Règlement de l’Union Européenne sur l’approvisionnement responsable en minerais

RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE (UE) SUR L’APPROVISIONNEMENT RESPONSABLE EN MINERAIS

MISE EN ŒUVRE DU SYSTÈME DE DILIGENCE RAISONNABLE PROPOSÉ PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN

Briefing de la Société Civile – Octobre 2015[1]

 

 

SOMMAIRE:

PRÉSENTATION

INTRODUCTION

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

  1. TRAITER LE PROBLÈME EFFICACEMENT
  2. À QUOI DOIT SERVIR LA DILIGENCE RAISONNABLE DANS LES CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT?
  3. VEILLER À LA MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME DE DILIGENCE RAISONNABLE VIABLE POUR LES ENTREPRISES

a) Renforcer les dispositions du Parlement relatives aux entreprises en amont

b) Traduire en un système viable les dispositions de l’OCDE relatives aux entreprises en aval

4. VEILLER À LA MISE EN OEUVRE D’UN SYSTÈME VIABLE POUR LES ÉTATS MEMBRES

a) Obligations de divulgation des entreprises

b) Obligations des États membres en matière d’évaluation de la conformité

c) Recommandations relatives aux dispositions régissant le suivi et l’application

5. ACCROÎTRE L’EFFICACITÉ DU RÈGLEMENT: OPTER POUR UNE APPROCHE PLUS GLOBALE

a) Mesures d’accompagnement

b) Élargissement éventuel du champ d’application matériel

 

PRÉSENTATION

 

Suite au vote du Parlement européen survenu le 20 mai 2015, les États membres de l’UE discutent actuellement du dossier «minerais de conflit» et devraient adopter rapidement une position commune concernant le futur Règlement sur l’approvisionnement responsable en minerais.

Avec ce briefing, EurAc et ses partenaires de la société civile décryptent la proposition du Parlement européen sur les minerais de conflit et font des recommandations pour sa mise en œuvre pratique. Le briefing met en évidence le fait qu’un régime de diligence raisonnable s’appliquant aux opérateurs situés en amont et en aval de la chaine d’approvisionnement qui sont les premiers à placer les minerais concernés ou les produits qui en contiennent sur le marché européen augmenterait l’efficacité du Règlement. Il se penche sur les questions pratiques de mise en œuvre, en se basant sur l’expérience des États membres relative aux législations européenne et nationales existantes, afin de montrer qu’un régime de diligence raisonnable obligatoire est réalisable tant pour les États membres que pour les entreprises. Le briefing fait également des recommandations en vue de renforcer la proposition du Parlement.

 

 

INTRODUCTION

 

Le vote du 20 mai 2015 au Parlement européen a établi les principes clés à appliquer en vue d’un système de diligence raisonnable permettant d’aligner l’UE sur les efforts menés à l’échelon mondial pour lutter contre le commerce de minerais liés au conflit, à la corruption et aux atteintes aux droits humains. Il s’agit d’élaborer une norme concrète en matière de diligence raisonnable, d’harmoniser les règles auxquelles sont soumis les entreprises et les investisseurs de l’UE et de s’assurer que l’UE adopte une approche cohérente et intégrée à l’égard de plusieurs de ses objectifs de développement et de politique étrangère.

La proposition du Parlement souligne l’importance d’un système de diligence raisonnable obligatoire qui soit davantage en conformité avec les normes internationales existantes -principalement le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement

responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque (Guide OCDE sur le devoir de diligence) – et qui s’applique aux importateurs en amont et aux opérateurs en aval qui sont les premiers à placer les minerais concernés sur le marché unique européen.

Les États membres peuvent s’appuyer sur les législations existantes régissant la diligence raisonnable, la transparence et la surveillance des marchés, pour soutenir la norme de diligence raisonnable proposée par le Parlement et élaborer un système efficace et viable.

 

 

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

 

Pour s’assurer de disposer d’un système de diligence raisonnable efficace et viable, nous recommandons aux États membres de:

  1. Soutenir un Règlement qui exige que toutes les entreprises qui sont les premières à placer sur le marché unique européen les minerais concernés – matériaux bruts ou entrant dans la composition de produits – s’approvisionnent de manière responsable, conformément au Guide OCDE sur le devoir de diligence.
  2. Soutenir un Règlement qui reflète le caractère flexible et progressif de la diligence raisonnable. Les normes devraient s’appuyer sur des efforts «raisonnables» et une amélioration continue et s’adapter aux circonstances individuelles de l’entreprise, par exemple la place qu’elle occupe au sein de la chaîne d’approvisionnement, sa taille et l’influence qu’elle exerce sur les fournisseurs. Voir Section 2 ci-dessous pour un complément d’information.
  3. Renforcer les dispositions de la proposition du Parlement concernant les entreprises situées en amont et inviter la Commission, l’OCDE ou d’autres organes à élaborer des outils et des orientations pour les aider à remplir leurs obligations. Voir Section 3 (a) ci-dessous pour un complément d’information.
  4. Transposer juridiquement les normes du Guide OCDE sur le devoir de diligence concernant les entreprises situées en aval, et inviter la Commission, l’OCDE ou d’autres organes à élaborer des outils et des orientations pour les aider à remplir leurs obligations. Voir Section 3 (b) ci-dessous pour un complément d’information.
  5. Élargir les dispositions relatives au suivi et à l’application du Règlement (articles 10-15), afin qu’elles s’appliquent à toutes les entreprises inclues dans le champ d’application du Règlement, y compris les entreprises en aval qui sont les première à placer sur le marché les minerais concernés, et inviter la Commission à fournir des conseils assurant une approche harmonisée et viable. Voir Section 4 ci-dessous pour un complément d’information.
  6. Renforcer les mesures d’accompagnement, afin qu’elles répondent mieux aux défis de développement potentiels associés à la mise en œuvre du Règlement, par exemple ceux auxquels sont confrontés les secteurs miniers artisanaux et informels. Voir Section 5 ci-dessous.
  7. Inclure un mécanisme qui permette d’ajouter ultérieurement d’autres minerais et ressources naturelles au champ d’application du Règlement. Voir Section 5 ci-dessous.

 

 

1. TRAITER LE PROBLÈME EFFICACEMENT

 

L’objectif annoncé de la Commission européenne concernant cette proposition réglementaire est de s’attaquer au financement persistant que tirent des groupes armés et des forces de sécurité de l’extraction et du commerce de minerais dans les zones de conflit ou à haut risque.

L’impact désastreux de ce commerce est largement reconnu. Il s’agit d’un problème d’ampleur mondiale.

  • Sur les soixante dernières années, au moins 40 % de tous les conflits intra-étatiques sont potentiellement associés aux ressources naturelles.

L’UE est une destination majeure de nombre des minerais qui risquent d’être liés au financement de conflits et d’atteintes aux droits humains.

  • En 2013, l’UE représentait environ 16 % des importations mondiales d’étain, de tantale, de tungstène et d’or (« 3TG ») sous forme brute. Le total de ces importations représente une valeur d’environ 123 milliards €.
  • L’UE est le deuxième plus gros importateur de téléphones portables et d’ordinateurs portables au

monde, et trois des cinq principaux importateurs mondiaux se trouvent dans l’UE.

Ces deux types d’appareils contiennent des 3TG.

Pour lutter contre cette problématique, la Commission a proposé un système basé sur le volontariat. Cependant, les entreprises de l’UE disposent de normes non contraignantes depuis un certain temps déjà, sous la forme du Guide OCDE sur le devoir de diligence et des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme (Principes directeurs de l’ONU). Peu d’entreprises européennes ont choisi de les mettre en œuvre. Et il semble que ces dernières l’aient fait uniquement en raison d’exigences obligatoires en vigueur dans d’autres territoires, comme par exemple aux États-Unis.

  • 93 % des entreprises de l’UE qui travaillent avec des 3TG et qui ne sont pas encore affectées par le biais de la législation contraignante américaine ne font aucune référence sur leur site Internet ou dans leurs rapports annuels à une politique relative aux minerais du conflit, d’après des données produites par une enquête de la Commission.
  • 88 % des entreprises européennes étudiées par l’ONG néerlandaise SOMO ne font aucune référence aux minerais du conflit sur leur site Internet.

La diligence raisonnable ne peut à elle seule mettre un terme aux conflits, ni complètement éliminer le commerce de minerais qui profite aux groupes armés. Mais en améliorant la transparence et en demandant aux entreprises de s’engager à minimiser ces risques, elle peut contribuer à bouleverser les flux de capitaux vers les groupes armés et d’autres acteurs corrompus ou responsables d’atteintes aux droits humains.

 

 

2. À QUOI DOIT SERVIR LA DILIGENCE RAISONNABLE DANS LES CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT?

 

Les Principes directeurs de l’ONU font valoir sans équivoque qu’il incombe à toutes les entreprises de respecter les droits humains dans le cadre de leurs activités commerciales. La diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement – exercice consistant à identifier et gérer les risques que comporte la chaîne d’approvisionnement – est apparue comme l’un des principaux outils permettant d’aider les entreprises à remplir leurs devoirs dans un large éventail de filières, y compris le textile, l’alimentation, la santé et la sécurité, le bois d’œuvre et les finances.

Dans le secteur des minerais, le Guide OCDE sur le devoir de diligence constitue la norme internationale pour les entreprises présentes tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

La diligence raisonnable est un outil concret et flexible. Il met l’accent sur ce que l’entreprise devrait faire pour identifier, évaluer et gérer les risques associés à sa chaîne d’approvisionnement.

Elle reconnaît que différents facteurs individuels peuvent affecter la réponse que l’entreprise apporte à un risque particulier, par exemple la place qu’elle occupe au sein de la chaîne d’approvisionnement, sa taille et l’influence qu’elle exerce sur les fournisseurs.

Elle adopte une approche fondée sur les risques. Les mesures qui seront prises pour enquêter sur les risques et les gérer devraient donc être adaptées en fonction des risques auxquels l’entreprise est concrètement confrontée. Elle s’appuie sur le principe selon lequel les entreprises déploient des efforts raisonnables et proactifs et recherchent une amélioration permanente.

 

Un grand nombre d’entreprises et d’autorités nationales de l’UE connaissent déjà les principes fondamentaux de la diligence raisonnable.

  • Des législations européennes et nationales rendent la diligence raisonnable obligatoire dans certains secteurs, notamment la Directive anti-blanchiment de l’UE et le Règlement bois de l’UE.

Il est également fréquent de rendre obligatoire la présentation d’informations sur les pratiques de diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement (par exemple, la Directive de l’UE concernant la publication d’informations non financières et la loi britannique sur les formes modernes d’esclavage «Modern Slavery Act»).

  • La Directive anti-blanchiment de l’UE fait valoir que les États membres doivent s’assurer que les entités prennent des mesures «appropriées» pour identifier et évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, en tenant compte des facteurs de risque. Ces mesures devraient aussi être «proportionnées à la nature et à la taille des entités assujetties».
  • La législation britannique de lutte contre la corruption, le «Bribery Act», prévoit que l’organisation mette en place des procédures pour empêcher la corruption qui soient proportionnées aux risques de corruption auxquels elle s’expose et à la nature, à l’ampleur et à la complexité de l’organisation.
  • Le Règlement bois de l’UE exige de chaque opérateur qu’il dispose de procédures «adéquates et proportionnées» pour minimiser les risques.

Un grand nombre d’entreprises et d’autorités nationales de l’UE ont donc déjà connaissance de la nécessité de processus et systèmes de gestion des risques «raisonnables», «adéquats» ou «proportionnés», ainsi que du concept de progrès continu.

La diligence raisonnable ne signifie pas une restriction des échanges commerciaux ou un embargo. Le Guide OCDE sur le devoir de diligence encourage les entreprises à s’approvisionner dans des zones à haut risque en prenant des mesures concrètes pour s’assurer de faire preuve de la plus grande prudence et de gérer les risques de manière responsable. Elle n’essaie pas de dissuader les entreprises de s’approvisionner dans certains pays ou régions. Un désengagement total de régions ou de pays ne constitue ni un objectif responsable, ni une exigence en vertu de la diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement.

 

 

3. VEILLER À LA MISE EN PLACE D’UN SYSTÈME DE DILIGENCE RAISONNABLE VIABLE POUR LES ENTREPRISES

 

Le Parlement propose que les importateurs en amont et les entreprises en aval qui sont les premiers à mettre sur le marché des minerais concernés soient tenus de procéder à un exercice de diligence raisonnable, et ce, pour augmenter l’efficacité du Règlement d’au moins trois manières:

  • S’attaquer à tous les flux commerciaux pertinents. Il serait nécessaire que le Règlement couvre non seulement les importations de formes brutes de 3TG, mais également les importations de 3TG entrant dans la fabrication de produits finis – tels que les téléphones portables, les voitures et les ordinateurs portables -, de produits semi-finis et de composants.
  • Accroître mondialement l’impact du Règlement sur les pratiques des chaînes d’approvisionnement. En incluant les entreprises en aval responsables de la première mise sur le marché, la proposition du Parlement tire parti de l’influence commerciale de l’UE pour faire pression sur les entreprises basées en dehors de l’UE qui font partie de la chaîne d’approvisionnement des entreprises européennes, notamment les fonderies. Or, l’approche de la Commission focalisée sur les entreprises en amont passe à côté de cette opportunité. Les fonderies / affineries basées au sein de l’UE représentent un faible pourcentage du secteur mondial spécialisé dans la fonte de l’étain, du tantale et du tungstène.
  • Mieux harmoniser le Règlement avec le Guide OCDE sur le devoir de diligence et les Principes directeurs de l’ONU. Ces deux normes font valoir sans équivoque que l’approvisionnement responsable incombe à la fois aux entreprises en amont et à celles en aval. La diligence raisonnable est conçue pour être efficace lorsqu’elle implique ces deux catégories, en leur permettant de partager les informations et d’influencer les fournisseurs de manière collective.

Pour veiller à l’adéquation et à la faisabilité des normes, et «éviter des distorsions involontaires sur le marché», le Parlement établit une distinction claire entre les normes attendues des entreprises à différents stades de la chaîne d’approvisionnement (article 1, paragraphe (b)). Il fait clairement valoir que les normes s’appliquant en aval, par exemple, devraient refléter le fait que ces entreprises sont plus éloignées des mines d’où les minerais sont extraits.

 

a) Renforcer les dispositions du Parlement relatives aux entreprises en amont

 

La proposition du Parlement transforme en une obligation le dispositif volontaire de la Commission à l’attention des entreprises en amont (article 1, paragraphe 2), et ne modifie pratiquement pas les dispositions d’origine de la Commission (articles 3-7) à leur attention.

Cependant, deux grands domaines devraient être renforcés.

– Premièrement, alors que le Guide OCDE sur le devoir de diligence classe les entreprises en deux catégories – «amont» et «aval» -, le texte du Parlement identifie trois acteurs: les fonderies / affineries, les importateurs de matériaux bruts et les entreprises en aval qui sont les premières à mettre des 3TG (ou des produits contenant des 3TG) sur le marché unique européen.

Par conséquent, les articles 4-7 imposent les exigences de l’OCDE s’appliquant aux entreprises «en amont» – identifier le pays d’origine et effectuer des contrôles – à un groupe intermédiaire d’importateurs de matériaux bruts qui, concrètement, pourraient se situer plus en aval dans la chaîne. Par contre, le Règlement ne devrait pas contraindre les entreprises en aval à remplir les exigences imposées aux entreprises en amont, comme par exemple effectuer des audits ou retracer les minerais jusqu’au pays ou à la mine d’origine.

– Deuxièmement, la «Liste blanche» des fonderies et affineries responsables (article 8) présente trois gros défauts:

  • Pour figurer sur la Liste blanche, les fonderies et affineries ne doivent respecter aucun des critères

relatifs à un approvisionnement responsable.

  • Les «fonderies et affineries responsables» qui figurent sur la liste se définissent comme des «fonderies et affineries figurant dans la chaîne d’approvisionnement d’un importateur responsable» (article 2(p)). Cependant, on ne peut pas confondre la bonne performance d’un «importateur responsable» avec celle des fonderies qui l’approvisionnent. Le caractère progressif de la diligence raisonnable fait qu’un importateur pourrait pendant un certain temps remplir ses obligations en vertu du Règlement même s’il s’approvisionne auprès d’une fonderie qui ne répond pas aux exigences ou n’est pas conforme – par exemple, si il dispose d’un plan précis pour améliorer et gérer cette carence à l’avenir.
  • La liste n’est pas ouverte aux fonderies/affineries situées en dehors de la chaîne d’approvisionnement des entreprises de l’UE, même si elles s’approvisionnent de manière responsable.

La liste des importateurs responsables (article 7(a)) comporte des défauts similaires.

 

Recommandations relatives aux dispositions s’adressant aux entreprises en amont:

 

Nous recommandons aux États membres de:

  • Clarifier la distinction entre les normes pour les entreprises en amont et les normes pour celles en aval figurant dans le Règlement, conformément au Guide OCDE sur le devoir de diligence,

– en modifiant les obligations relatives au système de gestion (article 4, paragraphe (g)) afin que les importateurs de métaux situés en aval ne soient pas tenus d’appliquer un système de traçabilité de la chaîne de contrôle ou d’approvisionnement. En revanche, ces importateurs devraient être tenus d’introduire un système de transparence de la chaîne d’approvisionnement qui permette l’identification des fonderies et des affineries ainsi que la circulation d’informations spécifiques, conformément à l’étape 1 du Guide OCDE sur le devoir de diligence.

– en limitant les exigences en matière d’audit (article 6) des fonderies et affineries qui transforment et/ou importent des 3TG, conformément à l’étape 4 du Guide OCDE sur le devoir de diligence.

– en modifiant les obligations de divulgation d’informations (article 7, paragraphe 3), afin que les importateurs situés en aval ne soient pas tenus de divulguer les audits de tiers indépendants ou la

proportion de minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.

  • Renforcer la Liste blanche (article 8) afin: (1) qu’elle s’appuie sur des critères de diligence raisonnable et de reporting public significatifs, (2) qu’elle soit suivie régulièrement et de manière transparente, (3) qu’elle soit ouverte aux fonderies et affineries qui ne font pas partie de la chaîne d’approvisionnement d’«importateurs responsables» basés au sein de l’UE et (4) qu’elle incite explicitement à un approvisionnement dans les zones de conflit et à haut risque.
  • Inviter la Commission à élaborer des outils et des lignes directrices supplémentaires pour permettre aux entreprises en amont de mieux remplir leurs obligations. Voir les recommandations à la section (b) ci-après.

 

b) Traduire en un système viable les dispositions de l’OCDE relatives aux entreprises en aval

 

Le Parlement propose que le Règlement:

  • S’applique à toutes les entreprises en aval «qui mettent les ressources couvertes – y compris les produits contenant ces ressources – sur le marché de l’Union» (Considérant 9 (a)).
  • Oblige ces entreprises à «élaborer et publier un rapport sur le devoir de diligence à l’égard de leur chaîne d’approvisionnement»; à prendre «toutes les mesures raisonnables» pour identifier et traiter les risques dans leur chaîne d’approvisionnement, conformément au Guide OCDE sur le devoir de diligence; et, dans ce cadre, qu’elles soient «soumises à une obligation d’information» sur leurs pratiques de diligence raisonnable (considérant 9 (a) et article 1, paragraphe 2 (d)).

En vertu du Guide OCDE sur le devoir de diligence, l’entreprise en aval a la responsabilité d’identifier, d’évaluer et de gérer les risques dans sa chaîne d’approvisionnement, y compris le risque qu’elle s’approvisionne auprès d’une fonderie non responsable.

Il est attendu que l’entreprise le fasse tout en prenant des mesures raisonnables et proportionnées pour:

  • Mettre en place un système de transparence, afin d’identifier les fonderies et affineries présentes dans sa chaîne d’approvisionnement. Concrètement, cela signifie que les entreprises doivent dans un premier temps demander cette information à leurs fournisseurs directs (à travers des discussions confidentielles ou en incluant des exigences de divulgation dans les contrats avec leurs fournisseurs).
  • Évaluer s’il existe un risque qu’une fonderie ou une affinerie soit non responsable (p. ex. de mauvaise volonté, peu fiable ou ne cherchant pas à identifier et gérer les risques dans sa chaîne d’approvisionnement), en passant en revue les informations collectées par le biais du système décrit ci-dessus et relatives au pays d’origine, au transport et au transit des minerais figurant dans les chaînes d’approvisionnement de la fonderie ou de l’affinerie, ainsi qu’à leurs processus de diligence raisonnable – y compris le résultat des audits.
  • Gérer et traiter tout risque identifié, conformément à un plan de gestion des risques, par exemple en signalant les résultats à certains membres désignés de la direction.

Le Règlement devrait préciser de manière explicite que la responsabilité de la diligence raisonnable et de la présentation publique des informations incombe aux entreprises individuellement. Une aide – que ce soit via la Liste blanche ou d’autres outils – ne peut en aucun cas dispenser les entreprises en amont ou en aval de remplir cette obligation individuelle.

L’approvisionnement responsable consiste à gérer et partager les risques et les coûts connexes tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et ce, de manière logique et efficace. Le coût d’un approvisionnement irresponsable est bien réel. Il est assumé par les communautés affectées par les conflits et la violence. C’est la raison pour laquelle l’approvisionnement irresponsable engendre aussi un coût juridique, financier et de réputation pour les entreprises et les investisseurs. L’Étude d’impact de la Commission estime que le coût économique de la diligence raisonnable est «raisonnable – voire mineur» à long terme pour la plupart des entreprises, y compris les fabricants et les négociants situés en aval. D’après les estimations, ces coûts représenteraient 0,014 % (coûts initiaux) et 0,011 % (coûts annuels récurrents) du chiffre d’affaires annuel.

Nombre d’entreprises en aval reconnaissent leur responsabilité envers le respect des droits humains et les avantages conférés par des chaînes d’approvisionnement responsables.

  • Des milliers d’entreprises ont publié des politiques régissant la protection des droits humains. IKEA a fait valoir que les chaînes d’approvisionnement éthiques étaient «absolument» plus rentables. Des sociétés comme Apple, Alcatel-Lucent (France) et Deutsche Telekom (Allemagne) ont reconnu le fait que les entreprises doivent tenir compte des risques d’atteintes aux droits humains dans les chaînes d’approvisionnement en minerais, y compris les risques associés au financement de groupes armés.
  • D’autres investisseurs, représentant plus de 855 milliards € d’actifs gérés, ont parlé des avantages conférés par la diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement et ont soutenu publiquement une réglementation européenne forte pour lutter contre les minerais du conflit.

Le problème n’est pas que les PME ne veulent pas ou ne peuvent pas mener un exercice de diligence raisonnable. Les PME jouent un rôle crucial dans les chaînes d’approvisionnement en 3TG. Les exclure entraînerait l’apparition de carences majeures dans la chaîne d’information pour les autres entreprises. D’après l’Étude d’impact de la Commission, une majorité de petites entreprises sont favorables à un certain degré d’obligation. D’autres PME se sont également prononcées en faveur d’exigences obligatoires pour la totalité de la chaîne d’approvisionnement.

La diligence raisonnable elle-même apporte une grande partie de la souplesse dont les PME ont besoin, car les normes sont adaptées à leur taille et à l’influence qu’elles exercent sur les fournisseurs.

 

Recommandations relatives aux dispositions régissant les entreprises en aval:

 

Nous recommandons aux États membres de transposer juridiquement les normes de l’OCDE relatives aux entreprises en aval qui mettent en premier les produits sur le marché, tout comme l’a fait la Commission pour les entreprises en amont. Comme envisagé dans le Guide OCDE sur le devoir de diligence, les États membres pourraient inviter la Commission à préparer des outils et lignes directrices supplémentaires pour aider les entreprises à mieux remplir leurs obligations, notamment:

  • Des dispositions appropriées, afin d’éviter toute duplication d’efforts. Le Règlement devrait clairement indiquer que les entreprises qui emploient déjà des systèmes ou des procédures de diligence raisonnable conformes aux exigences de ce Règlement ne sont pas tenues de mettre en œuvre de nouveaux systèmes.
  • Des lignes directrices et des outils pour évaluer et gérer le risque. La Commission pourrait préparer des conseils à l’attention des entreprises pour les aider à (a) vérifier si elles s’approvisionnent auprès d’une fonderie non responsable, selon des critères de risque non exhaustifs conformes au Guide OCDE et (b) identifier quels types de mesures de gestion des risques sont considérées «raisonnables» ou «proportionnées».
  • Des outils spécifiques pour les PME.
  • Institution d’un bureau d’assistance technique centralisé pour l’UE afin d’aider les entreprises.
  • Création d’un forum permettant de partager l’information et les données de manière standardisée et transparente.

 

 

4. VEILLER À LA MISE EN OEUVRE D’UN SYSTÈME VIABLE POUR LES ÉTATS MEMBRES

 

L’article 9 du Règlement exige des autorités compétentes des États membres qu’elles «assurent une application efficace et uniforme» du Règlement (paragraphe 3), mais les articles 10, 11, 12, 14 et 15 restent limités aux importateurs de matériaux bruts. Nous recommandons d’élargir la portée de ces articles afin de couvrir toutes les entreprises entrant dans le champ d’application du Règlement, y compris les entreprises en aval qui placent des 3TG – ou des produits contenant des 3TG – sur le marché unique. Nous estimons que les États membres peuvent s’appuyer sur l’expérience des lois et règles communautaires existantes qui ont trait à la diligence raisonnable, la transparence et la surveillance des marchés, afin d’assurer un suivi et une application adaptés et harmonisés du futur Règlement sur l’approvisionnement en minerais.

 

Comment les autorités peuvent-elles identifier les entreprises qu’elles sont censées évaluer?

 

Les autorités devront être en mesure d’identifier les entreprises couvertes par la proposition de loi. Il devrait être relativement aisé d’identifier les importateurs de matériaux bruts déjà mis en évidence par la Commission (19-20 fonderies et affineries, 300 négociants et 100 fabricants) dans le cadre de son Étude d’impact. Comme l’a noté la Commission, les autorités douanières auront déjà le nom de la plupart de ces sociétés.

Il sera en revanche plus difficile d’identifier les entreprises en aval qui sont les premières à placer des 3TG sur le marché unique européen. La Commission a apporté une certaine assistance en énumérant 15 secteurs pertinents dans le cadre de l’utilisation et du commerce des 3TG.

Pour aider les autorités à identifier les entreprises pertinentes au sein de ces secteurs, les entreprises devraient être tenues de s’enregistrer:

  • auprès de la chambre de commerce locale, d’un groupement d’entreprises ou d’une autorité locale.
  • auprès des autorités nationales, telles que les autorités de surveillance des marchés.
  • auprès des autorités douanières.

Certaines entreprises sont susceptibles de ne pas savoir que leurs produits contiennent des 3TG ou qu’elles sont considérées comme les «premières à les placer sur le marché unique» en vertu du Règlement. Pour maîtriser ce risque, les États membres pourraient demander à la Commission, à l’OCDE ou à un autre organe de fournir des conseils supplémentaires à l’attention des entreprises, y compris une liste des secteurs «prioritaires» et une liste des produits contenant des 3TG.

Comment les états membres peuvent-ils évaluer la conformité des entreprises?

Afin que le Règlement soit viable pour les États membres, ceux-ci devront instaurer des systèmes leur permettant de recevoir et gérer des informations claires et standardisées en provenance des entreprises. Leur méthode d’évaluation de la conformité devra ensuite adopter une approche fondée sur le risque.

 

a) Obligations de divulgation des entreprises

 

Les propositions avancées tant par le Parlement que par la Commission exigent des importateurs de matériaux bruts qu’ils divulguent annuellement des informations spécifiques aux autorités compétentes des États membres (voir article 7 des deux propositions). Ces entreprises sont également tenues de rendre compte publiquement et d’une manière «aussi large que possible» de leurs politiques et pratiques de diligence raisonnable, en relation avec leur obligation d’identifier et de résoudre les risques rencontrés dans leurs chaine d’approvisionnement.

En pratique, l’étape 5 du Guide OCDE sur le devoir de diligence prévoit qu’une entreprise en aval: •   Fournisse des informations sur sa politique de diligence raisonnable dans sa chaîne d’approvisionnement et sur la structure de gestion en charge de la diligence raisonnable de l’entreprise, y compris le nom du responsable direct;

  • Décrive les mesures qu’elle a prises pour identifier les fonderies et affineries dans sa chaîne d’approvisionnement et évaluer leurs pratiques de diligence raisonnable;
  • Décrive les mesures prises pour identifier et gérer les risques, y compris le mode de gestion des risques associés à un approvisionnement auprès d’une fonderie/affinerie non responsable;
  • Publie tous les rapports d’audit disponibles des fonderies/affineries, tout en tenant compte des préoccupations en matière de confidentialité commerciale et de compétitivité.

Pour cela, il serait nécessaire que le Règlement établisse des obligations claires en matière de diligence raisonnable et de présentation publique de rapports à l’attention de toutes les entreprises qui sont les premières à commercialiser des 3TG, conformément au Guide OCDE sur le devoir de diligence.

 

b) Obligations des États membres en matière d’évaluation de la conformité

 

Une fois que les entreprises ont envoyé les informations pertinentes aux autorités, ces dernières doivent réaliser des contrôles appropriés en employant une approche fondée sur le risque (article 10). Les autorités devront évaluer si une entreprise a rempli ses obligations de diligence raisonnable en vertu des articles 4-7. À ce titre, les États membres peuvent tirer des enseignements

utiles de l’expérience qu’ils ont des autres systèmes de diligence raisonnable. En effet, plusieurs autorités et organismes de réglementation nationaux ont l’expérience de la mise en œuvre de systèmes de gestion des données destinés à recevoir et à gérer de grandes quantités d’information émanant des entreprises. Par exemple, au Royaume-Uni, plus de 3 millions d’entreprises sont enregistrées et plus de 7 millions de documents sont archivés chaque année auprès de la «Companies House». Le Registre européen du commerce contient les informations de 20 millions d’entreprises couvrant 27 juridictions. Afin d’aider les autorités nationales, la Commission, l’OCDE ou d’autres organes pourraient élaborer des lignes directrices et une liste des secteurs et produits. En tout cas, les États membres doivent toujours être responsables au premier chef du suivi et de l’application du Règlement, et ne doivent pas transférer cette responsabilité au secteur privé.

 

c) Recommandations relatives aux dispositions régissant le suivi et l’application:

 

Outre les recommandations ci-dessus, nous suggérons que les États membres proposent:

  • L’élargissement des dispositions relatives au suivi et à l’application du Règlement (articles 10-15), afin qu’elles s’appliquent à toutes les entreprises relevant du Règlement, y compris les entreprises en aval qui sont les premières à mettre sur le marché unique des 3TG ou des produits contenant des 3TG.
  • Des exigences de présentation de rapports claires et harmonisées, pour s’assurer que les entreprises soumettent des informations dans un format transparent et harmonisé à travers l’UE, et veiller à ce que la gestion et le traitement de l’information par les autorités des États membres s’appuient sur des principes adéquats d’accès aux données.
  • Une plateforme formelle ou un autre mécanisme pour veiller à l’instauration d’un dialogue fréquent et standardisé, d’un partage de l’information et d’une coordination entre autorités compétentes.
  • Une disposition s’adressant spécifiquement à un mécanisme de lancement d’alerte qui déclenche de manière automatique, transparente et rapide l’ouverture d’enquêtes par les autorités compétentes. Pour les entreprises basées au sein de l’UE, l’enquête devrait être menée par l’autorité du pays dans lequel l’entreprise est installée.

 

 

5. ACCROÎTRE L’EFFICACITÉ DU RÈGLEMENT: OPTER POUR UNE APPROCHE PLUS GLOBALE

 

Un Règlement de l’UE relatif aux échanges commerciaux dont l’objectif est de perturber les flux de capitaux vers les groupes armés, les membres corrompus de l’armée et d’autres acteurs violents ne pourra à lui seul mettre un terme au conflit ou aux graves violations des droits humains. Les exigences européennes quant à un approvisionnement responsable doivent par conséquent s’inscrire dans le cadre d’un agenda cohérent et global comprenant d’autres initiatives, visant par exemple à soutenir une réforme de la gouvernance et à mobiliser de manière appropriée diplomatie et politique de développement.

 

a) Mesures d’accompagnement

 

Le Parlement a intégré des mesures d’accompagnement dans le Règlement (article 15), conformément aux mesures figurant dans la Communication conjointe du 5 mars 2014 de la Commission et de la Haute-Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Cependant, il serait préférable que les mesures d’accompagnement répondent aux défis de développement potentiels associés à la mise en œuvre du Règlement. Par exemple, l’objectif des mesures de coopération au développement et de politique étrangère ne devrait pas être uniquement de favoriser les capacités et les conditions du marché à promouvoir le commerce de ressources obtenues de manière responsable. Même si de telles mesures sont importantes, la diplomatie et la coopération au développement européenne devraient se pencher en priorité sur les défis auxquels le secteur minier artisanal et informel pourrait faire face si les opérations commerciales ou les décisions d’approvisionnement venaient à changer du fait de la mise en œuvre du Règlement.

 

b) Élargissement éventuel du champ d’application matériel

 

La proposition du Parlement se limite à l’étain, au tantale, au tungstène et à l’or, et elle fait donc abstraction du rôle que jouent – et pourraient jouer à l’avenir – d’autres minerais et ressources naturelles dans le financement de conflits et d’atteintes aux droits humains. Du fait de cette limite posée à son champ d’application, le Règlement, tel qu’il a été rédigé, ne pourra s’adapter aux éventuelles évolutions au sein du commerce des ressources, ou à la nature changeante des conflits ou atteintes aux droits humains. Cette limitation du champ d’application est contraire au Guide OCDE sur le devoir de diligence, qui est supposé pouvoir s’appliquer à toutes les chaînes d’approvisionnement en minerais. Le Règlement devrait donc inclure un mécanisme permettant à d’autres minerais et ressources naturelles d’être couverts par le Règlement, comme c’est le cas dans la législation DFA 1502.

[1] Cf Texte complet: http://www.eurac-network.org/pdf/plaidoyers/ngo-coalition-briefing-october-2015-french-.pdf