Congo Actualité n. 206

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: DEUX DÉCLARATIONS  QUI CACHENT MAL UN ACCORD

1. LA CONCLUSION DES POURPARLERS DE KAMPALA

a. Déclaration du M23 au terme du Dialogue de Kampala

b. Déclaration du Gouvernement congolais à la fin des pourparlers de Kampala

c. Communiqué final conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala

d. Quelques réactions

e. Projet de loi d’amnistie

2. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE DANS LES COULISSES

 

ÉDITORIAL: DEUX DÉCLARATIONS  QUI CACHENT MAL UN ACCORD

 

1. LA CONCLUSION DES POURPARLERS DE KAMPALA

Le 2 décembre, le président congolais, Joseph Kabila, a rencontré son homologue ougandais Yoweri Museveni à Kampala, en Ouganda. Selon le porte-parole du gouvernement ougandais, Ofwono Opondo, ils ont convenu que les négociations entre le gouvernement de la RDC et le M23 doivent reprendre et aboutir rapidement, afin de faciliter le retour pacifique des ex-combattants du M23 (en RDC) et l’achèvement du processus de démobilisation. Un bref communiqué publié à l’issue de cette rencontre par la présidence ougandaise indique que le président Kabila a réaffirmé sa détermination à débarrasser la RDC de toutes les autres forces négatives, notamment les FLDR et les ADF. Les pourparlers entre le gouvernement congolais et la rébellion du M23, sous la facilitation ougandaise, ont été interrompus le 11 novembre dernier sans la signature d’un document final. Le gouvernement congolais refuse en effet de signer un «accord» avec la rébellion et préfère parler de «déclaration». Pour lui, après avoir perdu la guerre et déclaré sa fin, le M23 ne constitue plus un interlocuteur valable pour signer un accord.[1]

Le 4 décembre, le gouvernement congolais a ordonné la réouverture du poste frontalier de Bunagana, fermé pendant plus d’une année à cause de l’occupation du M23. Le vice-gouverneur du Nord-Kivu, Feller Lutayichirwa, a déclaré que la réouverture de ce centre frontalier à l’Ouganda entre dans le cadre de la restauration de l’autorité de l’Etat dans le territoire de Rutshuru après la défaite du M23. Evoquant l’importance de ce poste frontalier dans la maximisation des recettes publiques, le directeur général de la Direction générale des douanes et accises (DGDA), Déo Ruguiza, a indiqué que, pendant la période de fermeture, l’Etat congolais a perdu environ 625.000.000 Francs Congolais (plus de 679.000 $ US) par mois. Cette réouverture va permettre la reprise normale des échanges commerciaux avec l’Ouganda.[2]

Le 12 décembre, à Nairobi (au Kenya), le gouvernement congolais et le M23 ont signé deux documents concluant les pourparlers de Kampala et se sont engagés à mettre fin au conflit dans l’Est du pays. Le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, a précisé qu’il s’agissait de deux déclarations signées séparément. Le premier document a été signé par le président de l’ex-M23, Bertrand Bisimwa. Le deuxième document a été signé par le ministre congolais des Affaires Étrangères, Raymond Tshibanda.

Les deux déclarations exposent les engagements de chacun des deux camps sur un certain nombre de questions, dont la renonciation du M23 à poursuivre la rébellion et sa transformation en parti politique, l’adoption d’une loi d’amnistie pour faits de guerre et faits insurrectionnels, mais qui exclut toute personne accusée de crimes de guerre, actes de génocide et crimes contre l’humanité, y compris les violences sexuelles et le recrutement d’enfants soldats, la libération de prisonniers, la démobilisation et la réintégration sociale des anciens rebelles, le retour des réfugiés et des déplacés, la réconciliation nationale et la justice, les réformes socio-économiques et, enfin, les conclusions de l’évaluation de la mise en œuvre de l’Accord du 23 Mars 2009 entre le CNDP et le Gouvernement congolais.

Un troisième document a été signé par les chefs d’Etat ougandais, pour le compte de la CIRGL, et malawite, pour le compte de la SADC. Les deux dirigeants prennent acte de la fin des pourparlers de Kampala et engagent les deux parties à respecter leurs engagements respectifs.[3]

a. Déclaration du M23 au terme du Dialogue de Kampala

Le Mouvement du 23 mars (M23) déclarons comme suit:

1. Fin de rébellion

Le M23 confirme qu’il renonce à sa rébellion.

2. Amnistie

2.1. Le M23 convient que pour bénéficier de l’amnistie, chaque membre du M23 devra personnellement s’engager par écrit à s’abstenir de manière permanente d’utiliser des armes ou de participer à un mouvement insurrectionnel pour assurer le succès de quelque revendication que ce soit.
2.2. Toute violation de cet engagement rendra automatiquement l’amnistie accordée nulle et non avenue, et privera celui qui aura commis cette violation du droit à toute future amnistie.

3. Dispositions transitoires de sécurité

 3.1. Le M23 s’engage à suivre et à mettre en œuvre les dispositions transitoires de sécurité, dont les détails seront déterminés par l’Annexe A, proposées et développées pour refléter le changement de la situation sur terrain, y compris le fait que des ex-combattants du M23 ayant fui en Ouganda et y ont été reçus;

3.2. Le désarmement, la démobilisation, la réintégration sociale et l’octroi de l’amnistie suivront l’ordre indiqué à l’Annexe B.

4. Libération des prisonniers

4.1. Dès la signature de cette Déclaration, le M23 s’engage à produire la liste de ses membres prisonniers pour faits de guerre et insurrection.

4.2. Le Gouvernement s’engage à libérer ces prisonniers et à les remettre au Comité International de la Croix Rouge (CICR).

4.3. Le CICR se chargera de leur réunification avec leurs familles.

5. Transformation du M23

Les membres du M23 se réservent le droit de changer de dénomination et de se constituer en parti politique dans le respect de la Constitution et des lois de la République démocratique du Congo.

6. Retour et réinstallation des refugiés et des personnes déplacées internes

Afin d’encourager lé retour des refugiés, des représentants du M23 seront inclus dans la structure nationale chargée des questions des refugiés.

7. Biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits

Des représentants du M23 seront inclus dans la Commission que le Gouvernement mettra en place, chargée d’identifier les biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits, d’examiner tous ces cas et d’en référer aux juridictions compétentes aux fins de rétablir les propriétaires légitimes dans leurs droits.
8. Réconciliation nationale et justice

8.1. En vertu du principe d’inclusion, des représentants du M23 feront partie de la Commission de réconciliation nationale qui sera mise en place par le Gouvernement.

8.2. Le M23 accepte qu’au vu des atrocités et autres violations massives des droits humains dans l’Est de la République démocratique du Congo, et en vue de mettre fin à l’impunité, des poursuites pour crimes de guerre, actes de génocide, crimes contre l’humanité, violences sexuelles et recrutement d’enfants soldats soient engagées à charge de tout présumé auteur.

9. Mécanisme de mise en œuvre, suivi et évaluation

Le M23 désignera, pour la mise en œuvre de ses engagements, un Coordinateur chargé de suivre cette mise en œuvre avec le Mécanisme National de Suivi établi en vertu de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RDC, signé à Addis-Abeba, Ethiopie, le 24 février 2013.[4]

b. Déclaration du Gouvernement congolais à la fin des pourparlers de Kampala

Le Gouvernement de la RDCongo,

en conclusion des pourparlers engagés à Kampala avec le M23, déclare ce qui suit:

Article 1: Amnistie

1.1. Le Gouvernement s’engage à accorder l’amnistie aux membres du M23 pour faits de guerre et d’insurrection, couvrant la période du 1er avril 2012 à ce jour. Conformément au droit national et international, cette amnistie ne couvre pas les crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité, en ce compris les violences sexuelles, le recrutement d’enfants soldats et autres violations massives des droits de l’homme.

1.2. Pour bénéficier de l’amnistie, chaque membre du M23 devra personnellement s’engager par écrit à s’abstenir de manière permanente de recourir aux armes et ou de participer à un mouvement insurrectionnel pour faire aboutir une quelconque revendication. Toute violation de cet engagement: rendra automatiquement caduque l’amnistie ainsi accordée et disqualifierait l’auteur de cette violation du bénéfice de toute amnistie ultérieure.

Article 2: Dispositions transitoires de sécurité

2.1. Le gouvernement s’engage à respecter et à appliquer les dispositions transitoires de sécurité. Les dispositions transitoires de sécurité incluront le cantonnement, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion sociale des ex- combattants du M23 tel que détaillé à l’Annexe A, et dont la mise en œuvre sera adaptée à l’évolution de la situation sur le terrain, y compris le fait que des ex-combattants du M23 ont fui en Ouganda et y ont été reçus;

2.2. Le cantonnement et le désarmement seront effectués avec l’appui de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

2.3. Le Gouvernement, avec le soutien de l’Organisation des Nations Unies (ONU), assurera la logistique nécessaire pendant toute la durée de mise en œuvre des dispositions transitoires de sécurité.

2.4. Le désarmement, la démobilisation, la réinsertion sociale et l’octroi de l’amnistie suivront l’ordre indiqué à l’Annexe B.

Article 3: Libération des prisonniers

3.1. Le Gouvernement s’engage à libérer les membres du M23 faits prisonniers pour faits de guerre et d’insurrection dont la liste lui sera communiquée par le M23 et à les remettre au Comité International de la Croix-Rouge (CICR),

3.2. Le CICR se chargera de la réunification de ces prisonniers avec leurs familles.

Article 4: Transformation du M23

Le Gouvernement s’engage à répondre favorablement à une éventuelle demande des membres du M23 de se constituer en parti politique, conformément à la Constitution et aux lois de la RDCongo.

Article 5 : Démobilisation et réinsertion sociale

5.1. Sous réserve de l’amnistie accordée conformément à la disposition y relative ci-dessus, la démobilisation et la réinsertion sociale des ex-combattants du M23 seront effectuées par les structures appropriées du Gouvernement avec le soutien de la MONUSCO ainsi que des autres partenaires bilatéraux et multilatéraux,

5.2. Dans la mesure du possible, et sous réserve des impératifs d’équité et de gouvernance démocratique, le Gouvernement fournira les moyens nécessaires à la réinsertion sociale de ces ex-combattants démobilisés.

Article 6: Retour et réinstallation des réfugiés et des personnes déplacées internes

6.1. Le Gouvernement s’engage à œuvrer pour une mise en œuvre rapide des Accords tripartites sur le rapatriement des réfugiés signés avec les Etats voisins et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés ainsi que pour la réinsertion des personnes déplacées internes.

6.2. A cette fin, le Gouvernement continuera à travailler avec la MONUSCO afin d’améliorer la sécurité dans les zones de conflit, d’assurer la protection des populations civiles et de régler le problème des forces négatives.

6.3. Pour chacune des zones de retour des réfugiés, le Gouvernement s’engage à:

(i) Sécuriser, viabiliser et rendre attractives ces zones;

(ii) Accélérer le déploiement de la Police de proximité;

(iii) Accélérer la mise en place de projets de développement des entités de base et de réinsertion sociale;

(iv) Redynamiser et étendre les comités locaux de conciliation;

(v) Présenter un programme d’action détaillé pour le retour des réfugiés et des personnes déplacées internes dans le cadre des Accords tripartites.

6.4. Afin d’encourager le retour des réfugiés, le Gouvernement s’engage à inclure des représentants de l’ex-M23 dans la structure nationale chargée des questions des réfugiés.

Article 7: Biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits

7.1. Le Gouvernement s’engage à mettre en place une Commission chargée d’identifier les biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits et d’examiner tous ces cas et d’en référer aux juridictions compétentes, aux fins de rétablir les propriétaires légitimes dans leurs droits.

7.2. Cette Commission sera composée de manière représentative et inclusive, compte dûment tenu des principales parties prenantes, dont les représentants de l’ex M23.

Article 8: Réconciliation nationale et justice

8.1 Le Gouvernement s’engage à mettre en place une Commission nationale de réconciliation qui aura pour mandat de:

(i) promouvoir la réconciliation nationale et la résolution paisible des conflits;

(ii) lutter, y compris en recommandant une législation appropriée, contre la discrimination ethnique et l’incitation à la haine ;

(iii) régler ou résoudre les conflits inter-ethniques, y compris les conflits fonciers;

(iv) offrir une éducation Civique pour promouvoir une coexistence pacifique, pour mieux comprendre les droits et devoirs de la Citoyenneté et pour renforcer le patriotisme;

(v) traiter toute autre question connexe.

8.2. La Commission nationale de réconciliation sera constituée de personnes intègres et représentatives, sélectionnées dans le respect des principes d’équité, d’inclusion et d’égalité. Des représentants de l’ex M23 en feront partie.

8.3. La Commission nationale de réconciliation sera placée sous l’autorité suprême du Président de la République et sous la supervision directe du Premier Ministre.

8.4. Au vu des atrocités et autres violations massives des droits de l’homme dans l’Est de la République démocratique du Congo, et en vue de mettre fin à l’impunité, le gouvernement veillera à ce que des poursuites pour crimes de guerre, actes de génocide, crimes contre l’humanité, violences sexuelles et recrutement d’enfants soient engagées à charge de tout présumé auteur.

Article 9: Gouvernance et réformes socio-économiques

Conformément à l’Accord­cadre du 24 février 2013, le Gouvernement réaffirme sa détermination à poursuivre la mise en œuvre des réformes structurelles et institutionnelles, en ce compris les réformes du secteur de sécurité, de l’administration publique, des finances publiques, de la justice, de la gestion des ressources naturelles ainsi que la mise en œuvre de la décentralisation, et à rendre effectives les conditions d’une gouvernance locale conforme aux prescrits de la Constitution et des lois en vigueur, notamment la disposition attribuant 40% des revenus à caractère national aux provinces.

Article 10: Mise en œuvre des conclusions de la Revue de l’Accord de Paix du 23 mars 2009

Le Gouvernement réaffirme sa détermination à finaliser la mise en œuvre des engagements qui avaient été pris dans le cadre de l’Accord du 23 mars 2009 signé avec le CNDP et qui, tels que stipulés dans les conclusions de la réévaluation dudit Accord (Voir Annexe C), n’ont pas été réalisés ou ne l’ont été que partiellement, qui sont encore d’actualité et dont il n’est pas spécifiquement question dans la présente Déclaration, notamment l’engagement concernant la réhabilitation et le développement des zones affectées par les conflits. Par souci d’efficacité, le Gouvernement s’engage à confier cette tâche à une structure appropriée.

Article 11 : Mécanisme de mise en œuvre, suivi et évaluation

11.1. Le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre de la présente Déclaration seront assurés par le Mécanisme National de Suivi des engagements nationaux souscrits par la République Démocratique du Congo au terme de l’Accord-cadre du 24 février 2013. A cette fin, le Mécanisme National de Suivi développera les critères de suivi nécessaires pour garantir un suivi efficace de la dite mise en œuvre.

11.2. Le gouvernement désignera un Coordonnateur chargé de la mise en œuvre de la présente Déclaration avec le Mécanisme National de Suivi.

11.3. Le Secrétariat Exécutif de la CIRGL accompagnera le Mécanisme National de Suivi dans cette tâche pendant une période de six mois renouvelable une fois.[5]

c. Communiqué final conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala

Le Gouvernement de la RDCongo et le M23 ont signé chacun une Déclaration reflétant le consensus atteint au cours des Pourparlers de Kampala concernant les étapes nécessaires pour mettre fin aux activités armées du M23, et les mesures nécessaires à la concrétisation dans l’Est de la RDC d’une stabilité, d’une réconciliation et d’un développement à long terme. Les deux Déclarations prises ensemble couvrent les onze points négociés et convenus par le Gouvernement de la RDC et le M23. En résumé, les onze points sont:

(i) Amnistie pour les membres du M23 uniquement pour faits de guerre et d’insurrection ;

(ii) Dispositions transitoires de sécurité conduisant au désarmement et a la démobilisation;

(iii) Libération des membres du M23 détenus par le Gouvernement de la RDC pour faits de guerre et d’insurrection;

(iv) Décision par le M23 de mettre fin à la rébellion et de se transformer en un parti politique légitime;

(v) Démobilisation des anciens combattants du M23;

(vi) Retour des réfugies et personnes déplacées internes dans leurs foyers;

(vii) Création d’une commission chargée de la question des biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits, terres comprises;

(viii) Réconciliation nationale et justice;

(ix) Réformes sociales, sécuritaires et économiques;

(x) Mise en œuvre des conclusions de la réévaluation de la mise en œuvre de l’Accord du 23 Mars 2009;

(xi) Mécanisme de mise en œuvre, suivi et évaluation pour les positions arrêtées.[6]

d. Quelques réactions

Pour l’Union pour la Nation du Congo (UNC) de Vital Kamerhe et les Forces Acquises au Changement (FAC), l’accord est tout à l’avantage du M23. Le député national en même temps coordonnateur des FAC, Martin Fayoulou, critique l’accord car «le gouvernement remet en selle l’accord du 23 mars 2009. Et là, nous disons que c’est une trahison». Même tonalité du côté de l’UNC de Vital Kamerhe. Pour Jean-Bertrand Ewanga, secrétaire général du mouvement et coordonnateur de la plateforme coalition pour le vrai dialogue, «c’est le M-23 qui ressort regaillardi. Une force négative, voilà que tous les avantages sont accordés au M-23».[7]

Selon la Coalition pour le Vrai Dialogue (CVD), les engagements pris par la RDC et le M23, subtilement présentés sous forme de déclarations signées séparément, ne sont en définitive que des accords. La CVD dénonce ces accords qui reprennent la quasi-totalité des revendications du M23 contenues dans l’accord du 23 mars 2009, lesquels accords sont à la base de la guerre du même M23 contre la RDCongo.

Avec la signature de ces engagements, le Gouvernement congolais a permis au M23 et à ses parrains rwandais et ougandais de revenir en force. C’est dire que ce que le M23 et ceux qui le soutiennent recherchaient armes à la main par la guerre, ils l’ont obtenu par ces engagements pris par la RDC à Nairobi.

La CVD condamne donc la signature de ces engagements pris par le gouvernement le 12 décembre à Nairobi. Aucun pays au monde n’accepterait de se soumettre comme le gouvernement congolais vient de le faire à Nairobi, en signant des accords mal dissimulés sous l’étiquette de simples déclarations avec un groupe armé qualifié de force négative.

Grâce à la signature de ces engagements par le gouvernement congolais, le M23 et ses mentors Rwando-Ougandais sont les plus grands gagnants.

1. L’amnistie  en faveur des éléments du M23 prévue par ces engagements risque de consacrer une fois de plus la culture de l’impunité. Elle est prévue sans aucune évocation, pour les populations congolaises victimes des affres de la guerre, d’une quelconque possibilité de porter plainte et d’obtenir réparation pour les dommages qu’elles ont subis de la part du M23.
2. Le gouvernement congolais a pris l’engagement de reconnaître le M23 en tant que «parti politique légitime», même si ce groupe a été qualifié de force négative. Les membres du M23 pourront donc occuper des postes ministériels au sein du gouvernement dit de cohésion nationale, dans les entreprises publiques et les services de sécurité. C’est la prime à la guerre que le gouvernement congolais s’est évertué à accorder à tous ceux qui prennent les armes pour massacrer le peuple.

3. En signant ces engagements, le gouvernement congolais a manqué d’exiger, au titre de préalable à toute discussion, des impératifs comme l’arrestation, l’inculpation et l’extradition des auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La RDCongo n’a, donc, même pas la certitude que les auteurs de ces crimes, qui ont fui vers le Rwanda et l’Ouganda, où ils ont trouvé refuge et protection, seront extradés en RDCongo.

4. Le M23 sera impliqué dans l’organisation du retour des réfugiés, ce qui entrainera l’infiltration des sujets rwandais et ougandais, avec comme conséquence faire de la surpopulation dans les zones convoitées par le Rwanda, l’Ouganda. Il en résultera sûrement des étincelles et des problèmes de cohabitation avec les populations congolaises autochtones qui vont générer des conflits qui amèneront les forces obscures à réclamer l’auto-détermination de ces territoires et, en définitive, la balkanisation de la RDCongo.

De ce qui précède, la CVD estime que, pour relever le défi de la sauvegarde de l’intégrité territoriale du pays, de la sécurité des populations, de la paix et du développement en RDC, il faudra gérer avec efficience les questions des groupes armés, du processus électoral, du retour des réfugiés, de la réforme de l’armée, de la réforme de la police, de la justice, de la lutte contre la corruption et du respect des droits humains.[8]

À la lecture attentive des documents signés, certains observateurs restent sceptiques quant à l’avenir. En cause, le flou qui persiste sur les onze points qui ont mis d’accord Kinshasa et l’ex-M23. Il y a, entre autres, la mutation du M23 en parti politique et le droit accordé aux membres du M23 de faire partie des Commissions à créer. Il s’agit de celle relative à la réconciliation et justice; de celle en charge de la question des biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits, terres comprises; de celle chargée de la mise en œuvre des engagements pris par les parties et qui devra travailler avec le Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis-Abeba.

Toutes ces concessions faites au M23 par Kinshasa, soi disant au nom de la paix, comportent un risque certain. En effet, l’histoire de la RDC des dix-huit dernières années est écrite par les mêmes personnages. Quand bien même ils pourraient changer de temps en temps, il reste le fond, c’est-à-dire, le même agenda. Dans le cas d’espèce, ce qui saute aux yeux c’est que l’on pourrait assister, avec la rentrée en scène du M23, à la réédition des épopées AFDL, RCD et CNDP.

L’AFDL a donné naissance au RCD; la RCD a engendré le CNDP; le CNDP a accouché du M23. Douter de cette filiation c’est se moquer du peuple congolais. Car, du grand-père à l’arrière petit-fils qu’est le M23 il y a un cordon ombilical qu’est le cahier des charges unique qui survit aux générations et fait ressortir leur arbre généalogique.

A l’instar du grand-père, le M23 trouvera à redire dans ce que Kinshasa lui a concédé. Au besoin, comme l’avaient déjà fait ses aïeux en leur temps, il va jeter les bâtons dans les roues de Kinshasa, glisser sous ses pieds des peaux de banane jusqu’à ce que celui-ci craque et crie : y en a marre ! Alors là, le M23 soutenu par les éternels parrains ougando-rwandais va brandir le non respect des engagements de la part de Kinshasa et trouver ainsi des prétextes pour reprendre les armes. Le M23 aura beau se muer en parti politique, voire, faire partie de la majorité présidentielle, il ne sera jamais satisfait par rapport à son agenda caché dont il est d’ailleurs un simple sous-traitant.

Que le M23 soit admis à faire partie des différentes commissions passe pour un chèque en blanc.

On lui aura accordé d’être juge et partie en ce qui concerne notamment ses membres poursuivis par la justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ou ceux qui sont impliqués dans la spoliation des biens publics et privés.

Grosso modo, bien que la hache de guerre soit enterrée et que la dissolution du M23 comme groupe armé ait été annoncée – formellement – il n’est pas exclu que ce groupe armé engendre un autre monstre pour poursuivre le plan de partition de la RDC.[9]

e. Projet de loi d’amnistie

Le 20 décembre, le Conseil des ministres, a adopté un projet de loi d’amnistie pour faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques. Présenté par le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, ce projet de loi d’amnistie fait suite, d’une part, aux recommandations formulées par les délégués aux Concertations Nationales et, d’autre part, aux engagements pris par le Gouvernement de la République dans sa Déclaration prenant acte de la fin de la rébellion armée de l’ex groupe armé M23 à Naïrobi. La loi d’amnistie vient compléter une série d’autres dispositions destinées à créer les conditions idoines pour maintenir et consolider la cohésion nationale, notamment les mesures de grâce prises par le Chef de l’Etat et celles de libération conditionnelle initiées par le Ministère de la Justice et Droits Humains.

Elle s’applique aux auteurs d’infractions commises en République Démocratique du Congo par les Congolais résidant au pays ou à l’étranger. Elle ne s’applique pas aux auteurs de crimes graves et/ou imprescriptibles au regard tant du droit national que du droit international.

Sont ainsi exclus de son champ d’application, les crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, les infractions de trahison, d’assassinat, de meurtre, de vol à main armée, d’association de malfaiteurs, de détournement de deniers publics, les infractions à la réglementation de change, trafic des stupéfiants, enrôlement d’enfants soldats, viols et violences sexuelles.

Dans la perspective du renforcement de la lutte contre l’impunité, les condamnés fugitifs et latitants sont également exclus du bénéfice de cette loi d’amnistie.

Les bénéficiaires de cette loi d’amnistie devront prendre l’engagement formel de ne plus réitérer les faits ainsi amnistiés; à défaut, ils seront exclus du bénéfice de la présente loi et de toute amnistie ultérieure.

Les faits ainsi amnistiés, bien qu’ayant perdu leur caractère infractionnel, laissent cependant subsister la responsabilité civile de leurs auteurs, lesquels sont tenus à la réparation.

Quant à la période à considérer dans le projet de loi, elle part du 08 mai 2009 jusqu’à la date de la promulgation de la présente loi. Ce projet d’amnistie sera présenté dès que possible au Parlement.

Selon le gouvernement, l’amnistie doit permettre le retour de plusieurs centaines de combattants du M23, réfugiés au Rwanda et en Ouganda, mais ne pourra pas bénéficier à environ 70 dirigeants du Mouvement, accusés de crimes graves par Kinshasa ou l’ONU.

L’Assemblée nationale congolaise avait approuvé le 7 mai 2009 une loi d’amnistie générale pour faits de guerre dans l’est du pays conformément à l’accord du 23 mars de cette même année. Cet accord avait mis fin à la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et permis l’intégration de ses membres au sein des Forces armées de la RDC (FARDC). Toutefois, en avril 2012, ces membres du CNDP intégrés dans l’armée, grâce à l’accord du 23 mars 2009, on provoqué une « mutinerie » qui a donné naissance au M23.[10]

2. DANS LES COULISSES: LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Le 13 décembre, l’Envoyée spéciale du Secrétaire-général pour la Région des Grands Lacs, Mary Robinson, l’Envoyé spécial des Etats-Unis pour la Région des Grands Lacs et la RDCongo, Russ Feingold, le Représentant spécial de l’Union Africaine Boubacar Diarra, le Coordonnateur principal de l’Union Européenne pour la Région des Grands Lacs, Koen Vervaeke, et le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RDCongo, Martin Kobler, se sont félicités de la signature des Déclarations, le 12 décembre 2013, par le Gouvernement congolais et le M23. Les Envoyés spéciaux encouragent les parties à mettre en œuvre rapidement les engagements auxquels ils ont souscrits dans les déclarations, dont le désarmement, la démobilisation et la réintégration des membres du M23 en RDCongo, au Rwanda, et en Ouganda, selon le cas. Les Envoyés exhortent le Gouvernement congolais à veiller à ce que tous ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, répondent de leurs actes. Se tournant vers l’avenir, les Envoyés encouragent la région des Grands Lacs à saisir cette dynamique positive pour faire avancer la mise en application de l’Accord-Cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération, notamment à travers un dialogue politique élargi entre les Etats de la Région.[11]

Le 6 décembre, en marge du Sommet Afrique-France, l’envoyé spécial américain dans la région des Grands Lacs, Russ Feingold, avait accordé à « Jeune Afrique » l’interview suivante:

Jeune Afrique: Vous effectuez une tournée pour trouver une solution négociée des problèmes dans les Grands Lacs. Mais qui doit négocier? Kinshasa et les groupes rebelles? Ou les États de la région?

Russ Feingold: Bien que le Mouvement du 23-Mars (M23) ait été démantelé et que les interférences dans l’est du Congo aient été réduites, la tragédie de cette partie de la RDCongo n’est pas pour autant résolue. Non seulement il y a d’autres groupes armés, mais il y a des problèmes de sécurité des frontières, du retour sécurisé des réfugiés et des personnes déplacées. Ces problèmes-là ne se résoudront pas si nous ne créons pas un dialogue, conduit, évidemment, par les Africains. La plupart des observateurs pensent que la conclusion des discussions de Kampala n’est pas suffisante et que les pays eux-mêmes doivent s’asseoir autour d’une table.

Aux racines du conflit, vous mentionnez donc les réfugiés congolais dans les deux pays voisins qui ne veulent pas rentrer car ils évoquent des craintes pour leur sécurité?

Les experts remarquent que certains groupes ethniques ne se sentent pas à l’aise dans l’est du Congo. Des questions se posent au sujet d’éventuelles discriminations ethniques. Il s’agit donc d’une question importante. Il est difficile d’imaginer la paix et la sécurité dans l’est du Congo sans que les obstacles au retour sécurisé des populations soit l’un des sujets principaux du dialogue.

L’armée congolaise et les Casques bleus de la Monusco ciblent la rébellion rwandaise des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ces rebelles disent qu’ils pourraient déposer les armes si Kigali accepte des négociations avec eux. Est-ce que ce type d’arrangement est possible?

Les FDLR vont devoir faire face à leur responsabilité. Si elles affirment, en tant que groupe, qu’elles sont prêtes à se rendre, ou si des individus veulent faire défection, le gouvernement congolais et la Monusco sont prêts à les assister. Mais je ne pense pas que demander au gouvernement rwandais de débuter des discussions directes avec les FLDR est approprié. Les FDLR sont un groupe armé illégal, qui continue d’opérer à l’est du Congo. Le M23, qui continuait d’opérer, a été défait militairement avec l’aide de la Communauté internationale. Les FDLR doivent connaître le même sort. Il en va de la crédibilité de la communauté internationale.

La pression mise par les États-Unis sur le Rwanda est-elle la clé de la défaite du M23?

Notre gouvernement a joué un rôle positif pour que toutes les parties respectent leurs engagements dans l’accord cadre. Parmi ces engagements, il y avait la recommandation explicite de ne pas soutenir les groupes armés. Alors à chaque fois que nous craignions que cela ait pu être le cas, nous avons indiqué notre inquiétude à chaque partie concernée, et nous avons demandé à ce que cela ne soit pas fait.

Quel est l’état des relations entre le Rwanda et les États-Unis?

Je crois que notre relation est très bonne. Les réunions et l’accès que j’ai eu aux leaders de ce pays ont été exceptionnels. Nous avons eu des désaccords sur le respect de l’accord cadre, et nous avons été francs sur ce sujet. Nos inquiétudes ont mené à des changements dans notre assistance à ce pays. Mais cela n’a pas vocation à être permanent et nous espérons qu’une nouvelle période, dans laquelle nous n’avons plus d’inquiétudes, peut désormais s’ouvrir.[12]


[1] Cf Radio Okapi, 03.12.’13

[2] Cf Radio Okapi, 04.12.’13

[3] Cf Radio Okapi, 12.12.’13

[7] Cf RFI. 18.12.’13

[8] Cf Le Phare – Kinshasa, 18.12.’13

[9] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 14.12.’13

[10] Cf http://www.digitalcongo.net/article/96952; AFP – Kinshasa, 21.12.’13 (via mediacongo.net)

[11] Cf Communiqué de presse – Monusco, 13.12.’13

[12] Cf Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 20.12.’13