Congo Actualité n.239

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: Nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous allons continuer à nous mobiliser

  1. ACTIVITÉ PARLEMENTAIRE

  2. Commission Nationale des Droits de l’Homme

  3. La proposition de loi relative à la liberté de manifestation publique

  4. ARRESTATIONS DE MILITANTS PRO-DEMOCRATIE

  5. À Kinshasa

  6. Les déclarations tonitruantes du porte-parole du gouvernement

  7. À Goma

  8. Les réactions des Ong pour la défense des droits de l’homme

  9. La libération et l’expulsion des activistes sénégalais et burkinabé

  10. D’autres activistes congolais sont gardés au cachot

  11. La création d’une mission parlementaire d’information

  12. De nouvelles arrestations à Goma

  13. La Société Civile continue à faire pression

  14. DECOUVERTE D’UNE FOSSE COMMUNE AU CIMETIERE DE FULA-FULA, A MALUKU

  15. Les déclarations du Gouvernement

  16. Les déclarations de la Société Civile

  17. Pour une enquête indépendante et internationale

 

1. ACTIVITÉ PARLEMENTAIRE

a. Commission nationale des droits de l’homme

Le 1er avril, l’Assemblée Nationale a communiqués et entériné les noms des membres de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Ils sont au nombre de neuf, dont quatre femmes. Les personnalités qui vont désormais faire partie de la CNDH sont: Fernandez Murhola, Chantal Nembuzu, Guilain Embusa, Kenge Tshilombay, Amuri Lumumba, Muamba Mushikonke, Astrid Bilonda, Belinda Luntandila et Olivier Wala Wala. Ces personnes ont été désignées par des organisations de la société civile sous l’arbitrage du bureau de l’Assemblée nationale. Leur désignation est consécutive à une série de séances de travail, débutée en décembre 2013. La loi instituant la commission des droits de l’homme avait été votée en décembre 2012 au Parlement. Mais les membres de cet organe chargé de la promotion et de la protection des droits de l’homme n’avaient toujours pas été nommés.[1]

Des ONG du secteur des droits de l’homme, dont la Ligue des électeurs, les Toges noires, l’Asadho ainsi que le Comité d’accompagnement de la CNDH, qualifient d’arbitraire la désignation des neuf membres de cette commission et dénoncent le vice de procédure, la politisation et la non-représentativité de cette structure composée, selon ces organisations, «plus de politiciens que de défenseurs des droits de l’homme». Le secrétaire exécutif-adjoint de la Ligue des électeurs et secrétaire permanent du Comité d’accompagnement, Symphorien Mpoyi, a indiqué que les ONG vont continuer leur travail de monitoring sur la situation des droits de l’homme en parallèle avec la CNDH. Par contre, le Renadhoc a salué la mise en place de la CNDH et la désignation de son secrétaire exécutif national, Fernandez Murhola, au sein de cette commission. «Les organisations des droits de l’homme vont continuer à faire leur travail comme dans le passé. Mais l’avantage ici c’est que nous avons un répondant institutionnel», a affirmé le chargé des programmes au secrétariat exécutif national du Renadhoc, Franck Citende. Il a fait observer que les neuf membres qui composent la CNDH ne sont pas tous de la composante Droits de l’homme: «C’est une commission qui comprend aussi bien les représentant des enseignants, des personnes vivant avec handicap, des organisations féminines».[2]

Le 4 avril, le Chef de l’Etat a investi les neuf membres de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH).[3]

Le président de l’ONG «Avocat sans frontières» en RDC, Richard Bondo,  a saisi la Cour constitutionnelle sur la désignation des membres de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Il estime que la procédure de désignation de ces membres, récemment investis par le chef de l’Etat, a violé une disposition de la constitution. Il évoque le dernier alinéa de l’article 121 de la constitution sur les modalités de vote dans les deux chambres du Parlement: «en cas de délibération portant sur des personnes, le vote s’effectue à bulletin secret». Il estime donc que la désignation des neuf membres de la CNDH sur les dix-huit candidats en lice aurait dû se faire par bulletin secret. Il attend donc que la Cour constitutionnelle déclare cette désignation «nulle et de nul effet».[4]

b. La proposition de loi relative à la liberté de manifestation publique

Le 6 avril, l’Assemblée nationale a examiné le rapport de la Commission politique, administrative et juridique sur la proposition de loi relative à la liberté de manifestation.

Dans son rapport, le président de cette commission a souligné les innovations apportées par cette loi. Il a indiqué que l’article 13 de cette loi stipule que l’autorité compétente habilitée à réceptionner la déclaration préalable de la manifestation dépend désormais de la circonscription administrative à parcourir. Pour une manifestation programmée dans la commune de Kasa-Vubu (ville de Kinshasa), par exemple, les organisateurs devraient «informer» le bourgmestre de cette municipalité et non le gouverneur de la ville de Kinshasa comme dans le passé. Le gouverneur ne pourrait être saisi que lorsqu’une manifestation se déroule de manière continue dans plusieurs villes d’une province ou plusieurs communes de la ville de Kinshasa. Une autre innovation est que l’autorité compétente saisie de la déclaration délivre immédiatement l’accusé de réception. En l’absence de toute notification dans les 48 heures du dépôt, l’accusé de réception suffit à établir la déclaration et à suppléer le silence de l’administration.

En dépit de toutes ces innovations, les députés ont soulevé quelques préoccupations pour améliorer le texte présenté par la Commission Politique, Administrative et Judiciaire.

L’auteur de la proposition de loi, le député Delly Sessanga, appuyé par son collègue Mayo, n’a pas digéré le découplage de la loi sur la liberté de réunion de celle sur la liberté de manifestation publique. Tout en faisant remarquer que la loi sous examen n’était pas organique mais ordinaire, l’élu de Luiza a affirmé que le couplage de ces lois n’allait pas énerver la Constitution comme le soutient la commission. Il a attiré l’attention de la Commission sur la différence entre un attroupement qui peut être dispersé et la manifestation publique qui doit être obligatoirement encadrée, sauf dans les cas extrêmes de dérapage.

Pour sa part, Franck Diongo a haussé le ton pour exiger le rejet de la loi et du rapport de la Commission Politique, Administrative et Judiciaire. Le président du MLP est d’avis que ladite proposition est taillée sur mesure pour réprimer les manifestations de l’opposition pendant la période électorale.

Boris Mbuku a sollicité l’éclairage de la commission sur le cas d’empêchement d’une manifestation publique. Les autres députés ont demandé à la commission de clarifier les raisons qui peuvent pousser l’autorité compétente à interdire une manifestation. Car, bien souvent, plusieurs autorités politiques et administratives interfèrent dans l’organisation des manifestations publiques sur injonction des hommes au pouvoir, mécontents des discours que développent les leaders politiques qui ne partagent pas leur vision des affaires publiques.

Enfin, l’Assemblée nationale a accordé 10 jours à la Commission Politique, Administrative et Judicaire pour intégrer les amendements dans son rapport relatif à la proposition de loi fixant les mesures d’application de la liberté de manifestations présenté à la plénière.[5]

2. ARRESTATIONS DE MILITANTS PRO-DEMOCRATIE

a. À Kinshasa

Le 15 mars, trois leaders des mouvements sénégalais « Y’en a marre » et un burkinabè du « Balai citoyen » ont été interpellés par les forces de l’ordre et puis conduits au siège de l’Agence Nationale du Renseignement (ANR), après une conférence de presse à Kinshasa. Il s’agit des Sénégalais Fadel Barro, Aliou Sane, Malal Talla alias « Fou malade », membres de « Y’en a marre » et du Burkinabè Oscibi Johann, membre du « Balai citoyen ».

Selon un communiqué de Filimbi (sifflet), le mouvement d’action civique de jeunes congolais qui avait invité ces activistes sénégalais et burkinabé pour animer un séminaire sur l’engagement civique des jeunes, une trentaine d’autres personnes ont aussi été interpellées.

Trois journalistes – un photographe de l’AFP, une correspondante de la radio-télévision belge RTBF, et un caméraman de la BBC – qui couvraient la rencontre, ainsi qu’un ressortissant français qui participait à son organisation et un diplomate américain ont également été détenus pendant plusieurs heures au siège de ANR. Ils ont été relâchés dans la soirée.

Ces arrestations interviennent après celles du mois de janvier qui avaient suivi un soulèvement populaire contre une tentative de modification, par le parlement congolais, de la loi électorale qui aurait permis au Président Kabila de se porter candidat pour un troisième mandat, interdit par la Constitution.

A l’en croire le secrétaire exécutif de la Ligue des électeurs, Me Sylvain Lumu, les leaders de Y’en a marre et du Balai citoyen étaient venus en RDC dans le cadre d’échanges d’expérience avec les jeunes congolais. Invités par leurs « frères » congolais du collectif « Filimbi » (traduisez « sifflet » en swahili, l’une des quatre langues nationales de la RDC), regroupant trois associations congolaises – Jeunesse pour une nouvelle société (JNS), Lutte pour le changement (Lucha) et Forum National de la Jeunesse pour l’Excellence (FNJE) – et qui se définit comme un « mouvement d’action civique », les activistes sénégalais et burkinabè étaient arrivés à Kinshasa pour assister à une série de conférences consacrées à la démocratie, le respect des règles constitutionnelles, la bonne gouvernance et la participation active au processus électoral.

Le mouvement « Y’en a marre » a contribué à mettre fin aux ambitions d’Abdoulaye Wade qui voulait briguer un troisième mandat présidentiel au Sénégal. Le « Balai citoyen » a été au centre des événements qui ont conduit à la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso.​[6]

b. Les déclarations tonitruantes du porte-parole du gouvernement

Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a affirmé qu’il leur est reproché de faire la promotion de la violence. Il a indiqué qu’il est reproché aux leaders de Y’en a marre et du Balai citoyen de promouvoir la violence, en assurant une formation des jeunes congolais à l’usage des instruments de violence. «Un Burkinabé qui fait la révolution au Burkina c’est un révolutionnaire. Un Burkinabé qui vient faire la révolution au Congo, c’est une agression. On ne va pas laisser faire ça», a déclaré le porte-parole du gouvernement congolais.

«La RDC n’est ni le Burkina Faso, ni le Sénégal», a rappelé Lambert Mende. «Nous ne permettrons pas que des frères africains viennent apprendre aux jeunes congolais la subversion», a-t-il tancé.

«Que les Burkinabè s’expriment au Burkina Faso. Ils sont Sénégalais, c’est bien qu’ils s’expriment au Sénégal. Mais venir faire de la politique en RDC, ça vraiment c’est interdit par notre législation et nous ne pouvons pas accepter qu’ils viennent intoxiquer nos jeunes», a estimé Lambert Mende.

«Alors qu’officiellement ils étaient venus pour un échange d’expériences, en réalité, ces personnes arrêtées étaient à Kinshasa pour apprendre aux jeunes Kinois comment se confronter aux forces de l’ordre et mettre fin à un régime sans attendre les élections», a-t-il juré.

Il a également annoncé qu’un diplomate américain arrêté avec le groupe a été relâché le même dimanche. Sur sa page Facebook, l’ambassade des Etats-Unis en RDC a indiqué qu’il s’agit d’un membre de USAID, une organisation américaine ayant sponsorisé en partie cet événement.

Le porte-parole du gouvernement a ajouté même que la police aurait des preuves selon lesquelles les activistes burkinabè et sénégalais interpellés avaient prévu d’organiser un autre séminaire pour apprendre la fabrication des cocktails Molotov. «Ils [les leaders de « Y’en a marre » et de « Balai citoyen »] doivent répondre à certaines questions, notamment sur leur adresse en RDC. Pour avoir le visa, ils avaient déclaré qu’ils seraient logés à l’hôtel Venus, où ils n’ont jamais mis les pieds», a soutenu Lambert Mende, soupçonnant une « tentative de vivre en clandestinité » en RDC.

«Du n’importe quoi!», rétorque Yangu Kiakwama. Pour lui, tout au long de l’atelier de « Filimbi » et lors de la conférence de presse de clôture, il a été rappelé que «la violence n’est pas la solution». «Nous nous adressons plutôt aux jeunes pour leur demander de s’engager, de devenir des citoyens», martèle-t-il, réfutant toute tentative d’étiqueter leur mouvement comme une action subversive ou contre le président Joseph Kabila.

Parmi les Congolais qui ont été arrêtés figure Fred Bauma, un des membres importants de la Lucha basée à Goma. Selon Serge Sivya, membre de la même organisation, le Congo est en train de se ridiculiser: «Nous sommes en train de regretter ce fait-là, qui ridiculise notre pays, qui se veut pourtant démocratique, mais qui est en train de museler le droit des citoyens et la liberté d’expression». Et d’ajouter: «Nous disons que nous n’allons pas accepter que le train de la liberté de la démocratie, qui a démarré dans notre pays, puisse être freiné par qui que ce soit. Nous sommes engagés en tant que jeunes citoyens pour l’avènement de la démocratie dans notre pays et rien ne pourra nous arrêter même si on peut organiser des arrestations arbitraires».[7]

c. À Goma

Le 16 mars, à Goma, dans l’est de la RDC, le ton monte. «Nous accordons 24 heures aux autorités, pour qu’elles libèrent notre camarade Fred Bauma et les frères de ‘Y’en a marre’ et de ‘Balai citoyen’. Dans le contraire, nous mènerons des actions d’envergure», menace Simon Mukenge, membre du mouvement pour la « Lutte pour le Changement » (Lucha).[8]

Le 17 mars, la Lucha a annoncé que neuf de ses membres ont été arrêtés dans la matinée à Goma, dans l’est du pays. Ils ont été libérés dans la soirée. Les neuf militants s’étaient rendus devant les locaux de l’Agence Nationale du Renseignement pour réclamer la libération immédiate des militants détenus à Kinshasa, parmi lesquels Fred Bauma, un membre de Lucha.[9]

Le 18 mars, une vingtaine de jeunes du mouvement Lucha ont organisé un sit-in depuis la matinée devant le bureau du gouverneur du Nord-Kivu à Goma, réclamant la libération d’autres membres des mouvements citoyens arrêtés à Kinshasa. Ils ont affirmé vouloir continuer à manifester pacifiquement jusqu’à ce que leurs collègues arrêtés à Kinshasa soient libérés. Ces jeunes disent être prêts à se faire tous arrêter jusqu’à ce que le gouvernement remplisse les prisons, pourvu d’atteindre leur objectif.[10]

d. Les réactions des Ong pour la défense des droits de l’homme

Pour le responsable Afrique de la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), Florent Geell, cette vague d’arrestation est un mauvais signal à double titre: «Kinshasa utilise, comme tous les pouvoirs qui tentent de réprimer, les accusations de terrorisme, d’atteinte à la sûreté de l’Etat pour tenter de mater un mouvement citoyen pacifique. C’est un signal malheureusement très clair de la volonté des autorités congolaises de ne pas avoir d’élections transparentes, organisées, démocratiques… En arrêtant ces militants qui tentent de mobiliser la population et notamment les jeunes pour aller voter: manifestement le gouvernement congolais considère que plus il y aura de gens à aller voter, moins ce sera bon pour lui. Ça, c’est un vrai recul pour la démocratie congolaise si tant est qu’il y est une démocratie congolaise aujourd’hui».

Le porte-parole de la diplomatie belge, Henrik Van de Velde, s’est inquiété du «resserrement de la liberté d’expression» que ces arrestations supposent: «Nous exprimons notre inquiétude également au sujet de l’usage disproportionné de la force et puis enfin, pour certains risques d’arrestations arbitraires».[11]

Dans un communiqué, Human Rights Watch (HRW) a déploré ces arrestations et a dénoncé une répression de la liberté d’expression. «Nous pensons que c’est un signal très inquiétant d’une répression de la liberté d’expression et de rassemblement», a indiqué Ida Sawyer, chercheuse senior de HRW. Elle estime que ces arrestations sont peut être liées au processus électoral. «Les activistes ont été arrêtés après un atelier à Kinshasa où ils ont discuté de l’importance de la jeunesse de s’engager dans le processus politique et les élections. On pense que c’est peut être lié à ça que les autorités étaient inquiétées», a affirmé Ida Sawyer. HRW a appelé à la libération des activistes arrêtés. De son côté, la Monusco a déploré l’arrestation des leaders de ces mouvements pour la démocratie, à Kinshasa ainsi qu’à Goma. Le porte-parole de la mission onusienne, Charles Antoine Bambara, a rappelé que la Constitution de la RDC reconnait les libertés d’expression et de manifestation et qu’il faut, donc, les respecter.[12]

e. La libération et l’expulsion des activistes sénégalais et burkinabé

Le 18 mars, les quatre activistes sénégalais et burkinabés ont été libérés, déclarés persona non grata et expulsés de la RDCongo. Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, soutient que ces activistes étaient venus apprendre aux Congolais à poser des actes subversifs contre le pouvoir: «L’objectif avoué de ces sénégalais et burkinabé et de leurs exécutants congolais était de perturber le processus démocratique et électoral dans notre pays. C’est pour cela que nous avons décidé de les expulser de notre territoire: ils n’ont pas le droit de venir faire de la politique ici. Ils ont prétendu être venus ici pour agir dans le sens d’un changement du régime d’un pays qui n’est pas le leur, cela ne se fait pas».[13]

f. D’autres activistes congolais sont gardés au cachot

Quant aux Congolais encore détenus au secret par les services de sécurité, le ministre Mende a affirmé qu’ils seront présentés devant la justice pour atteinte à la sureté nationale. Il a ajouté que «il y a beaucoup d’argent qui a circulé, il y a des comptes qui ont été ouverts sous de fausses identités… Il y a même une fausse société qui a été créée pour pouvoir inviter les trois Sénégalais et le Burkinabè. Nous avons retrouvé des tenues militaires. Tout cela nécessite que ceux qui sont à la base de cette initiative puissent passer devant le procureur de la République».[14]

Le 19 mars, six militants congolais pro-démocratie ont été libérés, tandis que plusieurs autres (une dizaine) restaient encore détenus.[15]

Le 23 mars, l’avocat de sept militants congolais pro-démocratie encore détenus a déposé une plainte pour « arrestation arbitraire » de ses clients.

Selon une copie de la lettre de Me Sylvain Lumu adressée au procureur général de la République, il s’agit d’une « plainte contre inconnu (contre X, ndlr) pour enlèvement, arrestation arbitraire, détention et perquisitions illégales ainsi que pour violation des droits garantis aux particuliers ».

Sylvain Lumu a précisé que cette plainte visait à défendre ces « sept » militants pro-démocratie arrêtés mais que d’autres personnes restaient détenues, sans pouvoir en indiquer le nombre ni l’identité. Parmi les militants qu’il défend figurent Fred Bauma, du mouvement Lutte pour le changement (Lucha), basé à Goma dans l’est du pays, et Mi-Yangu Kiakwama kia Kiziki, membre du mouvement « Filimbi » et fils de Gilbert Kiakwama, un député de la Convention des Démocrates Chrétiens (CDC), un parti de l’opposition.[16]

Le 31 mars, lors d’une conférence de presse organisée à Goma, les militants du mouvement Lutte pour le changement (Lucha), ont exigé la libération immédiate et sans condition de leur collègue Fred Bauma, encore détenu à Kinshasa. Luc Nkulula wa-Mwamba a accusé les autorités congolaises de ne pas respecter les lois du pays. «Fred Bauma et les autre activistes sont déjà dans une situation d’arrestation arbitraire. On les a arrêtés sans un mandat. Et jusqu’aujourd’hui, ils sont détenus depuis quinze jours, sans aucune inculpation à leur charge, sans avoir été déférés en justice», a déploré Luc Nkulula. L’article 18 de la Constitution de la RDC dispose que « la garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures » et qu’à l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente ».

Lucha appelle le Peuple Congolais à «ne pas céder ni à la peur, ni aux intimidations, ni à la propagande et à la désinformation, mais au contraire à défendre sa liberté d’opinion, d’expression, d’association et de manifestations pacifiques, si gravement menacée», a déclaré Luc Nkulula wa-Mwamba, précisant que «Nous ne sommes pas un parti politique mais plutôt un mouvement citoyen qui milite pour le changement. Nous sommes là pour parler à la place des sans voix, comme ces femmes vendeuses de braises et de haricots (dans la rue) qui n’ont pas d’espace pour parler».[17]

g. La création d’une mission parlementaire d’information

Le 23 mars, le député Gilbert Kiakwama a déposé une motion devant l’Assemblée nationale pour demander la libération immédiate de ces jeunes. De sa part, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, a promis qu’une mission d’information serait mise en place, pour faire la lumière sur cette affaire: vérifier ce qu’on reproche à ces militants et où ils sont détenus.[18]

Le 27 mars, à l’Assemblée nationale, le président Aubin Minaku a signé l’ordre de mission de 10 jours permettant à 15 députés de la majorité et de l’opposition de lancer une mission d’information sur cette affaire.[19]

Le 2 avril, les quinze députés membres de la mission parlementaire d’informations, mise sur pied à l’Assemblée nationale, ont enfin pu rencontrer trois détenus, Sylvain Saluseke, Fred Bauma, Yves Makwambala, les trois derniers que les autorités affirment détenir. Selon un membre de la mission d’information, «pour l’instant, rien dans les documents transmis par les autorités ne fait état de préparation d’actes terroristes ou des cocktails Molotov». Références aux propos du porte-parole du gouvernement, Lambert Mende.[20]

h. De nouvelles arrestations à Goma

Le 7 avril, quatre membres de Lucha ont été arrêtés à Goma, alors qu’ils participaient, le soir, à l’action « Coup de sifflet » en faveur de la libération des militants détenus à Kinshasa et du respect des libertés publiques. «Nous avons appréhendé les jeunes gens en train de distribuer des tracts sur la voie publique», a-t-on confirmé de source policière, ajoutant: «nous les gardons au cachot parce qu’ils troublaient l’ordre public. Ils sont au nombre de quatre. Le moment venu, nous allons les transférer à des instances compétentes».

Sur Twitter, la Lucha a donné les noms des quatre personnes arrêtées – Trésor Akili, Vincent Kasereka, Gentil Mulume et Sylvain Mumbere. La Lucha avait appelé le 1er avril la population congolaise à siffler ou à faire du bruit tous les soirs pendant cinq minutes à 17h00 GMT, pour obtenir « la libération de Fred Bauma et ses compagnons » (au moins deux autres personnes) détenus par l’Agence nationale de renseignement depuis leur arrestation le 15 mars.[21]

Le 10 avril, les quatre membres de Lucha ont été présentés à la justice et auditionnés par le substitut du procureur de la République de Goma.[22]

Le 13 avril, les quatre jeunes activistes de Lucha ont été transférés à la prison centrale de Munzenze sur ordre du procureur de la République de Goma. Les quatre militants de Lucha sont inculpés de trouble à l’ordre public, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de distribution de tract, d’ incitation à la révolte et de participation à une manifestation non autorisée.

Justin Kikandi, l’un des membres de la Lucha, ne décolère pas: «Finalement, on ne peut plus parler, c’est ce que veulent les services de sécurité de ce pays, on se demande pourquoi. Mais l’époque de l’unicité de l’opinion, de l’unicité de la pensée est révolue! Notre pays s’appelle la République démocratique du Congo, et non pas la République autocratique du Congo. (…) Nous ne pouvons pas baisser les bras. Nous allons continuer à nous mobiliser, parce que nous croyons aux valeurs que nous souhaitons défendre. Les valeurs de la démocratie, de la justice, du changement».

Lucha redoute que ses membres emprisonnés ne vivent «l’enfer». La pratique dite de l’«enfer» consiste pour les anciens prisonniers à imposer des corvées au nouveau détenu qui ne leur verse pas une caution équivalent à 35 dollars américains. Le détenu insolvable se voit ainsi obligé de vider les fosses septiques de la prison à mains nues et à marcher pieds nus. Déjà, les membres de Lucha et leurs avocats ont déposé une demande de liberté provisoire.[23]

i. La Société Civile continue  à faire pression

Le 15 avril, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) a exigé, dans un communiqué, la « libération immédiate et sans condition » des trois membres de la plate-forme Filimbi arrêtés le 15 mars à Kinshasa, alors qu’ils participaient à une conférence internationale sur la bonne gouvernance et la démocratie en Afrique, et d’un nombre inconnu d’autres participants arrêtés lors de cette rencontre. L’ACAJ a demandé aussi la libération des quatre militants de la Lucha, arrêtés le 7 mai à Goma, alors qu’ils demandaient sur la voie publique la libération de leurs collègues détenus à Kinshasa. Le président de l’ACAJ, Georges Kapiamba, pointe en particulier le rôle joué par l’agence nationale du renseignement (ANR): «Nous considérons que la République démocratique du Congo est un Etat de droit. Et dans le cas d’espèce, nous n’acceptons pas que les agents des renseignements puissent s’octroyer plus de prérogatives que celles qui leur sont reconnues par la loi, en allant jusqu’à arrêter des citoyens. En les détenant au secret, sans possibilité pour ces personnes de recevoir la visite de membre de leur famille ou encore d’obtenir l’assistance de leurs avocats, sans pour autant les présenter devant les autorités judiciaires compétentes. Nous condamnons et restons profondément préoccupés par cette situation».[24]

Le 16 avril, dans un communiqué, l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) a qualifié l’incarcération de quatre jeunes de Lucha dans la prison Munzenze à Goma, au Nord-Kivu, de «répression de la liberté d’expression». HRW a dénoncé aussi le mauvais traitement que subissent déjà ces jeunes gens. «Selon mes collègues, les conditions dans la prison sont très mauvaises. Il y a un système dans la prison où il faut payer pour ne pas être tabassé ou maltraité. Les jeunes de Lucha ne voulaient pas payer ce frais de corruption», a affirmé la chercheuse au bureau de HRW, Ida Sawyer. Human Right Watch a appelé aussi les autorités de la RDCongo à « libérer sans délai » les trois militants congolais détenus à Kinshasa. Une détention «arbitraire», selon HRW, qui a souligné qu’aucun de ces trois activistes n’a été inculpé ou «déféré devant les instances judiciaires compétentes». A défaut d’une libération, les autorités devraient les mettre à la disposition des autorités judiciaires le plus tôt possible. Pour Ida Sawyer, les autorités de la RDC devraient s’impliquent dans la libération de ces jeunes. «Nous espérons qu’ils seront assistés par de bons avocats et qu’il y aura un procès juste, équitable et crédible afin qu’ils soient relâchés bientôt; et que, les autorités ne continuent plus avec ce système d’arrêter les gens parce qu’ils ont manifestés pacifiquement», a-t-elle ajouté. HRW a évoqué «un mouvement de répression de la liberté d’expression et de réunion qui s’intensifie» en amont de la présidentielle en 2016. HRW appelle donc à la libération immédiate de ces sept activistes «pacifiques» et à l’ouverture «d’une enquête sur les accusations de mauvais traitements».[25]

Le 12 avril, trois des fondateurs du mouvement citoyen congolais Filimbi, Floribert Anzuluni, Yangu Kiakwama et Franck Otete, se sont finalement exilés et ils sont arrivés en Belgique, après s’être cachés pendant plusieurs semaines à Kinshasa, pour fuir la répression organisée par le régime de Joseph Kabila.[26]

Le 17 avril, le gouvernement américain s’est inquiété de la détention prolongée des activistes congolais de la démocratie à Kinshasa et à Goma. Dans un communiqué, le porte-parole intérimaire du département d’Etat américain, Marie Harf, s’est plaint du fait que ces jeunes sont détenus sans être inculpés et ne bénéficient pas du concours d’un avocat. «En conséquence, ils doivent être libérés», a-t-il déclaré. Les USA demandent au gouvernement de la RDC de garantir que ces détenus et tant d’autres bénéficient de l’application régulière de la loi et soient libérés immédiatement, si aucune accusation n’est justifiée.[27]

Le 21 avril, à Kinshasa, Sylvain Saluseke, l’un des trois activistes congolais de la démocratie appartenant au mouvement « Filimbi » a été relâché pendant la nuit. Les deux autres activistes de ce mouvement, Fred Bauma et Yves Makwambala, arrêtés à Kinshasa, sont restés en détention sans qu’un motif ne leur ait été communiqué.[28]

Le 22 avril, les quinze députés membres de la Commission parlementaire d’enquête ont finalement terminé leur rapport. Après une semaine d’entretiens avec tous les services concernés, les députés n’ont trouvé aucun élément à charge dans le dossier de ces militants détenus depuis plus d’un mois. Le rapport des parlementaires doit maintenant être soumis au président de l’Assemblée nationale, puis à l’ensemble des députés, avant d’être débattu en plénière.[29]

Le 24 avril, après 40 jours de détention par les services de renseignements congolais, Yves Makwambala a été présenté au Parquet, même s’il n’y a pas eu d’inculpation, l’instruction de son dossier devant avoir lieu dans la matinée du jour suivant, quand il pourra savoir s’il sera inculpé ou libéré. Un autre militant, Fred Bauma, du mouvement « Lutte pour le changement », également arrêté le 15 mars dernier, reste encore détenu: c’est le dernier à ne pas encore avoir été présenté devant un juge.[30]

3. DECOUVERTE D’UNE FOSSE COMMUNE AU CIMETIERE DE FULA-FULA, A MALUKU

Le 19 mars, pendant la nuit, environ quatre cent vingt-cinq corps ont été enterrés dans une fosse commune au cimetière de Fula-Fula, dans la commune urbano-rurale de Maluku, à plus de 120 kilomètres à l’est de Kinshasa. La découverte a été faite par la population de ce coin de la capitale. Elle a tout de suite saisi la Monusco pour dénoncer des odeurs nauséabondes qui s’y dégageaient. La mission onusienne a, à son tour, saisi le Procureur de la République lui demandant d’ouvrir une enquête sur ce dossier. Certaines sources concordantes affirmaient que ce sont des corps des personnes mortes lors des événements survenus du 19 au 21 janvier dernier dans la capitale. Pendant ces trois jours, l’opposition avait organisé des manifestations pour dénoncer la modification de la loi électorale alors en discussion au Parlement. La manifestation avait été violemment réprimée par la Police et la Garde républicaine.[31]

a. Les déclarations du Gouvernement

Le 3 avril, le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, a invité le bureau des droits de l’homme de la Monusco, la représentante de Human Rights Watch et les ONG locales des droits de l’homme, avec pour objectif affiché de faire la lumière sur cette affaire. Selon Evariste Boshab, une enquête administrative qui a été menée par les soins du gouverneur de la capitale et dont le rapport a été publié le 3 avril, a démontré que les corps enterrés à cette occasion étaient ceux des indigents dont les corps ont été abandonnés par leur famille dans les différentes installations médicales de la ville, avant d’être conduits à la morgue centrale. Evariste Boshab Mabudj, a donc rejeté la version selon laquelle des corps enterrés dans cette fosse commune sont des victimes des émeutes survenues en janvier dernier dans la capitale. Pour lui, il s’agit plutôt des indigents, gardés longtemps à la morgue centrale de l’Hôpital général de référence de Kinshasa, ex-Mama Yemo et inhumés par l’Hôtel de ville de Kinshasa sur une demande de la direction de la morgue. Selon le rapport du gouvernement de la ville de Kinshasa, parmi ces indigents, il y a des personnes ayant rompu le tissu social avec leurs familles, des corps abandonnés, des corps non identifiés et des mort-nés, enregistrés en bonne et due forme à la morgue centrale. Le vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur a également déclaré que le gouvernement était disposé à exhumer les corps pour les besoins de l’enquête, si la demande lui était faite ou si le moindre doute persistait.[32]

Le 7 avril, dans une conférence de presse, le ministre provincial du Budget, Plan, Travaux publics et Infrastructures, Robert Luzolano, a indiqué que «l’enterrement collectif des personnes indigentes est une pratique courante dans la ville et une opération de routine». Il a souligné que pour les 12 derniers mois, l’Hôtel de ville a déjà assuré quatre inhumations collectives, dont les trois premières dans le cimetière de Mikongo, dans l’est de Kinshasa. «Le 2 avril 2014, nous avons inhumé 83 personnes, le 8 juin 2014 c’était 343 personnes, le 21 décembre 2014 nous avions enterré 98 personnes et le 19 mars 421 personnes», a précisé le ministre.

Toutefois, deux fossoyeurs démentent: aucune trace de fosse commune dans le cimetière de Mikongo fermé, disent-ils, depuis le mois d’avril 2014, avant la création de la première fosse commune, selon les dates avancées par les autorités provinciales.

Robert Luzolano a indiqué que les 421 personnes enterrées le 19 mars dernier à Maluku sont des indigents, dont 300 mort-nés et fœtus abandonnés dans des ruisseaux, des rivières et des hôpitaux, 23 corps abandonnés, 64 personnes non identifiées pour absence de pièces d’identité et 34 personnes dont les familles n’ont pas pu les inhumer, car incapables de supporter les frais funéraires et il a ajouté que, parmi ces personnes, il y a celles provenant d’autres morgues et qui ont été reversées à la morgue centrale et qu’un nombre indéterminé de ces cadavres avaient été remis par la Croix-Rouge.

«Généralement lorsque la morgue centrale est débordée, il est demandé au ministre de la Population de fournir un espace pour l’enterrement de ces personnes», a-t-il expliqué. «Il y a eu 421 personnes qui ont été enterrées au cimetière de Fula Fula à Maluku et nous avons fait cela comme d’habitude, étant donné que la morgue centrale a une capacité limitée», a poursuivi le ministre Luzolano. Et si l’opération du 19 mars a été menée en pleine nuit, c’est «pour des raisons d’hygiène et de commodité», assure le ministre provincial. Selon lui, les corps étaient déjà en état de décomposition. Quant au choix du cimetière de Maluku, une localité située à plus de 100 kilomètres du centre-ville, il s’explique par le fait que le cimetière où les autres enterrements collectifs ont eu lieu était fermé pour travaux, affirme le gouvernement provincial.[33]

Le 9 avril, à Kinshasa, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a affirmé que les rapports parvenus au Gouvernement signalent effectivement l’inhumation par les services de la Direction de la morgue centrale de Kinshasa de 421 corps identifiés comme suit: 57 personnes non identifiées, 30 personnes indigentes identifiées, 300 mort-nés, 26 corps abandonnés à l’hôpital Saint Joseph et 12 personnes abandonnées à l’hôpital général de référence de Kinshasa

Soit 425 personnes mais à l’examen, on se rendra vite compte que par erreur de frappe, 4 noms avaient été repris deux fois. D’où le chiffre de 421.

La réglementation des services en charge des funérailles et sépultures entend par « personnes indigentes », les dépouilles trouvées par les services sociaux et la police, mais dont ni l’identité, ni les liens de parenté ne sont établis. C’est le cas des 57 corps de personnes non identifiées. Une liste est disponible à l’hôtel de ville. Elle reprend, le numéro de réception, le sexe, l’âge, la provenance et la date d’admission à la morgue centrale de Kinshasa.

La réglementation sus-évoquée considère comme relevant de la catégorie d’indigents, les corps des personnes connues par la population (identifiées), mais abandonnées après leur décès dans les morgues de formations médicales. Une liste de 30 personnes classées dans cette catégorie est également disponible à l’hôtel de ville. Elle reprend tous les détails déjà évoqués pour la liste des non identifiés, y compris la formation médicale de provenance.

Les 300 corps relevant de la catégorie des mort-nés sont enregistrés dans le livre général de la réception des corps. Le rapport de l’hôtel de ville précise qu’ils proviennent le plus souvent de l’hôpital général de référence de Kinshasa et de l’hôpital pédiatrique de Kalembe-Iembe. À ce groupe sont associés les corps d’enfants abandonnés dans les différents ruisseaux.

S’agissant des 26 corps abandonnés à l’hôpital Saint Joseph, ils avaient été transférés à la morgue centrale de Kinshasa par l’hôpital Saint Joseph. En témoigne sa lettre n° 1600/HSJ/DA/MK/122014 du 9 février 2015. Quant aux 12 corps abandonnés à l’hôpital général de référence de Kinshasa, ils ont été transférés par ledit hôpital à la morgue centrale le 3 mars 2015. La liste de ces personnes avec les détails déjà évoqués pour les autres listes, est’ également disponible à l’hôtel de ville.

Ce type d’inhumation d’indigents s’est déjà effectué plusieurs fois avant même les événements de janvier, notamment le 02 avril 2014, 83 personnes ont été enterrées par les soins des mêmes services municipaux parmi lesquelles 08 adultes abandonnés, 12 indigents, 27 corps non identifiés et 36 morts nés abandonnés. Le 08 juin 2014, 343 personnes furent inhumées dans les mêmes conditions: 13 adultes abandonnés, 23 indigents, 40 corps non identifiés et 267 mort-nés et fœtus.

Le 21 décembre 2014, 98 corps ont été enterrés collectivement parmi lesquels: 17 corps abandonnés, 26 indigents et 55 non identifiés. Selon le porte parole du gouvernement, il s’agit d’une opération routinière qui s’effectue régulièrement pour désengorger la Morgue Centrale de l’HGR de Kinshasa dont la capacité ne dépasse pas 400 places. D’après lui, il n’y a donc rien qui puisse autoriser un quelconque lien entre cette affaire et les événements des 19 au 21 janvier 2015.

Il a affirmé qu’une enquête judiciaire est en cours pour élucider l’affaire de la fosse commune découverte à Maluku. S’agissant de l’exhumation ou pas des corps, Lambert Mende souligne que seuls les enquêteurs peuvent décider sur cette question «si cela peut conduire à la vérité. L’exhumation est un devoir si le magistrat estime qu’on peut exhumer».[34]

b. Les déclarations de la Société Civile

L’Association africaine de défense des droits de l’Homme (Asadho) a appelé le gouvernement à confier les enquêtes sur les corps enterrés dans la fosse commune de Maluku à une commission indépendante. Dans un communiqué, cette ONG exige l’exhumation des corps «pour établir les circonstances dans lesquelles ces personnes sont décédées».

L’Asadho estime important que les enquêtes sur la fosse commune de Maluku soient conduites par des personnalités indépendantes «pour éviter une accréditation pure et simple de la version avancée par le gouvernement congolais». L’Asadho recommande à la Communauté internationale de fournir aux enquêteurs tous les moyens logistiques appropriés pour que les circonstances dans lesquelles ces personnes sont décédées soient élucidées. L’Asadho dit émettre des réserves sur la version du gouvernement «dans la mesure où elle n’établit et ne détermine pas dans quelles circonstances ces personnes sont décédées». Et l’ONG de s’interroger: «Est-ce que les corps portent de marque des balles ou d’autres nuisances extérieures? Est-ce que ces personnes sont décédées à la suite de torture ou des traitements inhumains ou dégradants ou pas? Est-ce que ces personnes sont décédées à la suite d’une mort naturelle ou pas?».[35]

Selon Human Rights Watch (HRW), beaucoup d’éléments font planer le doute sur l’identité des personnes enterrées à Maluku. «Nous pensons qu’il reste encore beaucoup de questions sans réponse autour de cette fosse commune», juge Ida Sawyer, chercheuse à la division Afrique de HRW, qui soupçonne les services de sécurité congolais d’avoir enterré, dans la fausse commune de Maluku, des victimes de deux vagues de répression. Selon HRW, il pourrait s’agir de victimes de l’ »opération Likofi », menée par la police entre novembre 2013 et février 2014 pour lutter contre les gangs Kuluna de Kinshasa, et de la répression des manifestations et émeutes de janvier en réaction à un projet de réforme électorale. L’ONG a recensé respectivement 51 et 36 morts lors de ces deux vagues de répression. Sur son compte twitter, Ida Sawyer, a ainsi réclamé une « enquête rigoureuse, indépendante et crédible » pour « mettre en lumière l’identité de ceux qui sont enterrés à Maluku » et déterminer si la fosse commune contient les corps de « personnes tuées pendant les manifestations en janvier. Et si, pour le savoir, il faut exhumer les corps, qu’on le fasse».[36]

Selon le secrétaire général pour l’Afrique de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Paul Nsapu, «il y a beaucoup de doutes sur les explications gouvernementales». En rappelant la répression féroce et les dizaines de morts (103 morts) lors des «attaques» des adeptes du pasteur Mukungubila en décembre 2013 à Kinshasa, Paul Nsapu à confirmé que «les corps des partisans du pasteur n’ont jamais été retrouvés, exactement comme les corps des manifestants de janvier 2015, qui ont été enlevés par la Garde républicaine dans les hôpitaux de Kinshasa pour faire disparaître les preuves».[37]

c. Pour une enquête indépendante et internationale

Le 9 avril, face aux appels à une enquête indépendante et crédible, le porte-parole du Gouvernement, Lambert Mendé a répondu qu’une enquête est déjà en cours, qu’un premier rapport a été déjà déposé chez le procureur et que c’est à la justice de prendre la décision d’exhumer les corps ou non: «Personne ici ne peut refuser l’exhumation si elle peut permettre la manifestation de la vérité. Il n’y a pas de condition. La seule condition, c’est que les enquêteurs estiment qu’ils en ont besoin». Selon le porte parole du gouvernement, c’est au procureur général de la République de décider de mener les exhumations. Or, selon l’un des magistrats en charge des investigations, l’exhumation ne sera décidée que si elle est jugée «intéressante» ou «nécessaire» pour les besoins de l’enquête. Les autorités répètent vouloir enquêter «en toute transparence». Pourtant, un certain nombre de questions demeurent. La liste détaillée des personnes enterrées dans cette fosse et la date de leur décès n’a pas encore été dévoilée. De sa part, l’opposition exige une enquête nationale et internationale.[38]

Une soixantaine de députés de l’opposition ont déposé une motion de défiance contre le vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, Evariste Boshab.

D’après Sami Badibanga, président du groupe parlementaire UDPS et Alliés, les explications du vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité n’ont pas convaincu l’opposition. La soixantaine de députés signataires de la motion de défiance accuse le gouvernement de ne pas avoir respecté la loi qui «prévoit que les inhumations se fassent dans des fosses séparées». La même loi exige l’établissement d’un certificat médical. Et Sami Badibanga. De s’interroger: «Est-ce qu’il y a eu identification? Est-ce qu’il y a eu des permis d’inhumation? Parce qu’avant le permis d’inhumation, il faut le certificat médical, dans lequel le décès est constaté et qui explique les problèmes qui ont surgi au cours de ce décès». Les signataires de la motion de défiance exigent une nouvelle fois «une enquête indépendante, une enquête internationale avec exhumation des corps et prise d’ADN». La législation en vigueur en matière funéraire date de l’époque coloniale. Le texte de référence portant sur les déclarations de décès, les autorisations d’inhumer, la levée des corps, les délais pour les funérailles, les éventuelles autopsies et les modalités des obsèques est une ordonnance du pouvoir colonial belge, adoptée le 15 mars 1950 et qui ne comprend qu’un seul article. Une législation obsolète, qui se réfère elle-même à des textes réglementaires signés entre 1907 et 1915.[39]

Le 21 avril, au cours d’une conférence de presse, le président de l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (Asadho), Jean Claude Katende, a rejeté la décision prise par le gouvernement de confier l’enquête à une instance nationale qu’est le Parquet de Kinkole, alors que ce Parquet rejette l’exhumation des corps pour connaitre les causes des décès. Raison pour laquelle, «l’Asadho réclame des enquêtes indépendantes et l’exhumation des corps». D’où l’Asadho réclame la mise en place d’une commission indépendante internationale pour mener ladite enquête afin d’établir les vraies causes et les circonstances de ces décès, étant donné que le Parquet ne pourra produire que ce qui conforte la position déjà défendue par le gouvernement.[40]

[1] Cf Radio Okapi, 02.04.’15

[2] Cf Radio Okapi, 03.04.’15

[3] Cf Radio Okapi, 05.04.’15

[4] Cf Radio Okapi, 08.04.’15

[5] Cf Eric Wemba – Le Phare – Kinshasa, 07.04.’15

[6] Cf Cf Radio Okapi, 16.03.’15; RFI, 15.03.’15; AFP – Africatime, 16.03.’15 ; Trésor Kibangula et Benjamin Roger – Jeune Afrique, 16.03.’15

[7] Cf Radio Okapi, 16.03.’15; RFI, 15.03.’15; AFP – Africatime, 16.03.’15 ; Trésor Kibangula et Benjamin Roger – Jeune Afrique, 16.03.’15

[8] Cf Trésor Kibangula et Benjamin Roger – Jeune Afrique, 16.03.’15

[9] Cf RFI, 17.03.’15

[10] Cf Radio Okapi, 18.03.’15

[11] Cf RFI, 18.03.’15

[12] Cf Radio Okapi, 18.03.’15

[13] Cf Radio Okapi, 18.03.’15; RFI, 18.03.’15

[14] Cf Radio Okapi, 18.03.’15; RFI, 18.03.’15

[15] Cf AFP – Africatime, 19.03.’15

[16] Cf AFP – Africatime, 23.03.’15; RFI, 24.03.’15

[17] Cf Radio Okapi, 31.03.’15; AFP – Africatime, 31.03.’15

[18] Cf AFP – Africatime, 23.03.’15; RFI, 24.03.’15

[19] Cf RFI, 28.03.’15

[20] Cf RFI, 03.04.’15

[21] Cf AFP – Africatime, 08.04.’15

[22] Cf AFP – Africatime, 11.04.’15

[23] Cf Radio Okapi, 15.04.’15; RFI, 15.04.’15

[24] Cf AFP – Africatime, 15.04.’15; RFI, 16.04.’15

[25] Cf Radio Okapi, 16.04.’15; AFP – Africatime, 16.04.’15

[26] Cf Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 17.04.’15

[27] Cf Radio Okapi, 17.04.’15

[28] Cf Radio Okapi, 22.04.’15

[29] Cf RFI, 25.04.’15

[30] Cf RFI, 25.04.’15

[31] Cf Radio Okapi, 04.04.’15

[32] Cf Radio Okapi, 04.04.’15; RFI, 06.04.’15

[33] Cf Radio Okapi, 07.04.’15; RFI, 08.04.’15; AFP – Africatime, 08.04.’15

[34] Cf Angelo Mobateli – Le Potentiel – Kinshasa, 09.04.’15; Radio Okapi, 09.04.’15

[35] Cf Radio Okapi, 08.04.’15

[36] Cf RFI, 08.04.’15; Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 07.04.’15

[37] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 07.04.’15

[38] Cf RFI, 10.04.’15

[39] Cf RFI, 19.04.’15; Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 22.04.’15

[40] Cf Dorcas Nsomue – Le Phare – Kinshasa. 22.04.’15