Congo Actualité n. 295

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: NON À LA VIOLENCE POUR RESOUDRE UNE CRISE POLITIQUE!

  1. LES VIOLENCES DU 19 ET 20 SEPTEMBRE À KINSHASA
    1. Une préparation concordée dans la précipitation du dernier moment
    2. Les évènements
    3. Les déclarations de la Communauté Internationale
    4. Le message du Chef de l’État et les dispositions du Procureur de la République
    5. L’Opposition recoure à la justice
    6. Pour comprendre ce qui s’est passé

ÉDITORIAL: NON À LA VIOLENCE POUR RESOUDRE UNE CRISE POLITIQUE!

LES VIOLENCES DU 19 ET 20 SEPTEMBRE À KINSHASA

a. Une préparation concordée dans la précipitation du dernier moment

Le 1er septembre, dans une lettre adressée au gouverneur de la Ville Province de Kinshasa, André Kimbuta, les Forces Novatrices de l’Union et la Solidarité (Fonus) de l’Opposant Joseph Olengankoy l’avaient « informé » de l’organisation d’une marche pacifique prévue pour le 19 septembre. En réponse, le gouverneur André Kimbuta Yango avait invité les organisateurs à une « séance de travail » le jeudi 15 septembre 2016 pour en définir les modalités.[1]

Le 13 septembre, le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement a appelé à manifester le 19 septembre, au pays comme à l’étranger, en organisant des « sit in » devant la CENI et les postes diplomatiques à l’étranger, afin d’exiger la convocation immédiate et sans délai du scrutin présidentiel (art.73 de la Constitution) et de rappeler à Joseph Kabila un préavis de 3 mois qui prend effet le 19/09/2016 et se termine le 19/12/2016, date à laquelle expire son 2ème et dernier mandat présidentiel à la tête de la République Démocratique du Congo. La date du 19 septembre correspond à la date limite fixée par la Constitution congolaise pour convoquer l’élection présidentielle (trois mois avant le terme du mandat présidentiel).[2]

Le 15 septembre, Joseph Olengankoy, Franck Diongo, Lisanga Bonganga et Jean-Marc Kabund, tous membres du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, ont participé à une « séance de travail » avec le gouverneur de la ville-province de Kinshasa, André Kimbuta, en vue des derniers accords sur la manifestation du 19 septembre à Kinshasa. Les deux parties sont encore en discussions.

Toutefois, le président des Forces novatrices de l’union et la solidarité (Fonus), Joseph Olengankoy, a déjà annoncé que, à l’issue de cette « séance de travail », le Rassemblement a obtenu l’accord du gouverneur pour les sit-ins du 19 septembre 2016 devant les sièges de la CENI. «Le gouverneur a pris acte et il nous a rassuré sur la sécurité des manifestants», a déclaré Joseph Olengankoy à l’issue de la « séance de travail » avec André Kimbuta.[3]

Le 16 septembre, André Kimbuta, gouverneur de la ville de Kinshasa, n’a pas encore donné le go permettant au Rassemblement d’organiser sa marche suivi du sit-in devant le siège de la CENI le lundi 19 septembre 2016. L’Hôtel de ville attend des organisateurs des précisions sur l’heure et le lieu du départ en plus de l’itinéraire de la marche. L’autorité urbaine a souligné également que le siège de la CENI est inviolable et par conséquent les manifestants ne seront pas autorisés à l’atteindre.

Le ministre provincial de l’Intérieur de Kinshasa, Emmanuel Akweti, a déclaré que «Les organisateurs n’ont pas signalé le point de départ de cette marche. Ne sachant pas d’où partirait cette manifestation ni par quel chemin les manifestants vont passer, l’autorité urbaine a souhaité avoir des précisions auprès des signataires de la correspondance. La délégation de l’opposition a promis de se concerter avant de revenir vers le gouverneur pour apporter des précisions. Le gouverneur a souligné que dans les zones prioritaires pour la ville de Kinshasa, la commune de la Gombe est exemptée des manifestations publiques. Il a aussi rappelé une disposition légale qui déclare le siège de la CENI inviolable. Nous attendons que les organisateurs apportent des précisions pour permettre au gouverneur de leur adresser une lettre définitive. S’ils ne nous donnent pas ces précisions, nous ne serons pas à mesure de sécuriser et si c’est le cas, nous prendrons des dispositions conformément aux lois de la république».

Contacté, Joseph Olenghankoy, qui avait signé la correspondance de l’opposition, n’a pas contredit Emmanuel Akweti et a déclaré que ces précisions vont être transmises à l’autorité urbaine au plus tard samedi 17 septembre.[4]

Le 17 septembre, André Kimbuta, gouverneur de la ville de Kinshasa, s’est rendu au siège du parti FONUS pour discuter avec les délégués du Rassemblement au sujet de la manifestation du 19 septembre 2016 à Kinshasa. À la sortie de cet entretien, André Kimbuta a déclaré que «c’est seulement aujourd’hui que je confirme que je vais prendre acte de la marche du Rassemblement. Nous nous sommes mis d’accord que la marche partira de la place de l’Echangeur jusqu’au Boulevard Triomphal. Cette marche passera par les avenues Libération, Kalembelembe et Kasavubu. Après le meeting, une délégation de l’opposition se rendra à la CENI pour déposer leur mémo. Il n’y aura pas de sit-in».[5]

b. Les évènements

Le 19 septembre, le président du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, Etienne Tshisekedi, a adressé au président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Corneille Nangaa, une lettre dont voici quelques extraits: «La Constitution vous enjoint, impérativement en son article 73, de convoquer le scrutin pour l’élection présidentielle 90 jours avant la fin du mandat du président de la République en fonction. En l’occurrence, ce lundi 19 septembre 2016 est la date à laquelle la Ceni est tenue d’appeler le peuple congolais à l’élection du nouveau président de la République en remplacement de Joseph Kabila dont le second et dernier mandat expire le 19 décembre 2016 … C’est pourquoi, le Rassemblement, au nom du peuple souverain de la RDCongo, vous enjoint de convoquer l’élection présidentielle d’ici 23:59, faute pour vous acquitter de ce devoir, le Rassemblement invite l’ensemble de la Commission à en tirer toutes les conséquences, notamment en démissionnant pour laisser aux Congolais la liberté d’organiser un processus électoral crédible, libre, démocratique, transparent et conforme à la Constitution. Par ailleurs, le Rassemblement informe la Ceni que, pour parer à sa défaillance, il adresse ce jour à Joseph Kabila le préavis de 90 jours, qui court pour la fin de son second et dernier mandat pour célébrer l’avènement d’un nouveau président à la tête de l’État à la date du 20 décembre 2016».[6]

Le 19 septembre, à Kinshasa, l’opposition a organisé la marche prévue pour exiger à la commission électorale de convoquer l’électorat pour l’élection présidentielle, comme prévu dans la constitution, et pour rappeler au président de la République, Joseph Kabila, un préavis de trois mois avant l’expiration de son deuxième et dernier mandat présidentiel, le 19 décembre 2016. Toutefois, déjà avant que la marche ne commence, dans certains quartiers de la ville, on a enregistré des affrontements entre les manifestants de l’opposition et la police anti-émeutes. [7]

La manifestation devait commencer à 13h00, mais elle a été dispersée et annulée avant même son commencement. Pouvoir et opposition se rejettent la responsabilité des affrontements.

Selon la société civile, les échauffourées ont débuté dans la matinée, alors que des manifestants tentaient de rejoindre le point de ralliement de la mobilisation, près de l’échangeur du quartier de Limete. Selon Georges Kapiamba, président l’ACAJ (l’Association Congolaise pour l’accès à la justice), «la police avait bouclé tout le quartier de l’université et tentait d’empêcher les jeunes de rejoindre le point de ralliement. C’est alors que les jeunes ont répliqué».[8]

Selon Martin Fayulu, membre de la dynamique de l’opposition, lui aussi blessé à la tête par un projectile, «la marche était parfaitement pacifique quand, arrivé sur le boulevard Triomphal qui mène au Parlement, les forces de l’ordre ont commencé à réprimer la manifestation violemment».[9]

Du côté de la majorité, Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, explique que la manifestation n’était pas pacifique. C’est la raison pour laquelle les autorités ont finalement décidé de l’interdire. Il a affirmé que «On s’est rendu compte que ce n’était pas une manifestation pacifique que l’opposition avait préparée, mais un schéma de guerre civile, avec des actes de destruction et de vandalisme. On a alors décidé d’annuler cette manifestation, parce qu’elle visait simplement à perturber l’ordre public».[10]

Dans une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab, a affirmé que «la ville de Kinshasa a dû faire face à un vrai mouvement insurrectionnel».[11]

Aux cris de « Kabila dégage! » ou « Kabila doit partir! », des jeunes ont érigé des barricades et incendié des pneus sur la chaussée. On a signalé des cas de pillages, de vandalisme et d’incendies de véhicules. Vers 11h00 (10h00 GMT), les policiers ont dispersé à coup de grenades lacrymogènes plusieurs centaines de manifestants qui leur lançaient des pierres et qui tentaient d’avancer vers le Palais du Peuple (Parlement).[12]

Les manifestants ont pillé et incendié certains sièges de quelques partis politiques membre de la Majorité Présidentielle ou proches d’elle: celui du PPRD, le parti présidentiel, situé à Limete industriel; celui, toujours du PPRD, situé dans la communauté de Kalamu; celui du RCD situé à Limete et celui de la CNC de Pius Mwabilu. On a déploré aussi plusieurs cas de pillages et incendies ayant visé des bâtiments publics, comme des écoles, des tribunaux, des postes de polices.[13]

Pendant la nuit du 19 au 20 septembre, des sièges de quatre partis d’opposition, dont celui de l’UDPS, du FONUS, de l’Ecidé, et du MLP, ont par ailleurs été saccagés, puis incendiés, par des militaires lourdement armés.[14]

Le 20 septembre, les affrontements entre manifestants et policiers se sont poursuivis toute la journée. Comme la veille, plusieurs symboles de l’État, comme des postes de police, ont été attaqués. Il y a eu aussi plusieurs pillages. Vers 19h30 (18h30 GMT), le calme semblait être revenu dans la plus grande partie de la ville. Les violences de ces deux jours ont fait 50 morts selon le Rassemblement de l’opposition, 17 (3 policiers et 14 « pillards ») selon les autorités. Selon Ida Sawyer, chercheuse de l’ ONG Human Rights Watch (HRW) récemment expulsée du Congo, le bilan serait de 37 civils tués par les forces de sécurité » (dont 17 pour la seule journée de mardi) et de 6 policiers et un membre du parti présidentiel tués par les manifestants.[15]

Le 21 septembre, le porte-parole de la Police Nationale Congolaise (PNC), le colonel Mwana Mputu, a affirmé que le bilan provisoire des manifestations du 19 et 20 septembre à Kinshasa, est de trente-deux morts, dont quatre policiers, et de cent quatorze personnes interpellées.

La PNC indique que 19 personnes sont mortes lundi et 13 autres mardi. Parmi les 13 morts de mardi, le district de Mont Amba est en tête avec 9 morts, suivi de Funa avec 2, tandis que Lukunga et Tshangu ont enregistré chacun un mort. Sur les 114 personnes interpellées, 41 ont déjà été déférées auprès du ministère public pour être présentées devant les juges en procédure de flagrance. 77 étaient en train d’être verbalisées.

Dans son bilan la police parle des dégâts matériels importants enregistrés rien que pour la journée de mardi dont un commissariat et douze sous-commissariat qui ont été pillés et incendiés à travers tous les districts. 4 sièges de partis politiques de l’opposition incendiés. Il s’agit de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi, de l’Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECIDE) de Martin Fayulu, des Forces Novatrices pour l’Unité et la Solidarité (FONUS) de Joseph Olengankoy et du Mouvement Lumumbiste Progressiste (MLP) de Franck Diongo

Le colonel Mwana Mputu évoque également le pillage de l’Université du CEPROMAD à Masina, le Tribunal de paix de N’djili, deux station-Essence de Cobil au niveau de l’intendance générale de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), l’Institut Mont Amba et deux agences de Banque internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC) et Ecobank. Il y a aussi les résidences privées qui ont été visitées et des véhicules détruits, déplore la police.

La PNC affirme avoir été appuyée dans le rétablissement de l’ordre public pendant les deux jours par l’armée nationale.[16]

Le 22 septembre, dans un communiqué, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a affirmé que, suite aux violences du 19 et 20 septembre à Kinshasa, au moins 50 personnes, dont quatre policiers, ont été tuées, 77 autres personnes blessées et quelque 300 personnes auraient été arrêtées.

  1. Zeid a «condamné fortement» les attaques par des assaillants non identifiés contre le siège du parti au pouvoir, un tribunal, une école et plusieurs bâtiments gouvernementaux, dont des stations de police, et d’autres actes criminels, parmi lesquels des pillages et des destructions de propriété.

Zeid Ra’ad Al Hussein a déclaré avoir reçu des rapports indiquant que, dans certains quartiers de la capitale, la Garde républicaine, l’Agence nationale de renseignements (ANR) et la Police nationale congolaise (PNC) avaient mené des raids et des perquisitions dans des résidences privées empêchant les civils de quitter leurs maisons pendant plusieurs heures. «Des civils ont été tués par des tirs dans la tête ou à la poitrine, et je condamne fortement la force excessive dont ont clairement fait usage les forces de défense et de sécurité à l’encontre de manifestants dans la capitale», a-t-il souligné. Il s’est dit particulièrement choqué par des rapports selon lesquels «des hommes en uniforme ont directement pris part à certaines des attaques contre les sièges de six partis politiques d’opposition, dont celui de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS)». À ce propos, il a insisté sur le fait que des «comptes devaient être rendus pour la mort de dizaines de civils et autres violations des droits de l’homme commises lors de la flambée de violence survenue en début de semaine». «J’exhorte donc le gouvernement à retirer la Garde républicaine des rues sans aucun délai et à déployer, à la place, des forces de police formées de manière adéquate et dotées d’un équipement approprié pour contrôler les foules», a-t-il dit.[17]

c. Les déclarations de la Communauté Internationale

Le 19 septembre, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, se dit profondément préoccupé par les affrontements violents qui ont opposé des manifestants et les forces de l’ordre à Kinshasa. Ban Ki-moon condamne la violence et exhorte tous les dirigeants politiques concernés et leurs partisans à s’abstenir de tout autre acte susceptible d’aggraver la situation. Il appelle «les autorités congolaises à s’assurer que les forces de sécurité nationales exercent la plus grande retenue face aux manifestations». Le secrétaire général de l’ONU invite également tous les dirigeants politiques à résoudre leurs différends pacifiquement et par le dialogue, conformément à la résolution 2277 (2016) du Conseil de sécurité.

Pour sa part, dans un communiqué, l’Union Européenne appelle toutes les parties à faire preuve de retenue. L’UE estime que les violences qui ont éclaté dans la ville de Kinshasa «font suite à la non-convocation des élections présidentielles dans les délais constitutionnels». Pour l’UE, il faut donc que le calendrier électoral soit connu au plus vite, et le report des élections présidentielles et législatives aussi court que possible. Selon l’UE, la crise ne saurait être résolue par la violence, d’où qu’elle vienne. L’UE fait savoir que «les faits de cette journée rappellent l’extrême urgence de parvenir à la conclusion d’un dialogue politique inclusif, substantiel et dont les résultats sont respectueux des principes constitutionnels ainsi que de la résolution 2277 du Conseil de Sécurité de l’ONU».

Les Etats-Unis condamnent également les violences qui ont éclaté à Kinshasa. Ils appellent toutes les parties à faire preuve de retenue et à éviter les provocations, précisant que le gouvernement congolais a «la responsabilité première de protéger les droits de l’homme, y compris le droit de réunion pacifique et la liberté d’expression». Pour les Etats-Unis, les événements qui se sont produits à Kinshasa démontrent «la nécessité d’un processus de dialogue véritablement inclusif visant à parvenir à un consensus sur la tenue d’élections présidentielles et garantissant la première passation démocratique du pouvoir».[18]

Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, a jugé «très dangereuse et extrêmement préoccupante» la situation en RDC. «Ce qui compte c’est la date des élections», a-t-il déclaré, en ajoutant que, «si elles sont reportées sans cesse, cela veut dire que Kabila a l’intention de rester au pouvoir. C’est une situation qui n’est pas acceptable».

Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères belge a appelé à « la retenue » et voulu inciter tous les acteurs politiques en RDC à «oeuvrer de manière pacifique pour l’organisation d’élections à brève échéance».[19]

Le 21 septembre, en condamnant les violences perpétrées à Kinshasa, le Conseil de Sécurité de l’ONU a «appelé toutes les parties à éviter de futures violences et provocations et à régler pacifiquement leurs différends». Il a demandé aux autorités de «respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, particulièrement la liberté de rassemblement». Le Conseil de sécurité a insisté sur «l’importance cruciale de la tenue d’une élection présidentielle pacifique, crédible, transparente, dans les délais opportuns et dans le respect de la constitution».[20]

Le 22 septembre, dans un communiqué, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a affirmé que «le nombre important de victimes civiles, l’incendie des sièges de plusieurs partis politiques et la situation toujours très tendue sont un avertissement clair qu’une crise de grande envergure pourrait survenir très prochainement. Les signes sont là, et les autorités doivent abandonner leur position extrêmement conflictuelle et construire des ponts avec l’opposition». «Ce dont la RDC a besoin aujourd’hui, c’est un climat plus favorable à un dialogue inclusif et à des élections libres et équitables», a relevé M. Zeid.[21]

Le 24 septembre, l’Union africaine, les Nations unies, l’Union européenne et l’Organisation internationale de la francophonie ont lancé un appel commun au calme, au dialogue et à la tenue rapide d’élections « crédibles ».

Dans un communiqué conjoint publié à New York où se tient l’Assemblée générale de l’ONU, ces organisations se disent «gravement préoccupées par les violents incidents survenus récemment à Kinshasa et ailleurs». Elles «lancent un appel à tous les acteurs politiques de la RDC, majorité présidentielle et opposition, afin qu’ils fassent preuve de retenue dans leurs actions et déclarations, et qu’ils exhortent leurs partisans à renoncer à la violence». Ces organisations invitent aussi les autorités de la RDC à «promouvoir et protéger les droits de l’homme et à respecter les libertés fondamentales (…), y compris lors de manifestations publiques».

Le sous-secrétaire général de l’ONU pour les opérations de maintien de la paix, El Ghassim Wane, a affirmé que «le communiqué reflète l’inquiétude de la Communauté internationale quant aux incidents qui ont récemment eu lieu en République démocratique du Congo. Nous avons évidemment réaffirmé notre soutien au dialogue national en cours, soulignant en même temps la nécessité d’assurer l’inclusivité la plus large possible, parce que cette inclusivité est un gage de stabilité et un gage de succès. Un dialogue inclusif est la condition d’une stabilité durable et de la création des conditions requises en vue de l’organisation dans les délais les plus brefs possibles d’élections qui soient transparentes et crédibles, dans le cadre de la Constitution congolaise, de manière à consolider les réalisations qui ont été obtenues en RDC depuis plus d’une décennie maintenant».[22]

d. Le message du Chef de l’État et les dispositions du Procureur de la République

Le 21 septembre, le Chef de l’État, Joseph Kabila, par le truchement de son directeur de cabinet (Néhémie Mwilanya), s’est adressé au peuple congolais à propos des violences survenues à Kinshasa le 19 et le 20 septembre. Dans un communiqué lu sur les antennes de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC), Joseph Kabila présente ses condoléances aux victimes et appelle à nouveau au dialogue. Mais il établit aussi les responsabilités sur ce qui est arrivé.

Selon ce message, pour Joseph Kabila, il est clair qu’il y avait un écart entre l’objectif affiché par le rassemblement de l’opposition qui avait appelé à manifester lundi et mardi et l’intention réelle des organisateurs. L’intention de ces opposants aurait été celle de détourner la manifestation vers «une violence aveugle ou, pire, des émeutes sanglantes».

Le chef de l’Etat congolais a «promis aux victimes tout son soutien à l’action judiciaire (déjà) engagée». Référence à l’annonce par le procureur de la République de poursuites lancées contre les auteurs de ces violences et leurs complices.

«Le recours à l’insurrection ne peut constituer une alternative au dialogue en cours», insiste le Chef de l’Etat. A travers ce communiqué, le Président Joseph Kabila appelle à nouveau tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à rejoindre le dialogue national «en vue de renforcer le consensus électoral et politique en construction et d’épargner à notre peuple des souffrances injustifiées».

Après avoir adressé un message de condoléances aux familles de victimes et en particulier «aux éléments de la police nationale tombés dans l’exercice de leur fonction: celle de la sécurisation des personnes et des biens», Joseph Kabila a appelé au calme et a demandé à la population de reprendre ses activités.[23]

Le 21 septembre, le Procureur Général de la République, Flory Kabange Numbi a instruit la police à rechercher et à arrêter, même dans les hôpitaux, tous les organisateurs des manifestations du 19 e 20 septembre et les auteurs matériels et intellectuels des tueries, pillages et incendies perpétrés lors de ces manifestations. «La police doit les chercher partout où il se cachent», a expliqué Kabange Numbi. Devant la presse, il a affirmé que des poursuites judiciaires seront engagées contre les auteurs et complices d’assassinats et pillages. Le Procureur général de la république a assuré que la Direction générale des Migrations a été prévenue d’interdire la sortie de Kinshasa et de la RDCongo de tout organisateur de la marche et de toute personne impliquée dans les violences survenues à la suite de cette marche, en ajoutant que «tous sont interdits de sortie du territoire national, car ils doivent répondre de leurs actes devant la loi».[24]

Selon certaines sources, dans sa réquisition d’information n°6224 du 21 septembre, le Procureur général de la République a interdit la sortie de plusieurs personnalités de l’Opposition poursuivies pour insurrection. Il s’agit de: le Fonus Joseph Olengakoy, l’UDPS Jean-Marc Kabund, l’UDPS Bruno Tshibala, Ingele Ifoto, le G7 Sama Lukonde, L’UDA Martin Mukonkole, le MLP Franck Diongo, Willy Mishiki, Lisanga Boganga et Kitenge Yezu. Le PGR demande qu’on les appréhendent et qu’on les acheminement à l’état-major général. Avec ses poursuites le climat politique va s’empirer davantage.[25]

e. L’Opposition recoure à la justice

Le 21 septembre, en réagissant au discours du président Joseph Kabila, Peter Kazadi, cadre de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et Conseiller juridique d’Etienne Tshisekedi, a affirmé que la «responsabilité pénale» n’est pas du côté de l’UDPS, mais du Gouvernement. «Le Procureur général de la République ne peut pas se saisir des personnes qui ont manifesté pacifiquement et conformément à la Constitution du pays (…) Il devrait, par contre, se saisir de tous ceux qui ont manifesté l’intention de violer notre constitution (…) S’il faut arrêter des gens, il faudra commencer par ces derniers et par ceux qui ont tué des Congolais avec les moyens de l’Etat», a déclaré Peter Kazadi, faisant allusion aux civils tués durant les journées du 19 et du 20 septembre à Kinshasa. À l’appel du Président à participer au Dialogue, ce cadre de l’UDPS réitère la position des opposants regroupés au sein du Rassemblement, refusant de participer « au monologue qui se tient dans un camp militaire». A l’appel de Didier Reynders, le Ministre belge des Affaires Etrangères à un nouveau Dialogue « vraiment inclusif« , Peter Kazadi s’est dit content de constater que «la communauté internationale va enfin dans le sens des revendications de l’UDPS».[26]

Le 21 septembre, au cours d’une conférence de presse, le secrétaire général de l’UDPS, Jean-Marc Kabund, a affirmé que 7 personnes ont été calcinées et une dizaine de combattants sont portés disparus lors de l’incendie du siège de son parti la nuit du 20 septembre. Il a aussi déclaré que, en ce qui concerne les violences du 19 et 20 septembre, «l’UDPS tient pour responsables le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, et le ministre des Sports, Denis Kambayi, pour avoir recruté des brigands en leur fournissant des armes blanches, aux fins de s’attaquer aux manifestants et de piller leurs propres permanences, pour en attribuer la paternité au Rassemblement et justifier l’interdiction de la manifestation (…); le Gouverneur de la ville – province de Kinshasa, André Kimbuta, pour avoir autorisé la manifestation, sans prendre des mesures d’encadrement et de sécurisation des manifestants; ainsi que les généraux Charles Bisengimana, Célestin Kanyama et Gabriel Amisi car, étant sur le terrain des opérations, ils n’ont pas empêché l’utilisation des balles réelles. Ces personnes ont organisé et monté le commando qui a attaqué la permanence de l’UDPS la nuit du 19 septembre». Selon l’UDPS, le bilan des répressions des manifestations du 19 e 20 septembre, à Kinshasa et dans d’autres villes du pays, est de 100 morts, 1.000 blessés et 2500 interpellations.[27]

Le 21 septembre, dans une interview à la RTBF, Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS, a invité le peuple congolais à «poursuivre sa mobilisation jusqu’au départ de M. Kabila, quel qu’en soit le prix».[28]

Le 21 septembre, le Groupe des 7 (G7), une des principales structures du Rassemblement, a demandé l’ouverture d’une enquête internationale indépendante, pour établir les responsabilités dans la répression sanglante de la marche de l’Opposition du lundi 19 septembre. Cette plateforme politique fustige «les brutalités policières» et l’usage d’«armes létales» qui ont entraîné la mort de plus de 50 manifestants. Pour les violences survenues, le G7 tient le gouvernement pour responsable. Selon le G7, un autre responsable de cette tragédie c’est la CENI, qui n’a pas convoqué la présidentielle dans le délai constitutionnel. En outre, le G7 rejette d’avance les résolutions du Dialogue Kodjo. Il appelle à des nouvelles négociations politiques.[29]

Franck Diongo, président du parti politique de l’opposition Mouvement Lumumbiste Progressiste(MLP), dont le siège a été incendié le 20 septembre à Kinshasa, a porté plainte contre «le gouvernement congolais et ses complices». Il les accuse de crimes contre l’humanité, violation de domicile, destruction méchante, incendie volontaire, tentative d’assassinat, meurtre et viol.

Le député national accuse également certains cadres de la Majorité Présidentielle(MP) d’être responsables de ce préjudice. Franck Diongo raconte que «le 19 septembre, entre 15h00 à 16h30, beaucoup de jeeps sont venues stationner devant mon bureau, accompagnées de deux Transco où il y avait des gens en civil et d’autres en tenue militaire. Ils ont exploré le lieu et proféré des menaces. Ils ont tiré à balle réelle sur les vitres du bureau du secrétaire général qui donne à la façade principale. Ils ont promis qu’ils vont brûler la nuit et ils ont accompli leur forfait». Pour le président du MLP, sa plainte est un test de sincérité au Procureur général de la République appelé à démontrer qu’il n’est pas là pour servir les intérêts de la Majorité.[30]

Le 23 septembre, le président du comité des sages du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, Etienne Tshisekedi, a déclaré d’avoir instruit le secrétaire général de l’UDPS pour déposer une plainte au Bureau du Procureur Général de la République contre certaines autorités politiques et de défense de la RDC qu’il accuse d’être «les auteurs des tueries» du 19 et 20 septembre à Kinshasa. La plainte vise les autorités suivantes:

Monsieur Evariste Boshab, vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité

Monsieur Denis Kambayi Tshimpungu, ministre de la Jeunesse et Sports

Monsieur André Kimbuta, gouverneur de la ville de Kinshasa

Général Bisengimana, commissaire général de la police nationale congolaise

Général Kanyama, commissaire provincial de la police/ville de Kinshasa.»

Général Gabriel Amisi, commandant de la 1ère région militaire des FARDC,

Les précités sont poursuivis pour «manquements graves contre les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, la constitution et les lois de la République démocratique du Congo». Le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social dit espérer que la justice congolaise démontrera son indépendance par rapport au pouvoir en place.[31]

f. Pour comprendre ce qui s’est passé

Kinshasa, la capitale de la RDCongo, a été le théâtre lundi et mardi de violences à caractère politique ayant fait de nombreux morts. Voici trois choses à savoir pour comprendre la crise politique congolaise.

– Quelle est l’origine de la crise?

La République démocratique du Congo traverse une période d’incertitude politique depuis la réélection contestée du président Joseph Kabila en novembre 2011, à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes massives. Arrivé deuxième selon les résultats officiels, l’opposant Étienne Tshisekedi, fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), n’a cessé de rejeter la réélection de M. Kabila. Il se considère comme le « président élu » du pays et dénie toute légitimité au président Kabila et au Parlement. Le blocage institutionnel est tel qu’aucune élection directe n’a eu lieu depuis novembre 2011. Hormis le président, dont le mandat s’achèvera en décembre, et les députés nationaux, tous les élus qui étaient en fonctions en 2011 (députés provinciaux, sénateurs, gouverneurs) siègent toujours bien que leur mandat a expiré. Les gouverneurs des nouvelles provinces élus début 2016 l’ont été au scrutin indirect par des députés provinciaux hors mandat.

– Pourquoi ces violences, à Kinshasa ?

Les Kinois n’ont jamais aimé Joseph Kabila qu’ils ont toujours considéré comme un « étranger » venu de l’est du pays. Lors des scrutins de 2006 et 2011, marqués par des violences électorales, la population avait voté à une très large majorité pour les concurrents les plus sérieux de M. Kabila : Jean-Pierre Bemba (2006) et M. Tshisekedi (2011). La crise économique que traverse le pays depuis bientôt un an contribue à aggraver les conditions de vie des Kinois (quelque 10 millions d’habitants dont la quasi-totalité se débat dans la misère) et à entraîner un sentiment de frustration et de rejet du pouvoir de M. Kabila.

– Pourquoi le 19 septembre?

La date du 19 septembre est symbolique. C’est à cette date que la Commission électorale aurait dû   convoquer les élections présidentielles. En effet, selon la Constitution, les élections présidentielle sont convoquées par la Commission électoral 90 jours avant la fin du mandat du Président de la République en exercices. Il se fait que le deuxième et dernier mandat de l’actuel Président arriverà à sa fin le 19 décembre 2016. Le « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement », une plateforme politique créée en juin dernier autour de Étienne Tshisekedi, avait appelé à manifester en ce jour dans tout le pays, à trois mois du terme du mandat de M. Kabila, pour lui signaler un « préavis » de trois mois, afin qu’il quitte le pouvoir le 20 décembre et que la Commission électorale organise d’ici-là la présidentielle.[32]

Derrière le bras de fer violent entre le régime du président Joseph Kabila et l’opposition, les Congolais expriment leur exaspération vis-à-vis d’un pouvoir incapable d’améliorer leur vie quotidienne. Au-delà du bras de fer qui oppose parti présidentiel et opposition sur la date de l’élection présidentielle, la crise actuelle est portée par une aspiration profonde des Congolais à vivre dans un État de droit qui garantit à tous une juste sécurité et une juste redistribution des richesses du pays.

Dans cet immense territoire – plus de quatre fois la France – qu’est la RDCongo, rien ne fonctionne correctement: ni l’école, ni le système de santé, ni la justice, ni le marché du travail. Tous les secteurs d’activité sont vérolés par une corruption endémique, à tous les échelons de la société. «Ici, les fonctionnaires ne servent pas le peuple mais ils se servent sur le peuple», confiait à La Croix un observateur des Nations unis de retour de la RD-Congo. La vie quotidienne est dure et âpre. Pour la plus grande partie des 75 millions d’habitants, la vie quotidienne est un sport de combat: une vie de débrouille dans un univers impitoyable, où rien n’est sûr, rien ne fonctionne normalement, tout est cassé et à l’abandon.[33]

[1] Cf Politico.cd, 15.09.’16

[2] Cf AFP – Africatime, 14.09.’16

[3] Cf Politico.cd, 15.09.’16

[4] Cf Actualité.cd, 16.09.’16

[5] Cf Actualité.cd, 17.09.’16

[6] Cf Politico.cd, 20.09.’16 Texte complet: http://www.politico.cd/en-off/2016/09/20/voici-lettre-detienne-tshisekedi-a-corneille-nangaa.html

[7] Radio Okapi, 19.09.’16

[8] Cf AFP – Jeune Afrique, 19.09.’16

[9] Cf RFI, 19.09.’16

[10] Cf RFI, 19.09.’16

[11] Cf AFP – Voa, 19.09.’16

[12] Cf AFP – Jeune Afrique, 19.09.’16

[13] Cf 7sur7.cd, 19.09.’16

[14] Cf RFI, 20.09.’16

[15] Cf AFP – Onewovision, 21.09.’16

[16] Cf Radio Okapi, 21.09.’16

[17] Cf AFP – Africatime, 22.09.’16; Politico.cd, 22.09.’16

[18] Cf Radio Okapi, 20.09.’16

[19] Cf AFP – Voa, 19.09.’16

[20] Cf Jeune Afrique, 22.09.’16

[21] Cf AFP – Africatime, 22.09.’16; Politico.cd, 22.09.’16

[22] Cf Radio Okapi, 24.09.’16; RFI, 25.09.’16

[23] Cf RFI, 22.09.’16; Texte complet du communiqué: 7sur7.cd, 21.09.’16 http://7sur7.cd/new/violences-a-kinshasa-kabila-accuse-le-rassemblement-discours-ci-dessous/

[24] Cf 7sur7.cd, 21.09.’16; Politico.cd, 21.09.’16

[25] Cf 7sur7.cd, 23.09.’16 http://7sur7.cd/new/f-diongo-s-lukonde-kitenge-yezu-j-olengakoy-l-bonganga-j-m-kabund-b-tshibala-w-mishiki-ingele-ifoto-et-m-mukonkole-poursuivis-pour-insurrection-pr-le-pgr/

[26] Cf Politico.cd, 21.09.’16

[27] Cf Actualité.cd, 21.09.’16; Texte complet du communiqué: 7sur7.cd, 22.09.’16 http://7sur7.cd/new/ludps-charge-boshab-et-kambayi/

[28] Cf RTBF – Congoforum, 21.09.’16

[29] Cf 7sur7.cd, 21.09.’16

[30] Cf Radio Okapi, 23.09.’16

[31] Cf Radio Okapi, 23.09.’16 Texte complet de la Plainte: http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-09/plainte_de_tshisekedi.pdf

[32] Cf AFP – Onewovision, 20.09.’16

[33] Cf La Croix – Via Onewovision, 21.09.’16