ROLE DE L’EGLISE DANS L’ ACCOMPAGNEMENT DES FIDELES AUX ECHEANCES ELECTORALES: Par Prof.Abbé Richard Mugaruka M.

8è FORUM / RENADHOC – RDC / Avril 2011.
A la veille de la fin de l’actuelle législature en RDC et des prochaines élections prévues pour la fin de l’année en cours, toutes les organisations de la société civile congolaise sont appelées à réfléchir sur la contribution concrète qu’elles ont à apporter à la préparation et l’organisation de cette échéance, de manière à en assurer le caractère libre, démocratique et transparente.

Conformément aux exigences et aux implications de sa mission essentielle et spécifique d’évangélisation, l’Eglise catholique se doit, dans un souci pastoral et non d’ambition politique, de s’engager à participer à la préparation, au bon déroulement et à l’issue heureuse de ce processus électoral. En effet, comme l’a écrit le Pape Paul VI, « entre évangélisation et promotion humaine –développement, libération- il y a des liens profonds. Liens d’ordre anthropologique, parce que l’homme à évangéliser n’est pas un être abstrait, mais qu’il est sujet aux questions sociales et économiques. Liens d’ordre théologique, puisqu’on ne peut pas dissocier le plan de la création du plan de la rédemption qui, lui, atteint les situations concrètes de l’injustice à combattre et de la justice à restaurer. Liens de cet ordre éminemment évangélique qui est celui de la charité : comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable, l’authentique croissance de l’homme. Nous avons tenu à le signaler, Nous même, en rappelant qu’il est impossible d’accepter que l’œuvre de l’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves, tellement agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement et la paix dans le monde. Si cela arrivait, ce serait ignorer la doctrine de l’Evangile sur l’amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin »[1].

C’est en vertu de ce lien profond entre sa mission évangélisatrice et la promotion de la dignité humaine et du bien commun, que l’Eglise catholique est appelée à s’engager et s’engage effectivement dans l’éducation civique pour aiguiser le sens des citoyens aux valeurs philosophiques et morales consensuelles indispensables à l’organisation du vivre ensemble harmonieux et cohérent au niveau de la nation et, même, de la société humaine. Cette éducation civique vise, en même temps, à rendre les citoyens capables de discerner les projets de société correspondant le mieux au besoin réels et au bien être commun de la population. Ce discernement offre les repères préalables et une référence indispensable pour opérer les choix conséquents libres, judicieux et responsables des futurs dirigeants du pays.

Dans le présent exposé sur le rôle de l’Eglise dans l’accompagnement des fidèles aux échéances électorales, nous développement succinctement, d’abord, le fondement des élections démocratiques, ensuite, les conditions préalables pour l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes ; et enfin, les obstacles à lever. L’exposé sera clôturé par une conclusion résumant les actes concrets que l’Eglise devra poser dans son accompagnement des fidèles aux échéances électorales.

1. Le fondement des élections démocratiques : la souveraineté du peuple

Cet article stipule :

“Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement soit par l’intermédiaire des représentants librement choisis.

“Toute personne a le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

“La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics, cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret” (fin de citation).

C’est donc par les élections que le peuple exerce et exprime sa souveraineté première et sa volonté comme fondement de l’autorité des pouvoirs publics. En choisissant ses dirigeants, le peuple leur confère la légitimité, sans se départir lui-même de ses droits et de ses prérogatives comme souverain premier. Les dirigeants choisis demeurent donc comptables devant le peuple dont ils sont les représentants et les mandataires. Ce peuple garde, à tout moment et selon les règles convenues, le droit de les soumettre au contrôle, à la reddition des comptes et à la sanction. C’est dans ce sens que l’on appelle aussi la démocratie, le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Le peuple demeure donc souverain avant, pendant et après les élections et exerce, conformément à la loi fondamentale dont elle a doté le pays et qui est exécutoire et opposable à tous, y compris aux dirigeants politiques. En démocratie, nul n’est au dessus de la loi, et les dirigeants sont redevables au peuple, souverain premier.

Dans l’esprit comme dans la lettre de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’égalité de tous les citoyens devant la loi doit être sauvegardée dans l’organisation des élections démocratiques. Par conséquent, le droit de briguer un mandat politique doit être reconnu et garanti pour tout citoyen qui le désire, selon les conditions fixées par la loi. Dans cette compétition, l’égalité de chances doit être garantie pour tous les citoyens qui remplissent les conditions fixées par une loi consensuelle, sans discrimination de race, de religion d’origine ethnique ou de sexe. Cela vaut également pour les électeurs qui, de manière égalitaire, ne disposent que d’une voix par personne, et qui doivent pouvoir s’exprimer en toute liberté, sans aucune contrainte physique, psychologique, morale ou sociale..

Ce devoir d’équité en démocratie est fondé sur la vision humaniste qui est à la base de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Celle-ci, en son article premier, stipule notamment : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Le suffrage universel est considéré comme l’expression de cette égalité fondamentale de tous les citoyens et moyen privilégié de la participation de l’ensemble du peuple à l’organisation et à la gestion de la société et au contrôle des dirigeants.

Selon cette vision, l’homme est considéré comme sujet de libertés ou de droits naturels, imprescriptibles et inaliénables que la société ne peut que lui reconnaître et garantir. Ces droits naturels sont : le droit à la vie et à l’intégrité physique (ce qui implique le droit à un minimum vital et aux soins de santé),le droit à la liberté générale et particulière (liberté d’expression, de pensée, d’opinion, d’association, de religion…),le droit à la propriété. On y ajoute généralement le droit à la citoyenneté et à la justice…Ces droits liés à la nature humaine elle-même sont égaux pour tous les hommes.

En vertu de cette égalité foncière entre tous les hommes, personne ne doit, sans son consentement, se soumettre ou être soumis à l’autorité d’un tiers. Ce droit à l’autodétermination de la personne humaine et des peuples constitue, en démocratie, le fondement de la constitution et de l’organisation de la société. Le pouvoir émane donc des personnes réunies par consentement ou engagement libre et personnel (par un contrat social tacite ou explicite), en société, en peuple et en nation.

Ainsi donc, en démocratie, ne sont dignes d’accéder aux responsabilités politiques que les personnes aptes et disposés à servir avec probité, compétence et désintéressement le peuple, en incarnant et en représentant fidèlement sa volonté, ses intérêts et ses aspirations, dans le respect de sa souveraineté et de ses droits.

II. Conditions préalables pour l’organisation des élections démocratiques

Les élections ne sont ni une panacée ni une baguette magique : elles n’engendrent pas automatiquement la démocratie, ni la stabilité politique, ni la cohésion sociale, ni le développement économique. Bien au contraire, lorsqu’elles ne répondent pas à certaines conditions préalables, elles restent purement formelles et peuvent s’avérer porteuses des germes de leur contestation, de leur invalidité et de leur inefficacité. Un tel déficit peut même les rendre inadéquates et impropres à générer la démocratie. Ces conditions préalables sont d’ordre éthique et pratique.

1° Les conditions préalables d’ordre éthique et leurs implications

a) Les conditions préalables d’ordre éthique

Pour qu’elles soient à même de faire advenir un ordre politique démocratique, il faut que les élections soient :

– justes et honnêtes, c’est-à-dire loyales et transparentes

– libres et compétitives c’est-à-dire pluralistes et périodiques

– se dérouler au scrutin secret et sans manipulation des résultats.

Ces conditions éthiques sont indispensables pour garantir l’expression de la volonté populaire, comme fondement et source de l’autorité des pouvoirs publics. Elles expriment la nécessité d’assurer l’équité envers tous, l’égalité des chances entre les candidats ainsi que la liberté et la transparence dans l’organisation, le déroulement et le dépouillement du scrutin.

b) Implications de ces préalables

– L’éducation politique

Pour que les élections correspondent à l’expression réelle et authentique de la volonté populaire, elles doivent être conscientes et responsables. Or, pour élire de manière consciente, il faut connaître l’objet et les enjeux du choix proposé. Et pour élire de manière responsable, il faut jouir de la liberté de choix, et avoir plusieurs possibilités. Sans cette connaissance et cette responsabilité, l’exercice même de l’élection devient une négation de la démocratie, car, dans ce cas, le choix exprimé est imposé de l’extérieur au peuple et ne correspond pas à sa volonté réelle et authentique.

C’est pourquoi un peuple politiquement inculte est incapable de démocratie. Car il ne peut opérer l’élection de ses dirigeants ni se prononcer sur un quelconque projet de société, de manière consciente et responsable. Son ignorance politique le livre en proie à la manipulation et à l’irresponsabilité et annihile sa capacité de participer consciemment à la gestion de la cité.

Ainsi donc la démocratie précède la démocratie. La mentalité et la culture démocratiques précèdent et conditionnent des élections démocratiques. C’est l’adhésion aux valeurs démocratiques qui permet à un peuple de s’organiser et de se gérer de manière démocratique. L’intelligence des enjeux électoraux est indispensable à une participation consciente et responsable au scrutin. Sans ces préalables, il n’est possible ni d’organiser des élections démocratiques ni de mettre en place un ordre politique démocratique.

Cela démontre l’importance capitale de l’éducation politique du peuple pour l’organisation et la réussite des élections. Cette éducation constitue la première condition essentielle à sa participation consciente et responsable aux élections démocratiques. C’est grâce à elle, que le peuple et la classe politique acquièrent l’intelligence des enjeux électoraux et en discutent pour mieux choisir les options qui correspondent à l’intérêt collectif. Elle prépare et prédispose les compétiteurs politiques ainsi que le peuple à mieux appréhender et respecter les règles des élections démocratiques, à en maîtriser l’organisation et le déroulement, et à en accepter les résultats.

La campagne électorale s’inscrit dans ce cadre-là. Elle est , en tout premier lieu, ordonnée à porter à la connaissance du peuple les divers projets de société en compétition qui lui sont proposés, afin qu’il puisse opérer son choix de manière avertie, consciente et responsable. En effet, un choix libre et responsable suppose et implique non seulement la liberté de penser et de réfléchir mais aussi la connaissance et l’intelligence des enjeux électoraux.

– L’acquisition de la mentalité et de la culture démocratiques

L’éducation politique du peuple a pour but final de contribuer à l’acquisition d’une mentalité et d’une culture démocratiques. Il s’agit de l’adoption d’attitudes mentales et de comportements pratiques traduisant la capacité, chez un peuple à se gouverner lui-même, et chez les dirigeants, à se considérer comme porteurs et comptables d’un projet de société, correspondant à la volonté du peuple et qui est à réaliser avec et pour le peuple et en vue du bien commun.

Comme en démocratie il ne peut exister de projet politique individuel, les candidats et le peuple en présence sont obligés d’apprendre à dialoguer, à débattre et à se concerter de manière à la fois courtoise, rationnelle et constructive. Le débat est donc indispensable en démocratie. Il constitue comme le moteur et le poumon par lesquels la démocratie se meut, avance et respire. Mais il ne s’agit de débattre pour débattre : il s’agir de débattre pour éclairer la lanterne du peuple afin de lui permettre d’opérer des choix justes, ordonnés au bien du pays et au bonheur de la société. Pour cela, il est impératif et capital que le débat repose sur le souci de la vérité et du bien commun. Sinon, il risque de virer à la manipulation et à la désinformation, et de finir par se retourner contre ses auteurs.

Par ailleurs, pour contribuer positivement à l’éducation du peuple, le débat doit se dérouler dans un climat démocratique, fait d’égalité entre les citoyens, de tolérance et de respect des différences et de l’altérité du ou des interlocuteurs. Même lorsque les positions des uns et des autres sont contradictoires et paraissent, de prime abord, inconciliables, la règle d’or du débat doit demeurer la tolérance, la courtoisie et le respect des différences et surtout de l’autre. Nul n’a le monopole de la vérité et c’est du choc des idées que jaillit la lumière. Personne n’a par conséquent le droit d’imposer à autrui sa vérité ou ses idées propres. En régime de liberté, la vérité est toujours négociable et à négocier. Il faut soit convaincre soit accepter le compromis mais jamais s’imposer. C’est la règle d’or de toute démocratie.

En démocratie, en effet, il faut surtout apprendre et s’astreindre à résoudre pacifiquement, par le consensus ou le compromis, les conflits inhérents au caractère pluraliste de tout vrai engagement politique, sans jamais trahir l’intérêt supérieur de la nation et du peuple. Des personnes qui ne savent ni débattre ni dialoguer devraient donc s’abstenir de briguer un mandat politique en démocratie. La capacité de dialogue suppose d’abord la connaissance du sujet à traiter, ensuite, le souci de vérité et du bien commun, et enfin le sens de l’écoute et le respect de l’interlocuteur.

Rien ne peut suppléer à la carence de cette mentalité et de cette culture démocratiques. Sans elles, les élections les mieux organisées peuvent tourner à la contestation et rester sans lendemains. Sans elles, les lois les plus démocratiques peuvent être appliquées de la manière la plus arbitraire et la plus despotique. Car avant d’être une structure et une organisation, la démocratie est une mentalité et une culture qui requièrent du temps pour être maîtrisées, domestiquées, et devenir comme une seconde nature. Seuls les dirigeants acquis à la mentalité et à la culture démocratique sont aptes et dignes d’assumer un mandat politique en démocratie. Seul un peuple averti et converti aux vertus et à la culture démocratiques peut organiser des élections libres et transparentes dont les résultats sont opposables à tous. Comme tous les autres faits de culture, la démocratie se vit avant de se dire. L’agir suit l’être. (Agere sequitur esse).C’est pourquoi la démocratie est avant tout un problème d’homme.

– Nécessité de l’évaluation périodique en démocratie

La mentalité et la culture démocratiques ne sont jamais acquises définitivement, une bonne fois pour toutes. Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple est un idéal qui exige de la part des dirigeants une résistance continuelle à la tentation de la dictature et à la tendance à l’égoïsme. Cette tendance que tout homme et donc tout dirigeant politique porte en lui l’expose à la tentation d’exercer le pouvoir à son profit personnel et d’en abuser au détriment du bien commun. La boulimie du pouvoir et la peur de le perdre constituent toujours de puissants motifs d’intrigues et peuvent inciter à des compromissions de tous genres …

C’est pourquoi, en démocratie, le peuple est invité à une vigilance permanente pour décourager, prévenir, endiguer et sanctionner les dérives qui guettent tout pouvoir, fût-il démocratique. Pour cela, les élections au suffrage universel doivent être périodiques. Elles permettent au peuple d’exercer en permanence son droit de souverain premier et de s’assurer de la bonne tenue démocratique de ses élus. Sans ce contrôle, les dirigeants démocratiquement élus risquent, à la faveur d’une longue durée au pouvoir, de céder à la tentation de la mégalomanie et de se transformer en tyrans ou en dictateurs. Ils risquent de transformer le pays en propriété privée, les citoyens en objets ou en otages. Car, œuvre humaine toujours imparfaite et donc perfectible, aucune démocratie n’est à l’abri des intrigues et des dérives. Un contrôle assuré par la périodicité des élections s’impose donc.

2° Les préalables d’ordre pratique

Elles portent sur les préalables législatifs, administratifs, techniques et financiers indispensables à l’organisation et à la réussite des élections démocratiques.

Sur le plan législatif, il faudrait mettre en place une loi électorale fixant et déterminant les modalités de l’organisation, de la gestion et du contrôle des élections ainsi que les compétences des différents organes impliqués dans l’opération.

Cette loi elle-même doit découler des dispositions générales d’une constitution fondée sur les droits humains fondamentaux et consacrant les principes universels qui régissent toute démocratie. En précisant la forme de l’Etat et le régime politique qui doivent régir le pays, la Constitution détermine les mandats politiques et les attributions qui y correspondent, et par ce biais, indique le profil des hommes aptes à les assumer. C’est en fonction de ces précisions sur les fonctions politiques à pourvoir, que la Constitution réglemente les conditions de l’éligibilité et les restrictions au droit de vote.

Par ailleurs, une loi doit définir les modalités de l’institution et du fonctionnement d’une commission électorale indépendante chargée de veiller à ce que les élections se déroulent conformément aux dispositions légales et réglementaires.

Elle doit enfin fixer un calendrier électoral conforme au prescrit de la loi.

Sur le plan administratif et technique, l’organisation même des élections comprend plusieurs étapes indispensables : la création des partis politiques, le recensement et l’inscription des électeurs, la sélection des candidats, les campagnes électorales, l’administration des élections et enfin, le scrutin et son dépouillement…

Toutes ces opérations à caractère technique nécessitent du temps. Là où existe une longue et ancienne tradition d’organisation des élections démocratiques, elles peuvent paraître anodines, évidentes et routinières. Mais là où des élections démocratiques n’ont pratiquement jamais eu lieu, ou ne bénéficient pas encore d’une tradition ancrée dans les usages politiques, ces opérations sont difficiles et onéreuses et prennent du temps : elles doivent faire l’objet d’un travail minutieux, méthodique, planifié et consensuel, afin d’éviter des failles et des déficiences qui pourraient entraver le bon déroulement de l’opération et conduire celle-ci à l’échec.

III. Les obstacles à lever

De nombreux obstacles sont à lever en RDC pour arriver à assurer de manière satisfaisante l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes. Certains d’entre eux ne pourront être contournés ou surmontés. Il n’en demeure pas moins qu’il faille en prendre conscience afin d’essayer de les gérer autant que faire ce peut afin d’assurer au scrutin le minimum de conditions indispensables pour sa transparence et sa fiabilité. De ces obstacles, nous relevons les douze plus importants en RDC :

1. La « particratisation » de la vie politique

Par ce néologisme « particratisation » nous entendons et visons à décrire trois phénomènes :

a. D’abord le phénomène observable depuis la fin du monopartisme le 24 avril 1990, de la prolifération des partis politiques que nous qualifions de « coquilles vides » ou « alimentaires ». Il s’agit de partis artificiels, sans base conséquente, comptant moins de quelques centaines de membres, sans projet de société précis et particulier, rigoureusement pensé en fonction de la situation et des besoins réels du pays, et donc incapables d’organiser un quelconque débat politique qui serait d’ailleurs sans objet. Ces partis, sans membres effectifs en nombre significatif, réduits à un directoire composé d’un club familial ou de copains, se réunissent, chacun autour de son initiateur autocratique, qui se sert de l’agrément juridique souvent monnayé, pour aller négocier des postes politiques dans les officines et les conciliabules parallèles aux institutions officielles. Ces officines sont gérés par des leaders de l’ombre, souvent créés et entretenus par le pouvoir en place pour fragiliser les factions politiques rivales par le débauchage des personnalités émergentes et influentes qui en sont issues . Les élections de 2006 ont connu la participation de 267 partis politiques et le ministère de la justice a récemment annoncé l’existence de 383 partis officiellement enregistrés et reconnus. En principe, ces 383 partis politiques sont censés présenter des projets de société différents. Comment les électeurs peuvent-ils opérer le discernement nécessaire dans une telle pléthore de propositions et les distinguer les unes des autres en vue d’un choix judicieux ? Ne serait-il pas plus rationnel, logique et pratique d’édicter une loi obligeant les partis politiques ayant des projets de société globalement similaires, de se regrouper sous un seul et même label et de limiter leur nombre à une dizaine au maximum ? Plus de 90% de ces partis n’ont pas d’implantation nationale, et disposent, comme sièges, des mallettes de leurs initiateurs. Dans ces conditions comment éviter que les élections virent à un mimétisme collectif irresponsable et finalement stupide, qui n’a de démocratique que le nom et qui ne répond et ne correspond pas aux standards et aux normes régissant toute vraie démocratie !

b. Par le vocable « particratie » nous entendons et visons ensuite, le fait que l’espace politique est occupé par les partis politiques, alors que la grande majorité de la population des électeurs congolais ne milite au sein d’aucun d’eux et qu’elle appartient à la société civile organisée ou non organisée politiquement. Lorsque les partis politiques tiennent des meetings, c’est à peine qu’ils rassemblent un pour cent de la population des électeurs. Bien plus, ces partis politiques n’ont aucun programme d’éducation civique ou de débat politique et ne se manifestent qu’au moment des élections. A défaut de projet de société adéquat, ces partis fonctionnent sur base du tribalisme, du régionalisme, de discours politiciens démagogiques centrés sur les frustrations ou les intérêts immédiats locaux, et, surtout, de la corruption des consciences et de pots de vins. Pour réunir des assemblées, les leaders politiques distribuent des dons en nature et quelques fois en espèce, ou alors, offrent des loisirs gratuits accompagnés de musique, de danse et de boissons. Pour le reste, les leaders politiques monologuent… La classe politique en RDC tend à disqualifier la société civile comme actrice politique et à l’instrumentaliser à son profit.

c. Par le vocable « particratie » nous entendons et visons, enfin, le culte de la personnalité qui fait des partis politiques des organisations à caractère individuel, dictatorial et à pensée unique. Les chefs des partis politiques se comportent comme des gourous despotiques et autocrates auxquels les partisans doivent allégeance et soumission intellectuelle. Multipartisme ne rime pas avec pluralisme idéologique, ni avec un débat politique contradictoire autour de projets de société en compétition. Il se réduit à la rivalité des « egos » au sein des partis et d’une classe politique alimentaire aux reflexes dictatoriaux et aux ambitions égoïstes surdéterminées par la boulimie du pouvoir et des privilèges sociaux, matériels et financiers y afférents et dérogatoires au droit commun. Les partis semblent personnalisés au point de se confondre avec leurs initiateurs. En l’absence de ces derniers, aucun mécanisme n’est prévu pour les remplacer ou de les représenter pour poursuivre le projet de société ou le programme politique commun. Or le sort du pays et du peuple ne peut se confondre ou se réduire à celui d’un individu. En effet, les individus passent, tandis que le peuple et le pays demeurent. Un vrai homme politique c’est quelqu’un qui se pense, se situe et se projette dans un au-delà de lui-même, au service d’un idéal, d’une cause et d’une vision qui le dépassent.

Aussi la « particratie » constitue-t-elle un des principaux obstacles à la démocratie et à une citoyenneté responsable. Cette situation interpelle les organisations de la société civile et devrait les inciter à s’engager davantage dans l’éducation, la mobilisation et l’encadrement civiques du peuple.

2. La misère populaire et l’ignorance aggravée par l’analphabétisme.

La démocratie, à l’instar de la stabilité politique, n’a pas de pires ennemies que la misère populaire et l’ignorance qui, en RDC, se traduit à un taux fort élevé d’analphabètes. On ne peut pas demander à une population affamée de réfléchir et de débattre sur un quelconque projet de société. Bien plus, la précarité expose souvent le peuple à la vulnérabilité morale et à la corruptibilité. Il faut, en effet, un minimum de bien être matériel pour pratiquer la vertu et s’intéresser aux valeurs spirituelles ou sociétales.

3. L’insécurité à l’est de la RDC

Malgré les dénégations du Gouvernement pour justifier ses faiblesses militaires et son profil bas dans les relations diplomatiques avec les pays voisins, la persistance de l’insécurité à l’Est de la RDC demeure une réalité susceptible de dérégler, par endroit, le mécanisme du processus électoral.

4. La corruption et l’impunité généralisées

Dans un pays où tout, y compris les consciences, sont achetables et à vil prix, et ce, même des institutions publiques, comment les élections pourraient-elles échapper à la règle? Comment endiguer la tricherie, la manipulation des électeurs et la démagogie, dans un pays où la corruption et l’impunité gangrènent l’appareil de l’Etat ? Depuis l’instauration, par le dialogue intercongolais, de la pratique antidémocratique de la prime au crime et à la violence comme moyens d’accéder au partage du pouvoir politique, tout repère moral a disparu de l’espace politique congolais et des mœurs publiques. L’absence d’un mécanisme légal de réglementation et de contrôle du financement des partis et des campagnes électorales, ouvre la voie aux inégalités et à la tentation, pour les détenteurs du pouvoir, d’utiliser les moyens publics, et même le budget de l’Etat, au profit de leur camp politique.

5. Le non achèvement du processus électoral antérieur

La non organisation des élections locales et communales qui devaient parachever le processus électoral de 2006, a entraîné la nomination illégale des autorités politico administratives de ces niveaux. La désignation effectuée de manière anticonstitutionnelle de ces autorités par le parti au pouvoir alors qu’elles auraient du être élues, risque de mettre à mal le caractère apolitique de l’administration publique et de perturber la transparence, la liberté et l’égalité des chances indispensables à l’équité dans le déroulement des prochaines élections.

6. L’absence d’un recensement mis à jour de la population et de l’identification des nationaux prêtent le flanc à la fraude et, partant, à la contestation et aux conflits post électoraux. D’autre part, faute des statistiques démographiques fiables, on ne saura jamais prendre la mesure exacte de l’abstentionnisme qui comporte toujours un message et une signification politiques.

7. Les critères légaux de la composition de la CENI risquent de mettre à mal son indépendance et sa crédibilité, si ce n’est pas encore le cas. Après avoir écarté la société civile de toute présence au sein de la CENI, la loi a prévu la désignation des membres de cet organe sur base du choix de la majorité et de l’opposition à raison de quatre membres pour la première et de trois pour l’opposition. Cela a hypothéqué non seulement l’indépendance et donc la fiabilité de la CENI mais encore son caractère impartial et sa neutralité. En cas de divergence et de vote au sein de la CENI, les membres désignés par la majorité au pouvoir l’emportera toujours.

8. Le musèlement et les intimidations des partis politiques de l’opposition et l’accès inégal aux médias pour la campagne électoral, outre qu’ils portent atteinte à la liberté d’expression et à l’égalité des chances dans la compétition électorale, constitue une violation de la constitution. Déjà dans les provinces où le parti politique présidentiel a perdu la popularité, les partis de l’opposition sont intimidés et interdits de se déployer en toute liberté.

9. Un système électoral inadapté et cruellement dépendant de l’«expertise», des financements et de la logistique extérieurs. On ne pourra jamais dire à la « communauté internationale » qui finance et fournit la logistique pour les élections : « payez et taisez-vous ». Comme dans toutes entreprises, le pouvoir de délibération est toujours proportionnel à la participation au capital

10. Les dégâts collatéraux et les conséquences d’un tour unique de scrutin présidentiel à la majorité relative qui ne peut que relativiser, le cas échéant, la légitimité du Président et fragiliser l’institution Présidence.

11. Le retard accusé dans les préparatifs techniques et administratifs des élections, -retard imputable à la navigation à vue et à l’imprévoyance du pouvoir en place-, ne laisse plus à la CENI un temps suffisant pour l’enrôlement régulier et satisfaisant des électeurs et l’organisation sereine du scrutin dans les délais constitutionnels. Cela constitue une sérieuse menace pour la transparence et la fiabilité du scrutin et de ses résultats.

12. L’absence de critères rigoureux pour la sélection des candidats aux fonctions publiques. Il est impérieux pour la RDC de tourner la page de la belligérance, de mettre fin à l’immoralité publique et à la pratique de la prime au crime et à la violence pour l’accès au pouvoir politiques. Il faudra que la loi électorale impose, parmi les principaux critères à l’éligibilité, la compétence, et surtout, la probité et le souci du bien commun.

Personne n’est obligé de briguer un mandat public : devraient s’en abstenir, tous ceux qui sont incapables de résoudre les problèmes du peuple. Et les incapables qui occupent des postes politiques devraient rendre le tablier. Le pouvoir politique a pour objet l’utilité sociale et lorsqu’il ne peut réaliser cet objectif, il devient sans objet et donc perd sa raison d’être et toute justification.

Conclusion

Le rôle de l’Eglise dans l’accompagnement des fidèles aux échéances électorales consiste donc à :

1°- Veiller à ce que la conception et l’organisation des élections respectent les droits fondamentaux de l’homme qui consacrent l’égalité de tous les hommes, les libertés fondamentales, la souveraineté du peuple comme unique source de l’émanation du pouvoir. Les hommes politiques sont appelés à être au service du peuple, à gérer le pays conformément à sa volonté et à lui rendre compte, et non l’inverse. C’est cela la culture et la mentalité démocratiques.

2°- Veiller aux préalables éthiques dans la mise en œuvre des élections qui doivent être ;

– justes et honnêtes, c’est-à-dire loyales et transparentes

– libres et compétitives c’est-à-dire pluralistes et périodiques

– se dérouler au scrutin secret et sans manipulation des résultats.

3°- Veiller à l’éducation et à l’encadrement civiques et politiques du peuple pour lui permettre d’assumer de manière responsable et éclairée sa souveraineté et la citoyenneté responsable dans le choix de ses dirigeants. Il s’agit de former le peuple à savoir analyser et apprécier le bilan du pouvoir sortant et à évaluer objectivement les projets de société qui lui sont présentés par les candidats et les partis politiques en compétition. La compétence et l’honnêteté publique devraient occuper une place de choix dans les critères de l’éligibilité aux fonctions politiques et faire l’objet d’une loi.

4°- Veiller sur les préalables législatifs, administratifs, techniques et financiers indispensables à l’organisation et à la réussite des élections démocratiques, libres et transparentes.

5°- Dénoncer les dérives et les pratiques antidémocratiques susceptibles d’entacher l’organisation et le déroulement du scrutin ou d’en compromettre l’issue heureuse et pacifique.

Même là où l’Eglise n’a ni compétence politique et légale, ni responsabilité administrative et financière, elle garde, cependant, en sa qualité d’organisation de la société civile, le droit et le devoir de jouer un rôle critique de proposition ainsi que d’éducation et d’encadrement civiques des masses populaires.

La politique étant l’art du possible, il faudra essayer de gérer, au mieux de l’intérêt général, les obstacles et les déficiences impossibles à surmonter ou à contourner, dans la préparation et l’organisation des élections. Il n’en demeure moins impératif de s’assurer du minimum indispensable, sans lequel le scrutin risque de tourner à un mimétisme collectif et irresponsable, et, surtout, de déboucher sur les contestations et les conflits post électoraux, aux conséquences imprévisibles. Ce minimum ne semble, hélas, pas au rendez-vous. Gouverner c’est prévoir.

Fait à Kinshasa, le jour de Pâques 2011-04-24

Prof. Abbé Richard MUGARUKA M.