KIVU : LA PAIX EST ENCORE POSSIBLE

Publié par Néhémie BAHIZIRE, de nationalité congolaise

Les provinces du Kivu (Nord-Kivu et Sud-Kivu) en République Démocratique du Congo (R.D.Congo) ont acquis une mauvaise renommée : guerres, massacres, viols, trafic d’armes, exploitation illégale des ressources naturelles … Dans ce drame, il y a bien sûr des complicités locales. Il est toutefois injuste de mettre ces méfaits au compte des conflits interethniques entre congolais, alors que la population du Kivu subit, depuis bientôt deux décennies, des conflits rwandais entre les Tutsi et les Hutu. Toutes les guerres au Kivu viennent soit des armées gouvernementales rwandaises soit des rébellions rwandaises (FAR, FPR, FDLR, RUD etc.). La population du Kivu ne souhaite que de vivre en paix et cette paix est encore possible. En tant que victime qui crie ses souffrances ainsi que celles de son peuple et appelle les bonnes volontés au secours, je vais exposer mes propositions pour une paix durable au Kivu.

1. SOLUTIONS INTERNES AU CONGO

Sur le plan politique

Les rapports de la MONUSCO, de Human Rigths Watch, de la Société Civile du Nord-Kivu ainsi que toute la population du Kivu sont formels, avec preuves à l’appui de ces Rwandais recrutés qui témoignent eux-mêmes: ce sont des anciens combattants FDLR/FOCA rapatriés au Rwanda, avec d’autres jeunes Rwandais, qui sont recrutés, formés, armés et envoyés au Kivu par des officiers Rwandais, sous l’appellation de « M23 », pour y semer mort et désolation.

Face à cela, le Gouvernement congolais, resté bouche cousue, se cachait derrière de prétendues enquêtes en cours et cherchait par tout moyen comment disculper le Rwanda au détriment de la population que ce gouvernement est censé protéger. Acculé par plusieurs déclarations et témoignages, il a enfin reconnu l’existence de 200 à 300 personnes recrutés au Rwanda, formés et envoyés se battre en R.D.Congo, tout en voulant démontrer que cela s’était fait à l’insu du Gouvernement rwandais, chose impossible.

Interpellés par l’Assemblée Nationale, les ministres congolais de la défense et celui de l’intérieur avaient été incapables de porter à la connaissance du Parlement les termes des accords dernièrement signés entre le Rwanda et la R.D.Congo en matière de sécurité et avaient refusé de se prononcer sur les accusations portées contre le Rwanda. Aussi, le parti CNDP vient de quitter la famille politique de la majorité présidentielle pour exiger des négociations entre le Gouvernement congolais et la rébellion M23, négociations qu’il veut conduire. La population meurtrie du Kivu vit médusée ce théâtre du cheval de Troie au pouvoir à Kinshasa.

Au même moment où les Congolais crient à l’agression rwandaise, les gouvernants des provinces voisines du Sud-Kivu, Rwanda et Burundi viennent de signer l’accord de laisser leurs frontières respectives ouvertes aux trafics 24 heures sur 24 heures.

Il faudra que les autorités politiques congolaises :

– se libèrent de la mainmise du pouvoir rwandais ;

– remettent le pouvoir au peuple, par des élections réellement démocratiques, transparentes et crédibles;

– adoptent la politique au sens noble du terme et non la politique politicienne et forment le peuple congolais pour le transformer.

Sur le plan administratif

L’administration publique congolaise est désuète et obsolète, régie par des textes datant de l’époque coloniale et minée par la corruption et le clientélisme. Son personnel est pléthorique, incompétent, sous-payé et sous-employé. Pour assainir les services de l’administration publique il faudrait :

– retraiter honorablement les vieux fonctionnaires et en recruter sur concours des jeunes ;

– améliorer le bien-être du fonctionnaire par une rémunération conséquente ;

– revoir la mise en place des cadres administratifs de base (chefs de quartier, de cellule et d’avenue) qui date du RCD ;

– organiser un recensement administratif de la population avec délivrance de la carte d’identité pour citoyen ;

– instaurer la sanction tant positive que négative d’après la cote obtenue par chaque fonctionnaire annuellement ;

– moderniser tous les services publics, en les informatisant.

Sur le plan militaire

Il faudra :

– dissoudre les régiments militaires et toutes les unités constituées à base ethnique et repartir ces soldats dans différentes unités composées de toutes les autres tribus de la R.D.Congo ;

– permuter toutes les unités militaires dans des provinces autres que leurs provinces d’origine ;

– retraiter les vieux soldats en tout honneur ;

– assainir les éléments qui ne remplissent pas des critères ;

– recruter sur concours et former des éléments jeunes qui remplissent les critères pour avoir une armée républicaine et non un armée des mercenaires ;

– payer aux militaires un solde conséquent ;

– mettre en place des projets pour la réinsertion sociale des militaires démobilisés.

La Police Nationale Congolaise (PNC), les agents du Service National des Renseignements (ANR) et ceux de la Direction Générale de Migration (DGM) doivent subir la même réforme approfondie que l’armée.

Sur le plan de la Justice

Il faudra :

– organiser une inspection rigoureuse sur le comportement du magistrat ;

– lutter sérieusement contre la corruption, l’impunité et le trafic de l’influence ;

– pourvoir à l’indépendance totale et réelle du pouvoir judicaire ;

– redonner le courage et l’honnêteté au magistrat par un contrôle sans complaisance et une rémunération conséquente ;

– renforcer le recrutement par mérite des jeunes magistrats pour approcher le justiciable de la justice.

Sur le plan socio-économique

Il faudra :

– Pourvoir à une réforme agraire et propre dans les territoires où existent des conflits de terre : au Nord-Kivu, dans les territoires de Masisi et Rutshuru ; au Sud-Kivu, dans les territoires de Kalehe, Idjwi, Kabare, Walungu et Uvira. Cette réforme agraire doit offrir des titres fonciers de propriété aux paysans afin de prévenir que d’autres peuples ne viennent ravir des terres à ces paysans soit par la force du fusil soit par la corruption de services de l’Etat en charge de la terre, comme c’est fréquemment le cas ; aussi des sociétés minières exproprient abusivement les terres de paysans sans contre partie ;

– établir une distinction nette entre les terres pour élevage et les terres pour l’agriculture, pour éviter des conflits fréquents entre éleveurs et agriculteurs ;

– favoriser des initiatives privées par des lois et règlements encourageants, pour bannir les tracasseries administratives et policières devenues une gangrène ;

– promouvoir des crédits bancaires pour des initiatives privées ;

– organiser une lutte accrue contre la fraude et la corruption ;

– revisiter tous les contrats léonins dans les domaines miniers et forestiers.

2. SOLUTIONS EXTERNES AU CONGO

Sur le plan politique

– Que les U.S.A. et la Grande Bretagne se déterminent à réhabiliter la population du Kivu plongée dans une insécurité indescriptible : qu’ils disent halte aux pouvoirs du Rwanda et de l’Uganda, qui du reste sont leur création, en les condamnant pour agression et ne se limitent pas à de simples déclarations d’intention sans effet.

– Que les USA, la Grande Bretagne et l’Union Européenne se montrent intransigeants sur la crédibilité des élections en R.D.Congo. Qu’ils ne cautionnent pas les fraudes électorales en coopérant avec le pouvoir qui en est issu sans exiger les préalables de la démocratie.

– Il faudra aussi bien planifier le retrait de la MONUSCO en R.D.Congo, sinon cette mission risque de devenir une aiguille dans sa cheville.

Sur le plan militaire

Les Rwandais ont transporté les tueries de chez-eux au Kivu : les Tutsi massacrent les congolais par l’armée régulière rwandaise (de 1996 à 2003) et les rébellions créées et soutenues par elle-même (AFDL, RCD, CNDP, FRF, M23) ; les Hutu rwandais massacrent de leur coté des populations congolaises par les FDLR/FOCA, les RUD, etc.

Toutes les opérations militaires engagées pour défaire les FDLR/FOCA ont échoué : l’armée rwandaise qui a occupé le Kivu de 1996 à 2003 n’y a pas réussi ; l’opération conjointe « Umoja wetu » des armées rwandaise et congolaise a échoué, de même que les opérations militaires Kimya 1 et 2, Amani leo, Amani kamilifu de l’armée congolaise appuyée par les troupes de la MONUSCO.

L’unique solution pour défaire ces rébellions rwandaises au Kivu est un dialogue entre Tutsi et Hutu au Rwanda. Le Président rwandais ne veut pas en entendre parler parce que la rébellion FDLR est devenue un busines rentable pour le Rwanda.

– Que les USA, la Grande Bretagne et l’Union Européenne interdisent à leur protégé, le Rwanda, cette pratique méphistophélique et exigent l’ouverture d’un dialogue entre le régime rwandais et son opposition.

– Que ces puissances aident la R.D.Congo à nettoyer ses services de sécurité : armée, police et autre pour avoir des services réellement républicains. Sur ce, nous félicitons et encourageons la Grande Bretagne de son implication pour la réforme de la police congolaise ; qu’elle ne s’arrête pas à la police seule.

– Que les USA aident à traquer et arrêter Bosco Ntaganda, comme ils le font pour Joseph Koni de LRA.

Sur le plan de la justice

Que les USA, la Grande Bretagne et l’Union Européenne exigent l’organisation d’un Tribunal International pour la R.D.Congo ou un Tribunal mixte, pour que les crimes commis au Kivu ne restent pas impunis.

Sur le plan économique

Nous remercions le gouvernement des U.S.A. pour sa loi Dodd-Frank sur la traçabilité de minerais du Kivu avant leur exportation, tout en demandant qu’une vérification soit faite de son impact réel. Cette rigueur devrait être aussi adoptée par les gouvernements britannique et belge dont des entreprises sont impliquées dans le trafic honteux de minerais du sang du Kivu.

Quant à la convoitise du pétrole de l’Est de la R.D.Congo, que ces puissances sachent qu’en sécurisant le Kivu, ces minerais et ce pétrole seront exploités honnêtement et proprement par eux.

Les voisins du Kivu, les protégés rwandais et ougandais, bénéficieront de tout développement au Kivu, dans le cadre du bon voisinage et de la circulation libre des personnes et des marchandises, au lieu et place de leur prédation criminelle.

CONCLUSION

Que les autorités congolaises, les gouvernements rwandais, ougandais, des U.S.A., de la Grande Bretagne et l’Union Européenne ne continuent plus d’accuser gratuitement les populations du Kivu de conflits ethniques. Au Kivu il n’existe pas une tribu qui se bat contre une autre tribu. Les solutions pour la paix au Kivu sont là. Seule la volonté politique et humaine manque à ceux qui ont le pouvoir tant interne qu’externe à la R.D.Congo.

Bukavu, le 10 juin 2012.

Néhémie BAHIZIRE