Congo Actualité n. 310

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: LE DÉCÈS INATTENDU D’ÉTIENNE TSHISEKEDI EXASPÈRE DAVANTAGE L’ACTUELLE CRISE POLITIQUE

  1. LE DÉCÈS DE ETIENNE TSHISEKEDI
    1. Les préparatifs des funérailles
    2. Une succession qui se préannonce difficile
    3. Les conséquences sur les pourparlers de la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre

 

ÉDITORIAL: LE DÉCÈS INATTENDU D’ÉTIENNE TSHISEKEDI EXASPÈRE DAVANTAGE L’ACTUELLE CRISE POLITIQUE

 

 

 

 

1. LE DÉCÈS DE ETIENNE TSHISEKEDI

 

Le 1er février, le président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Etienne Tshiskedi wa Mulumba, est décédé vers 17 heures 22″, à l’hôpital Sainte Elisabeth à Bruxelles, suite à une embolie pulmonaire, à l’âge de 84 ans. Il était arrivé le 24 janvier après-midi à Bruxelles en provenance de Kinshasa pour subir un « check-up médical » en Belgique.[1]

 

a. Les préparatifs des funérailles

 

Le 3 février, le commissaire provincial de la police, Célestin Kanyama, a annoncé le renforcement des dispositions sécuritaires pour le bon déroulement des obsèques d’Etienne Tshisekedi. Il a également lancé une mise en garde contre ceux qui tenteront de salir la mémoire de l’illustre disparu, en provoquant des troubles pendant cette période de deuil.[2]

 

Le 3 février, le Secrétaire général de l’UDPS, Jean-Marc Kabund, a signé l’acte constitutif portant création d’un comité organisateur des obsèques du président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès social Etienne Tshisekedi. Ce comité, coordonné par Etieni Engondo, un des secrétaires généraux adjoints de l’UDPS, est composé de six commissions: Technique et logistique, Sécurité et protocole, Finance, Communication et information, Mobilisation et information, Secourisme et intervention. Chaque commission est dirigée par un secrétaire national de l’UDPS. La coordination est secondée par trois personnes, toutes de l’UDPS et un rapporteur. «Ce comité est propre à l’UDPS, et c’est lui qui entrera en contact avec les restes des parties, Rassemblement y compris», précise le secrétariat général de ce parti.[3]

 

Le 3 février, dans un communiqué de la présidence, Joseph Kabila a annoncé d’avoir instruit le gouvernement, pour qu’il prenne les dispositions nécessaires en vue de l’organisation des obsèques, de concert avec la famille. Le ministre de la Communication, Lambert Mendé, a assuré qu’une commission gouvernementale présidée par le ministre de l’Intérieur travaille déjà avec la famille.

Mais les choses ne s’annoncent pas aussi simples. Le gouvernement et l’UDPS ont annoncé, chacun de leur côté, la mise en place d’une commission, en vue d’organiser cet évènement. C’est d’abord l’UDPS qui organise, a dit son porte-parole, assurant que les contacts avec le gouvernement se feraient si nécessaire dans un deuxième temps. Même si, explique une autre source au sein de ce parti, on parle déjà d’une prise de contact «informelle».[4]

 

Le 6 février, le frère cadet de Étienne Tshisekedi et évêque de Mweka, Mgr Gérard Mulumba, a affirmé que la nomination d’un nouveau Premier ministre devrait intervenir avant les obsèques: «À Kinshasa, les gens ne sont pas prêts à accepter des obsèques avec ce gouvernement. C’est ce que tout le monde dit et c’est ce que j’ai indiqué aux autorités pour que les obsèques se passent au mieux».[5]

 

Le 6 février, le Secrétaire général adjoint de l’UDPS et porte-parole du Rassemblement, Bruno Tshibala, a déclaré que l’UDPS va officiellement demander au gouvernement d’élever Etienne Tshisekedi au rang de héros national.[6]

 

Le 6 février, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a annoncé que la dépouille d’Etienne Tshisekedi sera exposée au Palais du peuple lors des obsèques officielles qui seront organisées à Kinshasa. La décision a été prise au cours de concertations que le gouvernement a engagées avec les membres de la famille et du Rassemblement. L’UDPS, parti d’Étienne Tshisekedi souhaitait par contre que l’exposition du corps soit faite à la permanence du parti sur la douzième rue Limeté. Lambert Mende a confirmé le déplacement, à la charge du gouvernement, d’une délégation mixte de 15 personnes (5 membres de la famille, 10 de l’UDPS) dirigée par le jeune frère de Tshisekedi, Gérard Mulumba, évêque du diocèse de Mweka, pour Bruxelles. L’objectif est d’entamer les démarches de rapatriement du corps du président de l’UDPS. Lambert Mende a aussi indiqué que le gouverneur de Kinshasa [André Kimbuta] est chargé de discuter avec la famille politique et biologique d’Étienne Tshisekedi sur la question concernant le lieu de l’enterrement.[7]

 

Le 7 février, le porte parole du gouvernement, Lambert Mende, a annoncé la prise en charge totale par le gouvernement, des obsèques d’Etienne Tshisekedi en sa qualité d’ancien Premier Ministre. «Le Gouvernement couvrira toutes les charges relatives à l’organisation des obsèques de Monsieur Étienne Tshisekedi, ancien 1er Ministre», a expliqué Lambert Mende dans un communiqué selon lequel «1. Une Commission spéciale chargée de l’organisation des funérailles est mise en place. Elle est présidée par le vice 1er ministre et ministre de l’Intérieur Ramazani Shadari, assisté du gouverneur de la ville de Kinshasa et des services compétents.

  1. Un avion sera dépêché à Bruxelles pour ramener la dépouille et les membres de la famille se trouvant en Belgique.
  2. Le palais du Peuple à été retenu comme lieu d’exposition de la dépouille pour le recueillement ainsi que les hommages officiels et populaires.
  3. À la demande de la famille, le Gouvernement met à disposition les titres de voyage qui ont été sollicité pour l’ensemble des membres de la famille et pour les cadres de l’UDPS délégués pour se rendre en Belgique cette semaine afin de revenir avec le corps.
  4. Le Gouverneur de la Ville de Kinshasa et la famille conviendront du cimetière où reposera le corps de l’illustre disparu ainsi que des travaux pour un aménagement particulier du site au sein dudit cimetière».[8]

 

Le 8 février, suite au communiqué du gouvernement rendu public le 7 février, annonçant notamment la prise en charge totale des obsèques, la famille d’Etienne Tshisekedi ainsi que l’UDPS ont décidé de mettre fin aux contacts formels entamés avec le gouvernement Badibanga sur l’organisation des funérailles d’Etienne Tshisekedi. «Nous comprenons que ce gouvernement veut politiser les obsèques d’Etienne Tshisekedi avec une forte manipulation dans les médias», a dit un responsable proche de l’organisation au sein de l’UDPS qui a ajouté: «c’est fini, on va se conformer maintenant à la volonté du peuple qui veut que ca soit le gouvernement issu de l’accord du 31 décembre qui doit enterrer Etienne Tshisekedi, pas le présent gouvernement».[9]

 

Le 8 février, dans un communiqué lu au cours d’une conférence de presse organisée au siège de l’UDPS, le secrétaire général de ce parti, Jean Marc Kabund, a annoncé que le rapatriement du corps d’Etienne Tshisekedi est soumis à deux conditions, notamment la mise en place du nouveau gouvernement. «L’UDPS précise que les dates du rapatriement et de l’enterrement de notre héros ne seront connues que si, et seulement si, les deux préalables ci-dessous rencontrent des solutions:

– La fixation du lieu et de la forme de l’enterrement, l’érection d’un mausolée au centre ville de Kinshasa où sera gardé pour l’éternité le corps du père de la démocratie;

– La prise en charge de tous les frais liés aux obsèques par l’Etat, à travers le gouvernement de large union nationale», a déclaré Jean Marc Kabund dans sa conférence de presse, en conditionnant le rapatriement du corps de son président à la formation d’un nouveau gouvernement, tel que prévu dans l’accord du 31 décembre.

Le communiqué fait remarquer que «l’UDPS est très indigné par le comportement récupérateur du régime en place, face au deuil du président du parti Etienne Tshisekedi. L’UDPS n’est pas intéressée par l’offre des titres de voyage faite par l’actuel gouvernement à sa délégation, car le caractère malveillant et ostentatoire de cette offre pousse à croire qu’il s’agit de calculs politiques de mauvais goût, dont l’objectif est de faire du tapage et du marchandage inutiles». Le communiqué précise ensuite que «c’est la famille Tshisekedi et l’UDPS qui coordonnent les cérémonies des funérailles d’Etienne Tshisekedi. Les autres partenaires viennent en appui. L’UDPS ne reconnait aucun autre comité parallèle, notamment celui rendu public par le porte-parole du gouvernement».[10]

 

Alors que l’UDPS conditionne le rapatriement du corps d’Etienne Tshisekedi par entre autres la mise en place du gouvernement de transition, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a affirmé que le nouveau gouvernement ne sera mis en place qu’à l’issue des funérailles: «Nous nous savons que les discussions et les actions relatives à la mise en oeuvre de l’accord sont suspendues jusqu’à la fin des funérailles. C’est la fin des funérailles qui va indiquer la réouverture des discussions». Ce qui est, d’après lui, conforme «aux traditions». Le Porte-parole de la Majorité Présidentielle, André-Alain Atundu, a de sa part qualifié de « chantage » cette décision de l’UDPS.[11]

 

Dans un entretien, Félix Tshilombo Tshisekedi, fils de Étienne Tshisekedi, a demandé à l’actuel Premier ministre congolais de démissionner, pour laisser la place à un nouveau gouvernement de transition. S’exprimant pour la première fois depuis le décès de son père, Félix Tshisekedi a réitéré les exigences de son parti, l’UDPS, qui conditionne le retour de la dépouille d’Étienne Tshisekedi à Kinshasa par la mise en place d’un nouveau gouvernement d’unité nationale dans le cadre de l’accord du 31 décembre dernier, et la construction d’un mausolée. Félix Tshisekedi s’oppose également à la proposition du gouvernement d’enterrer l’opposant historique au cimetière « Entre ciel et terre » dans la commune de Maluku, à l’est de la capitale congolaise.[12]

 

Le 9 février, présent à l’office religieux en mémoire d’Etienne Tshisekedi dans la Basilique de Koekelberg à Bruxelles, Moïse Katumbi a annoncé qu’il va rentrer à Kinshasa avec la dépouille d’Etienne Tshisekedi pour la poursuite des funérailles. Cette annonce intervient alors que celui-ci a été condamné en juin 2016 par la justice congolaise à trois ans de prison ferme pour stellionat est exilé en Europe depuis le mois de mai. Dans le cadre des mesures de décrispation du climat politique dans le pays, les évêques catholiques (CENCO) se sont chargés de son cas jugé « emblématique » lors des pourparlers du centre interdiocésain de Kinshasa.[13]

 

Le 10 février, au cours d’une conférence de presse à Bruxelles, le ministre congolais des affaires étrangères, Léonard She Okitundu, a indiqué que Moïse Katumbi ne pouvait pas accompagner la dépouille de Tshisekedi à Kinshasa parce que, selon lui, son cas n’est pas encore réglé par la commission spéciale mise en place pour gérer les cas dits emblématiques touchés par les mesures de décrispation du climat politique.

Le ministre de la communication et des médias, Lambert Mende, à laissé entendre que le retour de Moïse Katumbi à Kinshasa pourrait provoquer son arrestation. «Il n’a pas un problème avec le gouvernement, il a un problème avec la justice. S’il revient, la justice fera de lui ce qu’elle souhaite. Et donc, s’il revient, ça sera une bonne chose pour lui et pour la justice», a déclaré M. Mende.[14]

 

Le 10 février, dans une interview, le secrétaire exécutif de l’Alternance pour la République, Jean Bertrand Ewanga, a affirmé que le Rassemblement n’a pas conditionné le rapatriement du corps d’Etienne Tshisekedi à l’installation du gouvernement issu de l’accord de la saint sylvestre. «Sur cette question, le Rassemblement n’a levé aucune option claire à ce sujet. Cette question n’a jamais fait l’objet d’un débat au Rassemblement de façon formelle. C’est la position de l’UDPS, mais au niveau du Rassemblement on n’a jamais tablé formellement sur la question», a dit Jean Bertrand Ewanga.[15]

 

Le 13 février, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, l’évêque de Mweka et petit frère du défunt Étienne Tshisekedi, Mgr. Gérard Mulumba, a déclaré que «la famille considère que, pour assurer un climat serein et éviter toute forme de dérive, les obsèques d’Etienne Tshisekedi devraient être consécutives à la mise en œuvre effective de l’accord du 31 décembre». Il a donc invité la CENCO, dans son rôle de médiation, de tout faire pour que les parties prenantes exécutent rapidement les engagements pris dans cet accord. Pour la famille, Etienne Tshisekedi mérite des «obsèques nationales dignes et devant connaître la participation de tous, y compris des représentants de l’Etat congolais pour lequel il s’est donné corps et âme toute sa vie», a souligné Mgr Mulumba.

Dans la même conférence de presse, le fils d’Étienne Tshisekedi et secrétaire général adjoint en charge des questions diplomatiques et politiques de l’UDPS, Félix-Antoine Tshisekedi, a réitéré la volonté de la famille Tshisekedi et de l’UDPS de ne pas voir Samy Badibanga organiser les obsèques d’Etienne Tshisekedi. «La personne du premier ministre pose problème au niveau de la base politique du parti», a-t-il déclaré en soulignant que Samy Badibanga est considéré comme un traître à l’égard du leader défunt Étienne Tshisekedi. «Et la famille tient à respecter le souhait des militants», a fait savoir Félix Tshisekedi Tshilombo. Ceci afin d’éviter les émeutes et le bain de sang, ajoute-t-il. Et de conclure: «Badibanga ne devrait pas être présent aux funérailles. Sa présence serait une maladresse, vu son parcours politique actuel».

Félix Tshisekedi a aussi affirmé que, selon la famille, pour honorer dignement la mémoire d’Étienne Tshisekedi, ses dépouilles devraient être déposées dans un mausolée, mais le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, a rejeté toutes les propositions avancées par la famille sur le lieu où l’on devrait ériger ce mausolée, qu’il s’agisse du Pont Cabu, communément appelé Pont Ngabi, situé à côté du stade des Martyrs, ou du Palais de Justice. Les propositions de la famille étant rejetées, Félix Tshisekedi a dit attendre que le gouvernement désigne le lieu de la sépulture.

Il a également parlé de la mort inopinée de son père, Étienne Tshisekedi, après une « simple intervention au pied » et il a affirmé que la famille envisage une autopsie de son corps.

À certains journalistes qui lui ont demandé si le rapatriement de la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi contre l’application de l’accord de la Saint-Sylvestre, considéré comme le testament politique de l’illustre disparu, ne serait qu’un chantage qu’exercerait la famille et le parti de Tshisekedi sur le régime Kabila, Félix Tshisekedi, légitimé pour parler soit au nom de la famille qu’au non du parti, l’UDPS, a dit clairement qu’il ne s’agit pas d’une conditionnalité, mais d’un souhait. Au cours de la conférence de presse de Bruxelles, il a déclaré que «la mise en œuvre de l’accord politique du 31 décembre est un souhait, c’est une recommandation de la famille. Ce serait bien de conclure les pourparlers en cours, parce que manifestement, c’est ça qui est à la base de la tension. La population refuse que ce soit le gouvernement Badibanga qui soit chargé d’organiser les funérailles d’Etienne Tshisekedi». D’après lui, «la famille souhaiterait que l’arrangement particulier de l’accord signé le 31 décembre soit conclu, pour que le nouveau gouvernement se charge des funérailles, ce qui apaiserait les tensions. Mais la famille n’en fait pas une exigence ou une condition, moins encore un préalable ou une obligation. Je tiens à le préciser», a souligné Félix Tshisekedi.[16]

 

Le 17 février, dans une correspondance adressée au gouverneur André Kimbuta, l’UDPS a suggéré au gouvernement provincial de Kinshasa quatre sites pour l’enterrement de son président Etienne Tshisekedi. Il s’agit de : «la place de l’indépendance en face du palais de la justice dans la commune de Gombe, la place pont Cabi dans la commune de Kasavubu, l’esplanade du palais du peuple dans la commune de Lingwala, la commune de Limete entre 7è et 12 ième rues». Pour rappel, les 2 premiers sites avaient déjà été rejetés par l’autorité municipale.

L’hôtel de ville de Kinshasa a de sa part convié l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ce 20 février à une réunion, pour examiner les propositions de ce parti politique relatives au site d’inhumation d’Etienne Tshisekedi.[17]

 

Le 20 février, le gouverneur de la ville province de Kinshasa, André Kimbuta, a proposé qu’Etienne Tshisekedi , autorité morale de l’UDPS décédée le 1er février en Belgique, soit enterré au cimetière de la Gombe dans le centre de Kinshasa. Il l’a proposé à une délégation de la famille politique et biologique d’Etienne Tshisekedi conduite par le secrétaire général de l’UDPS, Jean Marc Kabund, au cours d’un échange à l’hôtel de ville de Kinshasa. Cette délégation s’est opposée à la proposition du gouverneur et a sollicité de ce dernier de permettre l’inhumation de Tshidekedi à la permanence de l’UDPS, dans la commune de Limeté. Les deux parties se sont séparées sans entente.[18]

 

b. Une succession qui se préannonce difficile

 

La mort brusque d’Etienne Tshisekedi ouvre la voie à un débat sur les conséquences politiques de sa mort. Quelle sera la suite des travaux suspendus sur les arrangements particuliers de l’accord du 31 décembre 2016? A qui reviendra la Présidence du Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA) confiée à Tshisekedi du fait de son poids politique et historique? Quel sera le nouveau leadership au sein du Rassop? Quel sera l’avenir de son parti politique? Quelle sera l’attitude du président Kabila?[19]

 

Étienne Tshisekedi était président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), le principal parti de l’opposition.

Selon deux de ses anciens collaborateurs, les statuts modifiés par le président national lui-même en dehors du Congrès, prévoient que, en cas d’empêchement, de décès ou de démission du numéro 1 du parti, la gestion se fasse collégialement entre le Secrétaire général du parti, le président de la Convention démocratique -le parlement du Parti- et le président de la commission électorale permanente. La période intérimaire est de 30 jours avant de convoquer le Congrès pour designer son successeur. Malheureusement, en dehors du secrétariat général, le président du parti n’avait pas mis en place les deux autres structures. Ni la Convention démocratique, moins encore la commission électorale permanente. En l’absence de ces deux structures et de leurs animateurs, il n’y aura pas moyen de parler de gestion collégiale. C’est seul Jean-Marc Kabund qui pourrait succéder à Étienne Tshisekedi pour trente jours, jusqu’à la convocation du Congrès.

«Ce qui n’est pas évident pour le moment», explique un ancien secrétaire général de l’Udps. Les moyens matériels et logistiques faisant défaut présentement. Au lieu de 30 jours, l’Udps pourra prendre trois mois pour désigner le vrai successeur d’Étienne Tshisekedi. La réalité est que l’Udps est minée par de guerres intestines, et surtout divisée en deux grands courants. Le courant Félix Tshisekedi et le courant Valentin Mubake. Le premier: fils de Etienne Tshisekedi, modéré, progressiste et ouvert avec un ancrage dans le fief de son père dans l’espace Kasaï, élu député à Mbuji- Mayi en 2011 avec le meilleur score. Le second: radical, conservateur mais surtout loyal et intègre, non élu député national à Bukavu au Sud-Kivu (son bastion). Les deux se disputaient toujours le leadership autour du vieux.[20]

 

Selon un autre membre du parti, en leur article 27, les statuts de l’UDPS confèrent la gestion du parti, en cas de vacance, au président de la Convention démocratique du parti pour un délai ne dépassant pas 30 jours, au cours desquels il est tenu de convoquer une session extraordinaire du Congrès en vue d’élire un nouveau Président du Parti. Pourtant avec le refus de l’Udps de reconnaitre ses membres qui ont accepté de siéger au parlement, cet organe est vidé à l’heure actuelle de 3/5 de sa composition. Statutairement, les membres composant cette structure sont les Députés nationaux et Sénateurs élus sur la liste du Parti, les Ministres et mandataires du Parti, la Présidence du Parti, les Présidents des Comités Fédéraux ainsi que les Présidents des Conventions Démocratiques Fédérales. A l’heure actuelle, Seules les deux dernières composantes sont fonctionnelles.[21]

 

Étienne Tshisekedi était aussi le président du Comité des Sages du Rassemblement de l’Opposition (RASSOP). Son adjoint était feu Charles Mwando Nsimba, en sa qualité de président du G7. Il est décédé lui aussi en Belgique en décembre dernier. Conséquence: les deux postes sont vacants. En principe, c’est Pierre Lumbi, président actuel du G7 et normalement vice-président du Rassemblement qui devrait en assurer la présidence intermédiaire. Toutefois, selon un des cadre du RASSOP, l’homme en question (Pierre Lumbi) est bien contesté, pour avoir travaillé jusqu’à il y a peu avec le président Joseph Kabila, comme son principal conseiller en matières de sécurité.[22]

 

À propos de la présidence du Conseil des sages du Rassemblement exercée par feu Étienne Tshisekedi jusqu’au 1er février, la succession s’annonce difficile. Présidence tournante à la tête de la plus grande plateforme de l’opposition est l’une des pistes avancée par Félix Tshisekedi pour combler le grand vide laissé par son défunt père. Selon le numéro 2 de l’UDPS, «le poste de président du Conseil des sages du Rassemblement avait été taillé à la mesure de Tshisekedi».

«Il n’y a plus de personne de la carrure de Tshisekedi au Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement», se désole-t-il. «Il avait été porté à ce poste du fait de sa carrure et non pas comme président de l’UDPS», a encore déclaré Félix Tshisekedi. «Vu que nous n’avons plus une personne de cette carrure, il faut envisager un directoire pour la gestion du Conseil des sages», a-t-il conclu. Entre-temps, Moïse Katumbi s’y verrait bien à ce poste. Un moyen selon ses lieutenants d’accentuer la pression sur Kabila, car le président du Rassemblement est ipso facto le président du Conseil National de Suivi de l’Accord de la Saint-Sylvestre (CNSA).[23]

 

Selon l’accord du 31 décembre, Etienne Tshisekedi, en qualité de président du Comité des Sages du RASSOP, était désigné aussi comme président du Conseil National de Suivi de l’Accord du 31 décembre 2016 (CNSA). Il devait en être notifié le 26 janvier. Son décès entraîne donc la vacance à la présidence de cet organe aussi. Pendant les dernières négociations, les parties prenantes s’étaient entendues sur le fait que l’intérim à la tête du CNSA soit tournant (entre les trois vice-présidents), rejetant l’idée de la préséance. Reste à savoir qui d’entre les vice-présidents devra assumer en premier ce rôle.[24]

 

c. Les conséquences sur les pourparlers de la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre

 

La mort d’Étienne Tshisekedi rebat complètement les cartes du jeu politique national et augure mal d’une mise en œuvre rapide de l’accord signé péniblement le 31 décembre. «Ce décès vient faciliter la remise en cause progressive de l’accord […] par la Majorité présidentielle», estime l’économiste et politologue congolais Justin Kankwenda. «La majorité, qui avait accepté de reconnaître le statut de président du Conseil de suivi [de la transition politique (CNSA)] à Tshisekedi intuitu personae pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettra en cause l’ensemble de l’accord», déclare cet ancien haut-fonctionnaire onusien.

Pour Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale enseignant à Sciences-Po Paris, «le décès de Tshisekedi arrive au plus mauvais moment pour la mise en place de la nouvelle transition». «Il va falloir se mettre d’accord sur une nouvelle personnalité d’opposition [à la tête du CNSA], alors même qu’il y avait déjà un désaccord sur la nomination du Premier ministre», poste brigué par le propre fils de Tshisekedi, Félix, dit M. Vircoulon. «Cela va donc relancer les négociations entre le camp présidentiel et l’opposition et permettre de perdre encore du temps. Les élections en décembre 2017, dont le calendrier n’était déjà pas très réaliste, sont de plus en plus compromises», pronostique-t-il.

Pour l’heure, toutes les familles politiques congolaises semblent respecter une sorte de trêve en mémoire de Tshisekedi, qualifié, même du côté du pouvoir de «père de la démocratie congolaise», pour son rôle lors de l’ouverture démocratique du début de la décennie 1990.

Mais passées les funérailles, dont la date n’est pas encore connue, la politique devrait reprendre son cours normal. Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté sur le «partage du gâteau», selon l’expression congolaise consacrée: la distribution des portefeuilles plus que la façon d’organiser concrètement les élections dans le temps convenu avec un budget national mis à mal par la baisse des matières premières.[25]

 

Déjà depuis les premiers jours après l’annonce du décès, à Limete, dans le quartier de la permanence de l’UDPS et de la résidence d’Etienne Tshisekedi, les combattants étaient formels. Hors de question que le corps ne rentre avant que le nouveau gouvernement issu de l’accord de la Saint-Sylvestre ne soit mis en place. Personne d’autre que le Premier ministre désigné par l’UDPS ne doit recevoir le corps de notre leader, mettaient-ils en garde, promettant des troubles dans le cas contraire. Les cadres de l’UDPS et du Rassemblement aussi veulent voir le deuil et les obsèques organisées par le nouveau gouvernement qui sera issu de l’accord du 31 décembre. Déjà le 2 février, un groupe de militants de l’UDPS avait manifesté devant la résidence d’Etienne Tshisekedi pour réclamer la sortie du gouvernement issu de cet accord.[26]

 

Avec la disparition d’Étienne Tshisekedi, le Rassemblement a perdu un de ses principaux moyens de pression et facteur d’unité. Une partie des membres de cette plateforme craint désormais que le pouvoir ne s’estime plus contraint de nommer un Premier ministre issu du Rassemblement. Ils envisagent d’utiliser les obsèques (et les débordements qu’elles pourraient occasionner) comme moyen de pression pour obtenir sa mise en œuvre rapide.[27]

[1] Cf Radio Okapi, 01.02.’17; Actualité.cd, 01.02.’17

[2] Cf Radio Okapi, 03.02.’17

[3] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 04.02.’17

[4] Cf RFI, 03.02.’17

[5] Cf Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 07.02.’17

[6] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 07.02.’17

[7] Cf Radio Okapi, 07.02.’17; Stanys Bujakera – Actualité.cd, 07.02.’17

[8] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 08.02.’17

[9] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 08.02.’17

[10] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 08.02.’17; Radio Okapi, 08.02.’17; texte complet du communiqué: Le Phare – Kinshasa, 09.02.’17 http://www.congosynthese.com/news_reader.aspx?Id=19690

[11] Cf Politico.cd, 05 et 09.02.’17

[12] Cf Politico.cd, 09.02.’17

[13] Cf Jacques Kini – Actualité.cd, 09.02.’17

[14] Cf Actualité.cd, 10.02.’17; Politico.cd, 10.02.’17

[15] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 10.02.’17

[16] Cf Actualité.cd, 13.02.’17; Berckmans Kitumu – 7sur7.cd, 13.02.’17; Radio Okapi, 13.02.’17

[17] Cf Stanys Bujakera et Franck Ngonga – Actualité.cd, 17.02.’17

[18] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 20.02.’17

[19] Cf Joseph Kazadi – 7sur7.cd, 01.02.’17

[20] Cf Joseph Kazadi – 7sur7.cd, 01.02.’17

[21] Cf Berckmans Kitumu – 7sur7.cd, 01.02.’17

[22] Cf Alphonse Muderhwa – 7sur7.cd, 01.02.’17

[23] Cf Berckmans Ktitumu – 7sur7.cd, 13.02.’17

[24] Cf Patient Ligodi – Actualité.cd, 02.02.’17

[25] Cf AFP – Africatime, 03.02.’17

[26] Cf RFI, 03.02.’17

[27] Cf Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 07.02.’17