Congo Actualité n. 270

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: SANS ÉLECTIONS EN 2016 – VACANCE À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

  1. LE PROCESSUS ÉLECTORAL
    1. Commission électorale: pas d’élections crédibles en 2016
  2. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE INTENDIFIE LA PRESSION
    1. Les États-Unis se prononcent
    2. Le communiqué conjoint de l’ONU, l’UA, l’UE et l’OIF
    3. Les réactions congolaises
  3. UN POSSIBLE RISQUE DE VACANCE DE POUVOIR À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE
  4. LE VIRDICT DU PROCÈS DE SIX MEMBRES DE LUCHA: CONDANNÉS

 

ÉDITORIAL: SANS ÉLECTIONS EN 2016 – VACANCE À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

 

1. LE PROCESSUS ÉLECTORAL

a. Commission électorale: pas d’élections crédibles en 2016

Le 18 février, à Kinshasa, au cours d’une réunion du comité de liaison entre la CENI et les partis politiques, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa, a expliqué les contraintes qui rendent impossible l’organisation des élections dans le délai. Son intervention était axée sur la question de la révision du fichier électoral, une opération qui, selon lui, pourrait prendre au minimum seize mois. Corneille Nangaa a affirmé qu’il s’avère désormais impossible d’organiser des élections crédibles dans le délai constitutionnel, mais il a tout de même souligné que la Ceni est prête à organiser les scrutins dans le délai constitutionnel, si les acteurs politiques se conviennent d’aller aux élections avec le fichier électoral de 2011.

Par ailleurs, Corneille Nangaa a annoncé que, pour l’organisation des élections, le gouvernement a effectué, le 17 février, le deuxième décaissement (pour le mois de février) de plus de 18 millions de dollars, le premier étant celui du 29 Janvier 2016, dont le montant était de 22 Millions de dollars. Le montant décaissé s’évalue maintenant à 40 millions de dollars.[1]

Le 19 février, Corneille Nangaa, président de la Ceni, a confirmé à Jeune Afrique que le scrutin présidentiel, initialement prévu fin novembre, ne pourra pas être organisé sans avoir procédé en amont à la révision du fichier électoral, un processus désormais « impossible » à finaliser avant le 30 septembre, délai constitutionnel (article 73) pour la convocation de l’électorat. En effet, des « simulations » internes au sein de la Ceni ont récemment indiqué qu’une révision partielle du fichier électoral durerait 13 mois et 10 jours pour un budget estimé à près de 123 millions de dollars.

Selon Corneille Nangaa, «pour convoquer l’électorat, il faut avoir un fichier électoral. Et le processus de révision de ce dernier ne peut pas s’achever avant le 30 septembre. En conséquence: Pas de révision du fichier électoral, pas d’électorat ; pas d’électorat, pas de présidentielle dans les délais constitutionnels».[2]

Le président de la Commission électorale, Corneille Nangaa, pose un vrai dilemme aux acteurs politiques: soit vous voulez un fichier électoral qui inclut les nouveaux majeurs, soit vous voulez respecter les délais prévus par la Constitution.

En novembre 2015, une mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avait remis un rapport d’audit du fichier électoral. L’OIF y expliquait que 20% de l’électorat, les nouveaux majeurs, étaient absents du fichier. A l’époque, l’envoyé spécial de l’OIF pour les Grands Lacs avait estimé qu’il était encore possible, sous condition de volonté politique, d’avoir un fichier électoral acceptable et de tenir les délais constitutionnels à un ou deux mois près. Mais à l’époque, il est question d’une passation de marché par entente directe avec la société belge Zétès. Le contrat aurait dû être signé en janvier, mais la Commission électorale l’a dénoncé, en affirmant que l’UDPS n’aurait jamais accepté cet opérateur. Elle a préfère lancer, le 10 février, un dernier appel d’offres ouvert. Conséquence: un allongement de quatre à cinq mois de l’acquisition du matériel nécessaire à la révision du fichier. Selon des documents internes à la Céni, il faudrait, à partir de l’annonce de l’appel d’offres, entre 13 et 16 mois pour venir à bout de la révision du fichier électoral.[3]

Pour Samy Badibanga, l’un de ceux qui a critiqué la société Zétès, il s’agit d’une «faute intentionnelle» de la Commission électorale, une faute ayant pour but d’entériner le glissement. Le président du groupe parlementaire de l’UDPS à l’Assemblée explique que toutes les difficultés soulevées par le président de la Céni sont connues de longue date : le problème de l’intégration des nouveaux majeurs, les critiques envers Zétès ou même le vol de stocks de cartes électorales vierges et le risque de les voir remises en circulation.[4]

Le 19 février, le Front Citoyen 2016 demande au président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa, de « cesser de jouer le jeu du pouvoir » en adoptant la stratégie du glissement. Le porte-parole du Front citoyen 2016, Jean-Claude Katende, se dit étonné que la Ceni parle de 17 mois pour la révision du fichier électoral. «Dans un rapport déposé par la Ceni à l’assemblée nationale, il y a un calendrier qui indique que la révision du fichier électoral pouvait se faire de janvier à mars 2016. Les experts de l’OIF avaient dit que cette opération pouvait aller à 4 mois. La Case a de son côté proposé 6 à 7 mois», affirme-t-il, en s’interrogeant: «Comment la Ceni est-elle arrivée à 17 ou 18 mois?».[5]

2. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE INTENDIFIE LA PRESSION

a. Les États-Unis se prononcent

Le 5 février, dans une lettre adressée au Secrétaire d’Etat Kerry, le Sénateur Edward Markey a exprimé sa «profonde préoccupation concernant la situation en République démocratique du Congo (RDC) où le président Joseph Kabila atteindra sa limite constitutionnelle cette année, mais il a retardé de prendre les mesures nécessaires pour planifier et organiser l’élection présidentielle. Le retard persistant, et la perception du public que le Président Kabila se cramponne au pouvoir ont créé le risque d’un bouleversement très violent ou même le renouvèlement de la guerre.

Depuis un an et demi, le président Kabila semble avoir manœuvré pour éviter les élections nationales en Novembre 2016, dans le but de contourner les limites constitutionnelles de mandats. Initialement, il avait proposé une révision constitutionnelle puis un recensement de trois ans pour prolonger sa présidence. Depuis lors, il a retardé les mesures nécessaires pour préparer l’élection.

En plus de retards de procédure, Kabila apparaît saper de plus en plus, le processus démocratique en fermant l’espace politique. Il a également pris de mesures pour supprimer la liberté d’expression.

Alors qu’il a proposé le « dialogue » pour résoudre les problèmes qu’il a lui-même créés, les membres de l’opposition considèrent cela comme une tentative cynique de brouiller les pistes, masquant son intention apparente de violer la limitation des mandats constitutionnels.

Avec le temps qui se volatilise sur la possibilité d’organiser une élection libre, les États-Unis et d’autres partenaires internationaux doivent agir maintenant, pour éviter une autre catastrophe en RDCongo

Au cours de la dernière année, vous et le président Obama avez personnellement livré des messages forts, exhortant Kabila à se conformer à la Constitution de la RDC. Cependant, il apparait maintenant que Kabila n’a pas l’intention d’organiser les élections à moins qu’il ne réalise que le manque de le faire aura des répercussions graves sur lui et son entourage.

Je crois que la meilleure façon de convaincre le président Kabila de changer de cap est de lui communiquer clairement et sans équivoque les trois points suivants:

(1) il doit immédiatement, clairement et publiquement dire qu’il ne restera pas au pouvoir une fois que son mandat se termine cette année.

(2) A condition que les progrès sur le terrain vers une élection nationale libre et équitable cette année soient vérifiables, y compris mettre un terme aux efforts courants visant à fermer l’espace politique et réprimer la dissidence pacifique, les Etats-Unis et les partenaires internationaux vont aider à financer le processus électoral et encourager l’investissement privé.

(3) S’il ne répond pas à ces critères clairs qui lui obligent de tenir des élections libres et démocratiques cette année, alors les États-Unis et d’autres partenaires mettront en œuvre des sanctions. Ces sanctions devraient inclure les refus de visas ciblés et le gel des avoirs dans le cadre du décret sur la RDC du 8 Juillet 2014, l’examen et la réduction de la sécurité bilatérale et multilatérale et de l’aide économique en passant par le gouvernement, et la dissuasion de l’investissement privé.

Depuis quinze ans, le président Kabila a contribué à la trajectoire de la RDC de la guerre vers une stabilité relative, mais cette même stabilité est aujourd’hui menacée par son intention apparente de défier le fondement constitutionnel de son pays. Il est impératif de le persuader que la stabilité de la RDC, ainsi que son propre héritage, dépendent du transfert démocratique du pouvoir cette année».[6]

Le 10 février, au cours de son discours devant la commission sénatoriale américaine des affaires étrangères, l’envoyé spécial des Etats-Unis d’Amérique dans la région des Grands lacs, Thomas Perriello, a affirmé que «la RDC se trouve actuellement dans une situation où il est encore possible d’assurer, en 2016, la première passation de pouvoir démocratique et pacifique de son histoire.

Malheureusement, une crise politique se profile alors qu’elle se prépare, ou plutôt ne parvient pas à se préparer, aux élections historiques de novembre prochain.

Une confrontation entre le président Kabila et ceux qui réclament des élections opportunes et crédibles n’est pas inévitable, mais est de plus en plus probable à mesure que le pays se rapproche de l’échéance électorale fixée par la Constitution.

Les efforts déployés par le gouvernement Kabila pour fermer l’espace civique et reporter le début des préparatifs de scrutin font craindre que Kabila n’ait l’intention de s’accrocher au pouvoir

au-delà de son mandat constitutionnel, qui s’achève en décembre.

À cela viennent s’ajouter l’intensification systématique de la répression et la réduction de l’espace politique qui se sont produites en 2015. Le gouvernement de la RDC a détenu à plusieurs reprises des membres de l’opposition et de jeunes militants, assimilant publiquement l’opposition à des ennemis d’État, fermant des organes de presse et dispersant des manifestations pacifiques. Le 19 janvier, les forces de sécurité de tout le pays ont empêché par la force les fidèles de se rassembler dans l’enceinte des églises pour assister aux offices, menaçant les prêtres, confisquant les téléphones portables et procédant à des arrestations.

De ce qui précède, on peut constater que les obstacles majeurs à la tenue d’élections d’ici la fin de l’année 2016 sont d’ordre politique et non pas technique. Si les défis logistiques et techniques ne sont pas négligeables, notamment la nécessité de mettre à jour les listes électorales, ils peuvent en fin de compte être résolus, pourvu que le gouvernement et les autres parties s’engagent à organiser des élections opportunes et crédibles.

Heureusement, le gouvernement n’a pas encore franchi le « point de non – retour » et des élections opportunes et crédibles conformes à la Constitution de la RDC sont encore possibles».[7]

Le 18 février, dans un communiqué, le département d’État des Etats Unis a appelé le gouvernement congolais à respecter les libertés consacrées dans la Constitution promulguée il y a 10 ans. Le gouvernement américain se dit préoccupé par le harcèlement et la détention d’activistes pacifiques et des leaders de l’opposition, y compris les personnes détenues dans le cadre de la journée ville morte de mardi 16 février. Les Etats-Unis estiment que ces détentions étouffent la liberté d’expression des opinions politiques diverses et contribuent au rétrécissement de l’espace politique, tout en sapant la crédibilité du gouvernement de Kinshasa au cours de cette période préélectorale. «Eriger en infraction la contestation et les manifestations constitue une violation de la Constitution de la RDC ainsi qu’une menace pour le même Président Kabila», rappelle le communiqué. Le département d’État des Etats Unis appelle aussi la RDC à honorer ses obligations en matière de droits de l’homme internationaux et à «libérer immédiatement toutes les personnes détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion, d’expression et de manifestation ou, à tout le moins, leur accorder les protections et les garanties de procès équitable auxquelles elles ont droit». Enfin, le communiqué recommande à tous les acteurs politiques d’exercer leurs droits pacifiquement et encourage les leaders à s’abstenir de tout discours incendiaire qui incite à la violence.[8]

b. Le communiqué conjoint de l’ONU, l’UA, l’UE et l’OIF

Le 16 février, dans un communiqué conjoint, l’Union africaine (UA), les Nations unies (NU), l’Union européenne (UE) et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont appelé les acteurs politiques congolais de ne ménager aucun effort, dans le cadre de la Constitution, pour assurer la tenue réussie des élections, préserver la paix et approfondir la démocratie. Les quatre organisations ont souligné dans leur communiqué «l’importance du dialogue et de la recherche d’un accord entre les acteurs politiques, dans le respect de la démocratie et de l’Etat de droit». Le texte du communiqué souligne que le déroulement des élections dans les conditions requises de paix, de transparence, de régularité, et à bonne date, contribuera grandement à la consolidation des progrès enregistrés par la RDC depuis plus d’une décennie. Les quatre organisations exhortent par ailleurs l’ensemble des acteurs politiques congolais à apporter leur entière coopération à Edem Kodjo, l’émissaire de l’Union africaine qui consulte les acteurs politiques et sociaux de la RDC en vue de la tenue d’un dialogue politique.

Si les partis de la Majorité présidentielle appuient totalement l’action d’Edem Kodjo, la plupart de regroupements de l’opposition ont manifesté jusqu’ici à l’émissaire africain leur refus de participer à un éventuel dialogue perçu par eux comme une astuce du président Kabila, dont le deuxième et dernier mandat constitutionnel s’achève en décembre 2016, pour prolonger son bail à la tête du pays.[9]

c. Les réactions congolaises

Le 13 février, convaincu des sérieuses menaces qui pèsent sur le processus électoral en cours et pour éviter que le pire n’arrive, Laurent Batumona, député national et président du Mouvement de Solidarité pour le Changement (MSC), a lancé un appel pressant à la Communauté internationale pour qu’elle intervienne, maintenant, dans le financement des élections à la hauteur de 70%, le Gouvernement de la République ayant montré ses limites dans le financement du processus électoral.[10]

Le 20 février, le G7, le groupe de parlementaires exclus de la majorité, a réagi au dernier communiqué conjoint de l’Union africaine, des Nations unies, de l’Union européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie. Selon un communiqué de presse publié par le G7, il y a une convergence entre le communiqué de ces organisations internationales, la position du G7 et celle de la Dynamique de l’opposition. Le G7 constate en effet que l’UA, l’ONU, l’UE et l’OIF soulignent l’importance du dialogue politique entre acteurs politiques pour aboutir à un accord entre eux dans le respect de la démocratie et de l’Etat de droit pour la réussite des élections.

Toutefois, le groupe confirme sa position de ne pas aller au dialogue tel que prévu et conçu par le président Kabila. Pour organiser des élections crédibles et dans les délais fixés par la Constitution, cette plateforme propose plutôt des «négociations directes entre acteurs politiques» de l’opposition et de la majorité. Selon le communiqué, «le G7 considère que l’organisation des scrutins à bonne date équivaut à tenir ces élections dans les délais constitutionnels».[11]

Le 23 février, à l’issue d’une leur réunion extraordinaire, les membres de la coordination du Front du peuple, une plateforme regroupant les forces politiques et sociales proches d’Etienne Tshisekedi, ont réagi au communiqué conjoint de l’Union Africaine, des Nations-Unies, de l’Union Européenne et de l’organisation internationale de la Francophonie, du 16 février. Les membres du Front du peuple reprochent au communiqué conjoint de n’avoir fait aucune référence à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba du 24 février 2013 et à deux Résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies (2098 et 2211).

L’Accord-cadre d’Addis-Abeba stipule, en son point 6, comme engagement renouvelé du Gouvernement de la RDC celui de «promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratie». Les deux résolutions (du 28 mars 2013 et du 26 mars 2015) appellent le Gouvernement congolais à «promouvoir la consolidation de la paix et un dialogue politique transparent, associant toutes les parties prenantes congolaises, en vue de favoriser la réconciliation et la démocratisation, et de protéger les libertés fondamentales et les droits, afin d’ouvrir la voie à la tenue des élections». Dans une autre disposition de ces Résolutions, «il est demandé au Gouvernement de la RDC et à ses partenaires nationaux de veiller à la transparence et à la crédibilité du processus électoral, étant donné qu’il leur incombe au premier chef de créer des conditions propices à la tenue des prochaines élections et d’en faire une priorité, étant la présidentielle et les législatives prévues, conformément à la constitution, pour novembre 2016».

Le Front du Peule a réitéré que le Dialogue doit se tenir sous la médiation internationale, conformément à ces instruments internationaux.

Selon le Front du Peuple, la formule « à bonne date », par rapport à la tenue des élections et contenue dans le communiqué conjoint, renvoie au respect des délais prescrits par la constitution, pour la tenue des élections en novembre 2016.

De même, la référence faite à l’Envoyé spécial est très mal vue, pendant qu’il est attendu «la désignation, par la communauté internationale, d’un facilitateur porteur d’un mandat spécial, pour organiser et conduire le dialogue politique, dans un timing précis et contraignant, au regard des échéances électorales, telles que prévues par la constitution».

Accroché à la tenue du dialogue politique, au du respect de la constitution et de ses délais et à l’avènement d’une alternance politique en novembre 2016, le Front du peuple trouve inopportunes les négociations directes entre la Majorité et l’Opposition proposées par le G7.[12]

3. UN POSSIBLE RISQUE DE VACANCE DE POUVOIR À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

Le 20 février, dans son communiqué de presse, le G7, «rappelle que, passé le délai constitutionnel, se créera une vacance du pouvoir au sommet de l’Etat. Et c’est le président de la République seul qui en portera la responsabilité. Dans ces conditions, les élections devront être organisées sous la responsabilité d’un président intérimaire. Cela dans un délai de 120 jours conformément aux articles 75 et 76 de la Constitution actuellement en vigueur».[13]

Le 23 février, au cours d’un point de presse, le président du Mouvement Lumumbiste Progressiste (MLP), Franck Diongo, a affirmé que, en cas que l’élection présidentielle soit organisée dans le délai constitutionnel ou pas, Joseph Kabila cesse d’être Président de la RDC à la date du 20 décembre 2016. Dans son entendement, l’article 70 de la Constitution n’a de sens qu’en cas d’organisation des élections 90 jours avant la fin du mandat du Président de la République.

Il a déclaré que, «à cette date fatidique du 20 décembre 2016, si le scrutin présidentiel n’est pas organisé, les forces du changement qui militent pour l’alternance au sein du Front Citoyen, constateront la vacance au sommet de l’Etat», avant de souligner que, conformément à l’esprit de cet article 70, l’actuel Chef de l’Etat ne pourra rester à son poste jusqu’à l’installation effective de son successeur que si l’élection présidentielle se tient à la date fixée par la même Constitution et reprise dans le calendrier global et inclusif publié par la CENI en février 2015. Pour Franck Diongo, la Majorité Présidentielle devrait tirer toutes les conséquences constitutionnelles de l’hypothèse où l’élection présidentielle n’aurait pas lieu le 27 novembre 2016.

Le président de MLP a demandé au Chef de l’Etat d’imiter, le cas échéant, son homologue haïtien qui s’est retiré de la scène suite à son incapacité d’organiser le deuxième tour de l’élection présidentielle dans son pays. Franck Diongo fait remarquer que la Constitution de la RDC n’a pas prévu une transition en cas de fin du mandat du Président de la République. Pour combler le vide, un Président intérimaire devrait être désigné conformément à la Constitution, pour organiser les élections dans un délai qui ne devrait pas dépasser 120 jours.[14]

Pour éviter un vide au sommet de l’Etat – ce qui serait préjudiciable pour le pays – le législateur avait prévu des mécanismes transitoires.

L’article 75 de la Constitution stipule ce qui suit: «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de président de la République, a l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le président du Sénat».

Plus explicite, l’article 76 dispose: «La vacance de la présidence de la République est déclarée par la Cour constitutionnelle saisie par le gouvernement. Le président de la République par intérim veille à l’organisation de l’élection du nouveau président de la République dans les conditions et les délais prévus par la Constitution. En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement. En cas de force majeure, ce délai peut être prolongé à cent vingt jours au plus, par la Cour constitutionnelle saisie par la Commission électorale nationale indépendante. Le président élu commence un nouveau mandat».

Toutefois, ces dispositions constitutionnelles peuvent se buter à des arguments politiques aussi pernicieux que tordus. D’abord, il n’est pas évident que le Gouvernement et la Cour constitutionnelle se prononcent en faveur d’un empêchement consécutif à la fin du deuxième et dernier mandat présidentiel. Cela est presqu’impossible! De même, la MP ne mettra pas tout de suite de côté l’argument d’un président qui reste en place jusqu’à l’installation de son successeur. Une interprétation sélective de la Constitution quand on sait que, dans le cas d’espèce, le président sortant reste en place jusqu’à l’installation du nouveau élu. Ce qui ne s’appliquerait pas dans le cas de vide de pouvoir causé par le dépassement des délais.[15]

Le 22 février, en effet, dans un communiqué de presse, se référant à l’article 70 de la Constitution, le Bureau politique de la Majorité Présidentielle (MP) a soutenu que, en cas de non tenue de l’élection présidentielle, il n’y aura pas vacance au sommet de l’Etat le 20 décembre 2016, car l’actuel Chef de l’Etat, Joseph Kabila, reste en fonctions jusqu’à l’investiture de son successeur.[16]

En outre, selon le point de vue du Front du Peuple, une plateforme regroupant les forces politiques et sociales proches d’Etienne Tshisekedi, à propos de la Présidence intérimaire, le Sénat étant devenu illégal et illégitime, ne donne pas la possibilité à son Président d’assumer les charges publiques à la tête de l’Etat en cas d’empêchement définitif.[17]

4. LE VIRDICT DU PROCÈS DE SIX MEMBRES DE LUCHA: CONDANNÉS

Le 18 février, le procès en flagrance des six militants du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), a débuté devant le tribunal de grande instance de Goma. Ils avaient été arrêtés la nuit du 15 au 16 février, tout juste avant la « journée ville morte » organisée par l’opposition. Le tribunal a ordonné en même temps la détention préventive de ces jeunes, poursuivis notamment pour tentative de soulèvement populaire, mais aussi pour association des malfaiteurs, incitation à la haine tribale, désobéissance civile et révolte contre les autorités. Leurs avocats contestent ces chefs d’inculpation et ont exigé une confrontation avec les policiers auteurs de l’arrestation.

Selon Me Lumbulumbu, porte-parole du collectif d’avocat de ces militants, «l’intérêt pour nous de la comparution de ces policiers c’est de démontrer à la face du tribunal que l’arrestation a été effectuée de manière tout à fait frauduleuse. Ils sont passés arrêter ces militants de nuit: c’était autour de 3 heures, quatre heures du matin. Ils ont escaladé les murs, sans pour autant avoir un mandat de perquisition. Nous pensons qu’il s’agit d’une arrestation arbitraire».

«Dans les objets, présentés par le ministère public, qui ont été saisis lors de l’arrestation, nous avons constaté [la présence] de rubans ou calicots, sur lesquels les jeunes mettaient des messages pour mobiliser la population pour aller soutenir l’arrivée des Léopards [l’équipe de football] dans la ville de Goma, tout en revendiquant essentiellement la tenue des élections en cette année 2016, ce qui est un droit fondamental. La liberté d’opinion, la liberté d’expression à travers des images, à travers des écrits, c’est une liberté qui est consacrée par l’article 23 de la constitution» assène l’avocat. La défense a aussi condamné le fait que, pour une infraction «qui n’est pas du caractère flagrant», l’on puisse traduire ces jeunes dans une procédure de flagrance. Ces jeunes, selon elle, devraient être amenés devant la justice dans une procédure tout à fait ordinaire.

L’audience a été suspendue jusqu’au lendemain. Les prévenus, jusque-là en garde à vue, ont été placés en détention provisoire.[18]

Le 19 février, le président du tribunal de grande instance de Goma a annoncé que les six militants de Lucha ne seront pas jugés en flagrance. Me Jean-Paul Lumbu Lumbu, porte-parole du collectif des avocats des prévenus, s’est réjoui de la décision du tribunal requalifiant la procédure de flagrance en procédure normale. «L’avantage de cette décision du tribunal c’est que, ça nous permet, en tant que collectif des avocats, d’avoir suffisamment de temps pour préparer une défense efficace en faveur de nos clients. Cela nous donne aussi le droit d’introduire une demande de liberté provisoire en leur faveur. Ce qui n’était pas possible dans le régime de la flagrance», a-t-il expliqué. Parmi les officiers de police judiciaire qui ont ordonné l’arrestation des militants, un seul a comparu: le major Mbatu Mulo.

Une trentaine de membres de la Lucha étaient présents à l’audience. De nombreuses personnes sont également venues soutenir les jeunes prévenus. Après l’audience, les prévenus ont été accompagnés par leurs camarades jusqu’à leur cachot au parquet près le tribunal de grande instance, en chantant.

Les membres de la Lucha se sont ensuite retrouvés pour prier dans l’enceinte même du tribunal.

Les six membres de Lucha qui sont jugés sont: John Anibali, Serge Sivya, Melka Kamundu, Kambale Mutshunga Croco, Kavuo Rebecca et Ghislain Muhirwa.[19]

Le 22 février, les six militants de la Lucha ont comparu pour la troisième fois devant le tribunal, accusés d’association de malfaiteurs et d’incitation à la désobéissance civile.

A la barre, l’Officier de la police judiciaire en charge de l’enquête parle de «calicots subversifs» découverts sur les lieux de l’arrestation et d’un informateur anonyme qui aurait dénoncé les six jeunes qualifiés de « malfaiteurs » parce qu’ils auraient fait «du bruit». Les avocats de la défense l’interpellent. Une saisie dans une maison sans électricité à 4h du matin, des jeunes ligotés jusqu’à laisser des marques… « Ils n’étaient pas encore arrêtés », rétorque l’officier. Huées dans la salle pleine à craquer et sans nul doute favorable aux prévenus.

Le président du tribunal finit par demander aux jeunes militants de trier parmi les nombreuses pancartes et affiches présentées, celles qu’ils reconnaissent avoir écrites. Il y en a près d’une quarantaine, écrite sur du papier de nappe ou des morceaux de carton: «Nous avons gagné la coupe, nous allons gagner la lutte pour la démocratie, l’alternance, les délais constitutionnels». L’un des jeunes activistes répond aux juges: «On voulait simplement répondre à l’appel de l’autorité provinciale qui avait demandé aux patriotes de venir accueillir la coupe du Chan à Goma».

Le procès a été ajourné et devrait reprendre ce mercredi avec le réquisitoire et les plaidoiries.[20]

Le 24 février, les six jeunes membres du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha) ont été condamnés par le Tribunal de grande instance de Goma (Nord-Kivu) à deux ans de servitude pénale pour « désobéissance à l’autorité » et « incitation à la révolte ». Le ministère public avait requis dix ans. Le tribunal a par ailleurs jugé non fondé et rejeté le grief d’appartenance à une association de malfaiteurs. L’un des avocats de la défense, Georges Kapyamba, fait état de son intention d’interjeter l’appel.

Dans la capitale, Kinshasa, deux autres activistes de la Lucha, Bienvenu Matumo et Marc Héritier Kapitene, ont été arrêtés et mis en détention. Ils avaient été portés disparus d’un hôtel de la commune de Bandal tôt dans la matinée du 16 février avant d’être transférés trois jours plus tard au parquet. Avec Victor Tesongo, membre d’un parti de l’opposition, les deux activistes ont été placés sous mandat d’arrestation provisoire pour « incitation à la désobéissance civique, propagation de fausses nouvelles et atteinte à la sureté intérieure de l’État ». Des accusations fallacieuses, selon Human Rights Watch qui estime que «les autorités congolaises semblent déterminées à réprimer la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement».[21]

Le 25 février, la France et la Belgique ont demandé aux dirigeants de la RDCongo de respecter la liberté d’expression et de garantir un débat démocratique serein, après la condamnation à la prison de six militants pro-démocratie.

«Nous appelons les autorités congolaises à respecter les libertés fondamentales, conformément aux engagements internationaux que la RDCongo a souscrits», a déclaré le ministère français des Affaires étrangères dans un communiqué. «A l’approche d’échéances électorales majeures, conformément à la Constitution, il est essentiel que la société civile puisse prendre part à un débat démocratique serein et que les responsables politiques ne subissent pas d’entraves dans leurs activités», a ajouté le ministère.

Le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, s’est dit lui aussi, dans un communiqué, préoccupé par les condamnations à des peines de prison fermes de six étudiants qui militaient pacifiquement au sein d’un mouvement citoyen. Pour la Belgique, «l’expression libre d’opinions divergentes est une condition nécessaire à l’avènement d’un dialogue permettant d’avancer sur la voie d’élections apaisées», a ajouté M. Reynders, en s’inquiétant des restrictions aux droits et libertés en RDC à l’approche d’échéances électorales majeures.

Washington, par la voix de son envoyé spécial, pour les Grands Lacs se dit profondément déçu de cette condamnation. «Je pense que les réactions excessives de ce genre sont certainement vues comme une faiblesse et non pas comme une force», a estimé Tom Perriello ajoutant que la criminalisation de l’opposition légitime ne pouvait qu’entrainer une radicalisation que ni le gouvernement, ni l’opposition ne peuvent souhaiter.

Un porte-parole de l’Union Européenne se contente de rappeler qu’ «un dialogue ne peut porter des fruits si le droit de s’exprimer librement et d’une façon responsable est respecté».

Face à ces réactions, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, dénonce du néocolonialisme. «Nous trouvons surprenant et même scandaleux que des gouvernements étrangers qui ont le plus grand respect pour leurs propres institutions judiciaires se permettent de montrer un tel mépris pour celles de la RDC», s’est indigné Lambert Mendé. Mouvement des jeunes indignés, Lucha se définit comme une structure apolitique et non violente. Pour M. Mende, au contraire, Lucha est « un mouvement non enregistré qui prône ouvertement l’anarchie et le chaos ».[22]

[1] Cf Radio Okapi, 19.02.’16

[2] Cf Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 19.02.’16

[3] Cf RFI, 20.02.’16

[4] Cf RFI, 20.02.’16

[5] Cf Radio Okapi, 20.02.’16

[6] Cf democratiechretienne.org, 08.02.’16 http://democratiechretienne.org/2016/02/08/senateur-edward-markey-demande-au-secretaire-detat-kerry-dimposer-les-sanctions-sur-kabila-et-son-entourage-si-necessite-delection-libre-oblige/

[7] Cf Radio Okapi, 12.02.’16 – Texte intégral: http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-02/press_release_-_feb_12_2016_-_testimony_of_segl_perriello_before_senat_.pdf

[8] Cf Radio Okapi, 19.02.’16 http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-02/press_release_-_feb._19_2016_-_exercise_of_the_right_to_freedom_of_expr.pdf

[9] Cf Radio Okapi, 16.02.’16; Forum des As – Kinshasa, 18.02.’16   http://www.forumdesas.org/spip.php?article6745

[10] Cf Peter Tshibangu – La Prospérité – Kinshasa, 15.02.’16

[11] Cf RFI, 21.02.’16; Radio Okapi, 21.02.’16 http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-02/untitled.pdf

[12] Cf La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 24.02.’16

[13] Cf RFI, 21.02.’16; Radio Okapi, 21.02.’16 http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-02/untitled.pdf

[14] Cf Eric Wemba – Le Phare – Kinshasa, 24.02.’16

[15] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 23.02.’16

[16] Cf Eric Wemba – Le Phare – Kinshasa, 24.02.’16

[17] Cf La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 24.02.’16

[18] Cf Radio Okapi, 18.02.’16; RFI, 19.02.’16

[19] Cf Radio Okapi, 20.02.’16

[20] Cf RFI, 23.02.’16

[21] Cf Radio Okapi, 24.02.’16

[22] Cf AFP – Africatime, 26.02.’16; RFI, 27.02.’16