Conférence épiscopale et majorité présidentielle → deux lectures différentes d’une même réalité

Editorial Congo Actualité n.326 Par le Réseau Paix et Congo

 

Le message des Évêques catholiques

 

Le 23 juin, dans leur message intitulé « Le Pays va très mal. Débout Congolais », les Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) se sont dits «profondément inquiets et préoccupés par la détérioration continue de la situation économique, sécuritaire et humanitaire ainsi que par l’impasse politique actuelle».

– À propos de la situation socio-économique, les Evêques constatent un «recul du taux de croissance, la dépréciation de la monnaie nationale face aux devises étrangères, une diminution du le pouvoir d’achat des familles, l’incapacité d’accéder aux soins de santé primaire et à la scolarité, l’accumulation des arriérés de salaires, l’explosion du chômage des jeunes … La corruption, l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics ont atteint des proportions inquiétantes à tous les niveaux. Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif. Tout cela favorise la grogne sociale, le banditisme et le recrutement de jeunes dans les innombrables milices».

– Sur la situation des droits humains, les Evêques relèvent que «les restrictions du droit à la liberté d’expression et l’interdiction des manifestations pacifiques sont croissantes. Des défenseurs des droits humains, des acteurs politiques et sociaux dont les voix divergent de la pensée du pouvoir sont régulièrement menacés ou font l’objet d’arrestations arbitraires. Les responsables de ces violations ne sont pas poursuivis par la Justice, ni condamnés pour atteintes aux droits humains».

– En ce qui concerne les causes de cette situation, les Évêques affirment que «la situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise socio politique due principalement à la non-organisation des élections prévues, conformément à la Constitution, au mois de novembre 2016. L’Accord politique global et inclusif du 31 décembre 2016 contient des pistes de solutions à la sortie pacifique de cette crise mais, par manque de volonté politique, sa mise en œuvre intégrale est insignifiante. Au mépris de la souffrance de la population, les acteurs politiques multiplient des stratégies pour le vider de son contenu, hypothéquant ainsi la tenue d’élections libres, démocratiques et apaisées. L’Arrangement particulier qui devait être finalisé pour la mise en œuvre de cet Accord a été vidé de sa substance par les engagements particuliers non inclusifs. La loi relative au Conseil National du Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA), organe fondamental dans la mise en œuvre de l’Accord, n’a pas été vraisemblablement inscrite à l’ordre du jour de la dernière session ordinaire du Parlement. Des prétendues solutions mises en place ne contribuent pas à la cohésion nationale. Elles risquent plutôt de hâter l’implosion de notre cher pays».

– À la question de savoir comment peut-on sortir de la crise e qui mine la société congolaise et que doit-on faire, les Evêques répondent: «Le pays va très mal. Mettons-nous debout, dressons nos fronts encore courbés et prenons le plus bel élan (…) pour bâtir un pays plus beau que celui d’aujourd’hui (cf. L’hymne national congolais). Il est impérieux de nous impliquer nous-mêmes, de prendre notre destin en main, sinon notre avenir sera hypothéqué pour longtemps. Face au tableau sombre que présente aujourd’hui notre pays, la pire des choses est le découragement ! Nous vous le demandons instamment: il ne faut céder ni à la peur ni au fatalisme. Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais. C’est inacceptable ! Nous devons prendre en main notre destin commun.

La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que le prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016. Pour bien préparer ces élections, il faut se faire identifier et enrôler, pour que la Commission Electorale Indépendante (CENI) dispose d’un fichier électoral fiable pour convoquer les scrutins dans le délai convenu».

C’est pour cela que les Évêques encouragent «la poursuite de l’éducation civique et électorale (divulgation de la loi électorale et de l’Accord politique du 31 décembre 2016, des moments de prière intense et de jeûne pour la Nation,  ainsi qu’un engagement actif et pacifique de tous,  pour exiger le respect et l’application de l’Accord du 31 décembre 2016 par ses signataires, afin d’éradiquer les causes profondes de nos souffrances».

 

La déclaration de la Majorité Présidentielle

 

Le 28 juin, réuni pour examiner le dernier message de la CENCO, le Bureau Politique de la Majorité Présidentielle (MP) a conclu sa réunion par une déclaration finale.

– En ce qui concerne les causes à l’origine de l’actuelle crise politique, le Bureau politique de la MP a voulu rappelé à l’opinion «les différents obstacles rencontrés sur le chemin de la mise en œuvre du processus de l’Accord politique de la saint Sylvestre. Il s’agit notamment:

– des profondes divisions au sein du Rassemblement;

– des difficultés éprouvées par la CENCO pour concilier les vues de toutes les parties prenantes sur les deux dernières questions de divergence, à savoir la désignation du Premier ministre et celle du Président du Comité National de Suivi de l’Accord et du Processus électoral (CNSA);

– de l’intransigeance et du radicalisme d’une frange de l’opposition politique en dépit de l’orientation donnée par la CENCo sur la question des candidatures au poste de Premier ministre;

– de la politisation malsaine des questions funéraires dans la gestion des affaires de l’Etat;

– de graves suspicions de collusion (des Évêques) avec les personnes concernées par les dossiers relatifs aux mesures de décrispation politique, fondées sur des plaidoyers intempestifs en leur faveur;

– des divulgations d’informations au sujet de certaines questions hautement sensibles des négociations;

– de la mise à mal de la neutralité attendue des Evêques jouant le rôle de bons offices».

– À propos de l’organisation des élections, le Bureau politique de la MP rappelle «les dispositions pertinentes de l’Accord politique du 31 décembre 2016, spécialement en son chapitre IV, point 2 qui stipule que « les parties prenantes conviennent sur l’organisation des élections en une seule séquence présidentielle, législatives nationales et provinciales au plus tard en décembre 2017. Toutefois, le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral, le Gouvernement et la CENI peuvent unanimement apprécier le temps nécessaire pour le parachèvement desdites élections »».

– S’agissant des voies de sortie de la crise, le Bureau Politique de la MP

– affirme que, en tant qu’Eglise au milieu du village, la CENCO devrait éviter tout discours direct ou indirect incitant à la violence et à la désobéissance civile et plaider pour les vertus du dialogue, de la réconciliation, de la concorde et non pas pour la violence;

– recommande au Gouvernement de la République de prendre des mesures urgentes pour soulager la situation sociale des populations congolaises malgré les défis économiques de l’heure, de poursuivre la mise à disposition des moyens nécessaires à la CENI pour la réussite du processus électoral en cours, d’accélérer la pacification du Grand Kasaï pour permettre à la CENI de poursuivre les opérations d’enrôlement;

– Exhorte la CENI à mener à bonne fin le processus d’enrôlement, qui constitue une étape cruciale pour l’adoption d’un calendrier électoral réaliste et crédible;

– appelle la CENCO à jouer adéquatement son rôle spirituel par la diffusion des messages de paix à l’endroit de la population et l’exhorte à rester dans la logique qui a prévalu lorsque les Evêques, au cours de la remise de leur rapport final au Président Joseph Kabila Kabange, ont vivement recommandé à celui-ci d’agir conformément à ses prérogatives de garant de la Nation pour sauver le processus en cours et la démocratie dans notre pays;

– demande à la population congolaise de garder toute sa confiance aux institutions de la République et de ne pas céder aux manipulations des politiciens, déclarés ou non, qui l’incitent à la violence».