ENTRETIEN AVEC MGR. CHRISTOPHE MUNZIHIRWA

Je viens de passer des moments inoubliables. Je viens de rencontrer encore une fois Mgr. Munzihirwa, dans une manière exceptionnelle et hors de tout espace et temps, mais dans un mariage réel entre les dimensions du temps et de l’éternité, des espaces limitée et illimités.

Kakaluigi : Bonjour Monseigneur et merci. Nous voilà donc  dans ce silence profond qui entoure l’au-delà et qui nous fait communiquer autrement, au-delà de la plume et de la parole, mais avec le plus profond de nous-mêmes. Notre amitié  a été profonde et a bien croisé nos chemins tout en nous poussant à nous engager à travailler ensemble pour annoncer Jésus Christ aux hommes et femmes des régions du Kivu et du Maniema, en particulier,  et de tout le Congo en général. Je vous remercie, encore une fois, au nom de nous tous, qui avons partagé avec vous joies et espoirs, pour tous ce que nous avons reçu de votre parole, mais surtout de votre témoignage.

Dans peu de jours nous commémorons le jour de votre assassinat dans lequel les ennemis de la vérité et de la justice semblent encore avoir eu la victoire. Ils t’avaient tué d’une manière infâme et ignoble.

Après ce 29 octobre 1996  sont passés bien 17 années. Et ceux qui t’ont tué sont encore vivants et ils se promènent librement et en toute impunité dans cette région des Grands Lacs. Un procès juste, transparent et équitable  n’a jamais été organisé,  et les commanditaires de votre lâche et ignoble assassinat, pas encore démasqués. Il faut que justice soit faite !

Mais ta mort, malgré tous et tout,  Monseigneur, à signé pour les Bukaviens et pour les Congolais un point de départ pour continuer à espérer à un monde plus juste et plus fraternel. Fort malheureusement, 17 ans après, le Congo n’a toujours pas retrouvé de paix. Les crépitements de balles, des assassinats, des viols, des pillages de nos ressources et des destructions méchantes continuent à sévir au Congo en général et au Kivu, ton Kivu natal, en particulier. Le Congo est encore en guerre, ses frontières toujours violées, ses richesses convoitées par tous ses voisins et par toutes les grandes puissances de ce monde.

Monseigneur, votre point d’observation,  privilégié, vous permet de voir les choses différemment, mais aussi de bien connaitre les différents visages impliqués en ce conflit, qui malgré certains efforts, ne manque  pas de nous préoccuper profondément. Le Congo vit encore dans ses problèmes de jadis, jamais résolus. L’Est est encore embrasé par le feu de la guerre. Nous sommes passés à la démocratie, mais quelle démocratie !

Munzihirwa : Je ne peux que souhaiter un grand bonjour à tous ceux que j’ai connus et tant aimés, tout au long des années passées avec vous.  Combien de compagnons de voyage au cours de ma vie sur la terre, à Kinshasa, au Maniema, au Sud Kivu… et aussi à l’étranger ! Leurs visages sont toujours devant moi, avec leurs espoirs et leurs délusions, leurs échecs et leurs victoires, avec leur foi et leur engagement. Certains partagent déjà avec moi la vie d’outre-tombe. Depuis ce 29 octobre 1996, jour qu’on m’a fait quitter la terre, rien n’a changé, si non l’âge de ces petits gamins de mes temps, qui sont tous devenu en âge  adulte.

Ce monde que vous habitez est devenu plus petit et aussi plus proche à tous avec tous ces moyens de communication que vous possédez aujourd’hui et qui essayent de combler les distances et les diversités.  Le monde est devenu un grand village, et les nouvelles sont connues en temps réel partout dans le monde. Ce qui arrive dans les plus petits villages de notre pays peuvent bien être connus partout dans le monde et créer dans le monde toute une série de contractantes émotions et perceptions.

L’Ex Zaïre est encore en guerre. Mai elle peut terminer si on le veut, et si ceux qui gouvernent ce grand pays pensent davantage au bien de la nation et du peuple, plutôt que s’enrichir et tenir en main le pouvoir. Quand je regarde hors de ma fenêtre je vois la désolation et la haine, l’impunité et la corruption, l’enrichissent très facile et l’immense pauvreté de la majorité de mes frères et sœurs paysans du Grand Congo. Et je continue à pleurer, car seulement qui a pleure e continue à pleurer peut comprendre et senti en lui une forte volonté de faire quelque chose.  Me promenant par ci et par là dans les divers villages et campagne de mon Congo je ressens que les gens, malgré tout, continuent à espérer, à patienter, à s’engager. Et cela me pousse à continuer ma prière incessante et persistante pour implorer sur mon peuple la bénédiction de Dieu.

 Kakaluigi : Oui, Monseigneur, c’est ca la grandeur du peuple congolais accoutumé  à la misère, mais son esclave. il y a Monsieur Jean Chrisostome Kijana  de Kasongo qui m’a dit de vous poser cette question. Voici  le texte : « De là où il est, il observe, il y a-t-il un changement du point de vue sécuritaire du pays, de la province? Comment évalue-t-il notre archidiocèse, son avenir et ses dirigeants 17 ans après sa mort »?  Car à mon avis les héros ne devraient pas être déçus en regardant derrière eux, qu’avons-nous faits de leur héritage? Est-ce en vain qu’il est mort? »

 Munzihirwa : Je vous réponds sans rien vous caché et en toute franchise. Même si à quelqu’un ma réponse pourrait le blesser et le scandaliser. Comment se scandaliser de la vérité ? Moi, je ne suis pas un politicien, mais en tant que fils de cette terre du Congo, je suis un politique, c’est-à-dire un homme qui a comme souci prioritaire le bien être de tout congolais. Et c’est suite à tout cela que je vous ai répondu.

Se scandaliser de la justice où de l’injustice ? Comment nous ne nous scandalisons pas de la misère dans laquelle croupissent la majorité de nos concitoyens et concitoyennes ? Comment ne nous scandalisons pas de cette guerre qui ne finit jamais ? Ce qui compte est le bien de tous, et pas d’une seule personne, ou d’une seule tribu et famille. La terre du Congo est patrimoine de tout congolais et congolaise, et chacun de ces personnes a droit à une vie digne et vivable.

Je suis fort préoccupé. C’est  depuis plus d’une vingtaine d’années qu’il n’y a eu plus de changements, au contraire la situation s’est empirée davantage, et les peuples de notre pays le Congo souffrent davantage de tout mal, délaissés à leurs tristes sorts, comme s’ils n’étaient pas gouvernés.

Notre Congo est administré par des mercenaires, qui comptent s’enrichir et qui ne se soucient pas de la situation assez difficile et misérable des populations. Pour eux le bien commun est devenu bien propre, terrain de leurs propres horribles projets. Au Congo les pauvres sont augmentés, les meurtres sont augmentés, les assassinats aussi, les violences sur les femmes on en compte plus, etc… Pour ne pas parler des mineurs qui continuent à enrichir les rues de nos villes et qui parfois rejetés et marginalisés en les taxant gratuitement d’être des sorciers.

Rien n’est changé sur le plan sécuritaire. Rien. Au contraire s’est empiré, et cela me préoccupe. Rien n’est changé sur le plan social, rien ! Rien n’est changé sur le plan politique.

Le pays, les églises ont besoin d’être secoués. Le Pape François est en train de vous secouer et vous appelle constamment à revenir aux origines. L’Eglise du Congo a perdu le souffle du prophétisme. Il faut plus courage pour notre église, pour être libre et se libérer de toutes ces incrustations du passé, mais aussi de tous ces intérêts personnels et parfois égoïstes et tribaux qui empêchent notre Eglise congolaise en général et de Bukavu et Kasongo en particulier, à bien marcher sur le chemin tracé par Jésus Christ. Entre temps je continue à me demander : mais pourquoi c’est très difficile trouver le chemin de la paix à de l’Est du Congo ?

 Kakaluigi : Monseigneur, Monsieur Serges  Itungulu Ngabo de Bukavu  m’a supplié de vous poser la question suivante. « De là où il est, il observe,  y a-t-il eu un changement du point de vue sécuritaire du pays, de la province? »

Munzihirwa : Je viens de répondre à Jean Chrysostome Kijana. J’ai bien connu sa famille  quand j’étais Evêque de Kasongo. Et je porte avec moi un grand souvenir de leur immense foi et engagement.

Le Congo est bien loin d’être en sécurité. La situation sécuritaire d’aujourd’hui est pire de celle de 1996.  J’entends les cris de prière angoissée  de mes frères et sœurs, surtout de ceux qui sont enlevées, contraints à la disparition, menacés. Règne encore une sorte de dictature, qui s’habillant de démocratie, me fait peur et me fait crier : « ne fermez pas vos yeux. Ne vous laissez pas endormir par des promesses inutiles. La liberté n’a qu’un seul prix, celui de la liberté elle-même»

Il y a seulement des changements extérieurs, mais l’intérieur de l’homme est toujours le même,  et cela parce que ce fléau de tribalisme et collinisme est encore très présent et persistant. Et cela même dans l’Eglise, en désobéissant ouvertement et sans aucune pudeur au commandement de Dieu d’aimer tous et de se faire proche de tous.

 Kakaluigi : En ces 17 années l’Eglise du Congo s’est efforcée de réfléchir sur les diverses situations sociopolitiques vécues. Aux réflexions des différents documents il n’y a pas eu une suite convenable et permanente. L’Eglise est en train de vivre en ces derniers temps une profonde crise. Elle n’est pas crédible comme dans le passé. Elle ne répond plus aux besoins primaires de l’homme et de la femme.  Notre archidiocèse de Bukavu, avec son clergé et ses fidèles, souffre d’un malaise d’incompréhensions et de profonds malentendus. Au lieu de faire un corps, comme le recommande le Christ, elle se divise de plus en plus. Elle se laisse guider par des intérêts égoïstes, clanistes, amicaux,…

Munzihirwa : Je vous remercie pour cette question et je dois vous avouer que je l’attendais, car je tiens terriblement a cœur  le bien être de l’Eglise du Congo.  Je prie beaucoup pour les Eglises qui m’ont eu comme pasteur,  celle de Bukavu, de Kasongo, etc.  Je voudrais qu’elles soient à la hauteur de leurs martyrs et qu’elles vivent simplement et pauvrement.

Le Pape François continue à vous répéter sans cesse qu’il faut ouvrir les églises, qu’il faut se mettre en chemin sur les routes de l’existence humaine, et aller vers les périphéries existentielles. De temps en temps je me rencontre avec Mgr Kataliko, Mgr Mbogha,  l’Abbé Kakuja et nous ne manquons jamais de dire que « Nos églises sont là pour témoigner avec des comportements concrets, la justice, la miséricorde, et l’amour de Dieu.  C’est ça le pourquoi de notre présence dans ce monde.

Par conséquent nos Eglises ont besoin urgent de revoir leur propre identité, on besoins de s’interroger, de se vérifier, de se retrouver aux origines de leur chemin. C’est le courage qui manque, le courage d’oser et de voir au-delà du présent. Oui, il faut plus de courage, d’être missionnaires. Et enfin, qu’il me soit permis d’ajouter à tout ce que nous venons de dire : il faut que nos églises laissent plus espace à notre laïcat chrétien, pour que les prêtres aient le temps pour bien  jouer leur propre rôle dans la communauté chrétienne,

Kakaluigi : Les héros ne devraient pas être jamais déçus. Les héros regardent toujours en avant. Monseigneur vous êtes notre héros, n’est-ce pas ? Je me sens à l’aise ici avec vous, je ne voudrais pas vous laisser, Mais je dois rentrer. Mais alors Monseigneur, en vous remerciant de tout cœur de  ce que vous venez de nous dire, je vous demande de continuer à prier et à nous aider. Le chemin vers la liberté est encore très long. Ensemble avec vous et les autres martyrs congolais nous pouvons continuer à espérer l’aube radieuse de notre libération.

Kakaluigi

Ce mardi 29 octobre 2013