balles réelles et à bout portant sur des chrétiens tenant en mains bibles, chapelets, crucifix et statues de la Vierge Marie».

L’archevêque de Kinshasa s’est demandé: «comment ferons-nous encore confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice et l’amour du peuple? Comment ferons-nous confiance à des dirigeants qui bafouent la liberté religieuse du peuple?».

D’un ton ferme, il a également affirmé que «l’instrumentalisation de la liberté religieuse pour masquer les intérêts occultes comme par exemple l’accaparement des ressources, des richesses, le maintien au pouvoir par des méthodes anticonstitutionnelles, peut provoquer et provoque des dommages énormes à la société congolaise».

Il s’est dit convaincu que «l’accord politique global et inclusif parrainé par la CENCO est violé volontairement» et que «il est temps que les dirigeants médiocres dégagent, pour que règnent la paix et la justice en RD Congo».[8]

 

Le Gouvernement

 

Le 3 janvier, au cours d’une conférence de presse, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende Omalanga, a qualifié «d’excessif» le discours du Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya qui, le mardi 2 janvier, avait dénoncé la répression de la marche des chrétiens catholiques par les forces de l’ordre et de sécurité le 31 décembre et avait « conseillé aux dirigeants médiocres de dégager, pour que règnent la paix et la justice en RD Congo »: «Le paradoxe du communiqué  de l’archevêque de Kinshasa suscite plus d’inquiétude et clarifie la position d’une frange de clergés qui semble avoir choisi de se ranger derrière quelques politiciens obstinés dans leur rêve de prendre le pouvoir politique par des moyens non démocratiques et par d’autres voies que celle des urnes».

Mende accuse Monsengwo d’avoir insulté les autorités «démocratiquement élues» ainsi que les forces de l’ordre: «En même temps que l’archevêque de Kinshasa réclame avec raison un Congo des valeurs et non des antivaleurs tout en demandant aux uns et aux autres de faire preuve de sagesse et de retenue, se fait subitement apôtre des insultes et autres maux d’oiseau dont il gratifie certains de ses compatriotes en l’espèce des dirigeants démocratiquement élus de ce pays. En outre, il se permet de traiter de menteurs, d’incapables, de fossoyeurs nos forces de l’ordre».

Par ailleurs, Lambert Mende estime que, dans ses propos, le cardinal-archevêque de Kinshasa ne contribue pas à la pacification des esprits et que, au contraire, il invoque une paix durable pour la RDC par une attitude de mépris et de rejet: «Il incite en même temps les Congolais à la haine et à la confrontation en les opposant les uns aux autres par un discours belliqueux aux accents de combattant puisqu’il endosse volontiers le statut de croisé avec le vocabulaire des révolutionnaires des printemps arabes :  » que les médiocres (sic!) dégagent », expression de l’intention larvée de livrer ainsi quelques dirigeants à la vindicte populaire». Et de rappeler que «l’Etat de droit auquel se réfère le prélat catholique dans son communiqué favorise certes les droits et les libertés, mais n’exonère point les uns et les autres de leurs responsabilités».

Et d’ajouter, l’air dépité: «Il est regrettable que le cardinal soit descendu dans les caniveaux en traitant ses adversaires politiques de dirigeants médiocres. De lui, on aurait attendu des épithètes plus policés. Le peuple congolais a plus besoin des pompiers que de pyromanes».[9]

 

Le 4 janvier, la Majorité Présidentielle (MP) a condamné les propos tenus le mardi 2 janvier dernier par le Cardinal Monsengwo dans sa déclaration dénonçant la répression de la marche initiée par le Comité Laïc de Coordination.

Dans une déclaration lue par son porte-parole André-Alain Atundu à l’issue de la réunion de son bureau politique dirigée par Aubin Minaku, la MP a dénoncé des propos qu’il juge “injustes, injurieux et blessants” de la part du Cardinal en l’endroit des dirigeants du pays. Pour la MP, le Cardinal a, dans ses propos, usé d’un accent qui rappelle ses anciennes prérogatives de président de la CNS et de l’ex HCR-PT.

«Le bureau politique de la majorité présidentielle dénonce de la façon la plus énergique les qualifications injustes, injurieuses et blessantes utilisées par le Cardinal Monsengwo avec un accent de président de la Conférence Nationale Souveraine et Haut Conseil de la République, Parlement de transition envers les dirigeants démocratiquement élus et les forces de la défense dont les patriotisme n’est plus à démontrer», a déclaré André Atundu.

«En toute état de cause, le bureau politique de la MP tient à porter à la particulière attention de l’opinion tant nationale qu’internationale qu’il contient en son sein un grand nombre de catholiques pratiquants et engagés qui ne se reconnaissent ni dans cette initiative hautement politique ni dans les propos de certains évêques», a-t-il ajouté.

La MP a appelé par ailleurs toutes les confessions religieuses et les acteurs politiques à œuvrer pour la tenue des élections à la date indiquée par la CENI, soit le 23 décembre 2018:

«Le bureau politique de la Majorité Présidentielle invite toutes les églises et religions, tous les hommes de bonne volonté, des acteurs politiques, toute tendance confondue, à œuvrer pour la tenue en décembre 2018 d’élections apaisées et non productrices de chaos, conformément au calendrier publié par la CENI suite à l’accord politique et inclusif du 31 décembre 2016».[10]

 

Le 4 janvier, dans un communiqué, les partis et les regroupements politiques de l’opposition représentés au sein du gouvernement Tshibala ont déploré la perte en vies humaines et le recours à la violence quels qu’en soient les auteurs, lors de la marche des chrétiens catholiques du 31 décembre. Ils «condamnent toute manipulation du peuple, conduisant à la désobéissance civile, au désordre, à des actes de vandalisme et de contestation non fondées, de nature à retarder la tenue des élections, dès lors que le processus électoral est entré dans sa phase d’irréversibilité». Pour eux, l’objectif doit être fixé sur l’aboutissement du processus électoral en cours. Ces regroupements promettent de s’impliquer pour faire aboutir le processus électoral. Pour eux, la promulgation de la nouvelle loi électorale, la prise en charge par le gouvernement du budget électoral et la publication du calendrier par la CENI, sont les gages de la tenue effective des élections le 23 décembre 2018. José Makila, Lisanga Bonganga, Azarias Ruberwha, Steve Mbikayi, Ingele Ifoto, Lumeya Dhu Malegi, Emery Okundji, Michel Bongongo, Marie-Ange Mushobekwa, entre autres, appellent le peuple congolais au calme et les leaders relevant des confessions religieuses à la neutralité et à la retenue.[11]

 

Le 5 janvier, le Gouvernement a mis en garde le Comité Laïc de Coordination (CLC) contre toute récidive et a demandé à la justice de se saisir du dossier de la marche du 31 décembre.

Dans le compte rendu du conseil des ministres, le Gouvernement a affirmé que, «pour arrêter le cycle de la violence en perspective pour cette année 2018 et empêcher aux organisateurs de la marche du 31 décembre de récidiver, il demande à la justice de se saisir du dossier et d’établir des responsabilités. Le respect de la loi passe avant les considérations d’opportunité». Le 1er janvier, le CLC avait exprimé son engagement à poursuivre les actions dans les prochains jours après la marche brutalement réprimée par les forces de sécurité dimanche 31 décembre dernier.[12]

 

Le 15 janvier, lors du 6ème Conseil des ministres extraordinaire, le vice-premier ministre en charge de l’intérieur et sécurité, Emmanuel Ramazani Shadary, a accusé le Cardinal Laurent Monsengwo de « tentatives subversives ». Dans sa communication aux membres du gouvernement sur la situation sécuritaire, il a déclaré ceci: «Il en ressort une situation sécuritaire relativement calme sur toute l’étendue du territoire national, avec cependant quelques tentatives subversives, initiées notamment par un membre de la hiérarchie du clergé de l’Église catholique de la ville de Kinshasa». Le ministre de l’Intérieur maintient que «ces tentatives (marches des Laïcs catholiques – ndlr) que des membres de la CENCO ont tenté de rationaliser par la suite dans un communiqué, s’inscrivaient dans un schéma anticonstitutionnel de violence, de désordre et de perturbation du processus électoral, compromettant gravement les intérêts nationaux».[13]

 

L’Église catholique

 

Le 4 janvier, dans une interview accordée à la Radio Vatican, le Cardinal Laurent Monsengwo a commenté sa récente déclaration au sujet de la marche des fidèles catholiques réprimée le 31 décembre par les forces de l’ordre et de sécurité.

L’archevêque de Kinshasa a, d’entrée de jeu, qualifié “du jamais vu” la répression de la marche: «C’est du jamais vu. Ils sont entrés dans nos paroisses y compris la cathédrale, ils ont jeté de gaz lacrymogène dedans. Ils ont empêché les gens de célébrer la messe, c’est du jamais vu. C’est pourquoi j’ai dû parler à ces gens et faire cette déclaration parce qu’on était à la limite du tolérable», a-t-il expliqué.

Pour le prélat catholique, les autorités ont assimilé la marche pacifique de laïcs à une tentative de prise de pouvoir politique. «Ils ont voulu uniquement qu’on applique les accords de la Saint Sylvestre et rien de plus. Naturellement il y en a qui croyaient qu’on voulait leur arracher le pouvoir, mais le pouvoir politique ne nous intéresse nullement. Nous l’avons dit plusieurs fois», s’est défendu Monsengwo.

Selon Monsengwo, cette situation n’inspire pas “confiance” et dénote la “médiocrité” existante dans la “gouvernance”: «On ne peut pas faire confiance aux gens qui sont incapables de protéger la population. Nous avons cité tout un tas de faits: le fait d’empêcher aux gens d’entrer à l’église et participer à la messe, le fait de poursuivre les gens pour voler l’argent de leurs poches, les appareils téléphoniques, la fouille systématique des personnes et de leurs biens dans l’église, ce n’est pas normal et on devait nécessairement réagir. Et c’est à cause de ça que j’ai dû faire cette intervention, pour leur dire que les médiocres doivent dégager et que les gens qui sont capables de gouverner puissent gouverner le pays».

Selon le Cardinal, le pouvoir politique ne devrait pas “enfreindre” la liberté religieuse, car elle est à la base d’autres libertés: «La liberté religieuse est essentielle dans un État de droit. Si on touche à la liberté religieuse, toutes les libertés tombent et on ne peut pas avoir la paix dans le pays. L’église enseigne la doctrine sociale et l’église a le droit d’enseigner cette doctrine sociale, parce qu’elle permet aux chrétiens d’organiser la vie politique de façon que la société aille mieux».[14]

 

Le 5 janvier, dans une lettre adressées aux Évêques du pays, le Nonce Apostolique Luis Mariano Montemayor a affirmé que «le Comité Laïc de Coordination (CLC), un groupe d’intellectuels Catholiques, avait demandé auprès du Cardinal Archevêque de Kinshasa la nécessaire recognition de ses statuts pour être constitué canoniquement comme Association privée. Cette recognition lui a été donnée en manière provisoire et par conséquent, le CLC a personnalité juridique et peut organiser des initiatives dans tout le territoire de l’Archidiocèse». Il a déclaré que «la manifestation du 31 décembre organisée à Kinshasa par le CLC a gagné le support de la  majeure partie des paroisses de l’Archidiocèse. Même plusieurs partis politiques et membres de la Société Civile se sont associés à cette initiative. Malheureusement, la réaction disproportionnée des forces de sécurité congolaises n’a pas respecté le caractère pacifique de cette manifestation». Il a annoncé que, «tenant compte de la popularité de la marche du 31 décembre 2017, il est fort probable que d’autres initiatives seront organisées dans les prochains mois. Il faut donc se préparer à répondre aux éventuelles adhésions dans d’autres Circonscriptions Ecclésiastiques».[15]

 

Le 11 janvier, dans un communiqué publié à Kinshasa, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a dénoncé des attaques contre l’Eglise catholique et sa hiérarchie. Les évêques regrettent que même des hautes autorités du pays se mêlent à cette campagne d’intoxication et de désinformation.

Selon le communiqué, «l’on assiste à une campagne d’intoxication, de désinformation voire de diffamation orchestrée même par des responsables des Institutions de la République contre l’Eglise catholique et sa hiérarchie. Le Peuple congolais en est témoin. C’est inacceptable! Cette campagne de mépris vise particulièrement l’autorité de Son Eminence Laurent Cardinal MONSENGWO, considéré à tort comme instigateur des actions visant à déstabiliser les Institutions en place et à vouloir s’emparer du pouvoir. Nous exigeons des preuves à ces graves accusations portées contre sa personne. La CENCO désapprouve la diabolisation volontairement distillée à l’endroit de Son Eminence le Cardinal, Archevêque de Kinshasa et lui réaffirme son soutien total et sa proximité».

Toujours selon le communiqué, «la CENCO dénonce également toute tentative de division de l’Episcopat congolais orchestrée à des fins politiciennes. L’Episcopat congolais ne peut se diviser ni être dédoublé comme des partis politiques. Partageant les joies et les peines de leur peuple, les Evêques membres de la CENCO restent solidaires les uns des autres dans une communion effective et affective».

La CENCO en appelle au respect des droits aux manifestations pacifiques et à la liberté de culte garantie par la Constitution de la République (cf. Art. 26).

Enfin, «les Évêques de la CENCO demandent au Peuple congolais de demeurer débout et vigilant, de prendre son destin en mains et de barrer pacifiquement la route à toute tentative de confiscation ou de prise de pouvoir par des voies non démocratiques et anticonstitutionnelles».[16]

 

c. Une messe en mémoire de victimes de la répression du 31 décembre 2017

 

Le 6 janvier, dans un communiqué, le Comité Laïc de Coordination (CLC) a annoncé que le Cardinal Laurent Monsengwo dira une messe en mémoire de victimes du 31 décembre 2017:

«En mémoire de nos frères et sœurs victimes de cette répression sauvage, une messe des morts sera dite par son Eminence le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, ce vendredi 12 janvier 2018 à 10h00′, à la cathédrale Notre Dame du Congo».[17]

 

Le 12 janvier, peu avant midi, l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, a célébré une messe en mémoire des victimes de la marche organisée par les laïcs catholiques le 31 décembre dernier, pour réclamer l’application stricte de l’accord de la Saint Sylvestre.

A l’origine de cette messe, comme de la marche du 31 décembre, on trouve le Comité Laïc de Coordination, de l’église catholique. Mais ses membres se sont faits discrets. Un seul d’entre eux était présent dans la cathédrale, le professeur Thierry Nlandu Mayamba, et encore s’est-il éclipsé un peu avant la fin, signe que les menaces de poursuites judiciaires lancées par le gouvernement sont prises au sérieux.

Discrétion aussi pour le cardinal Laurent Monsengwo dans le collimateur du pouvoir après quelques passes d’armes verbales. Il a bien dirigé la messe, mais il a laissé le soin à l’un de ses auxiliaires de prononcer l’homélie.

Dans son homélie, l’évêque auxiliaire de Kinshasa, Monseigneur Donatien Bafwidinsoni a indiqué que pour l’Eglise catholique de la RDC, «le 31 décembre 2017 restera dans l’histoire de la RDC, comme le jour des martyrs de l’accord de la Saint-Sylvestre». Le prédicateur a exhorté les chrétiens congolais à ne pas perdre espoir, estimant que le sang des Congolais versé le 31 décembre va sans doute porter ses fruits dont l’émergence de la démocratie en RDC. Il a accusé les autorités de « mentir » sur le vrai bilan de la marche du 31 décembre, 6 morts dont les noms ont été égrenés à trois reprises durant la messe: «On voudrait cacher la vérité sur ces morts. Nous avons été habitués à des mensonges systémiques. Et si nous avons perdu un frère, une sœur, nous avons gagné des héros parce qu’ils ont mêlé leur sang à celui de tous ceux qui sont morts pour l’alternance au pouvoir, gage de la démocratie», suscitant des salves d’applaudissement et des huées contre le pouvoir.

De son côté, l’abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), a pris la parole pour défendre la légitimité de l’église à peser dans la crise. «Le caractère laïc de l’Etat congolais ne peut pas empêcher l’église catholique d’accomplir sa mission», a-t-il dit. Il a invité les fidèles à «barrer pacifiquement la route à toute tentative de confiscation ou prise de pouvoir par des voies non-démocratiques ou anti constitutionnelles», suscitant de nouvelles réactions enthousiastes.

Plusieurs personnalités politiques de l’opposition ont assisté à cette messe, dont Felix Tshisekedi, Vital Kamerhe et Martin Fayulu. Plusieurs délégués des représentations diplomatiques accréditées en RDC (les ambassadeurs de l’Union européenne, des Etats-Unis, du Canada, de la France, de la Belgique, de la Grande-Bretagne entre autres), ont également pris part à ce culte eucharistique célébré en mémoire des personnes décédées au cours de cette manifestation des chrétiens catholiques. Plusieurs mouvements citoyens étaient également présents, à l’image de Filimbi ou de l’Engagement citoyen pour le changement (Eccha).

Cette cérémonie sous haute tension a connu une fin agitée: la Police Nationale Congolaise (PNC) a dispersé à coup de gaz lacrymogène une marche spontanée de personnes qui avaient participé à la messe. Les faits se sont déroulés entre la Cathédrale Notre Dame et la maison communale de Lingwala sur le boulevard Ex-24 Novembre. Dans la foule, il y avait notamment Felix Tshisekedi (à bord de sa jeep), Vital Kamerhe et Jean-Claude Vuemba. Au moins deux blessé ont été enregistrés.[18]

 

d. L’Eglise protestante et la communauté islamique aussi haussent le ton contre le pouvoir

 

Le 16 janvier, à la cathédrale du Centenaire de l’Eglise du Christ au Congo (ECC), dans la commune de Lingwala, à Kinshasa, on a organisé un culte pour commémorer le 17e anniversaire de la mort de Laurent Désiré Kabila, assassiné le mardi 16 janvier 2001, dans son cabinet de travail, au Palais de Marbre.

Dans son homélie, l’officiant, le Pasteur François-David Ekofo, après avoir rappelé à l’assistance le vœu de Mzee Kabila: « Ne jamais trahir le Congo« , a consacré l’essentiel de sa prédication sur la situation désastreuse de la RDC, «un pays à qui Dieu a tout donné mais aux populations tellement pauvres que le Créateur lui même ne comprend pas comment nous sommes si pauvres».

Dans une longue intervention, le pasteur congolais a appelé les dirigeants du pays à « restaurer l’autorité de l’Etat » sur l’ensemble du territoire, en les appelant au « véritable nationalisme » et à se mobiliser pour léguer à la génération future un pays où l’Etat existe réellement: «J’aime bien l’athlétisme où il y a des courses à pied surtout. Et j’aime spécialement une course: la course de relais où une personne transmet le bâton à une 2e personne, à une 3e et à une 4e. Dans l’histoire du pays, c’est pareil aussi. Nous devons léguer à nos enfants un pays où l’Etat existe réellement. Je dis bien réellement. Parce que j’ai l’impression que l’Etat n’existe pas vraiment et réellement. Il faut renforcer l’autorité de l’Etat. Nous devons léguer à nos enfants un pays où l’Etat est réel, un Etat responsable, où tout le monde est égal devant la loi».

Le Pasteur a appelé les autorités à travailler pour l’intérêt de tous et à instaurer la justice et l’Etat de droit dans le pays: «Nous devons léguer à nos enfants un pays de droit où tous les hommes sont égaux, tout le monde doit être traité sur un même pied d’égalité par la justice quel que soit son rang, ministre, parlementaire, commandant, simple citoyen et quand vous enfreignez la loi de la République, on vous arrête, on vous juge, on vous condamne sans faire aucune distinction entre citoyens».

Le Pasteur François-David Ekofo a demandé aussi aux dirigeants de léguer aux générations futures un pays riche où les habitants pourront manger à leur faim: «Le Congo nous appartient, Dieu a donné la gestion du pays aux Congolais, pas aux étrangers et c’est devant Dieu que les Congolais rendront compte. Frères et sœurs, ne cédons pas un millimètre de notre pays à qui ce soit. Ce que nous avons reçu de nos pères, nous devons le transmettre à nos enfants. Nous avons reçu un pays uni, transmettons à nos enfants un pays uni. Dieu nous a donné beaucoup de richesses, il nous jugera sur base de ce qu’il nous a donné. Nous devons léguer à nos enfants un pays riche, un pays avec une autosuffisance alimentaire. Je reconnais qu’on peut importer la technologie. Mais dépenser le peu de devises que nous avons pour importer à manger, c’est inadmissible pour une RD Congo qui regorge de beaucoup de richesses naturelles».

En vue de permettre au Congo de mieux prospérer, l’officiant a invité tous les pays voisins de la RDC à s’occuper du développement de leur territoire sans penser à spolier un seul millimètre carré de la RDC: «Je dis à nos voisins: Dieu vous a donné votre terre. N’enviez pas la nôtre. Travaillez chez vous au lieu d’envier la RDC et avoir des stratégies pour profiter de nos richesses. Ne prenez pas un centimètre de la RDC, parce que le Congo ne sera pas toujours faible comme il est maintenant. Il va se réveiller un jour».

Le Pasteur Ekofo a enfin plaidé pour le développement des infrastructures de la RDC à l’instar d’autres pays du monde: «Quand on parcourt l’Afrique, il y a des routes qui permettent aux gens de circuler librement mais c’est seulement en arrivant à la frontière de la RDC qu’on remarque qu’il n’y a pas de route. Que ce soit du côté nord ou sud, c’est la même chose. Pourtant la libre circulation des personnes et des biens pourra permettre aux Congolais de se connaître davantage et d’apprendre à cohabiter. La libre circulation permet aussi de consolider l’unité nationale».

Plusieurs personnalités politiques ont pris part au culte de requiem dont le président de l’Assemblée nationale qui a représenté le chef de l’Etat, le Premier ministre, l’épouse de Joseph Kabila et ses enfants, mais aussi la famille de Mzee Kabila et des cadres du PPRD (le parti de Kabila).[19]

 

Le 19 janvier, le représentant légal de la Communauté islamique en RDC, Cheikh Ali Mwinyi M’Kuu, a donné ce vendredi 19 janvier 2018 sa position vis-à-vis de la situation politique actuelle au pays. Dans une interview, il a dressé un tableau sombre suite au non respect des engagements de la part des acteurs politiques congolais: «Le Congo est malade, il nous faut une thérapie de choc. Nous devons nous comporter comme des médecins. Nous devons tout d’abord respecter nos engagements. Si vous avez pris un engagement devant Dieu et devant les hommes, il faut savoir le respecter. Nous devons aussi changer nos mentalités et surtout nous ne devons pas nous flatter, nous devons nous dire la vérité, même si elle blesse».

Alors que des voix s’élèvent de plus en plus pour le respect de l’accord du 31 décembre, signé sous l’égide des évêques catholiques de la CENCO, Cheikh Ali Mwinyi M’Kuu appelle également la classe politique à respecter cet engagement au même titre que la constitution de la République.

«La constitution est un engagement, l’accord de la Saint-Sylvestre aussi», a-t-il martelé.

Le représentant légal de la communauté islamique en RDC, Cheikh Ali Mwinyi N’kuu a déclaré vendredi 19 Janvier qu’il reste “beaucoup à faire” dans l’application de l’accord de la Saint Sylvestre signé le 31 décembre 2016: «Nous soutenons à 100 % l’accord de la Saint Sylvestre. Il reste encore beaucoup à faire dans l’application de cet accord dont dépend la paix électorale».

Parallèlement à l’Eglise catholique, aux mouvements citoyens et à l’Opposition, il a insisté sur la libération des prisonniers politiques, le retour des exilés politiques et l’ouverture des chaînes privées fermées.[20]

[1] Cf Politico.cd, 03.01.’17; Radio Okapi, 03.01.’18

[2] Cf Radio Okapi, 03.01.’18

[3] Cf Politico.cd, 03.01.’18

[4] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 06.01.’18; Radio Okapi, 07.01.’18

[5] Cf Actualité.cd, 09.01.’18; Radio Okapi, 10.01.’18

[6] Cf Actualité.cd, 10.01.’18

[7] Cf Actualité.cd, 10.01.’18

[8] Cf Radio Okapi, 02.01.’18

[9] Cf Actualité.cd, 03.01.’18; Alain Diasso – Agence d’Information d’Afrique Centrale, 03.01.’18

[10] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 05.01.’18

[11] Cf Radio Okapi, 04.01.’17; Zabulon Kafubu – 7sur7.cd, 06.01.’18

[12] Cf Actualité.cd, 06.01.’18

[13] Cf 7sur7.cd, 15.01.’18 ; Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 16.01.’18

[14] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 04.01.’18  https://actualite.cd/2018/01/04/monsengwo-explique-ont-voulu-uniquement-quon-applique-laccord-de-saint-sylvestre-rien-de-plus/

[15] Cf Diacenco.com, 06.12.’18  http://www.diacenco.com/la-nonciature-apporte-son-soutien-au-comite-laic-de-coordination/

[16] Cf 7sur7.cd, 11.01.’18  https://7sur7.cd/new/2018/01/repression-marche-du-31-les-eveques-invitent-les-congolais-a-maintenir-la-pression-contre-le-regime-kabila-communique/ ; Radio Okapi, 11.01.’18

[17] Cf Actualité.cd, 06.’01.’18

[18] Cf Radio Okapi, 12.01.’18; RFI, 13.01.’18; AFP – Africatime, 13.01.’18; Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 12.01.’18

[19] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 16.01.’18; Politico.cd, 17.01.’18; Radio Okapi, 16.01.’18

[20] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 19.01.’18